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Communiqués de presse Organes conventionnels

LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE LE RAPPORT DE LA TANZANIE

14 Juillet 2009



Comité des droits de l'homme

14 juillet 2009



Le Comité des droits de l'homme a procédé, hier après-midi et aujourd'hui, à l'examen du quatrième rapport périodique présenté par la Tanzanie sur la mise en œuvre des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le Ministre de la justice et des affaires constitutionnelles de la République-Unie de Tanzanie, M. Mathias Meinrad Chikawe, a indiqué que le pays a beaucoup évolué depuis la présentation de son précédent rapport il y a onze ans, tant sur le plan politique que sur le plan économique, social et culturel. Des mesures constitutionnelles et législatives ont notamment été prises pour intégrer les dispositions du Pacte dans la Constitution. La Commission des droits de l'homme et de la bonne gouvernance, créée en 2001 en conformité avec les principes de Paris, a traité 2440 plaintes à ce jour. M. Chikawe a indiqué, en réponse aux questions des membres du Comité, que la Constitution tanzanienne habilite le Président à déclarer l'état d'urgence sous réserve du consentement de l'Assemblée nationale, mais que ces pouvoirs n'ont jamais été invoqués au cours de la période soumise à examen du Comité. S'agissant de la question de la peine de mort, le Ministre a indiqué que pour le moment, le Gouvernement applique un moratoire sur l'exécution de la peine de mort. Par ailleurs, les châtiments corporels sont maintenus en Tanzanie et sont applicables aux personnes reconnues coupables de certaines infractions.

La délégation de Tanzanie était également composée de M. Ramadhani Abdallah Shaaban, Secrétaire d'État aux affaires constitutionnelles et de bonne gouvernance de Zanzibar, ainsi que de représentants de la Cour suprême, du Service des prisons, du Ministère de la justice et des affaires constitutionnelles et de la Mission permanente à Genève. Elle a répondu aux questions complémentaires des experts, apportant notamment des précisions sur la situation s'agissant de la violence à l'égard des femmes, indiquant, à cet égard, que des mesures de protection étaient prises et qu'une étude est menée de concert avec le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) pour mieux cerner le phénomène. S'agissant des mutilations génitales féminines, la délégation a reconnu que la société tanzanienne était réticente à punir les responsables.

La qualité, la composition et les compétences réunies par la délégation tanzanienne ont été saluées par le Comité. Un expert a tenu à souligner l'image positive qu'offre la Tanzanie – un pays de modération et de souplesse, dont le rôle dans le cadre des organisations internationales est à souligner. Les experts ont toutefois relevé des discordances entre la législation tanzanienne et le Pacte mentionnant, notamment, les dispositions relatives aux châtiments corporels, aux mutilations génitales féminines, ainsi que la législation relative à l'héritage, discriminatoire à l'égard des femmes. Il semble y avoir en Tanzanie un conflit entre justice étatique et justice traditionnelle, ont en outre constaté les experts. L'État doit jouer le rôle de locomotive pour élever la société au niveau souhaité par le Pacte, et le discours culturel ne saurait être utilisé aux fins de soustraction aux dispositions du Pacte. Les experts ont en particulier estimé que les réponses de la délégation s'agissant du problème du viol conjugal étaient insatisfaisantes et ne traduisaient pas une véritable volonté de le combattre. La criminalisation de l'homosexualité et l'assassinat de personnes albinos ont aussi été mentionnés comme sujet de préoccupation.


Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport des Pays-Bas (CCPR/C/NET/4 et Add.1 et 2).
Présentation du rapport

M. MATHIAS MEINRAD CHIKAWE, Ministre de la justice et des affaires constitutionnelles de la République-Unie de Tanzanie, a rappelé que onze ans se sont écoulés depuis la présentation par la Tanzanie de son troisième rapport périodique et indiqué que le pays a beaucoup évolué depuis, tant sur le plan politique que sur le plan économique, social et culturel. Des mesures constitutionnelles et législatives ont notamment été prises par le gouvernement pour intégrer les dispositions du Pacte dans la Constitution tanzanienne et dans celle de Zanzibar. La Commission des droits de l'homme et de la bonne gouvernance a par ailleurs été créée en 2001, et le fonctionnement de cette institution est conforme aux principes de Paris, a déclaré le chef de délégation, précisant que 2440 plaintes avaient été traitées par la Commission à ce jour et que celle-ci est également habilitée à formuler des recommandations au gouvernement.

