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Communiqués de presse Organe subsidiaire de la Commission des droits de l’homme

LA SOUS-COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME DÉBAT DE L'ADMINISTRATION DE LA JUSTICE

02 août 2002



Sous-Commission de la promotion et
de la protection des droits de l'homme
54ème session
2 août 2002



Présentation d'un document de travail sur
la discrimination dans le système de justice pénale



La Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme a entamé, ce matin, son débat sur l'administration de la justice. Elle a notamment entendu Mme Leïla Zerrougui présenter son document de travail final sur la discrimination dans le système de justice pénale. Elle a également entendu des déclarations au titre du débat commencé mardi dernier sur la violation des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme Zerrougui a fait observer que depuis les précédentes études de la Sous-Commission sur des thèmes liés à la discrimination, l'interdiction de la discrimination s'est renforcée sur le plan normatif mais n'a pas pour autant disparu, de nouvelles formes de discrimination ayant même vu le jour et la justice étant souvent mise en cause pour son inefficacité à y faire face. L'experte a par ailleurs déclaré que le cadre juridique conçu pour lutter efficacement contre la criminalité transnationale, protéger les victimes les plus vulnérables et faciliter la réinsertion sociale des délinquants, n'est pas toujours, aux niveaux régional et bilatéral, en adéquation avec les normes internationales qui interdisent la discrimination. Mme Zerrougui appelle aussi l'attention sur la précarité du statut des non-ressortissants dans les normes nationales. Elle met également en relief la corrélation entre le comportement criminel et la situation socioéconomique défavorisée. En conclusion, Mme Zerrougui a proposé de concentrer les travaux futurs dans ce domaine sur le processus pénal et sur le fonctionnement des services de police et de l'administration judiciaire et pénitentiaire, afin d'identifier les obstacles qui entravent la réalisation d'une égalité effective de traitement devant la loi et devant les tribunaux.
Les experts suivants ont commenté le document de travail de Mme Zerrougui: M. José Bengoa, M. Emmanuel Decaux, M. El-Hadji Guissé, Mme Françoise Jane Hampson, M. Vladimir Kartashkin, M. David Weissbrodt, Mme Florizelle O'Connor, M. Soli Jehangir Sorabjee,
M. Asbjørn Eide et M. Stanislav Ogurtsov. La plupart des experts ont précisé qu'ils soutiendraient une recommandation de la Sous-Commission visant à confier à Mme Zerrougui une véritable étude sur la question de la discrimination dans le système de justice pénale. En réponse aux interventions de ses collègues, Mme Zerrougui a souligné que, dans le cadre de l'étude de cette question, l'important est de voir comment, du point de vue de son fonctionnement intérieur, la justice est discriminatoire. Il est également important de voir comment la société, à travers ses perceptions, impose une certaine façon de rendre la justice, a ajouté l'experte.
Le représentant de l'organisation non gouvernementale Association pour l'éducation d'un point de vue mondial a également fait une déclaration.
Terminant le débat sur la question de la violation des droits de l'homme dans tous les pays, la Sous-Commission a entendu Mme Antoanella Iulia Motoc, membre de la Sous-Commission, qui a notamment attiré l'attention sur les violations flagrantes et massives des droits de l'homme dont sont victimes les femmes à travers le monde. À cet égard, elle a déploré que les personnes qui se trouvent à la tête des réseaux de traite de femmes ne soient pas davantage inquiétées par l'action de la justice. Elle a par ailleurs rappelé les terribles violences dont sont victimes les femmes dans le cadre des conflits armés.
Les représentants de l'Iraq et de la République arabe syrienne ont également fait des déclarations dans le cadre de ce débat. La Fédération de Russie, la Colombie, la République populaire démocratique de Corée, la Chine, le Népal et la République de Corée ont exercé leur droit de réponse. M. Yozo Yokota est pour sa part intervenu au sujet de la déclaration du Népal, se félicitant des mesures prises par ce pays pour lutter contre la traite des femmes et des fillettes.
