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Communiqués de presse Organe subsidiaire de la Commission des droits de l’homme

LA SOUS-COMMISSION POURSUIT L'EXAMEN DES QUESTIONS RELATIVES A L'ADMINISTRATION DE LA JUSTICE, L'ETAT DE DROIT ET LA DEMOCRATIE

07 août 2003



Sous-Commission de la promotion
et de la protection des droits de l'homme
55ème session
6 août 2003
Matin




Il faut que la communauté internationale prenne conscience
que la démocratie ne pourra survivre que si les droits économiques,
sociaux et culturels sont réalisés, souligne un expert.




La Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme a poursuivi, ce matin, l'examen des questions relatives à l'administration de la justice, l'état de droit et la démocratie en entendant les présentations du rapport du Groupe de travail sur l'administration de la justice et du document de travail élargi sur les mesures définies dans les différents instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme aux fins de promouvoir et consolider la démocratie. Plusieurs experts ainsi que de nombreuses organisations non gouvernementales se sont exprimés au titre de ces questions.
Présentant son document de travail sur les mesures définies dans les différents traités de droits de l'homme aux fins de promouvoir et consolider la démocratie, M. Manuel Rodríguez Cuadros a notamment déclaré qu'il est indispensable que la communauté internationale prenne conscience que la démocratie ne pourra survivre que si les droits économiques, sociaux et culturels sont réalisés. L'expert a par ailleurs attiré l'attention sur la tendance actuelle qui veut que la démocratie ne se limite pas à la déclaration formelle d'un État de droit mais relève de l'instauration d'une relation entre gouvernants et gouvernés fondée sur les principes de la cohésion sociale et de la participation de la population au processus de prise de décision.
Mme Antoanella-Iulia Motoc, Présidente-rapporteuse du Groupe de travail sur l'administration de la justice, a indiqué que durant les deux réunions qu'il a tenues depuis le début de la présente session de la Sous-Commission, le Groupe de travail s'est notamment dit préoccupé par l'imposition de la peine de mort à des civils par des tribunaux militaires et a estimé que la situation reste préoccupante en ce qui concerne les exécutions extrajudiciaires
Les experts suivants ont pris la parole, en particulier pour commenter le document de travail de M. Rodríguez Cuadros : M. Emmanuel Decaux, M. El Hadji Guissé, M. Soo Gil Park, Mme Florizelle O'Connor et M. David Weissbrodt.
Les organisations non gouvernementales suivantes sont intervenues dans le cadre du débat général : Conseil mondial de la paix; European Union of Public Relations, au nom également de l'Organisation de la solidarité des peuples afro-asiatiques; Fondation de recherches et d'études culturelles himalayennes; Interfaith International; Soka Gakkai International, au nom également de plusieurs organisations non gouvernementales*; Internationale des résistants à la guerre; Franciscain international; Mouvement international de la reconciliation, au nom également de Japan Fellowship of Reconciliation; Voluntary Action Network India; Pax Romana; Ligue internationale pour les droits et la libération des peuples; Fédération syndicale mondiale; Institut international de la paix; Association tunisienne pour l'autodéveloppement et la solidarité (ATLAS); Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH); Jeunesse étudiante catholique internationale; et Mouvement international pour l'union fraternelle entre les races et les peuples.
Plusieurs organisations non gouvernementales ont dénoncé le jugement de civils par des tribunaux militaires ainsi que la comparution de civils devant de tels tribunaux, y compris dans le contexte de l'examen des motivations des objecteurs de conscience. Il a notamment été recommandé à la Sous-Commission d'élaborer des principes et directives sur l'administration de la justice par les tribunaux militaires et de se pencher par ailleurs sur la question de la discrimination dans le système de justice pénale en raison de l'orientation sexuelle. Certains, rappelant la résolution 1999/57 de la Commission des droits de l'homme qui reconnaît le droit à la démocratie, ont souligné que ce droit est bafoué dans de nombreux pays.
La Sous-Commission poursuivra, cet après-midi, son débat sur l'administration de la justice, l'état de droit et la démocratie avant d'entamer l'examen des droits économiques, sociaux et culturels.

Suite du débat sur l'administration de la justice, l'état de droit et la démocratie
Revenant sur le thème de l'administration de la justice par les militaires, qui fait l'objet d'un rapport qu'il a présenté hier, M. EMMANUEL DECAUX, expert de la Sous-Commission, a estimé qu'il fallait démilitariser la justice militaire. Il s'est félicité de la perspective offerte par la tenue d'un séminaire avec la Commission internationale de juristes et a espéré être en mesure de présenter une série de directives pour la prochaine session de la Sous-Commission.
