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Communiqués de presse Procédures spéciales

Experte des Nations unies sur la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scene des enfants - Observations préliminares à l'issue de la visite au Sénégal

30 octobre 2009

Durant la visite du 21 au 30 octobre 2009, la Rapporteur spéciale, Mme Najat Maalla M’jid, a rencontré de nombreux acteurs étatiques et associatifs,  des autorités locales et des partenaires au développement, et visité des programmes, centres et structures œuvrant dans le domaine de la protection de l’enfance à  Dakar, Saint Louis et à M’bour. La Rapporteur spéciale tient à remercier le Gouvernement et tous les acteurs qu’elle a rencontrés pour leur accueil et leur disponibilité.

Les objectifs de la visite étaient de faire le point, d’une part, sur la situation actuelle des phénomènes de vente d’enfants, de prostitution des enfants et de pornographie mettant en scène des enfants et, d’autre part, sur les réponses apportées dans le domaine de la protection des enfants.

Elle a noté que, si les phénomènes d’abus et d’exploitation sexuelle des enfants et d’exploitation des enfants dans la mendicité constituent un sujet qui préoccupe fortement tous les acteurs rencontrés,  leur ampleur réelle reste méconnue, du fait de l’absence d’un système d’information centralisé, de la connaissance insuffisante des droits/lois protégeant les enfants, de la non dénonciation par peur de représailles et de stigmatisation, et des différences de perception portant sur les concepts de traite/vente/ migration, exploitation économique / apprentissage.

A cet égard, la Rapporteur encourage le Sénégal à mettre en œuvre le système standardisé de collecte et de traitement des données, initié en collaboration avec UNICEF, et à l’élargir à toutes les formes d’exploitation et de vulnérabilité des enfants.

Quant aux réponses apportées par le Sénégal, pour prévenir et lutter contre ces phénomènes, la Rapporteur a noté l’existence de nombreuses initiatives, visant la prévention et la lutte contre les abus et exploitation sexuels,  la traite et les pires formes de travail de l’enfant, avec mise en place au niveau central de multiples mécanismes de coordination et au niveau départemental de comités techniques de suivi. Ces programmes souffrent dans leur mise en œuvre d’un manque de ressources logistiques, financières et  humaines qualifiées. Ces programmes étant  fortement tributaires des partenaires au développement, leur pérennité est compromise.

Une stratégie nationale de protection de l’enfant est en cours d’élaboration. La Rapporteur encourage vivement cette initiative, afin de passer d’une logique de projets à une logique de stratégie de protection globale, intégrée et pérenne.

Par ailleurs, elle a pu constater que le nombre important d’institutions et de mécanismes mis en place, du fait des chevauchements des attributions, entraîne une perte de synergie et de grandes difficultés de coordination. Afin de remédier à cela, une cartographie de tous les acteurs est prévue. La Rapporteur encourage le Gouvernement à accélérer  la mise en œuvre de cette cartographie des acteurs et institutions qui aboutirait à une clarification des rôles et missions des différents intervenants et au renforcement de l’ancrage institutionnel des stratégies menées.

Au niveau législatif, le Sénégal a  initié  de nombreuses réformes en vue d’harmoniser la législation nationale avec les nombreux instruments internationaux et régionaux relatifs à la protection des enfants qu’il a ratifiés. Des lois sur  la traite (sanctionnant également l’exploitation par la mendicité) et sur la cybercriminalité ont été promulguées. Une réforme du droit pénal de même qu’un code de l’enfant sont en cours d’élaboration et d’adoption, en vue d’harmoniser les intitulés des infractions, de renforcer les sanctions,  et de mettre en œuvre un fonds d’accompagnement et de dédommagement des enfants de moins de 18 ans victimes d’abus, de violence ou d’exploitation. Quant à l’adoption des enfants, afin de garantir l’intérêt supérieur de l’enfant  et de prévenir la traite et la vente d’enfants, le cadre juridique actuel devrait être renforcé.

Afin de veiller à la mise en œuvre effective des lois, des actions ont été menées et des formations ont été dispensées aux policiers, gendarmes, juges et procureurs. L’audition des enfants se fait par des policiers et juges en civil, assistés des équipes de l’Action Educative en Milieu Ouvert.  Des contrôles des bars, hôtels et cybercafés sont réalisés.

Cependant, pour rendre la législation pleinement effective, la Rapporteur encourage le gouvernement sénégalais à poursuivre ses efforts afin de faciliter l’accès à la justice à tous les enfants victimes d’exploitation, de leur fournir une assistance médico-légale gratuite, d’accélérer les procédures judiciaires, de  combattre l’impunité des auteurs d’exploitation d’enfants, d’accorder le bénéfice du doute à l’enfant, de veiller au respect strict des procédures et des contrôles en matière d’adoption des enfants, de doter les tribunaux et commissariats des moyens nécessaires, et de renforcer les capacités des juges, policiers, gendarmes et enquêteurs en matière de techniques d’audition et d’entretien et dans le domaine des droits de l’enfant. Par ailleurs, afin d’encourager le recours à la justice au lieu du règlement à l’amiable qui se fait souvent  au détriment de l’intérêt supérieur de l’enfant, des actions de vulgarisation des droits et lois protégeant les enfants devraient être réalisées au profit des familles, communautés et des enfants.