Le chef de délégation a, par ailleurs, affirmé que les recommandations contenues dans le rapport Nyalali et ayant trait à l'établissement d'un système démocratique multipartite en Tanzanie, avaient en grande partie été suivies, contrairement à ce qu'ont exprimé certaines personnes.

Les lois relatives au mariage, à l'héritage et à la succession, a dit M. Chikawe, font l'objet d'un vif débat qui ne touche pas seulement à la question de l'égalité entre les sexes et aux droits des femmes, mais également à des pratiques religieuses et des croyances culturelles. La législation est en cours d'amendement et nous souhaitons tenir compte des droits de chacun, a-t-il ajouté; ce processus est extrêmement délicat et épineux et ne peut être traité à la hâte. Le représentant de la Tanzanie a toutefois reconnu qu'il existe un déséquilibre s'agissant de l'acquisition de la nationalité selon s'il s'agit d'un homme qui épouse une Tanzanienne ou s'il s'agit d'une femme épousant un Tanzanien.

Le chef de délégation s'est exprimé également sur l'accès des filles à l'éducation, indiquant que des résultats probants avaient été atteints grâce à des politiques publiques affirmatives et à l'institution de la scolarité primaire obligatoire. Aujourd'hui les femmes constituent 30% des parlementaires en Tanzanie, a déclaré M. Chikawe. Une collaboration avec l'Unicef est également menée afin de mieux comprendre le phénomène de violences contre les femmes. Un plan de lutte contre la traite des personnes est par ailleurs en œuvre en collaboration avec l'Organisation internationale pour les migrations, a-t-il ajouté. S'agissant des mutilations génitales féminines, le chef de délégation a relevé l'aspect culturel du problème qui, a-t-il dit, rend difficile l'application de la loi.

En ce qui concerne les questions posées par les experts relativement à l'institution de l'état d'urgence, M. Chikawe a indiqué que la Constitution tanzanienne habilite le président à déclarer l'état d'urgence sous réserve du consentement de l'Assemblée nationale, mais que ces pouvoirs n'ont jamais été invoqués au cours de la période soumise à examen du Comité.

Le maintien de la peine capitale fait l'objet d'opinions divergentes parmi la population, a affirmé M. Chikawe, précisant que le gouvernement appliquait de fait un moratoire officieux.

Le chef de délégation a aussi évoqué les assassinats de personnes albinos et a regretté la mort violente de 43 personnes, en raison de croyances et superstitions archaïques.

S'agissant du refoulement des réfugiés, M. Chikawe a rappelé la tradition d'accueil de son pays et déclaré qu'aucun réfugié n'a été refoulé à la frontière, précisant que les cas qui ont été mentionnés font référence à des personnes qui ont été appréhendées en dehors de camps de réfugiés, sans documents d'identité.

Le traitement des prisonniers va de pair avec une criminalité croissante, a fait valoir le chef de délégation, indiquant que la réforme du système pénitentiaire prévoit des sanctions alternatives à la détention, telles que le travail d'intérêt communautaire. Il a, en outre, affirmé que les organisations non gouvernementales ont la possibilité de se rendre dans les prisons et assuré le Comité qu'une assistance juridique était prévue pour les personnes n'ayant pas les moyens de payer un avocat.

Le représentant de la Tanzanie a également affirmé que son pays entretient d'excellentes relations avec les organisations non gouvernementales et que la possibilité de créer une organisation non gouvernementale est prévue par la loi. Il existe à ce jour en Tanzanie 3704 organisations non gouvernementales enregistrées, a-t-il précisé.

Concernant les droits et la protection des enfants, la Tanzanie s'est fixé l'objectif d'éliminer les pires formes de travail infantile d'ici 2010. Un projet de loi qui unifierait toutes les lois relatives à la protection des enfants est par ailleurs en cours d'examen.