M. EL-HADJI GUISSÉ, expert de la Sous-Commission, a souscrit aux propos tenus hier par une organisation non gouvernementale sur l'évolution de la peine capitale dans le monde. Il a précisé que l'augmentation de nombre de condamnés à mort était aussi liée à la multiplication des exécutions sommaires. La peine capitale est ainsi plus barbare et plus médiatisée, a-t-il poursuivi. Il a aussi appelé l'attention sur le fait que trop de jeunes sont passibles de la peine de mort alors même qu'ils étaient mineurs au moment des faits, ce qui est en contradiction avec la Convention relative aux droits de l'enfant. Ce phénomène est en outre accentué du fait de la discrimination raciale, a-t-il observé. Il a suggéré qu'une réflexion soit menée, avec les gouvernements, pour envisager une peine qui pourrait se substituer à la peine capitale.
MME HASSIBA HADJ SAHRAOUI (Commission internationale de juristes) a félicité M. Decaux pour son excellent rapport sur l'administration de la justice par les tribunaux militaires. Elle a souligné que l'administration de la justice par les tribunaux militaires est, depuis de nombreuses années, source de grande préoccupation au sein des systèmes universels et régionaux de protection des droits de l'homme. La pratique enseigne que ces tribunaux, lorsqu'ils sont amenés à poursuivre et à juger des violations graves aux droits de l'homme commises par des membres des forces armées ou de police, sont une des plus importantes sources d'impunité, a poursuivi la représentante. La pratique enseigne également que les tribunaux militaires qui jugent des civils constituent une dénégation du droit à un tribunal indépendant et impartial et du droit d'être jugé par les juridictions ordinaires, a-t-elle ajouté. Dans certains pays, des enfants sont jugés par des tribunaux militaires et dans d'autres, les tribunaux militaires répriment l'exercice du droit universellement reconnu à l'objection de conscience, a-t-elle insisté. Trop fréquemment, les juridictions pénales militaires mettent en péril, voire transgressent, le principe de séparation des pouvoirs, condition sine qua non d'une bonne administration de la justice. La Commission internationale de juristes (CIJ) considère de première importance que la Sous-Commission élabore des principes et directives sur l'administration de la justice par les tribunaux militaires et les travaux et recommandations de M. Decaux constituent à cet égard une excellente base pour élaborer de tels principes. La CIJ prévoit d'organiser un séminaire international au début de l'année 2004 pour étudier la question de l'administration de la justice par les tribunaux militaires, a précisé la représentante. Elle a par ailleurs attiré l'attention de la Sous-Commission sur la discrimination dans le système de justice pénale dont sont victimes de nombreuses personnes en raison de leur orientation sexuelle. À cet égard, les procédures pénales dont 52 personnes ont été l'objet en Égypte ou encore les conditions de détention des gays, lesbiennes, personnes bisexuelles ou transsexuelles en Équateur sont révélatrices des discriminations par le système de justice pénale. La Sous-Commission devrait se pencher sur cette question de la discrimination dans le système de justice pénale en raison de l'orientation sexuelle.
M. KADIR JATOI (Conseil mondial de la paix) a dénoncé l'administration de la justice dans la province Sindh au Sud-Est du Pakistan. Il a pris l'exemple de l'arrestation, le 21 mars 2003, et de la détention arbitraire de Krishan Sharma, coordinateur de district de la commission pakistanaise des droits de l'homme. Accusé d'espionnage, M. Sharma devrait être jugé par une cour militaire, ce qui a été contesté par ses avocats. Par ailleurs, le représentant a accusé la Constitution du Pakistan d'exacerber les divisions dans le pays, puisque les citoyens sont identifiés en fonction de leur affiliation religieuse, ce qui affecte les processus électoraux. En effet, a-t-il poursuivi, un non-musulman ne peut pas occuper la charge de Président ou de Premier Ministre du Pakistan. En outre, le personnel politique musulman n'est pas tenu responsable de n'avoir pas subvenu aux besoins fondamentaux de minorités non musulmanes. Il a en outre accusé l'armée de soutenir les groupes musulmans extrémistes. Le représentant a rappelé les mises en garde d'Human Rights Watch concernant l'aide accordée au Pakistan, nouvel allié dans la guerre contre le terrorisme. Il a jugé urgent que le Pakistan s'engage sur la voie de la démocratisation et garantisse les droits politiques de tous les candidats aux élections. Il a recommandé que le Pakistan accueille des observateurs internationaux des élections et lève les interdictions qui pèsent sur les réunions politiques depuis la prise de pouvoir du Président Musharraf en 1999. Il a également demandé le retrait des amendements anticonstitutionnels adoptés en août 2002 et qui avalisent le rôle de l'armée dans le gouvernement.
