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Communiqués de presse Organes conventionnels

Le Comité des droits del'homme examine le rapport du Kazakhstan

15 Juillet 2011

Comité des droits de l'homme
15 juillet 2011

Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport initial du Kazakhstan sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Présentant le rapport de son pays, M. Dulat Kustavletov, Vice-Ministre de la justice du Kazakhstan, a indiqué que le modèle kazakh était celui d'une société pluriethnique où la liberté d'expression est respectée, 85% des médias étant indépendants. Faisant preuve d'une volonté d'assimiler le droit international humanitaire, un moratoire a été décrété sur l'application de la peine de mort. Quant aux critères de sélection des juges, ils doivent être prochainement renforcés, la réforme du droit pénal étant en cours depuis deux ans dans le sens d'une plus grande humanisation. Le Kazakhstan a renforcé les garanties de protection de la population lors dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, la torture par des membres de forces de l'ordre est passible de sanctions pouvant aller jusqu'au licenciement. Le système pénitentiaire se rapproche des normes internationales, l'objectif étant de parvenir à un seul détenu par cellule. L'État se fixe pour objectif de renforcer les droits de l'homme dans le cadre d'un plan d'action 2009-2012.

Comptant une vingtaine de membres, la délégation kazakhe était également composée de M. Nurai Orazov, Vice-Ministre des communications et de l'information, ainsi que de responsables des Ministères de l'intérieur, de la justice, des affaires étrangères et de la culture, ainsi que de la Commission des droits de l'homme auprès de la Présidence, de la Commission pour la protection de l'enfance, de la Commission des femmes et de la famille, du Conseil constitutionnel, du Centre national des droits de l'homme, de la Commission électorale, de la Cour suprême et de l'Assemblée nationale. Elle a répondu aux questions des membres du Comité qui se sont particulièrement préoccupés de l'application des garanties offertes par la législation adoptée depuis l'indépendance et du caractère autoritaire des institutions du pays notamment s'agissant de l'indépendance du judiciaire. La délégation a assuré que le pouvoir judiciaire était indépendant de l'exécutif, les membres de la Cour suprême étant élus par le Parlement. Les juges régionaux sont nommés par le chef de l'État sur proposition du Conseil judiciaire suprême et il n'y a pas eu de cas où le Président ait rejeté les candidatures soumises par ledit Conseil. En réponse aux interrogations du Comité sur le choix de décréter un moratoire sur la peine de mort plutôt que de l'abolir purement et simplement, la délégation a répondu que cette peine n'était prononcée que pour les crimes les plus graves et qu'il s'agissait de procéder à une abolition progressive.

La rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport du Kazakhstan, Mme Iulia Antoanella Motoc, s'est inquiétée de possibles lacunes dans la connaissance du Pacte par les autorités judiciaires du pays, particulièrement au niveau des tribunaux. Mme Motoc s'est aussi demandée si la jurisprudence formulée par le Comité dans ses commentaires généraux était connue des juristes kazakhs. Elle a estimé que la Commission kazakhe des droits de l'homme ne répondait pas aux Principes de Paris en matière d'indépendance des institutions nationales des droits de l'homme.

Le Kazakhstan était le dernier des trois pays présentant un rapport dans le cadre de la présente session. Les observations finales du Comité sur l'examen de ces rapports seront rendues publiques à la fin des travaux, le 29 juillet prochain.

La prochaine séance publique du Comité aura lieu mardi matin et sera consacrée à l'examen d'un projet d'observation générale sur l'article 19 du Pacte, relatif à la liberté d'opinion et d'expression.

Présentation du rapport

M. DULAT KUSTAVLETOV, Vice-Ministre de la justice du Kazakhstan, a fait valoir que vingt ans après la proclamation de son indépendance, son pays jouissait d'une grande stabilité. Il a renoncé à l'arsenal nucléaire hérité de la période soviétique, et le pays, qui a adopté l'économie de marché, compte plus de 700 000 petites et moyennes entreprises. Les dépenses de santé ont été multipliées par huit, la population est passée de 14,6 à 16,4 millions ces dix dernières années. Un plan national de l'emploi a été lancé et le salaire moyen a été multiplié par cinq. Le PIB par tête est passé de 700 dollars en 1994 à 9000 dollars actuellement.

Le régime politique a été amendé dans un sens renforçant les organes locaux et le rôle du Parlement qui est élu à la proportionnelle, selon les règles du pluralisme, qui satisfont à 80% des recommandations de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Le modèle kazakh est celui d'une société pluriethnique comptant 140 nationalités et plus de 45 confessions. La liberté d'expression est respectée, 85% des médias étant indépendants.