D'importants efforts ont été consentis pour améliorer la conduite des affaires publiques à Zanzibar, a encore affirmé M. Chikawe, précisant q'un consensus politique a été trouvé et que les incidents malheureux de 2001 ne se sont pas reproduits lors des élections de 2005. Un environnement propice est par ailleurs mis en place en vue des élections de 2010, avec la promulgation d'un code de conduite à l'intention des partis, la mise en œuvre d'un programme d'éducation civique et la création d'un registre permanent des électeurs.

Le chef de la délégation tanzanienne a enfin informé le Comité que la divulgation d'informations relatives au Pacte était assurée au travers de l'introduction d'un enseignement aux droits de l'homme au niveau des écoles secondaires et des universités.

Le quatrième rapport périodique de la Tanzanie (CCPR/C/TZA/4) indique que depuis la soumission de son troisième rapport périodique, la République-Unie de Tanzanie a connu, en matière de protection et de promotion des droits de l'homme, d'importants changements sur les plans civil et politique; entre 1998 et 2005, l'Assemblée nationale a adopté les treizième et quatorzième amendements à la Constitution ainsi que divers textes législatifs, et diverses institutions pour la promotion des droits de l'homme ont été créées. Le rapport de la Tanzanie mentionne, notamment, la création du Ministère du développement communautaire, de la condition féminine et de l'enfance, un service chargé des ONG, lequel mène également d'autres activités de lutte contre la pauvreté. Le Gouvernement a également pris des mesures correctrices visant à accroître la participation des femmes aux processus de prise de décisions. Les femmes se sont également vu accorder des conditions préférentielles en matière d'admission aux établissements d'enseignement supérieur et d'embauche, l'objectif étant d'améliorer leur accès à l'éducation, à la formation et à l'emploi. Par ailleurs, la politique nationale sur le VIH/sida a été adoptée en 2002. Cette politique prévoit que l'infection par le VIH ne peut constituer un motif de discrimination en matière d'éducation, d'emploi, de santé ou de fourniture d'autres services sociaux et que l'on ne peut exiger d'une personne qu'elle passe un test de dépistage du VIH avant d'être embauchée.

S'agissant de l'accès à la justice, le rapport reconnaît que dans la pratique, la plus grande partie de la population n'a pas accès à la justice en raison du caractère complexe et formel des procédures et des frais qui en découlent. Le Gouvernement a donc défini, dans le cadre de la stratégie à moyen terme relevant du Programme de réforme du secteur de la justice pour 2005/06 et 2007/08, des principes visant à assurer aux personnes indigentes, désavantagées ou vulnérables, une aide juridictionnelle gratuite. En 2000, le Gouvernement tanzanien a créé la Commission des droits de l'homme et de la bonne gouvernance dont la mission est de promouvoir la protection et la défense des droits de l'homme; d'enquêter sur les violations des droits de l'homme et d'engager des poursuites devant les tribunaux; de conseiller le Gouvernement, les organismes publics et les acteurs du secteur privé en matière de droits de l'homme et de bonne gouvernance.

Suite aux préoccupations émises par le Comité s'agissant des circonstances dans lesquelles l'état d'urgence peut être déclaré et les conditions auxquelles des lois peuvent être adoptées pour faire face à certaines situations, la loi a été modifiée en 1998 pour prévenir les abus qui auraient pu découler de la formulation qui prévalait. Depuis la présentation du dernier rapport, l'éducation aux droits de l'homme a été intégrée au programme de formation des officiers de police. Le Gouvernement, en collaboration avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et des ONG telles que le Centre pour le droit et les droits de l'homme (Tanzanie continentale) et le Centre des services juridiques de Zanzibar (Zanzibar), dispense ainsi une formation en la matière. Le Gouvernement a aussi pris des mesures visant à réduire le surpeuplement des prisons, notamment en libérant 8'525 détenus entre juillet 2003 et avril 2004. Gouvernement a en outre adopté la loi sur le travail d'intérêt général qui vise, pour les délits mineurs, à remplacer les condamnations à des peines d'emprisonnement par des condamnations à des travaux d'intérêt général. Le rôle des tribunaux de police est également en train d'être renforcé afin qu'ils puissent connaître d'affaires portant sur des délits mineurs qui ne sont pas passibles de peines privatives de liberté. La Tanzanie a fait preuve de volontarisme pour éliminer le travail des enfants en adoptant une loi relative aux relations d'emploi et de travail (2004). Dans cette nouvelle loi, le terme «enfant» qui travaille a été clairement défini, et le travail des enfants est interdit de manière générale. Le Gouvernement est résolu à faire en sorte que cette loi soit appliquée de manière à ce que le travail des enfants soit effectivement éliminé en Tanzanie.

