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Communiqués de presse Organes conventionnels

LE CAMEROUN RÉPOND AUX QUESTIONS DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE

19 Novembre 2003

19.11.03
Le Comité contre la torture a poursuivi cet après-midi l'examen du troisième rapport périodique du Cameroun, commencé hier matin. La délégation a répondu aux questions des membres du Comité relatives, notamment, à la garde à vue, à la détention préventive et aux pouvoirs des chefs traditionnels. À cet égard, la délégation a assuré que les chefs traditionnels ne sont aucunement au-dessus des lois et n'ont aucun droit de détenir des personnes. Des sanctions ont d'ailleurs été prononcées à l'encontre de certains d'entre eux, traduisant la volonté du Gouvernement de faire disparaître l'impression qu'ils constituent un État dans l'État.
En ce qui concerne les juridictions d'exception, la délégation a reconnu que deux juridictions posent problème, les tribunaux militaires et la Cour de sûreté de l'État. Elle a toutefois affirmé qu'à l'heure actuelle, les tribunaux militaires fonctionnent parfois mieux que les tribunaux civils, notamment pour ce qui est du respect des droits de l'homme. À cet égard, il a attiré l'attention sur l'ordonnance invalidant l'utilisation de preuves obtenues sous la torture qui a été prononcée par un tribunal militaire. S'agissant des allégations de tortures et mauvais traitements liés à la corruption, la délégation a affirmé qu'au fur et à mesure que la culture des droits de l'homme s'instaure, ces actes sont en nette baisse. En outre, lorsque ces cas sont avérés, les responsables sont traduits en justice.
Au sujet des pratiques traditionnelles discriminatoires à l'égard des femmes, la délégation a assuré que l'État a pris des mesures pour combattre ces pratiques et inscrire dans la réalité le principe de l'égalité entre hommes et femmes, notamment par le biais de campagnes de sensibilisation en vue d'éliminer les tabous culturels qui freinent le développement des femmes et des filles. Les mutilations génitales, si elles ne font pas l'objet d'une pénalisation en tant que telle, peuvent être incriminées comme atteinte à l'intégrité physique, a fait valoir la délégation.
À sa prochaine séance, demain après-midi à 15 heures, le Comité présentera ses observations finales sur les rapports de la Colombie, du Maroc et de la Lituanie. Les observations finales sur le rapport du Cameroun seront présentées vendredi 21 novembre à partir de 11heures
Réponses du Cameroun
M. FRANCIS NGANTCHA, Ministre conseiller à la Mission permanente du Cameroun auprès des Nations Unies à Genève et chef de la délégation camerounaise, a présenté les membres de sa délégation chargés de répondre aux questions posées hier par le rapporteur et le corapporteur du Comité chargés du rapport du Cameroun, MM. Guibril Camara et Mengjia Yu.
En ce qui concerne la garde à vue, la délégation a distingué les différents types de garde à vue, indiquant que la garde à vue judiciaire ne peut excéder 72 heures. Pour ce qui est de la garde à vue militaire, elle est de 48 heures et peut être prolongée trois fois. La garde à vue administrative a un régime juridique différent puisqu'elle est liée à l'état d'urgence et elle peut être ordonnée à l'égard des individus jugés dangereux pour l'ordre public par les préfets et les gouverneurs pour une durée de 15 jours renouvelables. Une telle garde à vue peut également être ordonnée pour des individus liées au grand banditisme. Le représentant a reconnu que des abus peuvent être commis et concédé que la garde à vue répond difficilement aux impératifs de la liberté individuelle. Toutefois, il a précisé qu'elle est réglementée par la loi et soumise à des contrôles de régularité de forme et de contenu ainsi qu'à un contrôle judiciaire qui sauvegarde l'habeas corpus. En outre, la détention administrative ne saurait être confondue avec l'isolement cellulaire.
Répondant aux questions de membres du Comité sur les prérogatives des chefs traditionnels, la délégation a précisé qu'ils n'ont aucun droit de mener des enquêtes et encore moins de prononcer des peines ou d'incarcérer des personnes. Ils ne sont aucunement au-dessus des lois et font d'ailleurs de plus en plus l'objet de poursuites judiciaires, comme le montrent certaines condamnations, notamment pour arrestation, séquestration arbitraire et violences, citées par la délégation. Par la force pédagogique de ces sanctions, le Cameroun s'efforce de faire disparaître ce sentiment d'État dans l'État que peut inspirer le pouvoir des chefs traditionnels. On ne peut pas dire aujourd'hui que le Gouvernement ne se préoccupe pas de la sauvegarde de la liberté individuelle a ainsi estimé la délégation.
En réponse à une question relative au délai de transfert d'une personne suspectée vers un lieu de détention éloigné de plus de 50 km, le représentant a précisé qu'il ne s'agissait là que d'une proposition dans le cadre du projet de nouveau code de procédure pénale. Il a expliqué que la tâche du législateur est rendue difficile par la coexistence des systèmes romain et anglo-saxon dans le régime juridique camerounais. Toutefois, il a assuré que ce texte faisait l'objet d'un examen prenant en compte les observations de l'Organisation de la Francophonie et du Commonwealth. Les critiques du Comité seront également relayés afin qu'elles soient prises en compte dans la réflexion autour de ce texte, a assuré la délégation.