Le chef de la délégation a également fait valoir que le nombre de condamnations à mort a fortement baissé et qu'un moratoire a été décrété sur son application.

Le Vice-Ministre kazakh de la justice a aussi indiqué Les critères de sélection des juges doivent être prochainement renforcés, la réforme du droit pénal étant en cours depuis deux ans en vue de le rendre plus respectueux de la dignité humaine – 211 articles du code pénal ont été amendés; la diffamation par exemple étant devenu un délit civil.

Le Kazakhstan a renforcé l'an dernier les garanties de protection de la population dans le contexte des actions policières de lutte contre le terrorisme. Les mauvais traitements infligés par des membres de forces de l'ordre sont passibles de sanctions pouvant aller jusqu'au licenciement. Le système pénitentiaire se rapproche des normes internationales, l'objectif étant de parvenir à un seul détenu par cellule. L'État se fixe pour objectif de renforcer les droits de l'homme dans le cadre d'un plan d'action 2009-2012. M. Kustavletov a enfin fait valoir que l'Examen périodique universel du Kazakhstan a donné lieu à l'acceptation par le pays de 95% des 121 recommandations formulées par les membres du Conseil des droits de l'homme.

MME ELVIRA AZZIMOVA, chargée de l'application des instruments internationaux au Ministère de la justice, a pour sa part expliqué que la Constitution interdisait toute discrimination, notamment fondée sur le sexe, le pays ayant ratifié la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Elle a précisé qu'une allocation forfaitaire et des prestations familiales étaient versées pour chaque enfant. S'agissant de la peine capitale, le moratoire en vigueur vise à son abolition progressive avec introduction d'une peine de réclusion de substitution qui s'est accompagnée de mesures de commutation de peines. Un plan visant à mettre en œuvre les recommandations du Conseil des droits de l'homme dans le cadre de l'Examen périodique universel est en place. Quant à la question relative à l'avortement chez les adolescentes, une série de mesures a été mise en œuvre en faveur de leur accès à la santé.

La représentante kazakhe a aussi indiqué que l'amélioration des conditions de détention s'effectue de manière progressive pour des raisons économiques évidentes. L'an dernier, par ailleurs, 37 fonctionnaires ont été démis de leur fonction pour corruption. En 2008, la Cour suprême a pris un certain nombre de dispositions visant à faire respecter l'interdiction de tout traitement cruel, inhumain ou dégradant. L'objection de conscience est reconnue pour les membres d'associations religieuses légalement enregistrées, a encore précisé la représentante.

Le rapport initial du Kazakhstan (CCPR/C/KAZ/1) indique que tous les organes de l'État concerné avaient participé à l'élaboration du document, en particulier la Commission des droits de l'homme auprès de la Présidence de la République, ainsi que plusieurs organisations non gouvernementales. Il précise que la Constitution de 1995 a été amendée en 2007. La durée du mandat présidentiel a été ramenée de sept à cinq ans, le financement par l'État des associations et partis politiques a été autorisé et le pouvoir d'approbation du placement en détention a été transféré du procureur au juge. La loi fondamentale garantit les droits et libertés fondamentales, le régime étant de type présidentiel. Le chef de l'État peut opposer son veto aux textes adoptés par le Parlement et peut promulguer des lois et décrets ayant force de loi. Il peut être destitué uniquement en cas de haute trahison. Un Conseil constitutionnel veille à la conformité des lois. Les tribunaux sont composés de juges permanents dont l'indépendance est protégée par la Constitution. Le Bureau du procureur général surveille l'application précise et uniforme des lois. Les gouverneurs des régions et des grandes villes sont nommés par le chef de l'État avec l'accord de l'assemblée régionale concernée, élue au suffrage universel. Le rapport précise également que la Constitution prévoit l'égalité de tous devant la loi et devant la justice, nul ne pouvant faire l'objet d'une discrimination quelconque.

La fonction première de la Commission nationale des droits de l'homme en tant qu'organe consultatif est d'assister le Président dans l'exercice de ses pouvoirs en tant que garant des libertés de la personne. Une fonction de défenseur des droits de l'homme, ainsi qu'une Commission nationale des affaires familiales et de la politique de la parité auprès de la Présidence ont aussi été instituées par décret présidentiel respectivement en 2002 et 2006. Le rapport reconnaît que les fonctions «n'impliquant pas de responsabilités décisionnelles» sont majoritairement exercées par des femmes. La répartition des sexes dans la pyramide du pouvoir est classique, les femmes occupant les emplois peu et moyennement qualifiés et n'étant guère représentées dans les postes à responsabilité. Alors que les femmes représentent 59% des fonctionnaires de l'État, il n'y a qu'une seule femme au gouvernement. Aucune femme n'est gouverneur de région ou de ville. Près de 16% des députés de la chambre basse sont des femmes. Pour remédier à ce déséquilibre, a été mise en place une Stratégie relative à l'égalité des sexes pour la période 2006-2016 qui fixe comme objectif un taux de représentation des femmes de 30% au niveau des postes décisionnels.