Dans les conclusions du rapport, la Tanzanie confirme qu'elle est disposée à accepter tout dialogue futur et complémentaire, ainsi que les recommandations concernant les actions à mener pour instaurer une société harmonieuse et pacifique. Tout en s'attelant à cette tâche, la Tanzanie souligne l'existence de questions prioritaires relevant de l'intérêt national, qui retardent la mise en œuvre des objectifs du Pacte. Elle note que le caractère limité du savoir-faire technique et des ressources humaines constitue la principale contrainte auquel le gouvernement est confronté, avec la question du financement qui demeurera encore longtemps un obstacle majeur.


Renseignements complémentaires

La délégation a apporté des renseignements complémentaires en réponse aux questions qui lui avaient été adressées au préalable par le Comité (CCPR/C/TZA/Q/6).

Se référant aux questions portant sur l'incorporation des dispositions du Pacte dans la législation, la délégation a expliqué que la législation ayant trait aux droits et obligations relevant du Pacte permet à quiconque de se référer à ses dispositions devant un tribunal. Cette législation inclut la loi sur les partis politiques, la loi sur les élections nationales, la loi sur les autorités locales, la loi sur les sociétés et la loi sur le droit à l'information. La Cour juridictionnelle tanzanienne reconnaît les dispositions du Pacte, a souligné la délégation.

La Commission des droits de l'homme et de la bonne gouvernance a été établie sous les auspices de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie. Une loi régit le fonctionnement de cette Commission et prévoit, notamment, qu'elle est habilitée à jouer un rôle consultatif, a indiqué la délégation en citant un certain nombre de lois qui ont été rejetées par la Commission. Un certain nombre de lois ont par ailleurs été amendées pour mieux intégrer les dispositions internationales relatives aux droits de l'homme, comme la loi sur la détention préventive qui permet à un détenu de mettre en cause sa détention, la loi sur l'expulsion ou la loi sur la milice du peuple.

S'agissant des questions relatives à l'héritage et la succession, la délégation a indiqué que le gouvernement élabore en ce moment un livre blanc qui intègre les différents points de vues. En ce qui concerne les lois sur la citoyenneté, la délégation a informé le Comité que la loi concernant les femmes célibataires qui tombent enceintes a été abrogée.

L'institution de la scolarité primaire obligatoire a permis d'augmenter considérablement le taux de scolarisation, a par ailleurs affirmé la délégation, surtout celui des filles. Le taux d'abandon des études demeure néanmoins important du fait du problème de grossesses précoces.

Concernant la violence à l'égard des femmes, la délégation a déclaré qu'en dépit du profil patriarcal peu favorable, des mesures de protection étaient prises et qu'une étude est menée de concert avec le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) pour mieux cerner le phénomène. Un plan d'action contre la violence sexiste est par ailleurs prévu.

Répondant aux questions du Comité relatives aux mutilations génitales féminines, la délégation a répété que la société tanzanienne était réticente à punir les responsables.

La délégation a encore indiqué qu'une procédure très stricte était prévue avant que la peine capitale ne puisse être prononcée.

Concernant les châtiments corporels, la délégation a précisé que ceux-ci ne s'appliquent pas aux femmes ni aux hommes de plus de 50 ans.

Concernant les plaintes pour torture en détention, la délégation a indiqué qu'un mécanisme précis de communication avec les prisonniers a été élaboré par la Commission des droits de l'homme.

S'agissant des assassinats de personnes albinos, la délégation a informé le Comité que neuf personnes ont été arrêtées grâce à la détermination du Gouvernement à poursuivre les auteurs de tels actes. La délégation a expliqué que ces meurtres sont considérés injustifiables par le gouvernement, qu'ils sont liés à des superstitions et que ce problème requiert d'être saisi au travers de l'éducation. Dans le cadre d'une campagne d'information nationale, une équipe pluridisciplinaire s'est rendue dans les villages pour parler à la population. Ces efforts ont porté leurs fruits puisque les assassinats d'albinos ont pratiquement cessé, a indiqué la délégation.