Cet après-midi, le Groupe de travail sur l'administration de la justice se réunira de 15 heures à 18 heures, et le Forum social tiendra sa deuxième séance en Salle XX (le Forum social a déjà tenu deux séances le 26 juillet dernier).
La Sous-Commission poursuivra lundi matin, à 10 heures, son débat sur l'administration de la justice. Mme Françoise Jane Hamspon, experte de la Sous-Commission, présentera son rapport sur le champ des activités et de la responsabilité des forces armées, de la police civile des Nations Unies, des fonctionnaires internationaux et des experts participant à des opérations de soutien de la paix. Lundi après-midi, M. Louis Joinet, ancien expert de la Sous-Commission, présentera son rapport sur la question de l'administration de la justice par les tribunaux militaires.

Fin du débat sur la question de la violation des droits de l'homme dans tous les pays
M. ABDUL KARIM ASWAD (Iraq) a souhaité aborder la question de la violation du droit des peuples à l'autodétermination dans le monde, attirant l'attention en particulier sur la situation dans son pays où ce droit est violé par les États-Unis. Le Gouvernement des États-Unis et son allié britannique ont ouvertement affiché leurs desseins belliqueux à l'égard de l'Iraq, qui s'ajoutent à l'embargo qu'ils maintiennent à son encontre. La Sous-Commission, compte tenu du fait qu'elle est composée d'experts indépendants, devrait adopter les mesures qui s'imposent afin de mettre fin à la politique d'agression exercée contre des peuples qui cherchent à exercer leur droit à l'autodétermination, a estimé le représentant iraquien.
M. Aswad a déclaré que, face à l'aggravation constante de la situation des droits de l'homme en Palestine occupée depuis le lancement de la seconde intifida, la Sous-Commission devrait adopter une résolution demandant qu'il soit mis fin aux violations graves des droits de l'homme du peuple palestinien. Les pratiques sionistes contre la Palestine et son peuple exigent qu'une résolution très ferme soit adoptée par la Sous-Commission, a-t-il ajouté.
M. FAYÇAL KHABBAZ-HAMOUI (Syrie) a rappelé que la dernière session de la Commission des droits de l'homme s'était déroulée dans des conditions matérielles difficiles, sans parler des tentatives de politisation des débats de la part de quelques délégations irresponsables, selon le représentant. La Syrie, quant à elle, a toujours cru au rôle capital de la Sous-Commission, et que ce rôle devrait d'ailleurs être renforcé. Les réunions du bureau élargi de la Commission des droits de l'homme ont été un succès et l'expérience devrait être répétée.
Quelles sont les raisons de la détérioration croissante des droits de l'homme que l'on constate partout dans le monde ? Comment trouver des solutions pour mettre fin à ces situations ? La Commission doit répondre à ces questions. Il faut ensuite condamner tous les responsables de violations des droits de l'homme, a déclaré le représentant syrien. Ainsi, les habitants du Golan syrien occupé souffrent d'une odieuse ségrégation raciale de la part des occupants israéliens, a déclaré le représentant de le Syrie. Des commissions d'enquête ont témoigné de cette discrimination dans les domaines de la santé, de la culture, de la liberté de circulation. La citoyenneté israélienne est imposée à la population occupée; il s'agit là, selon
M. Khabbaz-Hamoui, d'une manifestation d'un terrorisme d'État. Il est du devoir de chacun d'éclairer les forces d'occupation sur le caractère particulièrement odieux de leurs agissements, car il s'agit en fin de compte de faire respecter le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, a conclu le représentant.