Des tribunaux avec jury ont été institués en 2007. Par ailleurs, la peine capitale est prévue en tant que châtiment exceptionnel sanctionnant des crimes particulièrement graves. La torture est une infraction pénale et un contrôle public des établissements pénitentiaires est exercé par des commissions de surveillance régionales. Plusieurs programmes d'amélioration des conditions carcérales ont été mis en œuvre et la sévérité des conditions de détention a été allégée. Face aux phénomènes d'exploitation sexuelle et de traite, une action concertée a été entreprise avec les autres États membres de la Communauté d'États indépendants.

Par ailleurs, le Kazakhstan a fourni des réponses (CCPR/C/KAZ/Q/1/Add.1, en anglais et en russe), à la liste des points à traiter qui lui a été adressée par le Comité (CCPR/C/KAZ/Q/1).  Ces documents sont disponibles sur la page internet consacrée à la session.

Examen du rapport initial du Kazakhstan

Questions et observations des membres du Comité

MME IULIA ANTOANELLA MOTOC, rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport du Kazakhstan, a attiré l'attention sur une contradiction apparente relative au fait que les instruments internationaux avaient prééminence sur la législation nationale mais pas sur la Constitution. Il semble par ailleurs que les tribunaux kazakhs n'appliquent pas nécessairement les dispositions du Pacte. Mme Motoc s'est aussi demandée si la jurisprudence formulée par le Comité dans ses commentaires généraux était connue des juristes kazakhs.

S'agissant de l'institution nationale des droits de l'homme, elle ne répond pas aux Principes de Paris, en matière d'indépendance notamment. Les organisations non gouvernementales affirment par ailleurs que les budgets alloués aux activités de promotion et de protection des droits de l'homme sont en diminution et que l'on ne constate aucune évolution positive dans ce domaine. Se pose aussi la question du renforcement du poste de médiateur prévu par les autorités, et de l'échéance de cette réforme.

En ce qui concerne la sous-représentation féminine, une seule femme étant ministre, le Comité constate néanmoins que bien qu'il y ait de plus en plus de femmes diplômées des universités, cela ne se traduit pas par l'occupation accrue de postes à responsabilité par celles-ci, a déclaré la rapporteuse. La persistance de stéréotypes envers les femmes, dans les manuels scolaires en particulier, demeure un sujet de préoccupation, a estimé Mme Motoc. Il en va de même de la violence domestique, le nombre de cas rapportés à la police ne se traduisant pas par le dépôt effectif de plaintes, ce qui semble indiquer une réticence des forces de l'ordre à les enregistrer, alors qu'il s'agit apparemment d'un phénomène à grande échelle. La rapporteuse a aussi évoqué la question cruciale de l'éducation des adolescentes, notamment pour prévenir les grossesses précoces et la multiplication des avortements en particulier.

Un autre membre du Comité a constaté que la délégation kazakhe elle-même ne respectait pas la proportion de 30% de femmes, objectif affiché par le Kazakhstan, tout en reconnaissant que le Comité n'atteint pas cette proportion. Un autre s'est toutefois félicité de l'importance de la délégation kazakhe.

Un expert a par ailleurs demandé des précisions sur le rôle effectif du médiateur, celui-ci ne semblant disposer que d'une équipe d'une douzaine de personnes, son bureau n'ayant même pas d'antennes locales.

Se félicitant du moratoire sur la peine de mort en vigueur depuis huit ans, un expert s'est étonné que pas moins de 17 crimes de terrorisme soient toujours passibles de cette peine. Il s'est félicité des commutations de peines et que le pays envisage d'adhérer au deuxième Protocole facultatif relatif à l'abolition de la peine de mort. Le Comité s'est dit déçu de l'absence d'engagement quant à la date de cette adhésion, souhaitant qu'avec l'actuel moratoire sur les exécutions, on finisse par passer d'une situation de fait à une situation de droit.

Une experte a relevé que tout instrument international avait prééminence sur la loi kazakhe, s'interrogeant sur la transposition des dispositions du droit international dans le droit national, notamment en matière de terrorisme. Les dispositions nationales en matière de terrorisme semblent en effet limiter les garanties dont peuvent bénéficier les individus. Elle a notamment posé la question de la façon dont étaient dressées les listes noires de terroristes présumés. Un autre membre du Comité s'est inquiété du fait que des demandeurs d'asile aient pu être particulièrement visés par des opérations antiterroristes. Dans une question de suivi, une experte a demandé des précisions sur la commission spéciale chargée d'examiner la conformité des traités signés par le Kazakhstan avec sa propre législation. En matière de lutte contre le terrorisme, elle s'est inquiétée de l'existence d'une «liste noire» de suspect dans le cadre des pays de l'Organisation de coopération de Shanghaï. Un autre expert a demandé si la justification de la lutte antiterroriste avait pour conséquence que l'on pouvait déroger à certaines dispositions du Pacte.