Dans le cadre de la prise en charge des enfants victimes, ont été mises en place un certain nombre d’actions, notamment une ligne d’assistance gratuite, des centres d’accueil, des programmes d’éducation, de formation professionnelle et d’assistance aux familles. Toutefois, la Rapporteur souligne que le numéro de la ligne téléphonique gagnerait à être simplifié et largement diffusé, que les structures d’accueil et d’hébergement des enfants gagneraient à être renforcées en nombre et qualité afin d’assurer la prise en charge médico-psychosociale et juridique et un suivi des enfants victimes. Elle encourage la poursuite de l’élaboration de normes et standards de prise en charge, d’accueil et d’hébergement des enfants et leur mise en œuvre. Les programmes de renforcement des capacités des acteurs intervenant dans la prise en charge des enfants devraient être renforcés et généralisés.

Afin d’encourager la participation des enfants, un  processus de renforcement et de renouvellement du parlement des enfants est prévu. La Rapporteur encourage le gouvernement sénégalais à activer ce processus et à systématiser la consultation des enfants  lors de l’élaboration et du suivi des actions, des programmes et stratégies relatives à la protection de l’enfance.

En matière de prévention,  des actions de sensibilisation sont menées par divers acteurs, auprès des enfants, familles, communauté, et leaders religieux. La Rapporteur encourage la mise en œuvre d’un plan d’information, d’éducation et de communication, adapté aux populations cibles et comportant des indicateurs vérifiables de mesure de leur impact. Elle propose également que des recherches soient conduites pour identifier les normes sociales positives et de travailler avec les populations concernées afin de promouvoir les attitudes, comportements et pratiques « positifs » envers les enfants et leurs droits.

Des  structures d’écoute, d’information et de protection accessibles aux enfants devraient également être renforcées et étendues à tout le territoire.

D’autre part, le processus de réglementation des curricula et des conditions d’accueil des écoles coraniques devrait être accéléré.

Les actions visant l’accessibilité aux infrastructures et services sociaux de base, l’enregistrement des naissances, l’assistance aux familles démunies (cash transfer, AGR, micro crédits) devraient être renforcées et étendues à tout le territoire.

Dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises privées, la Rapporteur encourage fortement le Sénégal à inciter le secteur privé (télécoms, fournisseurs d’Internet, compagnies de tourisme) à adopter des codes de conduite et à apporter un soutien aux programmes visant la protection des enfants. Les médias devraient être plus impliqués dans les programmes de sensibilisation et d’information ; par ailleurs,  des programmes de formation sur les droits des enfants devraient leur être dispensés.

La Rapporteur constate l’existence d’instances de suivi et d’évaluation des droits de l’homme,  dont les missions se chevauchent. Elle a appris la création future d’un Ombudsman pour enfants.  Quelque soit sa localisation, la Rapporteur insiste sur l’importance qu’il soit conforme aux principes de Paris, en particulier en ce qui concerne son accessibilité pour les enfants. 

En matière de coopération internationale dans le domaine de la protection de l’enfance, il existe de nombreux partenaires techniques et financiers, intervenant souvent sans concertation et coordination. La Rapporteur recommande vivement la mise en place d’un cadre de concertation et de coordination entre les partenaires.

En conclusion, la Rapporteur souligne l’existence d’une  volonté politique et de nombreuses actions menées par beaucoup d’acteurs,  afin de protéger les enfants. Afin d’assurer une protection de l’enfance plus complète, l’ancrage institutionnel gagnerait à être renforcé, à travers la clarification des missions/ attributions des institutions et la fonctionnalité des mécanismes de coordination.

Elle recommande fortement la rapide mise en œuvre d’une stratégie nationale intégrée et globale de protection des enfants, incluant entre autres, une application effective d’une législation complètement harmonisée, la promotion de normes sociales positives,  le processus de réglementation des écoles coraniques, le renforcement des capacités, la participation des enfants, des partenariats avec les autres acteurs (secteur privé, médias, secteur associatif), et un système d’information et de suivi et d’évaluation. Un cadre  de concertation et de coordination entre les partenaires au développement devrait également  être mis en place, afin de garantir la pérennité, la qualité de la protection des enfants ainsi que le respect et la promotion de leurs droits.

Enfin, la diffusion et le suivi de la mise en œuvre de ces conclusions seront assurés, en partenariat avec l’équipe pays des Nations Unies, en particulier UNICEF, par le Bureau Régional du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, qui, pour se faire, devrait se doter de ressources affectées à cet effet.

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Mme Najat Maalla M’jid a été nommé Rapporteur Spécial en mai 2008. Elle est indépendante de tout Gouvernement et de toute organisation non gouvernementale (ONG). Elle est médecin pédiatre, et est impliquée, depuis 20 ans, dans les questions des Droits de l’Enfant et de la Protection des enfants vulnérables. Elle s’implique aussi dans la formation de travailleurs sociaux au Maroc, et rédige des études sur la situation des enfants victimes de traite, de violence, et de toute forme d’exploitation : enfants de la rue,  enfants en institution, mineurs migrants non accompagnés. Elle est membre de la Commission des Droits de l’Enfant du Conseil Consultatif des Droits de l’Homme du Maroc, et est fondatrice et membre de l’ONG BAYTI, le premier programme traitant de la situation des enfants vivant dans la rue au Maroc.

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