MME ANTOANELLA-IULIA MOTOC, membre de la Sous-Commission, a déclaré que les principes généraux des droits des l'homme constituent les limites naturelles dans lesquelles doivent s'inscrire la réaction des États aux actes terroristes. En ce qui concerne les violations des droits humains des femmes et des enfants, Mme Motoc a souligné l'importance de s'intéresser aux pays destinataires de ces trafics, en plus des pays d'origine, a-t-elle estimé. Qui sont les chefs de ces réseaux ? Où sont-ils ? Les enquêtes doivent le déterminer, comme elles doivent se pencher sur les limites entre trafic, prostitution et consentement.
Au sujet de l'implication des femmes dans les conflits armés, Mme Motoc a rappelé que les violences contre les femmes et la violation générale de leurs droits fondamentaux constituent de véritables armes utilisées dans les conflits. La question du sexe et de l'appartenance ethnique reste également importante dans la qualification de ces crimes. Le viol, lui, tarde à être pleinement reconnu comme crime contre l'humanité; le Groupe de travail sur l'administration de la justice devra traiter cette question. En ce qui concerne la violation des droits des enfants, Mme Motoc a salué les efforts du Congo et du Soudan pour libérer les enfants soldats, du moins dans les zones gouvernementales.

Exercice du droit de réponse
Le représentant de la Fédération de Russie, en réponse à la déclaration faite par Médecins du monde en ce qui concerne la question des rapatriements de populations d'Ingouchie et les conditions de vie dans la République de Tchétchénie, a déclaré que les propos tenus par cette organisation non gouvernementale sont pure invention. La Fédération de Russie respecte la volonté de chacun en ce qui concerne le choix de son lieu de résidence, a assuré le représentant russe avant de rappeler que son gouvernement a invité le Représentant spécial sur les personnes déplacées à se rendre dans la région en septembre prochain.
Le représentant de la Colombie a relevé que, dans les interventions faites devant la Sous-Commission par certaines organisations non gouvernementales, aucune référence n'était faite aux graves violations du droit humanitaire international ni aux graves violations des droits de l'homme impliquant les groupes de la guérilla en Colombie. Il est également difficile de comprendre comment il est possible de passer sous silence les énormes efforts déployés par le
Président Pastrana pendant près de quatre ans afin de parvenir à une paix négociée dans le pays – efforts d'ailleurs reconnus par la communauté internationale.
Le représentant de la République démocratique populaire de Corée, en réponse à une déclaration faite hier par M. Soo Gil Park, expert de la Sous-Commission, a déclaré que son gouvernement rejetait catégoriquement l'idée qu'il puisse exister un quelconque problème de «réfugiés nord-coréens». Beaucoup de Coréens ont de la famille dans le nord-est de la Chine, qu'ils vont visiter. Parfois, ils décident de franchir la frontière illégalement, cherchant à fuir leur pays en raison de crimes qu'ils y ont commis. Certains services de renseignement étrangers montent ces épisodes en épingle, transformant de simples criminels en «réfugiés». Le représentant a déclaré qu'il s'agissait d'un complot destiné à susciter un sentiment hostile envers son pays.
Le représentant de la Chine en réponse également à l'intervention de M. Park, a tenu à préciser que la République populaire démocratique de Corée est un proche voisin de la Chine. Un faible nombre de Coréens ont franchi la frontière de manière illégale. Il s'agit d'une émigration à caractère purement économique, liée aux excellentes conditions régnant en Chine suite aux réformes qui ont été entreprises. Il s'agit d'autre part du résultat de trafics organisés qui cherchent à faire passer les émigrants économiques. La Chine agit en outre en parfaite conformité de ses engagements internationaux en protégeant les représentations diplomatiques étrangères.
Le représentant de la Népal a affirmé que la traite des femmes et des jeunes filles est une violation flagrante des droits de l'homme et a assuré que le Gouvernement népalais s'est engagé à déployer d'importants efforts pour lutter contre de telles pratiques. La lutte contre ce problème complexe nécessite que soit privilégiée une approche globale, a souligné le représentant. Aussi, le Népal a-t-il notamment mis en place un Plan d'action national pour combattre ce type de traite. Une convention régionale de prévention et de lutte contre la traite et la prostitution des femmes a par ailleurs été signée en janvier dernier par sept pays d'Asie du Sud, dont le Népal.