Abordant la question de la torture, un expert a relevé qu'en 2009, le Rapporteur spécial sur la torture, M. Manfred Novak, avait indiqué qu'il était difficile d'enquêter dans le pays, un autre s'inquiétant que le Rapporteur spécial n'ait pu visiter des établissements sans préavis. Il a été observé que la justice kazakhe était passive face à la pratique de la torture, Amnesty International ayant même constaté qu'il n'y avait pas de garanties effectives contre la torture au Kazakhstan. De fait, l'État donne très peu de détails sur les quelques éventuelles enquêtes ayant été menées. Il n'y aurait ainsi eu que quatre cas de torture en trois ans. Les experts ont aussi souhaité savoir quelles indemnisations étaient versées et combien de personnes cela concernait. Le rapport invoque en effet les textes de loi mais le Comité a besoin de savoir ce qu'il en est concrètement. Un autre expert s'est par la suite félicité des mesures prises pour lutter contre la torture, ce qui indique que l'on est conscient du problème. Toutefois, si le fait que la torture soit un motif d'annulation des preuves recueillies contre un prévenu est absolument admirable, le Comité aimerait savoir si la délégation dispose de chiffres sur le nombre de cas à cet égard.

Les membres du Comité se sont par ailleurs enquis du respect de l'exigence de non-refoulement, citant le cas de ressortissants ouzbeks renvoyés collectivement dans leur pays où ils encouraient un risque élevé d'être maltraités. Il a aussi souhaité savoir si le Kazakhstan s'interdisait absolument toute extradition dès lors qu'existait un risque de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Est-ce que les assurances diplomatiques offertes par l'État de destination s'accompagnent ultérieurement de vérifications que les engagements affichés ont bien été tenus?

S'agissant des conditions de détention, un expert s'est inquiété du recours à la punition du «stakan'» (verre à boire en russe); il s'agissait de cellules extrêmement exiguës dans lesquelles sont enfermés des prisonniers, punition qui s'apparente à un traitement cruel. Des cas de mauvais traitements de détenus par d'autres avec l'aval des autorités des prisons ont aussi été rapportés, des sévices sexuels en particulier. Le Comité a aussi souhaité savoir quelle politique était menée concrètement contre la surpopulation carcérale. Une question a aussi été posée sur les règles régissant la détention de mineurs.

Pour ce qui regarde le fonctionnement du système judiciaire, il ressort que le pouvoir judiciaire est étroitement contrôlé par l'exécutif et le système d'élection des juges ne semble pas fonctionner de manière ouverte et transparente, si l'on en croit les organisations non gouvernementales. Dans la pratique, il semble ne pas être possible de devenir juge sans bénéficier de relations ou sans verser des pots de vin, s'est inquiété un expert. Une quarantaine de juges ont été limogés, officiellement pour des raisons budgétaires, mais en réalité semble-t-il pour se débarrasser de magistrats par trop indépendants. Par ailleurs, 1% seulement des accusations aboutissent à un acquittement: s'agit-il d'une séquelle de l'ancien système, a demandé le même expert. Une autre experte s'est dite préoccupée par le rôle du procureur qui a un «relent d'ancien régime» de par sa toute puissance. Le Kazakhstan doit rééquilibrer les pouvoirs au profit de la défense. Un expert a exprimé son sentiment que les institutions politiques du Kazakhstan relevaient d'un régime autoritaire.

L'experte a enfin souhaité savoir si l'obligation de la «propiska» (autorisation administrative de résidence) héritée de la période soviétique était toujours en vigueur ou bien si l'on pouvait se déplacer librement d'un bout à l'autre du pays afin de s'installer dans la région de son choix.

Évoquant le problème de la traite, un expert a constaté la qualité de la législation kazakhe dans ce domaine mais aussi la gravité persistante de ce fléau.

Dans une dernière série de questions, un expert a abordé la liberté de réunion, relevant que les autorisations de manifestation étaient ou bien accordées dans des lieux éloignées des centres-villes, soit purement et simplement refusées, ce qui serait le cas dans 90% des cas.