M. MOHAMED MUMTAZ KHAN (European Union of Public Relations au nom également de l'Organisation de la solidarité des peuples afro-asiatiques) a rappelé que lors de sa dernière session, la Commission des droits de l'homme a adopté sa résolution 1999/57 qui reconnaît l'existence du droit à la démocratie, lequel, rappelle le texte de cette résolution, inclut de nombreux droits parmi lesquels le droit à la liberté d'opinion et d'expression, de conscience et de religion; le droit d'association ainsi que la primauté du droit et le droit des citoyens de choisir leur propre système de gouvernement par des moyens démocratiques, y compris des élections libres. Malheureusement, plusieurs pays de par le monde des continuent de bafouer les libertés politiques, de saper l'état de droit, de soumettre le pouvoir judiciaire et de perpétuer les tragédies jumelles que sont la pauvreté et l'inégalité sociale. Tel est le cas du Pakistan, qui a colonisé depuis 55 ans les territoires du Cachemire occupé par le Pakistan
M. BILAL AHMAD KHAN (Fondation de recherches et d'études culturelles himalayennes) a observé qu'il ne suffisait pas de se déclarer une démocratie pour en être une et a rappelé que sur les 81 pays qui avaient déclaré s'engager vers la démocratisation dans les années 1980-1990, seuls 47 peuvent être considérés comme véritablement démocratiques. Dans ce contexte, il a estimé que la Sous-Commission devrait envisager d'examiner le fonctionnement de la démocratie. Il a dénoncé les situations dans lesquelles se sont les militaires en uniforme qui assument aussi le pouvoir exécutif d'États qui se prétendent démocratiques. Il a observé que les États qui réservaient le droit de vote à certains groupes ne pouvaient en aucun cas se prétendre démocratiques et contribuaient en fait à entretenir l'extrémisme et le chaos entre les groupes de populations. En outre, dans de telles sociétés, il va sans dire que la société civile n'a pas la vitalité nécessaire pour stimuler le processus démocratique.
MME AMBREEN HISBANI (Interfaith International) a attiré l'attention de la Sous-Commission sur certains cas de civils qui, à l'instar de M. Sharma, militant des droits de l'homme du Sindh, sont soumis à des tribunaux militaires au Pakistan. Elle a souligné que le jugement, par les tribunaux militaires du Pakistan, de civils qui, comme M. Sharma, n'ont aucun lien avec les militaires constitue une violation de la Constitution pakistanaise. La représentante d'Interfaith International a souligné que son organisation est très inquiète pour la vie de M. Sharma et a demandé à la Sous-Commission d'intervenir sur ce cas. Elle a par ailleurs fait part de sa préoccupation face au traitement discriminatoire dont font l'objet les populations du Sindh et du Baloutchistan, ainsi que les minorités religieuses, aux divers niveaux de l'administration de la justice pénale.
M. KAZUNARI FUJII (Soka Gakkai International au nom de plusieurs organisations non gouvernementales*) a insisté sur l'importance de l'éducation en matière de droits de l'homme, élément déterminant de l'édification de l'état de droit et condition essentielle de la mise en œuvre et du respect des normes internationales par les États. Aussi, le représentant a-t-il estimé que la proposition visant à lancer une seconde décennie pour l'éducation aux droits de l'homme est opportune. À cet égard, il a suggéré que la communauté internationale se concentre sur des questions spécifiques et ciblées en matière de droits de l'homme et non sur des objectifs trop généraux. Il a par ailleurs estimé qu'il serait bon de pouvoir mesurer les résultats obtenus tous les deux ou trois ans.