Le représentant de la République de Corée, en réponse à la déclaration du représentant de la République populaire démocratique de Corée, a rejeté les accusations d'implication de son gouvernement dans les incidents concernant des réfugiés dans des ambassades en Chine.
Le représentant de la République démocratique populaire de Corée a rejeté les propos du représentant de la République de Corée, et a indiqué que son gouvernement reste convaincu que l'incident dont il est question est une provocation montée de toutes pièces afin d'entraver les tentatives de rapprochement entre les deux pays.
M. YOZO YOKOTA, membre de la Sous-Commission, en réaction à la déclaration faite par le représentant du Népal au titre du droit de réponse, a jugé encourageantes les mesures adoptées par le Gouvernement du Népal, notamment du point de vue de la coopération régionale, afin de lutter contre la traite des femmes et des enfants. M. Yokota a lancé un appel aux gouvernements des pays riches afin qu'ils s'efforcent d'atténuer la pauvreté qui règne dans les pays touchés par ce phénomène et qui est à l'origine de l'exploitation dont sont victimes les femmes et les enfants dans le cadre de cette traite.

Présentation de rapport sur l'administration de la justice
Présentant son document de travail final sur la discrimination dans le système de justice pénale, MME LEÏLA ZERROUGUI, membre de la Sous-Commission, a notamment rappelé que la Sous-Commission avait mené, il y a quarante ans, une étude sur la portée de l'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et, il y a vingt ans, une autre étude sur la discrimination comportementale et les doctrines et pratiques véhiculant des préjugés racistes. Depuis que ces études ont été menées, l'interdiction de la discrimination s'est renforcée sur le plan normatif mais elle n'a pas pour autant disparu; de nouvelles formes de discrimination ont même vu le jour et la justice est souvent mise en cause pour son inefficacité à y faire face. Mme Zerrougui a rappelé que la Déclaration de la Conférence de Durban a confirmé la persistance de la discrimination comportementale et de jure dans l'administration de la justice d'une manière générale. Le Programme d'action adopté à Durban invite les États à entreprendre une série de mesures pour lutter efficacement contre ce phénomène et le prévenir, tout en assurant une protection et un recours effectif aux victimes de la discrimination.
En ce qui concerne les attentats du 11 septembre 2001 et leurs suites, Mme Zerrougui a souligné que si, dans le contexte de lutte antiterroriste, les gouvernements sont souvent confrontés à des situations extrêmes qui nécessitent des mesures exceptionnelles, il n'est toutefois pas permis aux États, même dans les situations exceptionnelles, de déroger à certains droits. L'experte a par ailleurs déclaré que le cadre juridique conçu pour lutter efficacement contre la criminalité transnationale, protéger les victimes les plus vulnérables et faciliter la réinsertion sociale des délinquants, n'est pas toujours, aux niveaux régional et bilatéral, en adéquation avec les normes internationales qui interdisent la discrimination. À cet égard, Mme Zerrougui a indiqué que son document de travail se penche notamment sur l'exclusion des étrangers des avantages que procurent certaines formes de coopération régionale ou bilatérale et sur les discriminations directes ou indirectes découlant de l'application de certains accords de coopération qui stigmatisent les étrangers ou privent les détenus étrangers des mesures d'individualisation et de réinsertion sociale. L'experte a ajouté que son document de travail appelle aussi l'attention sur la précarité du statut des non-ressortissants dans les normes nationales. Le document met également en relief la corrélation entre le comportement criminel et une situation socioéconomique défavorisée, ainsi que le contexte historique qui – pour certaines minorités et pour les populations autochtones – n'est pas étranger aux taux de criminalité et de victimisation démesurément élevés, a poursuivi Mme Zerrougui.