Un membre du Comité a souligné la grande difficulté pour les associations, religieuses notamment, de se faire enregistrer légalement, sous toutes sortes de prétextes administratifs tatillons. Il a cité un rapport de Human Rights Watch qui mentionne ainsi le cas des Témoins de Jéhovah. Il semble y avoir une approche loin d'être ouverte en ce qui concerne la liberté de conscience, un débat ayant eu lieu jusqu'au sein du Parlement sur le concept controversé dans le pays «d'une nation une religion». Il apparaît aussi que les objecteurs de conscience n'ont pas de statut, sans qu'ils soient brimés pour autant, les Témoins de Jéhovah par exemple étant automatiquement exemptés du service militaire car tout fidèle de cette obédience est considéré par les autorités comme un ministre de son culte. Le même expert a rappelé qu'il existait une norme internationale en matière d'objection de conscience, suggérant au Kazakhstan de s'en inspirer. Un autre expert s'est inquiété des accusations de fanatisme religieux lancées en direction de certaines formations politiques, demandant à la délégation d'en dire plus quant à la situation à ce sujet et l'appelant à ne pas se contenter de rappeler les garanties légales en vigueur dans le pays.

Un autre expert, tout en reconnaissant le droit du pays d'avoir sa propre langue officielle, s'est inquiété que les minorités ne puissent être servies dans leur langue par l'administration. Il a souhaité connaître les pouvoirs de l'Assemblée des peuples du Kazakhstan, forum censé refléter la diversité ethnique de la population.

Réponses de la délégation

Répondant aux questions relatives au cadre général d'application du Pacte, le chef de la délégation a souligné que son pays démontrait par de nombreux exemples sa volonté de respecter le droit international. Il a toutefois souligné que des exceptions peuvent théoriquement apparaître lorsque l'application de ce droit implique l'adoption d'un texte de loi spécifique, ce qui ne s'est pas encore produit jusqu'à présent. Le préambule de la Constitution précise d'ailleurs que le Kazakhstan se reconnaît comme un État de droit respectueux des droits et des intérêts de ses citoyens. Il a ajouté que l'indépendance du Conseil constitutionnel est illustrée par le fait qu'il avait le pouvoir d'annuler toute loi susceptible d'être en contradiction avec la Loi fondamentale de la République. S'agissant du rôle du Médiateur, tout en reconnaissant que celui-ci ne disposait pas d'antennes locales, la délégation a précisé qu'il pouvait examiner des plaintes en provenance de toutes les entités territoriales, par le canal d'Internet notamment. Le Médiateur coopère étroitement avec les organisations internationales, dont les Nations Unies, l'Union européenne et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Un mécanisme national de prévention – surnommé «Médiateur Plus» - est en gestation et celui-ci devrait avoir une plus grande efficacité que le système actuel dont les moyens matériels sont effectivement limités. Il joue le rôle d'organe consultatif sur toutes les questions relatives aux droits de l'homme. Il est aussi prévu d'établir une meilleure présence au niveau régional.

En réponse à d'autres questions sur l'indépendance du pouvoir judiciaire, la délégation a fait valoir que les membres de la Cour suprême sont élus par le Parlement, les juges régionaux étant nommés quant à eux par le Président sur proposition du Conseil judiciaire suprême. Les juges sont ainsi complètement indépendants des autorités locales et on ne connaît pas de cas où le Président ait rejeté les candidatures soumises par le Conseil judiciaire. Les juges de la Cour suprême peuvent uniquement être révoqués par le Sénat. Les mesures disciplinaires envers un juge se décident de manière collégiale par les pairs. En 2010, 152 juges ont fait l'objet de sanctions, le pays comptant un millier de tribunaux environ. Ce chiffre est encore trop important, a reconnu la délégation. Par ailleurs, l'affirmation selon laquelle il n'est pas possible de devenir juge sans versement de pots de vin est inexacte. Cela se vérifie par le nombre important des candidats au concours des postes de juges, ce qui ne serait pas le cas si les choses étaient jouées d'avance. En réalité, le problème qui se pose pour les juges est l'énorme volume de travail auquel ils sont confrontés une fois en place, a affirmé la délégation. Quant à la faiblesse du taux d'acquittement, elle s'explique par le fait que la procédure donne lieu à l'ouverture d'une enquête préalable permettant de distinguer les affaires sérieuses. Par ailleurs, le Kazakhstan fait preuve de volonté politique pour lutter contre la corruption comme en témoigne des condamnations de juges, voire de ministres. Les pouvoirs du procureur ne sont pas supérieurs à ceux des avocats en matière de droits, a assuré la délégation.