Répondant aux demandes d'éclaircissement des experts s'agissant de cas d'expulsion d'étrangers, la délégation a affirmé que la Tanzanie a toujours procédé aux refoulements dans le cadre d'accords tripartites avec le pays tiers concerné et avec le Haut-Commissariat pour les réfugiés.

S'agissant de la garde à vue, le délai de 24 heures fixé pour qu'une personne soit présentée devant un juge est généralement respecté, mais peut souffrir des exceptions lorsqu'une personne a été arrêtée en rapport avec un délit grave, a déclaré la délégation, assurant le Comité que ces cas sont néanmoins traités conformément à la loi.

S'agissant de l'emprisonnement pour dette, la délégation a assuré que la Tanzanie ne procède à cette mesure qu'en dernier recours.

Répondant aux questions des experts relatives à la législation régissant les organisations non gouvernementales, la délégation a répondu que la loi prévoit aussi des sanctions pour les organisations non gouvernementales qui se sont engagées dans des activités sans s'être au préalable enregistrées.

Sur la question du travail des enfants, la délégation a dit que le droit du travail interdit l'emploi des enfants de moins de 14 enfants, et de manière générale d'employer des enfants pour des tâches inappropriées à leur âge. Le pays s'est engagé à éliminer les pires formes de travail des enfants d'ici 2010, a précisé la délégation.

La délégation a encore expliqué que les tribunaux et les juges tanzaniens se fondent sur les trois sources de droit reconnues dans le pays, à savoir le droit étatique, le droit coutumier et le droit islamique. Il a été précisé que la loi coutumière et la loi musulmane ne s'appliquent qu'au droit privé. Les parties, dans ce cas, peuvent invoquer la source légale qu'ils le souhaitent; toutefois, si une personne invoque le droit coutumier, il convient qu'elle démontre qu'elle est culturellement attachée et liée à cette coutume.

Observations et questions des membres du Comité

Un premier expert a tenu à souligner l'image positive qu'offre la Tanzanie - un pays de modération et de souplesse, a-t-il dit, dont le rôle dans le cadre des organisations internationales est à saluer. Plusieurs experts ont exprimé leur appréciation pour cette rencontre avec une délégation tanzanienne de haut niveau, incluant plusieurs femmes et réunissant un vaste spectre de compétences.

Les experts ont toutefois relevé des discordances entre la législation tanzanienne et le Pacte, mentionnant notamment les dispositions sur les sanctions corporelles, les mutilations génitales féminines, de même que la législation relative à l'héritage, qui vont clairement à l'encontre des dispositions du Pacte. Le droit international prévoit que lorsqu'il y a conflit entre la législation interne et le Pacte, c'est ce dernier qui l'emporte, a-t-il été dit. La Tanzanie a-t-elle l'intention de procéder à une analyse systématique de la compatibilité entre ses lois et les dispositions du Pacte ?

S'agissant du fonctionnement de la Commission des droits de l'homme et de la bonne gouvernance, les experts ont souhaité savoir de manière plus détaillée comment s'exprime son indépendance et quelle est l'étendue du pouvoir d'investigation de la Commission; a-t-elle un pouvoir d'injonction par rapport au gouvernement ? Certains observateurs prétendent que la Commission pour les droits de l'homme et de la bonne gouvernance ne dispose pas des fonds nécessaires et que ses recommandations ne sont pas appliquées, a fait valoir un expert. Quelle est la composition de la Commission et comment ses membres assurent-ils leur mandat, ont encore souhaité savoir les experts.

Si la Tanzanie a été félicitée pour le pourcentage de femmes siégeant au Parlement, les experts ont néanmoins critiqué la notion de comportement traditionnel invoquée par la délégation, notant que l'État ne doit pas dans cette matière suivre la société mais aller de l'avant pour faire évoluer les mentalités.

L'obligation scolaire au degré primaire est encourageante, mais elle est tout à fait relative, particulièrement concernant les filles, ont noté les experts qui ont préconisé de rendre l'éducation scolaire entièrement gratuite. L'éducation des femmes est compromise par certaines lois, y compris les lois sur le mariage qui autorisent le mariage des filles à 14 ans, ont-ils aussi fait valoir.