En conclusion, Mme Zerrougui a souligné que la démarche qui a été adoptée permet, si une étude sur la discrimination dans le système de justice pénale est envisagée par la Sous-Commission, de concentrer les travaux futurs sur le processus pénal et sur le fonctionnement des services de police et de l'administration judiciaire et pénitentiaire, afin d'identifier les obstacles qui entravent la réalisation d'une égalité effective de traitement devant la loi et devant les tribunaux.
Dans son document de travail (E/CN.4/Sub.2/2002/5), Mme Zerrougui rappelle que les attentats du 11 septembre 2001 ont bouleversé la communauté internationale dans son ensemble et leur condamnation a été unanime. Dans les résolutions 1373 (2001) et 1377 (2001), le Conseil de sécurité a demandé à tous les États d'adopter un ensemble de mesures pour prévenir, incriminer et réprimer tous les actes terroristes relevant de leur juridiction et de renforcer la coopération interétatique pour éradiquer le terrorisme international. La communauté internationale n'a cependant pas hésité à dénoncer les cas de violations des droits de l'homme et-ou du droit humanitaire commises dans le contexte des réactions à ces attentats. Les critiques ont porté, entre autres, sur les dispositifs juridiques adoptés et certaines mesures appliquées dans le cadre de la lutte antiterroriste. Les arrestations et le maintien en détention au secret qui, dans plusieurs pays, ont particulièrement ciblé des étrangers et certaines communautés d'immigrants, ont donné lieu à de vives critiques.
L'intérêt d'une étude sur la discrimination dans le système de justice pénale ne peut se justifier que si elle porte essentiellement sur l'analyse des mécanismes discriminatoires qui persistent dans les systèmes nationaux de justice pénale, affirme Mme Zerrougui dans son document de travail. Certaines pistes de recherche ont été identifiées et des axes ont été retenus pour servir de base à une telle étude, indique-t-elle avant de préciser que les axes sont les suivants: l'insuffisance ou l'inefficacité de la protection contre la discrimination dans les systèmes régionaux de protection des droits de l'homme et ses effets sur l'effectivité de l'exercice des garanties consacrées en matière de justice pénale; discriminations institutionnalisées dans certaines normes juridiques régionales et dans des conventions bilatérales de coopération en matière pénale (ces discriminations ciblent particulièrement les non-ressortissants); discriminations passives ou actives qui revêtent plusieurs formes; discriminations qui ne sont inscrites nulle part, mais qui sont inévitables en l'absence d'actions et de mesures positives en faveur de certaines personnes pour leur permettre d'exercer de façon effective leurs droits et de bénéficier rééllement des garanties qui sont consacrées dans les normes juridiques; discriminations qui découlent de l'organisation et/ou du fonctionnement de l'administration de la justice pénale et du système carcéral, souvent insuffisamment dotés en moyens humains et matériels et inadaptés aux besoins des groupes et des personnes les plus vulnérables; discriminations structurelles qui découlent du mode d'organisation et de fonctionnement des services de police, de la nature de leurs missions, de leurs rapports avec la justice et de l'absence ou de l'inefficacité des recours contre les abus de pouvoir; discriminations de facto ou comportementales qui traduisent des attitudes racistes, sexistes ou xénophobes véhiculant des préjugés ou des craintes ancestrales souvent injustifiées.

Débat sur l'administration de la justice
M. JOSÉ BENGOA, membre de Sous-Commission, a noté que la législation en matière d'administration de la justice contient des vides énormes en ce qui concerne les étrangers et la question des migrations. De nombreux problèmes demeurent aussi en ce qui concerne la discrimination à l'intérieur des pays et celle pratiquée par les forces de sécurité. D'autre part, le processus de stigmatisation est particulièrement grave : le tiers-monde ne comporte évidemment pas que des criminels - mais c'est pourtant une vision véhiculée sous nos latitudes. Le taux de criminalité est d'ailleurs un motif utilisé pour justifier la ghettoïsation des franges moins favorisées de la société. Les «illégaux» ont pourtant des droits.