Le Président n'est pas le chef de l'exécutif mais le chef de l'État, garant de l'unité de la Nation, a par la suite expliqué la délégation. Il n'est donc pas juste d'affirmer que le pouvoir judiciaire se trouve sous la férule de l'exécutif. La nomination des juges par le Président garantit ainsi leur indépendance et, par conséquent, l'indépendance du pouvoir judiciaire. Il est erroné de conclure qu'il s'agisse d'un régime autocratique. Le Président, qui est élu au suffrage universel direct, est certes investi d'un grand nombre de pouvoirs puisqu'il s'agit justement d'un régime présidentiel. Mais on doit plutôt le voir comme un coordonateur, voire un arbitre des différents pouvoirs. Preuve que le Kazakhstan n'est pas une dictature, la destitution du chef de l'État est possible en cas de haute trahison et relève des deux chambres du Parlement réunies. Le pays ne compte que 2000 juges pour une population de 16 millions d'habitants répartis sur un vaste territoire équivalent à six fois la France, ce qui explique la charge écrasante de travail pesant sur eux. Le concours d'accès à la magistrature est public, les noms des candidats sont publiés par les médias, tandis que la commission de sélection est composée de parlementaires, de juristes, de magistrats. Le site Internet de la Cour suprême précise le nombre de postes ouverts de manière totalement transparente. Il apparaît donc extrêmement douteux qu'il soit possible d'acheter sa fonction, a-t-il été précisé.

Quant à la place des femmes, la délégation a assuré qu'elle était plus importante que ce que suggèrent les données dont dispose la rapporteuse. Ainsi, le Gouvernement compte trois femmes ministres sur 19 et non une seule; une douzaine de femmes sont députés et 27% des juges de la Cour suprême sont aussi de sexe féminin. Confirmant que le pays s'était fixé pour objectif d'avoir 30% de femmes à des postes à responsabilité, la délégation a rappelé qu'à titre de comparaison, la proportion en Europe s'établissait entre 22 et 25%. Des quotas, y compris au sein des partis politiques, sont mis en place et devraient entrer en vigueur à partir de l'an prochain. Quant aux stéréotypes concernant le rôle des femmes, la délégation a rappelé que ceux-ci existaient partout dans le monde. Elle a rappelé que les femmes kazakhes jouissaient du droit de vote depuis 1950, alors que dans certains pays européens il avait fallu attendre les années 1970. Toute une série de mesures sont prises pour éliminer les vestiges du passé, a-t-elle assuré. La presse elle-même joue un rôle d'éducation à cet égard et on peut avoir le sentiment que la société évolue dans le bon sens. Enfin, un nombre important d'organisations non gouvernementales – une cinquantaine environ - œuvrent en faveur de l'égalité hommes-femmes.

En réponse à la question d'une experte, la délégation a assuré que le viol conjugal peut être pris en compte dans le cadre de la législation sur la violence domestique. Les autorités ont donc les moyens juridiques de poursuivre ce type de crime. Elle a précisé par la suite que la loi sur la violence domestique a été adoptée en 2009. Vingt-deux centres de crise ont été créés, dont vingt sont financés par l'État. La police dispose d'un certain nombre d'instruments pour lutter contre cette violence, notamment une «injonction de protection». Tout policier ayant des raisons de penser que cette injonction puisse ne pas suffire à protéger la victime peut faire incarcérer la personne violente pendant une durée de 48 heures. Depuis l'adoption du règlement administratif d'injonction de protection en 2008, plus de 200 000 cas ont été enregistrés, dont 37 000 en 2010. Ces dernières années, le nombre de délits de cette nature a diminué de moitié.

La délégation a indiqué que le nombre d'avortements des jeunes filles était en diminution, demeurant toutefois élevé avec un taux dépassant les 3% de cette population. Des programmes d'éducation sexuelle ont été mis en œuvre pour remédier à une situation guère satisfaisante compte tenu du nombre important de grossesses précoces. Par ailleurs, en raison de la faiblesse relative de l'espérance de vie moyenne en zone rurale - 63,7 ans pour les hommes et 68,4 ans pour les femmes – des programmes d'éducation à la santé ont été entrepris, alors que l'exode rural des campagnes vers les villes a tendance à s'intensifier.

