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Communiqués de presse Procédures spéciales

CONCLUSION DE LA MISSION DU RAPPORTEUR SPECIAL SUR LES EFFETS DES DECHETS TOXIQUES EN COTE D’IVOIRE

08 août 2008

8 août 2008

M. Okechukwu Ibeanu, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les conséquences néfastes des mouvements et déversements illicites de produits et déchets toxiques et
nocifs pour la jouissance des droits de l’homme a émis cette déclaration aujourd’hui :

Mesdames et messieurs,

Je voudrais commencer par remercier le Gouvernement de Côte d’Ivoire qui m’a accordé
une invitation en ma qualité de Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme sur les conséquences néfastes des mouvements et déversements illicites de produits et déchets toxiques et nocifs pour la jouissance des droits de l’homme pour effectuer une visite dans la ville d’Abidjan du 3 au 8 août 2008. Invitation que j’attendais depuis longtemps.

J’aimerais exprimer ma reconnaissance au Ministère de l’environnement, des eaux et forêts qui a assuré les préparatifs et l’organisation de cette mission. J’adresse mes remerciements les plus chaleureux à l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire pour le remarquable travail d’organisation ainsi que l’apport de connaissances techniques et locales utiles à ma mission, sans oublier l’appui logistique.

C’est essentiellement pour recueillir des informations directes au sujet des déversements de déchets toxiques sur le district d’Abidjan en août 2006 et leurs effets sur les droits de l’homme des habitants d’Abidjan que j’ai réalisé cette visite.

A cette occasion, j’ai rencontré un grand nombre de parties prenantes, dont la Primature, le Ministère des affaires étrangères, la Commission environnement du Parlement, la Présidente de l’ancienne Commission nationale d’enquête sur les déchets toxiques, le Président de la Commission internationale sur les déversements des déchets toxiques sur le district d’Abidjan, la Commission nationale des droits de l’homme de Côte d’Ivoire, le Gouverneur de District d’Abidjan, le Procureur de la République, le Ministère de la justice et des droits de l’homme, le CIAPOL, le Ministère de la production animale et des ressources halieutiques, l’Office national de la protection civile, le Ministère de la ville et de la salubrité urbaine, le Ministère de la santé et de l’hygiène, la Chambre du commerce et d’industrie, le Port autonome d’Abidjan, les institutions spécialisées des Nations Unies, la Banque mondiale, les membres de la société civile, les chefs de village et les victimes directement touchées par les déversements.

J’ai également pu me rendre sur les sites de décharge dans les districts d’Abobo, d’Akouedo et de Vridi.

Le 19 août 2008 marquera le deuxième anniversaire des déversements de déchets toxiques à Abidjan. Cette catastrophe terrible a fait au moins 16 décès et plus de 100.000 victimes.

D’emblée, il me semble juste d’affirmer que le Gouvernement n’avait pas les capacités ni n’était préparé à gérer une crise de cette envergure. Je reconnais que c’était là une tâche colossale. Cependant, même s’il est vrai que divers ministères pertinents ont été mobilisés pour affronter la crise, nombre d’entre eux n’avait ni la capacité ni le budget voulu pour gérer une telle crise comme il se doit. Lors de mes rencontres dans les divers Ministères, j’ai compris qu’il n’y avait pas de partage d’information entre eux.
Apparemment, les Ministères cherchent à s’acquitter de leur mandat concret, sans être très au fait des mesures prises par les autres. J’encourage les différents organes du Gouvernement à entrer en rapport les uns avec les autres à intervalles plus réguliers et à mettre en place de meilleures synergies. En raison des contraintes que constituent le manque de capacités et de moyens financiers, il serait plus important d’entreprendre des activités de suivi dans le cadre d’une démarche unique et de garantir qu’un tel incident ne se reproduise plus. Je reconnais que la Cellule présidentielle a joué un rôle de coordination. Il reste cependant encore beaucoup à faire. Je voudrais appeler le gouvernement à inclure la société civile et les associations de victimes dans le suivi de cette crise Leur voix est essentielle et pertinente dans l’information du gouvernement en ce qui concerne les besoins des populations et la réalité sur le terrain.