Pour M. Bengoa, l'étude de Mme Zerrougui met très bien en lumière les problèmes liés aux différences entre riches et pauvres et surtout à l'augmentation du phénomène de régression sociale. Comment admettre que l'on empêche, de nos jours, des jeunes gens de développer leurs capacités? Quelle est la solution aux problèmes de l'émigration ? Sûrement pas d'élever des murailles ni de stigmatiser les immigrants, les «barbares aux portes de l'empire», a estimé l'expert. Ces solutions ne font qu'emmurer les sociétés.
Il faut toujours garder à l'esprit que chaque personne reste un sujet de droit international, a souligné M. Bengoa. Mme Zerrougui pourrait poursuivre son étude sous cet angle. Des collaborations pourraient permettre de développer le cas échéant des projets de codes et de réglementation.
M. EMMANUEL DECAUX, membre de la Sous-Commission, a commenté le document de travail présenté par Mme Zerrougui sur la discrimination dans le système de justice pénale en jugeant ce document excellent et en exprimant l'espoir qu'elle pourrait poursuivre cette étude en tant que rapporteuse. M. Decaux a rappelé que l'an dernier, Mme Zerrougui évoquait à juste titre l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dont la portée est plus limitée que celle de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, puisque le principe de non-discrimination de l'article 14 ne vise que «la jouissance des droits et libertés reconnus» dans la Convention. Il convient néanmoins d'apporter quelques nuances à cette observation, a poursuivi l'expert. Tout d'abord, la plupart des États parties à la Convention européenne des droits de l'homme sont également liés par le Pacte. De plus, le protocole n°12 se rapportant à la Convention européenne doit harmoniser les deux documents. D'autre part, la jurisprudence nationale interprète parfois de manière très large et protectrice la Convention européenne.
M. Decaux a par ailleurs déclaré que Mme Zerrougui a tout à fait raison de prendre en compte toutes les formes de discrimination dans la mesure où l'énumération faite par les grands textes de référence n'est pas limitative, visant in fine «toute autre situation». À cet égard, le procès des homosexuels égyptiens qui, après avoir été cassé par la Cour suprême, vient d'être reporté au Caire, mérite toute notre attention, a souligné M. Decaux. Il serait en outre utile de se pencher sur le sort des personnes âgées ou des malades en phase terminale qui meurent en prison, subissant une sorte de «double peine» particulièrement cruelle, a déclaré l'expert. La dimension sociale ne doit pas non plus être négligée, a poursuivi M. Decaux. Il existe en effet trop souvent une justice de classe, une justice à deux vitesses, indulgente à l'égard de la délinquance en col blanc et expéditive pour ce que l'on appelait au XIXe siècle les «classes laborieuses, classes dangereuses». À cet égard, il pourrait être intéressant de se pencher sur les «privilèges de juridiction» qui permettent à certaines catégories sociales d'échapper à la justice de droit commun.
M. EL-HADJI GUISSÉ, membre de la Sous-Commission, a assuré Mme Zerrougui de son soutien pour la poursuite de son étude. M. Guissé a évoqué l'existence d'une discrimination positive quand il s'agit de protéger ceux auxquels elles s'adresse (les mineurs par exemple); ou, au plan international, la demande ne pas condamner à mort certaines personnes en raison de leur situation personnelle ou sociale. Un certain consensus semble se créer autour de ces principes, s'est félicité M. Guissé.
L'expert a toutefois ajouté que la discrimination négative, elle, est bien trop présente, et souvent tournée contre les étrangers. Qu'il suffise de songer aux conditions faites à celles et ceux retenus aux frontières, soumis à un arbitraire total et traumatisant dans les locaux des polices des frontières. Un défaut d'équilibre se manifeste aussi dans les manifestations de la justice à deux vitesses, ou dans la corruption qui frappe le système judiciaire, et qui aboutit à une négation des principes de la justice. Le point focal des études doit, quoi qu'il en soit, rester le thème de la justice et loi à l'égard des étrangers, a conclu M. Guissé.