La délégation a souligné l'attachement de son pays à mettre en œuvre les recommandations qui lui ont été adressés par le Rapporteur spécial sur la torture, M. Manfred Novak, ce dernier ayant signalé à l'Assemblée générale que le Kazakhstan était un bon exemple de coopération avec l'ONU. La définition de la torture dans la législation nationale est pleinement conforme à l'article 1er de la Convention. La torture est d'ailleurs passible des peines les plus sévères. Si un membre des forces de l'ordre est soupçonné de mauvais traitements, une enquête est menée par une instance différente de celle à laquelle il appartient. Lors de tout procès au pénal, le Procureur doit s'assurer auprès de l'accusé que son interrogatoire s'est déroulé selon les règles. Toute allégation de torture suspend immédiatement la procédure. Dans les centres de détention, les détenus ont la possibilité d'adresser des plaintes au Procureur. L'an dernier, plusieurs milliers de vérifications ont été effectuées par le Procureur à la suite d'allégations de torture, une dizaine de plaintes ayant abouti à l'ouverture d'une procédure judiciaire. Les victimes ont droit à une indemnisation, les auteurs étant passibles de peines de prison. La délégation a ainsi cité plusieurs cas de condamnations allant jusqu'à 6 ans et 8 mois de prison infligées à des membres des forces de l'ordre, les indemnisations pour les victimes ayant atteint jusqu'à l'équivalent de 40 000 dollars. Le Kazakhstan a une politique de «tolérance zéro» face à la torture, a-t-il été affirmé. En réponse à une question sur la visite de M. Novak au Kazakhstan, un membre de la délégation a fait part de sa perplexité face à la remarque d'un expert, le Rapporteur spécial ayant pu se rendre partout où il le désirait.

La lutte contre le terrorisme est soumise à des règles clairement établies par la loi qui respectent les droits fondamentaux des citoyens. La délégation a précisé que les unités chargées de la lutte antiterroriste étaient considérés comme participant à la défense du pays. En cas d'élimination d'un terroriste présumé, les forces de sécurité doivent justifier cette mesure extrême; en cas de reddition d'un suspect, sa vie est protégée. La délégation a souligné à diverses reprises les garanties offertes par la loi aussi bien en matière de lutte antiterroriste qu'en cas d'usage de la torture dans le cadre d'opérations antiterroristes. La délégation a par la suite indiqué, en réponse à une inquiétude des experts à cet égard, qu'en ce qui concerne la coopération contre le terrorisme des États membres de l'Organisation de coopération de Shanghaï – regroupant la Russie, la Chine et plusieurs pays d'Asie centrale dont le Kazakhstan - celle-ci garantit le respect de la Convention des Nations Unies contre la torture.

Répondant aux questions du Comité sur la peine capitale, la délégation a rappelé que le Kazakhstan a annoncé, lors de son examen périodique devant le Conseil des droits de l'homme, la signature à terme du Deuxième Protocole facultatif (qui porte sur l'abolition de la peine de mort). En ce qui concerne les condamnés à mort dont la peine a été commuée, ils peuvent éventuellement bénéficier de mesures de libération conditionnelle. La peine de mort n'est prononcée que pour des crimes particulièrement graves, des limites draconiennes ayant été définies à cet égard. Cela signifie notamment que tous les délits terroristes ne sont pas passibles de la peine capitale, contrairement au sentiment qu'a exprimé un expert. La délégation a en outre précisé qu'aucune condamnation à mort n'a été prononcée depuis 2007. Il reste actuellement 86 personnes condamnées à mort, 28 autres ayant bénéficié d'une mesure de commutation de leur peine.

En ce qui concerne le respect du principe de non-refoulement lorsqu'existent des risques de mauvais traitements des personnes extradés vers certains pays, la délégation a assuré que le renvoi de ressortissants ouzbeks dans leur pays évoqué par un expert avait été assorti de toutes les garanties nécessaires auprès des autorités concernées. Le Kazakhstan respecte le principe de non-renvoi de personnes vers des États qui ne sont pas respectueux des principes démocratiques.

S'agissant du régime pénitentiaire, la délégation a fourni des précisions sur les droits des détenus en matière de droit de visite, d'assistance d'un avocat, mais aussi d'alimentation et de promenade quotidienne, celle-ci pouvant atteindre jusqu'à deux heures en cas de bonne conduite. Un programme a été élaboré pour continuer, dans les prochaines années, d'améliorer le système pénitentiaire, s'agissant surtout des conditions de détention, tout en mettant au point des peines alternatives à la détention. Il sera aussi fait un plus grand appel aux organisations de la société civile en matière d'assistance aux prisonniers. La délégation a par la suite donné des précisions sur le programme de construction de nouvelles prisons, à Almaty en particulier, où un nouvel établissement accueille d'ores et déjà 200 détenus.

En ce qui concerne la justice pour mineurs, la loi en la matière a été amendée en 2010 dans le sens notamment de l'humanisation de la répression de la délinquance juvénile. Par ailleurs, la responsabilité pénale est passée de 14 à 16 ans, l'emprisonnement concernant uniquement les actes les plus grave, ce qui a permis de diviser presque par trois le nombre d'incarcérations.