M. MICHEL MONOD (Internationale des résistants à la guerre) a fait remarquer que depuis l'adoption de la résolution 2002/45 de la Commission qui demandait aux États de mettre en place des organes indépendants et impartiaux de décision pour l'examen des objecteurs de conscience, excluant le recours aux tribunaux militaires dans ce domaine, plusieurs États ont renoncé à faire comparaître les objecteurs devant un tribunal militaire et ont instauré une commission civile d'examen des motivations des objecteurs ainsi qu'un service de remplacement. La plupart des pays membres du Conseil de l'Europe ont pris de telles mesures, a souligné le représentant. Il a indiqué que la Fédération de Russie a récemment voté une loi qui prévoit pour 2004 une commission civile d'examen des objecteurs de conscience; malheureusement, la durée du service civil de 4 ans reste de caractère punitif. Plusieurs pays sont encore réticents à reconnaître le fait que les objecteurs de conscience sont des civils qui ont des droits à la liberté de pensée, de conscience et de religion et ne peuvent être jugés par des militaires. Ces pays ne prévoient pas de service civil. Il en va ainsi du Bélarus, de l'Ukraine, de la Lettonie, de l'Arménie, de la Roumanie, de la Turquie, de la Yougoslavie-Monténégro. Hors d'Europe, il y a la République de Corée, l'Algérie, la Colombie, le Chili, le Pérou et Israël, qui a récemment assigné des objecteurs devant une cour martiale.
M. CHRIS DUCKETT (Franciscain international) a attiré l'attention des membres de la Sous-Commission sur les conditions inéquitables dans lesquelles ont été jugés les responsables du projet «Tierra SA», modèle de développement dans la région d'Apacheta en Bolivie. Le représentant a souligné que les responsables de ce projet ont été détenus dans des conditions inhumaines, qu'ils ont été privés de leur droits à la présomption d'innocence. Le représentant a souligné que les droits de la défense ont été bafoués tout au long du procès, aboutissant à une sanction injuste. Partant, le représentant franciscain a demandé à la Sous-Commission d'exhorter le Gouvernement bolivien à annuler les sanctions prononcées et à respecter le droit à un procès équitable consacré par l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
M. JONATHAN SISSON (Mouvement international de la reconciliation, au nom également de Japan Fellowship of Reconciliation) a fait observer que dans des situations où la transition (vers la paix) a été négociée plutôt qu'imposée, une certaine forme d'amnistie est inévitable, en particulier si les parties impliquées ont le pouvoir de nuire au règlement du conflit et de relancer le conflit. Dans de tels contextes, la fragilité du processus de transition et la vulnérabilité des nouvelles institutions exigent un échange du type «justice contre paix». Le représentant a souligné qu'une approche radicalement différente de l'impunité prévaut dans les situations où la transition a été imposée par la force; dans de telles situations, la transition s'accompagne souvent de purges et de procès. Il a rappelé que des commissions de la vérité ont été instituées dans plus de 35 cas à travers le monde. Le représentant a souligné que les partisans de ces commissions de la vérité estiment qu'elles sont essentielles pour promouvoir la réconciliation dans des sociétés divisées; ils pensent que de tels processus permettent de guérir les blessures résultant des violations passées. À cet égard, M. Sisson a souligné que cela fait plusieurs années que son organisation plaide en faveur d'une réhabilitation des victimes de l'esclavage sexuel militaire perpétré par le Gouvernement impérial japonais durant la seconde guerre mondiale.
MME SHEWLI KUMAR (Voluntary Action Network India) a attiré l'attention de la Sous-Commission sur le fait que la mondialisation de l'économie menace les fondements socio-économiques et culturels du peuple indien. La représentante a appelé l'État indien et les organisations de la société civile à combattre les inégalités et les perceptions ancestrales qui structurent la société indienne. Elle a appelé la Sous-Commission à favoriser la promotion des droits de l'homme en Inde et à faire pression sur les institutions financières internationales pour que les négociations soient justes et assurent un partage mondial des richesses. Ces conditions seront déterminantes de la jouissance par les citoyens indiens de leurs droits de l'homme.
MME BEATRIZ PINTER BAU (Pax Romana) a souligné que la promotion et la consolidation de la démocratie sont d'une importance cruciale pour l'existence d'un pouvoir judiciaire indépendant. Sans pouvoir judiciaire indépendant, la démocratie n'est qu'apparente car le gouvernement peut abuser de son pouvoir en toute impunité et les citoyens ne peuvent avoir aucune garantie assurant que leurs droits vont être respectés, a-t-elle insisté. Dans un contexte de dépendance du pouvoir judiciaire à l'égard du pouvoir exécutif, il est très facile d'en arriver à un traitement discriminatoire dans l'administration de la justice, a-t-elle ajouté. Elle a attiré l'attention de la Sous-Commission sur le cas d'un pays ayant une profonde tradition démocratique et dont le pouvoir judiciaire est pourtant menacé dans son indépendance ces dernières années: l'Italie. Dans ce pays, ces dernières années, la tension entre le Gouvernement et le pouvoir judiciaire n'a cessé de croître. Encore plus préoccupante est d'ailleurs la façon dont ces dernières années, le Gouvernement italien a utilisé le processus parlementaire au bénéfice de certaines hautes personnalités, incluant le Premier Ministre Silvio Berlusconi lui-même, dans des affaires de corruption et de falsification de comptes, pendantes devant les tribunaux. La représentante de Pax Romana a par ailleurs indiqué que le Lesotho et le Swaziland figurent au nombre des pays où l'indépendance du judiciaire est menacée par le pouvoir exécutif.