MME FRANÇOISE JANE HAMPSON, membre de la Sous-Commission, a félicité Mme Zerrougui pour son document de travail sur la discrimination dans le système de justice pénale. Elle a attiré l'attention de la Sous-Commission sur le phénomène de la discrimination institutionnalisée, citant le cas de Stephen Lawrence au Royaume-Uni, et soulignant le racisme institutionnalisé qui avait marqué l'enquête. Mme Hampson s'est interrogée sur l'opportunité qu'il y aurait à étudier la discrimination susceptible d'exister dans la définition des délits, la discrimination liée à l'exercice de la force par la police lors de fouilles, la discrimination dans les conditions de détention; la discrimination dans l'accès à l'aide et à la représentation légale; la discrimination dans l'accès aux médecins et aux parents; la discrimination dans l'accès à la caution; la discrimination dans les cas où il existe différents types de tribunaux pénaux (militaires, de sécurité, ordinaires); la discrimination dans les règles telles que celle relative au fardeau de la preuve.
M. VLADIMIR KARTASHKIN, membre de la Sous-Commission, a demandé que les mesures discriminatoires (en particulier à l'égard des non-ressortissants) mises en place après le
11 septembre par les États soient étudiées de très près, et pas uniquement celles prises aux États-Unis. Comment respecte-t-on la démocratie dans la pratique même de l'administration de la justice? Quelles mesures concrètes faudrait-il adopter pour mettre un terme à la discrimination? Quelles normes-types pourrait-on mettre en œuvre au niveau international? La Sous-Commission pourrait, dans tous ces domaines, émettre des recommandations importantes qui seraient suivies par la communauté internationale, a estimé M. Kartashkin.
M. YOZO YOKOTA, membre de la Sous-Commission, s'agissant du rapport de Mme Zerrougui sur la discrimination dans le système de justice pénale, a affirmé que, selon lui, toutes les victimes d'une telle discrimination devraient être mentionnées, y compris, comme l'a signalé M. Decaux, les homosexuels, mais aussi les personnes victimes de discrimination en raison de leur ascendance, les handicapés, les pauvres, les réfugiés et les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays. On peut certes parler de discrimination d'une façon générale, mais il faut garder à l'esprit que la forme de discrimination varie largement selon que l'on appartient à tel ou tel groupe particulier victime de discrimination.
M. DAVID WEISSBRODT, membre de la Sous-Commission, a rappelé que les travailleurs émigrés sont impliqués de façon disproportionnée dans des procès; ils souffrent de discrimination, ne serait-ce que par manque d'interprètes, en dépit des efforts réalisés parfois par les autorités.
On constate qu'il reste très difficile pour les migrants de bien comprendre les procédures, les interprètes ne traduisant que les propos du justiciable. Une étude complète du problème serait nécessaire.
M. Weissbrodt s'est par ailleurs demandé si un tribunal pouvait obliger un médecin à témoigner, malgré le secret médical, dans le cas d'une enquête pour tortures ─ devant un tribunal international par exemple ? Les approches varient selon les pays, mais une solution pourrait être d'étendre à la torture le principe de dénonciation obligatoire des mauvais traitements infligés aux enfants, qui incombe aux personnes qui en ont la charge. La Sous-Commission pourrait garder ce point à l'ordre du jour de ses débats.
MME FLORIZELLE O'CONNOR, membre de la Sous-Commission, a adressé ses compliments à Mme Zerrougui pour le document de travail qu'elle présente cette année à la Sous-Commission. Elle a souhaité que soient davantage étudiés d'autres facteurs de discrimination dans le système de justice pénale. À cet égard, elle s'est demandée s'il est envisagé d'établir une distinction entre discrimination consciente et discrimination inconsciente. Elle a souligné qu'il peut arriver, dans certains pays, que la perception que l'on a d'un accusé ait une influence sur le verdict qui sera prononcé à son encontre. Mme O'Connor a par ailleurs fait part de sa préoccupation face à la stigmatisation dont souffrent les personnes venant de la Jamaïque ou d'ailleurs lorsqu'elles souhaitent entrer au Royaume-Uni, par exemple. Ces personnes, dès lors qu'elles sont identifiées comme étant jamaïcaines, sont systématiquement soumises à des fouilles corporelles aux frontières, a déploré l'experte. Elle a fait observer à cet égard que ce sont les Européens et les Américains qui ont introduit la cocaïne dans la région.