Évoquant les 292 personnes condamnées à mort et non exécutées, puisque la Tanzanie observe un moratoire de fait, les experts ont souhaité savoir quel est le régime auquel ces personnes sont soumises et pendant combien de temps elles peuvent rester dans les couloirs de la mort.

Les violences perpétrées à l'encontre de personnes albinos ne sont pas particulières à la Tanzanie ont observé les experts, recommandant à l'État partie de mettre en œuvre des moyens efficaces pour protéger ces personnes. Ces assassinats sont aujourd'hui insupportables et inadmissibles, a dit un expert, exprimant son espoir que la Tanzanie saura contenir ces crimes pratiqués à l'encontre de ces personnes pour la simple raison que la nature les a faites ce qu'elles sont.

S'agissant des recommandations sur les pratiques liées à la sorcellerie, les experts ont fait valoir que le gouvernement tanzanien reconnaît que le problème doit être traité par l'éducation mais qu'il ne dit pas ce qu'il a fait pour y remédier. Ces actes font-il l'objet de sanctions administratives ou judiciaires ?

S'agissant de la législation antiterroriste, les experts ont souhaité savoir quelle portée a cette lutte contre le terrorisme et comment le gouvernement protège les personnes qui pourraient être soupçonnées d'actes terroristes.

Revenant sur les châtiments corporels, les experts ont noté que ceux-ci sont non seulement acceptés, mais aussi imposés par les autorités judiciaires.

Les experts ont rappelé qu'au cours de l'examen du précédent rapport de la Tanzanie, il avait déjà été dit que les lois relatives au mariage et à l'héritage étaient discriminatoires à l'égard des femmes. Combien de temps faudra-t-il pour concrétiser les mesures prévues par le projet de loi, ont demandé les experts en exprimant l'espoir que ces problèmes ne devront pas à nouveau être relevés dans le cadre de l'examen du prochain rapport de l'État partie.

Les experts ont estimé que les réponses de la délégation par rapport au problème du viol conjugal étaient insatisfaisantes et ne traduisaient pas une véritable volonté de mettre en œuvre les dispositions du Pacte, en la matière. Cette question, ont estimé les experts, ne peut en aucun cas être négligée sous prétexte que cet acte n'est culturellement pas considéré comme un délit. Les experts ont, en outre, recommandé à la Tanzanie d'inclure la notion de viol conjugal dans la loi contre la violence sexiste.

Citant deux cas dans lesquels les charges pour pratique de mutilations génitales féminines ont été retirées suite aux pressions sociales, les experts ont demandé si ces actes sont jugés par un tribunal civil ou par un tribunal pénal ? Les experts ont par ailleurs souhaité savoir s'il est vrai que ce délit pouvait être réglé au moyen du paiement d'une amende.

Faisant état d'une surpopulation carcérale de 44%, un expert s'est dit insatisfait des réponses fournies par la Tanzanie par rapport aux mécanismes permettant d'ouvrir des enquêtes et d'engager des poursuites suite à des plaintes pour actes de torture et mauvais traitements. Quels sont les résultats concrets des mécanismes évoqués par l'État partie ont demandé les experts, recommandant à la Tanzanie d'adhérer au Protocole facultatif. Un expert a encouragé la Tanzanie à poursuivre ses efforts pour trouver des alternatives à l'enfermement.

S'agissant de l'emprisonnement pour dette, la Tanzanie reconnaît ne pas avoir tenir compte des recommandations du Comité, a noté un expert en enjoignant ce pays à mettre fin à cette mesure qui, a-t-il insisté, est contraire au Pacte.

Plusieurs experts ont également soulevé la question de la criminalisation des relations sexuelles entre personnes du même sexe, notant que non seulement l'État n'a pas aboli cette criminalisation, mais a alourdi les peines qui peuvent être encourues pour de tels actes. Qu'est ce qui a conduit la Tanzanie à aggraver cette répression, ont demandé les experts. Les experts ont demandé encore si des études ont été réalisées pour évaluer et comprendre les valeurs culturelles qui condamneraient cette pratique, en Tanzanie, faisant valoir que selon les informations dont dispose le Comité, l'opinion publique est plus partagée que ne le laisse entendre la délégation. La commission gouvernementale qui a travaillé sur la question du VIH/SIDA est elle-même favorable à la dépénalisation de l'homosexualité, a dit un expert.