M. GHISLAIN PATRICK LESSENE (Ligue internationale pour les droits et la libération des peuples) a appelé l'attention sur la nécessité de garantir un accès à des voies de recours effectifs et a regretté l'absence de volonté des États de répondre à leur obligation de fournir des recours efficaces. Il a illustré son propos notamment par l'exemple de la situation des 700 détenus de Guantanamo, qui ne bénéficient d'aucun statut et sont enfermés dans un lieu hors du droit, puisque la juridiction des États-Unis ne s'applique pas sur ce territoire. Il a observé que les États-Unis, pour remédier à ce vide juridique, ont créé unilatéralement des tribunaux militaires chargés de juger les présumés terroristes à Guantanamo. Il a relevé que les mesures prises dans ce contexte sont entachées d'un certain nombre d'irrégularités, notamment l'absence de défense des détenus, qui ignorent les chefs d'accusation à leur encontre et vivent une situation d'insécurité juridique. Il a ensuite pris l'exemple des disparus dont les familles restent sans nouvelles et sans recours. Afin d'assurer un recours efficace aux victimes des violations des droits de l'homme, il a suggéré de demander aux États de sanctionner le manque de diligence de la part des autorités administratives et judiciaires, d'assurer la formation des magistrats et auxiliaires de justice, de définir et d'appliquer des programmes d'éducation et d'information et d'établir des rapports sur l'évolution de la justice. Il s'est également dit favorable à une meilleure concertation des organisations non gouvernementales sur le terrain. Il a également recommandé à la communauté des organisations non gouvernementales de s'impliquer plus activement dans l'éducation dans le domaine des droits de l'homme et d'organiser des séminaires à cette fin.
M. REFAQAT ALI KHAN (Fédération syndicale mondiale) a rappelé qu'une véritable démocratie exige qu'il n'y ait aucune discrimination entre individus, ce qui n'est possible que lorsque les individus ont le droit de choisir librement leurs dirigeants. Malheureusement, aujourd'hui, la primauté du droit est bafouée même par ceux qui se sont souvent proclamés «leaders du monde libre». Si le monde libre ne montre pas l'exemple en matière d'administration impartiale de la justice et ne considère pas la primauté du droit comme sacro-sainte, alors les peuples des nations qui continuent de souffrir d'idéologies régressives n'auront aucune lueur d'espoir, a souligné le représentant.
M. SHANNAZ SULTAN ALI (Institut international de la paix) a appelé l'attention sur la population du Gilgit et Baltistan dont les droits fondamentaux sont bafoués. Elle a dénoncé les nombreuses difficultés d'approvisionnement en eau des populations rurales de cette région. Elle a dénoncé le renforcement de l'extrémisme religieux au Jammu-et-Cachemire, qui a été divisé entre l'Inde et le Pakistan par la force. Elle a observé que les forces qui mènent la djihad dans cette région sont en réalité des mercenaires rémunérés. Ainsi, du fait de l'introduction de ces mercenaires, a-t-elle regretté, les Cachemiriens sont perçus comme des extrémistes alors que le Cachemire s'est toujours distingué par sa tolérance et la co-existence pacifique des communautés.
M. MONCEF BALTI (Association tunisienne pour l'auto-développement et la solidarité - ATLAS) a souligné que l'objectif de bonne administration de la justice dépend pour beaucoup de la volonté politique des gouvernants et de l'engagement de chaque société civile en faveur de l'instauration d'une véritable et réelle culture des droits de l'homme et de la réalisation d'un projet de société basé sur l'égalité, la démocratie, le pluralisme politique, la liberté politique, la tolérance et la solidarité. Les pays développés ont beaucoup d'acquis dans ce domaine, sans pour autant constituer toujours un modèle. À l'aube du XXIe siècle, beaucoup d'autres pays s'investissent dans ce sens et certains pays émergents font des réalisations prometteuses. Tel est le cas de la Tunisie qui a engagé des réformes de fond pour la mise en place d'un système judiciaire indépendant, favorisant la consolidation des droits de l'homme et la garantie des libertés individuelles. En l'absence de respect du droit international, les droits de l'homme seront bafoués n'importe où dans le monde, en toute impunité, a poursuivi le représentant. Les exemples que nous avons vécus depuis la dernière session de la Sous-Commission nous incitent à dire qu'il est temps de tirer la sonnette d'alarme pour que notre monde soit mieux géré, conformément au droit international. Les injustices conduisent en effet à la haine et à l'extrémisme, a rappelé le représentant.