Selon le Gouvernement, les déchets ont été déversés sur 18 points dans 7 sites, notamment Abobo, Akouedo, Koumassi, Maca, Plateau Dokui, route d’Alepe et Vridi. Presque deux ans se sont écoulés depuis lors et cependant, ces sites n’ont toujours pas été décontaminés et continuent de menacer la vie et la santé de dizaines de milliers d’habitants appartenant à toutes les couches sociales d’Abidjan. Les victimes que j’ai rencontrées continuent de souffrir de céphalées, de lésions cutanées, d’affections ORL et de troubles digestifs. La situation des femmes me préoccupe particulièrement : elles se plaignent d’une augmentation du nombre de naissances prématurées, de ménopauses prématurées et de fausses-couches depuis les déversements. Le Gouvernement m’a fait savoir qu’il ne dispose pas des capacités techniques nécessaires au nettoyage et à la décontamination opportune des décharges. Voilà qui devrait être la priorité des priorités.
J’exhorte la communauté internationale à fournir d’urgence davantage d’assistance technique à la Côte d’Ivoire. Je salue des organes tels que le Programme de Nations Unies pour l’environnement, la Convention de Bâle qui ont apporté un concours technique en aidant le Gouvernement à mettre en place une installation de traitement des déchets ainsi qu’un laboratoire souterrain à Abidjan. La population d’Abidjan a grand besoin d’aide. Deux ans après l’incident, elle vit encore et toujours dans des conditions de grande précarité, tandis que son droit de vivre dans un environnement sain et sûr continue d’être violé.

Il y a une autre question qui suscite des préoccupations dans mon esprit : il s’agit des indemnisations. Certes, le Gouvernement a cherché à prendre des mesures pour enregistrer les victimes et il est vrai que les victimes qui se sont inscrites dans les cliniques ou dispensaires ont bel et bien reçu des soins dans la foulée de la crise. Néanmoins, il y a encore beaucoup à faire. Les plaintes entendues pendant mes rencontres avec les diverses parties prenantes se ressemblaient énormément. D’aucuns se plaignent de n’avoir pas réussi à s’inscrire pour obtenir d’indemnisation, d’autres regrettent que l’indemnisation reçue ne soit pas suffisante, tandis que d’autres encore n’avaient strictement rien obtenu. Outre le fait de se sentir menacées dans leur vécu, de nombreuses victimes se sont vues contraintes de quitter leur foyer et leur travail ou entreprise. Certaines ont pu réintégrer foyer ou entreprise et continuent de vivre et de travailler près des sites de déversement de déchets toxiques car elles n’ont pas la possibilité de se reloger ou d’installer leur entreprise ailleurs. Le Gouvernement doit redoubler d’efforts en faveur de son peuple. Ces victimes ont le droit de recevoir une indemnisation appropriée en raison des souffrances qui sont les leurs. Je crois comprendre que le Gouvernement a fait savoir aux habitants que le processus de versement d’indemnisation est en cours. Je lance un appel au Gouvernement pour qu’il mobilise toutes les ressources disponibles et veille à ce que les victimes reçoivent une indemnisation appropriée dans les meilleurs délais.

Le Ministère de la santé devrait aussi recevoir davantage de ressources financières et de médicaments afin d’assurer le suivi voulu dans l’intérêt des victimes et de surveiller les sites de déversement de déchets toxiques. Selon les informations qui me sont parvenues, des soins médicaux gratuits ont été fournis au début de la crise, mais j’ai eu l’occasion de rencontrer de nombreuses victimes qui manifestent encore de graves symptômes suite à une exposition aux déchets. J’invite le Ministère de la santé à mener une étude sur l’état de santé de la population vivant dans les zones touchées et à fournir une aide médicale d’urgence aux victimes. D’autres employeurs pourraient faire de même. Parmi les victimes, j’en ai rencontré de particulièrement vulnérables : elles n’ont pas assez d’argent pour se nourrir, sans parler des frais onéreux des soins. Le Gouvernement doit prendre des mesures plus énergiques pour protéger le droit à la santé des victimes. Le Ministère de la santé devrait mettre en place, et ce d’urgence, des blocs de soins intensifs dans les grands hôpitaux afin d’y soigner les nouvelles manifestations d’affections liées au déversement de déchets toxiques.

J’ai le plaisir de vous faire savoir que je vais également entreprendre une mission au Royaume des Pays-Bas avant la fin de l’année. Vous n’êtes pas sans savoir que le Probo Koala avait entamé son périple à Amsterdam. Ma mission dans ce pays comprendra des entretiens avec diverses parties prenantes, dont l’entreprise intéressée, Trafigura. J’espère ainsi me faire une idée plus complète des évènements et attribuer les responsabilités.

Enfin, le Gouvernement de Côte d’Ivoire devrait relancer la procédure pénale en souffrance à l’égard des particuliers et des entreprises impliqués dans cette catastrophe.
Cela aurait pour effet d’envoyer un message haut et fort aux autres entreprises transnationales et aux autres individus afin qu’ils sachent que de tels crimes ne peuvent demeurer impunis et que l’Afrique n’est pas une décharge dont on peut faire bon marché.
Les victimes doivent obtenir la justice qu’elles méritent.

M. Okechukwu Ibeanu est professeur de sciences politiques à l’Université du Nigéria.

Pour recevoir davantage d’ informations au sujet du mandat du Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme sur les conséquences néfastes des mouvements et déversements illicites de produits et déchets toxiques et nocifs pour la jouissance des droits de l’homme, veuillez consulter le site suivant :
http://www.ohchr.org/english/issues/environment/waste/index.htm

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