M. SOLI JEHANGIR SORABJEE, membre de la Sous-Commission, a évoqué les mesures envisagées par une commission indienne au sujet de l'administration de la justice et de la lutte contre les pratiques discriminatoires auxquelles sont soumises les justiciables. Une femme au moins devrait être présente lors d'un procès impliquant une femme, de même qu'un membre d'une communauté lors d'un procès impliquant un autre membre de cette même communauté, par exemple. L'aide juridique devrait en outre être généralisée.
M. ASBJØRN EIDE, membre de la Sous-Commission, a indiqué qu'il soutiendrait sans hésitation la recommandation de la Sous-Commission visant à confier à Mme Zerrougui la tâche de réaliser une étude complète sur la question de la discrimination dans le système de justice pénale. M. Eide a fait observer que l'unanimité semble se dégager pour reconnaître que les groupes principaux sur lesquels il conviendra de se pencher dans le cadre d'une étude plus poussée de cette question sont les étrangers, d'une part, et les populations autochtones et autres minorités vulnérables de l'autre. M. Eide a souligné qu'en d'autres temps, les Amérindiens ou les Aborigènes d'Australie auraient perçu les immigrants européens comme des réfugiés économiques, étant donnée la situation économique difficile de la vieille Europe à l'époque de la colonisation.
M. STANISLAS OGURTSOV, membre de la Sous-Commission, a attiré l'attention sur la question de la corruption dans l'administration de la justice, au sujet de laquelle il conviendrait de procéder à une étude indépendante. La corruption est en effet pratiquée à grande échelle, au point de porter atteinte à la crédibilité de la justice dans certains pays. D'une façon générale, les personnages puissants ne sont jamais inquiétés.
Certains droits sont inaliénables, même devant des menaces contre la sécurité de l'État, a poursuivi l'expert. En même temps, l'État doit évidemment prendre toutes les mesures pour assurer sa survie. Il y a ici une question à examiner de plus près, notamment au regard de l'histoire de l'administration de la justice.
MME LEÏLA ZERROUGUI, membre de la Sous-Commission, a remercié ses collègues experts pour leurs observations concernant le document de travail qu'elle a présenté ce matin à la Sous-Commission. Elle a souligné que, dans le cadre de l'étude de cette question, l'important est de voir comment, du point de vue de son fonctionnement intérieur, la justice est discriminatoire. Il est également important de voir comment la société, à travers ses perceptions, impose une certaine façon de rendre la justice, a ajouté l'experte. En ce qui concerne la question de la corruption dans l'administration de la justice, Mme Zerrougui a estimé que ce problème doit être traité à part.
M. DAVID LITTMAN (Association pour l'éducation d'un point de vue mondial) a déclaré que le système judiciaire de l'Égypte était un «exemple constant d'abus des tribunaux militaires» dans le cadre d'un «état d'urgence inique», introduit dès 1981. Une discrimination spéciale frappe par exemple la minorité chrétienne copte d'Égypte, a affirmé M. Littman. Des cas précis illustrent dans ce contexte particulier le caractère autocratique de la justice égyptienne : condamnations sans preuve, dénis de justice, mises en accusation et verdicts motivés par des considérations politiques sont monnaie courante. Ces cas sont rapportés par la presse internationale. Il conviendrait que les organes des Nations Unies examinent l'état lamentable de la justice égyptienne, a déclaré le représentant.



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