M. ANTOINE MADELIN (Fédération internationale des ligues des droits de l'homme - FIDH) s'est déclaré préoccupé par la création par les États-Unis de commissions militaires d'exception pour juger les détenus de Guantanamo Bay, arrêtés pour des «activités terroristes à l'encontre des États-Unis». Il a observé que ces juridictions appliqueront une justice de deuxième rang, n'accordant pas aux étrangers les procédures et garanties du droit international. Il s'est inquiété de l'absence d'aide juridictionnelle et du strict contrôle exercé sur l'avocat civil de la défense qui peut être exclu de toute étape de la procédure. Le représentant de la FIDH a ensuite appelé l'attention sur le renouvellement de l'état d'urgence en Égypte, le 27 février 2003, qui a conduit au maintien des tribunaux d'urgence malgré leur condamnation par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire. Après avoir salué les travaux d'Emmanuel Decaux, le représentant a appelé la Sous-Commission à exprimer sa préoccupation face au maintien ou au développement d'une justice d'exception arbitraire et discriminatoire, aux États-Unis, en Égypte comme ailleurs dans le monde.
Le représentant de la FIDH s'est ensuite félicité de la décision annoncée le 16 juillet dernier par le Procureur de la Cour pénale internationale de suivre de près et en priorité la situation en Ituri (République démocratique du Congo). Si le représentant s'est félicité de l'entrée en vigueur de la CPI, il a déploré que moins de 25 lois d'adaptation nationale soient entrées en vigueur. Il a vivement condamné la multiplication et la virulence des démarches entreprises par les États-Unis en vue de soustraire de la compétence de la Cour leurs nationaux ou les personnes agissant pour leur compte. Il a indiqué que les États-Unis, en concluant des accords bilatéraux «d'impunité» avec 53 États, garantissaient de fait l'impunité de leurs ressortissants face à la Cour. Il a ajouté que, selon la FIDH, la stratégie autour de la conclusion de ces accords vise également la renégociation de certaines conventions relatives aux privilèges et immunités, d'accords économiques ou militaires. Ainsi, le 1er juillet 2003, jour du premier anniversaire de la CPI, l'administration des États-Unis décidait de suspendre l'aide militaire à plusieurs dizaine de pays du fait de leurs refus de signer un accord «d'impunité». Il a estimé qu'il appartient à la Sous-Commission de réagir en adoptant une déclaration ferme réaffirmant l'enjeu que représente la CPI et dénonçant l'illégalité des accords au regard du Statut de la CPI. En dernier lieu, le représentant a regretté que la Belgique, sous pression de l'administration des États-Unis conjuguée à une absence de solidarité européenne, ait dû faire marche arrière en abrogeant sa loi sur la compétence universelle.
M. RUKSHAN FERNANDO (Jeunesse étudiante catholique internationale) a fait remarquer que souvent, les agents de l'État, en particulier les policiers et les membres des forces de sécurité, considèrent les défenseurs de droits de l'homme comme des personnes qui font obstruction à leur travail, de sorte que ces militants sont victimes de harcèlement. Dans un tel contexte, les défenseurs de droits de l'homme doivent pouvoir s'en remettre au système de justice pénale, mais malheureusement, dans de nombreux pays, ce système semble également exercer une discrimination à leur encontre. Tel est le cas au Sri Lanka où un défenseur des droits de l'homme, M. Michael Anthony Emmanuel Fernando, reste injustement emprisonné depuis le 6 février dernier suite à ce que le Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, M. Dato Param Cumaraswamy, a lui-même qualifié de processus judiciaire vicié.