S'agissant de la protection de l'enfance, les peines encourues pour exploitation sexuelle de mineurs ont été aggravées, notamment en matière de pornographie et de prostitution infantiles. La délégation a aussi assuré que des poursuites sont couramment intentées contre les parents violents. Par ailleurs, le nombre de cas de traite est en diminution en raison de l'effort particulier mené par les autorités contre ce fléau. Quant aux centres pour mineurs délinquants, ils sont ouverts aux visites de représentants de la société civile. Des services d'appui aux familles en difficulté sont fournis afin de leur épargner au maximum le risque de récidive de leur progéniture. Dans la mesure du possible, ils sont placés dans des familles d'accueil, voire chez des proches de leur propre famille lorsque cela est possible. Un projet de réforme est en cours d'élaboration afin d'ouvrir des tribunaux pour mineurs dans chacune des régions du pays.

Dans le cadre de l'Examen périodique universel, le Kazakhstan s'est engagé à perfectionner sa législation sur la tenue de rassemblements pacifiques dans le cadre de son Plan national d'action sur les droits de l'homme 2009-2012. L'élaboration de ce projet a été provisoirement suspendue dans l'attente d'informations supplémentaires sur les pratiques en vigueur dans les autres pays, a expliqué la délégation.

En ce qui concerne les réfugiés, une loi les concernant a été adoptée en 2009 afin de leur accorder un permis de séjour temporaire avant que l'on ait statué à leur sujet. Des représentants du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) siègent sur la commission chargée de cette tâche. L'octroi du statut d'apatride, qui est une mesure transitoire, concerne les ressortissants de pays avec lesquels le Kazakhstan n'a pas d'accord. Ils ont les mêmes droits, les mêmes libertés mais aussi les mêmes obligations que ceux des Kazakhs. La majorité de ces apatrides ne cherchent pas à acquérir la citoyenneté kazakhe car cela leur ferait perdre certaines prestations sociales ou les empêcherait d'acquérir éventuellement une autre nationalité.

Un texte adopté cette année réglementant la migration a raccourci de moitié les délais d'examen des demandes de permis de séjour (trois mois au lieu de six). Quant à la «propiska», le terme n'existe plus en tant que tel, même s'il existe toujours une procédure d'enregistrement auprès des autorités locales, cela à des fins statistiques, notamment pour pouvoir planifier les besoins scolaires et en matière de santé publique. Le citoyen choisit son lieu de résidence d'où il effectue ses démarches administratives, celui-ci n'étant plus rattaché administrativement comme jadis à tel ou tel lieu de résidence.

La loi ne permet pas la création de partis politiques sur une base religieuse. Par extrémisme religieux, il faut entendre l'incitation à la haine entre communautés, l'apologie de la force ou de la violence, a précisé la délégation. Les associations religieuses doivent aussi être enregistrées, les procédures ayant été simplifiés puisque l'on peut se contenter d'une simple notification. Il n'y a donc pas de refus systématique de la part des autorités et si certaines organisations ont vu leur demande rejetée, cela est dû essentiellement à des raisons techniques. D'autres ont refusé de s'enregistrer, ce qui ne les empêche pas en fait d'avoir des activités publiques.

S'agissant de la réglementation de l'Internet, seul un juge peut décider de la fermeture d'un site. Les cas concernent principalement la pornographie, le terrorisme, ou l'extrémisme religieux. Le nombre de sites est passé de plus de 30 000 à plus de 50 000, ce qui indique bien que la loi n'a pas brimé le développement de l'Internet.

Par ailleurs, la question de la paix et de l'entente interethnique est essentielle pour permettre le développement du pays, a souligné la délégation; toute activité susceptible de saper cette entente est anticonstitutionnelle. C'est la raison d'être de la nouvelle Assemblée des peuples du Kazakhstan, présidée par le chef de l'État, mise en place pour favoriser l'unité de la société. Un programme de développement des langues vient tout juste d'être signé par le chef de l'État. Celui-ci prévoit que soit développé l'enseignement d'au moins trois langues dans le pays, le kazakh, le russe et l'anglais, la quatrième pouvant être un idiome minoritaire parlé par les locuteurs concernés. Lors de l'accession du pays à l'indépendance, la langue kazakhe était en voie de disparition au profit du russe. Lorsque le kazakh a été déclaré langue officielle, il s'agissait de lui redonner vie aux côtés du russe qui est reconnu comme langue officielle lui aussi.

Conclusions

Le Vice-Ministre de la justice du Kazakhstan, M. DULAT KUSTAVLETOV, a assuré que son pays était bien en route vers la démocratie, ce qui, a-t-il dit, sera plus aisé avec la solidarité du Comité.

MME ZONKE ZANELE MAJODINA, Présidente du Comité, a qualifié de constructif le dialogue des deux derniers jours. Elle a exprimé l'espoir que l'engagement manifesté par le Kazakhstan serait de longue haleine.

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