Combien de personnes sont traduites en justice et ne disposent pas d'un avocat, ont demandé les experts, notant qu'une telle pratique constitue un déni de justice.

Au chapitre de la liberté d'expression, un expert a noté qu'il n'y a qu'un journal à Zanzibar et que les informations dont dispose le Comité montrent que des journalistes sont harcelés et menacés.

Selon l'Unicef, seul 19% des enfants tanzaniens sont enregistrés, a relevé un expert. Cela est peut-être dû au fait que les parents doivent s'acquitter de 19 shillings pour ce faire ? Une autre experte a souhaité en savoir plus sur la situation des enfants des rues en Tanzanie. Existe-t-il en Tanzanie un phénomène «d'enfants-sorciers», a-t-elle encore demandé.

S'agissant des explications fournies par la délégation sur la référence, devant les tribunaux, au droit étatique, au droit coutumier et au droit islamique, un expert a demandé ce qui se passe lorsque les deux parties ne sont pas d'accord sur le type de droit qui doit être invoqué. Qui choisit sur quel droit on se fonde ?

La Tanzanie a ratifié le Pacte volontairement et sans réserve; Or, elle dispose d'une législation qui n'est pas conforme à celui-ci, a fait valoir un expert, soulignant que le droit international prévoit que le droit interne est dans ce cas implicitement amendé et modifié, pour se plier aux dispositions du Pacte. Le dialogue avec le Comité est essentiellement un dialogue juridique, a souligné l'expert. L'État doit jouer le rôle de locomotive pour élever la société au niveau souhaité par le Pacte, a ajouté l'expert. Le discours culturel ne peut être utilisé aux fins de soustraction aux dispositions du Pacte; il faut en revenir à un discours juridique, a-t-il insisté.

Une experte a attiré l'attention de la délégation tanzanienne sur le fait que le Comité ne peut prendre en considération les informations relatives aux projets de loi, aux débats nationaux, à des sondages ou à des coutumes. Tout ceci ne saurait en effet être considéré comme relevant de l'application effective du Pacte.

Un expert a fait remarque que 10 ans se sont écoulés entre la présentation du dernier rapport et de celui-ci, espérant que la Tanzanie saura à l'avenir respecter le délai imparti pour la présentation des rapports.


Réponses de la délégation tanzanienne aux questions complémentaires des experts

Répondant aux questions complémentaires des experts, la délégation de la République unie de Tanzanie a insisté sur le fait que le président ne peut pas faire usage de ses pouvoirs d'exception sans l'autorisation du Parlement. L'article 31 de la Constitution prévoit qu'aucun droit ne peut être annulé, en particulier pas le droit à la vie, a déclaré le chef de délégation. La loi, a précisé la délégation, ne prévoit aucune mesure de protection particulière puisque les lois sont applicables en situation d'état d'urgence comme elles le sont d'habitude.

La Tanzanie n'est pas encore prête à abolir la peine de mort pour un certain nombre de motifs, notamment le taux de criminalité très élevé qui prévaut dans le pays, a indiqué la délégation, précisant que le moratoire existe, mais qu'il est officieux et qu'en tout état de cause, c'est au Président que revient la décision de signer la sentence. Le gouvernement appartient au public puisqu'il est issu de la démocratie, a fait valoir le chef de délégation, et il ne peut donc par prendre des décisions qui vont à l'encontre du peuple. Il y a encore 44 pays dans lesquels la peine de mort existe et celle-ci est abolie à un rythme de 3 ou 4 pays par an; à ce rythme la peine capitale n'existera plus dans une quinzaine d'années, a estimé le chef de délégation.

Par ailleurs, le Ministre a indiqué que les châtiments corporels sont encore maintenus en Tanzanie et sont applicables aux personnes reconnues coupables de certaines infractions.