M. PAUL BEERSMAN (Mouvement international pour l'union fraternelle entre les races et les peuples) a dénoncé la situation au Jammu-et-Cachemire et les graves violations des droits de l'homme commises par les forces de sécurité et les organisations militantes qui réclament le rattachement au Pakistan. Il a demandé le retrait de toutes les forces étrangères à la région afin de pouvoir mesurer quel est le soutien de la population à ces mouvements et a exigé la consultation démocratique de la population autochtone. Il a rendu compte de la mise en place d'un nouveau gouvernement démocratique en novembre 2002, qui a pris plusieurs initiatives en vue de rétablir l'état de droit. Ainsi l'administration de la justice s'est améliorée et des prisonniers politiques ont été libérés. Un médiateur a également été désigné en vue d'engager le dialogue avec divers segments de la population. Le représentant a déclaré que les Cachemiriens aspirent à un dégel des relations entre l'Inde et le Pakistan et espèrent que les négociations aboutiront à un règlement pacifique de la situation. Il a appelé toutes les parties concernées, y compris les autorités du Cachemire, à faire preuve de responsabilité et à répondre à l'ardent désir de paix de la population du Cachemire.

Examen de rapports sur l'administration de la justice et la promotion et la consolidation de la démocratie
MME ANTOANELLA-IULIA MOTOC, Présidente du Groupe de travail sur l'administration de la justice, a présenté le rapport du Groupe de travail sur les deux réunions qu'il a tenues depuis le début de la présente session de la Sous-Commission (le rapport sera publié sous la cote E/CN.4/Sub.2/2003/6) en indiquant que les questions suivantes figuraient notamment à l'ordre du jour du Groupe de travail: privation du droit à la vie, peine de mort, justice pénale, obligation de recours, mécanismes de réconciliation, preuves, secret médical et discrimination entre les sexes. Une discussion s'est également nouée autour de la question de la privatisation des prisons. La question de la justice pénale internationale a aussi été abordée, a souligné Mme Motoc. Durant les travaux du Groupe de travail, M. Guissé a fait observer que le mouvement pour l'abolition de la peine de mort était de plus en plus actif à travers le monde, même si dans certains pays, la peine capitale continue être appliquée de manière de plus en plus intense. Le Groupe de travail s'est dit préoccupé par l'imposition de la peine de mort à des civils par des tribunaux militaires. Il a été relevé que la situation reste également préoccupante en ce qui concerne les exécutions extrajudiciaires, a précisé Mme Motoc. Elle a par ailleurs indiqué que Mme Hampson a proposé de se doter de directives concernant les enquêtes et jugements en période de conflits armés. Il a en outre été proposé de rationaliser l'ordre du jour de la prochaine session du Groupe de travail afin qu'il traite d'un nombre moins important de questions qui pourront ainsi être étudiées plus sérieusement et profondément. Il a ainsi été décidé que l'an prochain, le Groupe de travail se pencherait sur les trois questions suivantes: justice pénale internationale; témoins et preuves; et obligation de recours interne.
M. MANUEL RODRÍGUEZ CUADROS, expert de la Sous-Commission chargé d'établir un document de travail sur les mesures définies dans les différents instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme aux fins de promouvoir et de consolider la démocratie (E/CN.4/Sub.2/2003/7) a fait part de la difficulté de rechercher une définition globale de la démocratie sur le plan conceptuel, car plusieurs régimes dictatoriaux utilisent le terme «démocratique» pour se définir eux-mêmes. Dans ces conditions, il a recommandé de s'en tenir à identifier les éléments indispensables pour qu'un régime constitue une démocratie. Ainsi, il importe de définir des indicateurs permettant de mesurer la démocratie, en s'appuyant, par exemple, sur les éléments essentiels à la démocratie relevés par l'Assemblée générale et la Commission des droits de l'homme, a-t-il suggéré. Il s'agit du respect des droits de l'homme, d'un système d'élections libres et honnêtes, de la séparation des pouvoirs, de l'indépendance du pouvoir judiciaire, du pluralisme politique, du respect de la liberté d'expression et d'association. L'expert a précisé que ces textes de l'Assemblée et de la Commission avaient été adoptés sans vote. Ainsi, a-t-il poursuivi, le lien entre la démocratie et le respect des droits fondamentaux et l'exercice des libertés fondamentales est réaffirmé.
L'expert a ensuite souligné le lien entre les droits civils et politiques et la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels. Il a déclaré que la démocratie apparaissait dans divers instruments régionaux comme un droit fondamental des peuples et a cité les nombreux instruments régionaux qui visent à promouvoir et à consolider la démocratie. L'expert a ensuite expliqué que la tendance actuelle tendait à considérer que la démocratie ne se limite pas à la déclaration formelle d'un état de droit, mais suppose l'instauration d'une relation entre gouvernants et gouvernés fondée sur les principes de la cohésion sociale et de la participation de la population à la prise de décision. Alors que la démocratie se transforme en valeur universelle, elle se trouve confrontée à des sociétés et des systèmes étatiques fragiles, particulièrement dans les pays en développement, a remarqué l'expert qui a réaffirmé le lien entre la capacité des régimes à instaurer ou à consolider la démocratie, d'une part, et leur capacité à assurer le développement et la croissance économique.
L'expert a par ailleurs dénoncé la croissance des inégalités entre États et à l'intérieur des pays comme une entrave à l'évolution démocratique. Dans ce contexte, il est indispensable que la communauté internationale prenne conscience que la démocratie ne pourra survivre que si les droits économiques, sociaux et culturels sont réalisés. Cela demandera sans doute une réforme de l'ordre économique et financier international, a-t-il souligné, en appelant l'attention sur les populations dont le droit à l'alimentation, au logement ou à l'eau n'est pas garantie. En conclusion, l'expert a clairement associé la lutte en faveur de la démocratie à la lutte contre la pauvreté.
M. EL HADJI GUISSÉ, expert de la Sous-Commission, a remercié M. Rodríguez Cuadros pour l'important travail qu'il a effectué cette année et qu'il avait entamé l'an dernier. Conformément à ce que lui avait demandé la Sous-Commission, M. Rodríguez Cuadros, qui s'était d'abord concentré sur la démocratie politique, a élargi son étude à la démocratie économique, s'est réjoui M. Guissé.
M. SOO GIL PARK, expert de la Sous-Commission, s'est félicité que M. Rodríguez Cuadros ait réaffirmé que le lien entre la démocratie et les droits de l'homme ne se limite pas aux droits civils et politiques, mais implique la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels. Il a lui aussi estimé que la persistance de la pauvreté et la marginalisation de larges segments de la population posent de graves menaces à la propagation de la pauvreté.
MME FLORIZELLE O'CONNOR, experte de la Sous-Commission, s'est réjouie que la contribution de M. Rodríguez Cuadros place au premier plan de l'analyse des questions qui avaient été éludées jusqu'à présent dans la discussion autour de la notion de démocratie. En effet, l'évolution du système commercial ces dernières années vient bafouer le droit au développement durable des populations et met en péril le contenu même de la démocratie. À quoi sert-il de dresser tous les cinq ans une façade d'élections libres si c'est pour élire des gouvernements qui n'ont finalement que très peu de pouvoirs au niveau économique, a demandé Mme O'Connor.
M. DAVID WEISSBRODT, expert de la Sous-Commission, a affirmé que, sans démocratie, nous n'aurions pas une bonne partie de la croissance économique que nous avons aujourd'hui. Il convient néanmoins de remédier aux inégalités inhérentes au système de marché, a souligné l'expert. Chacun a son rôle à jouer dans ce domaine, y compris la Banque mondiale et la communauté des
M. RODRÍGUEZ CUADROS a précisé que la démocratie est avant tout une forme d'organisation de l'État qui s'appuie sur la participation de la population, par la voie d'un régime de représentation. Toutefois, il faut que la démocratie soit efficace pour pouvoir se maintenir et il importe de créer des conditions favorables à son épanouissement, a-t-il observé. L'expert a pris l'exemple des négociations commerciales concernant la libéralisation de l'agriculture et observé que les pays en développement s'étaient heurtés aux marchés fermés des pays développés qui n'ont pas mis fin à leurs subventions du secteur agricole. Il a ensuite pris l'exemple de divers pays d'Amérique latine qui s'efforcent d'appliquer de bonnes politiques de gouvernance mais sont entravés dans leur action en faveur du développement social de leur population parce qu'ils ont atteint leur limite de financement extérieur par le système du Fonds monétaire international. Il a estimé qu'il importait d'instaurer un ordre économique international qui permette à ces pays de subvenir aux besoins de développement social de leur population, qui attend des démocraties qu'elles soient efficaces, notamment dans le domaine de la réduction de la pauvreté. C'est seulement dans ces conditions que les populations prendront confiance dans les démocraties, a-t-il remarqué.

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* Déclaration conjointe : Fédération mondiale des femmes des églises méthodistes et unies; Pax Romana; Organisation internationale pour le développement de la liberté d'enseignement; Mouvement international contre toutes les formes de discrimination; Fédération mondiale des associations pour les Nations Unies; et l'Association internationale pour la liberté religieuse.



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