Il n'y a pas de loi contre le viol conjugal car ce concept n'existe pas dans l'esprit des Tanzaniens, a expliqué le chef de délégation, précisant qu'en Tanzanie, on considère que les époux ne font qu'un et que l'on ne saurait dans cet esprit, se faire violence à soi-même.

En ce qui concerne les relations entre personnes du même sexe, la délégation a souligné que la société n'approuve pas ces pratiques qui sont considérées contre nature et constituent de fait une infraction. La délégation a déclaré que l'homosexualité était aujourd'hui plus lourdement punie du fait de l'aggravation générale des peines pour les infractions d'ordre sexuel.

S'agissant de la composition de la Commission des droits de l'homme, la délégation a répondu qu'il est prévu que le président sera un juge. Le vice-président, sera tanzanien si le président vient de Zanzibar ou vice-versa pour répondre au principe de représentation régionale. Les cinq autres commissaires sont élus pour un mandat de trois ans, renouvelable une fois, et doivent posséder une expérience et des connaissances en matière de droits de l'homme. Les fonds alloués à la Commission proviennent d'un fonds consolidé, a encore expliqué la délégation, insistant sur le fait que les décisions et recommandations de la Commission étaient véritablement respectées.

S'agissant des questions des experts portant sur le mécanisme d'instruction des plaintes, la délégation a indiqué que depuis un an, un nouveau programme avait été mis en place qui prévoit que l'instruction soit de la compétence de la justice civile.

Le pays compte environ 38 000 prisonniers, a ajouté la délégation, en exprimant l'espoir que les nouvelles mesures législatives permettront de réduire considérablement le nombre de personnes en détention provisoire. La délégation a encore affirmé que les fonctionnaires de la police et des prisons peuvent être mis en cause et être traduits en justice comme tout un chacun.

Il n'y a pas d'aide juridictionnelle au niveau des tribunaux primaires, a dit le chef de délégation, qui a assuré le Comité qu'en tant que Ministre de la justice, il s'assurerait que cette disposition soit mise en œuvre avant la fin de son mandat.

Le chef de délégation a confirmé que l'avortement était illégal, sauf lorsque la vie de la mère est en jeu.

La mutilation génitale féminine a longtemps constitué en Tanzanie une sorte de rite de passage obligé, a déclaré le chef de délégation, sans lequel une fille n'était pas considérée femme et ne pouvait pas se marier. Cette pratique constitue toutefois aujourd'hui une infraction grave qui est passible de 15 à 20 ans de prison. Il faut aider les individus à comprendre et à renoncer à ces croyances, a-t-il déclaré.

La délégation a expliqué que la bastonnade est effectivement pratiquée dans les établissements scolaires, à l'encontre d'étudiants qui ont gravement enfreint les règles disciplinaires. L'alternative, a dit la délégation, serait la prison, et il est certain que les coupables préfèreraient recevoir dix coups de bâton, au vu des prisons tanzaniennes qui «ne sont pas, comme au Danemark, des hôtels trois étoiles», a-t-il été précisé.

La délégation a assuré avoir bien pris note des recommandations du Comité quant à l'intégration de toutes les dispositions du Pacte dans le droit interne et à la ratification du Protocole facultatif et a indiqué que cela serait fait progressivement, et en accord avec les souhaits de la population.

Concernant la loi sur la sorcellerie, la délégation a expliqué que celle-ci prévoit que toute personne qui commet un acte de magie ou de sorcellerie aux fins de nuire à une personne est passible d'une peine de prison de sept ans au minimum.

Répondant à un expert s'étonnant qu'il n'y ait qu'un journal à Zanzibar, le chef de délégation a noté que Zanzibar est une petite île et que les Tanzaniens écoutent beaucoup la radio. Il a par ailleurs indiqué que le journaliste mentionné par l'expert n'était plus en prison et était libre d'exercer ses activités journalistiques.

En guise de conclusion, le chef de délégation a assuré le Comité de la détermination de la Tanzanie de tenir compte des remarques des experts afin de progresser dans la réalisation des droits de l'homme dans son pays. «Nous irons de l'avant et renforcerons nos efforts pour améliorer la promotion et la protection des droits de l'homme, tout en continuant à défendre nos principes, qui traduisent les vues et opinions de notre peuple», a-t-il dit.

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Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

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