S'agissant du statut du Procureur et son degré d'autonomie par rapport à l'exécutif, la délégation a précisé que les procureurs généraux sont placés sous l'autorité du Ministère de la justice et peuvent donc recevoir des instructions. Toutefois, dans la pratique, ces instructions ne concernent que rarement des cas précis et les procureurs peuvent en tout état de cause engager des poursuites sans l'aval du Ministère. Un décret présidentiel stipule par ailleurs que les magistrats ne sont pas soumis à l'autorité des préfets ou des gouverneurs.
La délégation a par ailleurs précisé que les registres de garde à vue existent sous deux formes, tant dans les brigades que dans les postes de police : les registres de garde à vue judiciaire et les registres de garde à vue administrative. Ils comportent plusieurs rubriques et informations relatives au prévenu et notamment son état de santé, la durée et les raisons de la garde à vue. Figurent également la date et l'heure d'entrée ou de sortie de cellule. Ces registres sont contrôlés par le Procureur de la République mais aussi par le Comité national des droits de l'homme et, depuis peu, par le Comité international de la Croix-Rouge. Ils sont donc fiables et transparents, a estimé le représentant qui en veut pour preuve le fait qu'ils puissent être utilisés comme pièce à conviction dans des procédures contre des chefs de brigades ou des commissaires de police.
En ce qui concerne les juridictions d'exception, la délégation a reconnu que deux juridictions posent problème, les tribunaux militaires et la Cour de sûreté de l'État. Les tribunaux militaires sont seuls compétents à juger les infractions purement militaires, les infractions commises par des militaires en service, les infractions à la législation sur les armes à feu, les infractions commises par des militaires en temps de guerre, notamment. Les textes excluent expressément les mineurs de la compétence de ces tribunaux militaires. Les cas dans lesquels des civils peuvent se voir juger par ces tribunaux sont limités, a précisé le représentant qui a indiqué que des avocats peuvent être désignés au titre de l'aide juridique, que les jugements sont susceptibles d'appels et que les victimes peuvent se constituer en partie civile. La formation des magistrats militaires est similaire à celle des magistrats civils. Le représentant a affirmé qu'à l'heure actuelle, les tribunaux militaires fonctionnent parfois mieux que les tribunaux civils notamment pour ce qui est du respect des droits de l'homme. À cet égard, il a attiré l'attention sur une ordonnance invalidant l'utilisation de preuves obtenues sous la torture qui a été prononcée par un tribunal militaire. En ce qui concerne la Cour de sûreté de l'État, le représentant camerounais a précisé qu'au départ, sa compétence était limitée aux seuls crimes et délits contre la sûreté de l'État et qu'elle statuait de façon collégiale. Mais la Constitution de 1996 a profondément modifié l'organisation du système judiciaire. En ce qui concerne les ministres qui commettent des délits de droit commun, ils relèvent de la juridiction ordinaire.
La délégation a précisé le sens de l'expression «ordre manifestement illégal» au regard de la jurisprudence qui tend à faire de l'obéissance à un supérieur ni une excuse, ni une exemption de responsabilité, y compris dans l'armée. En ce qui concerne la torture, qui est manifestement illégale, il n'est pas possible d'invoquer l'ordre donné comme excuse, a déclaré la délégation.
La délégation a par ailleurs indiqué que le recours en appel d'une personne en situation irrégulière qui a fait l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière peut ne pas être suspensif. Elle a toutefois fait remarquer que les procédures ont été simplifiées au bénéfice de l'étranger afin de lui permettre de rester sur le territoire, notamment par le biais du sursis à exécution. La règle conventionnelle de non-expulsion d'une personne vers un pays où il y aurait un risque de torture peut également être invoquée pour surseoir à une mesure d'expulsion. La délégation a donné des exemples précis illustrant le principe de non-refoulement en cas de risque sérieux de torture dans le pays de destination.
Pour ce qui est des suites réservées aux cas de violations rapportés par les différents Rapporteurs spéciaux de la Commission des droits de l'homme, la délégation a indiqué que les réponses ont été transmises au Haut Commissariat aux droits de l'homme mais que ces affaires sont liées le plus souvent à des troubles à l'ordre public et ne relèvent pas de mauvais traitements.
A la question de savoir si les contraintes financières affectent négativement les activités des commissions de surveillance des prisons, la délégation a répondu par l'affirmative, indiquant que les responsables des établissements pénitentiaires ont demandé d'inscrire au budget du Ministère de l'administration territoriale davantage de fonds pour ces commissions.
S'agissant des allégations de tortures et mauvais traitements liés à la corruption, la délégation a fait valoir qu'au fur et à mesure que la culture des droits de l'homme s'instaure, ces actes sont en nette baisse. En outre, lorsque ces cas sont avérés, les responsables sont traduits devant la justice. Par ailleurs, le Cameroun est engagé résolument dans la lutte contre la corruption dans le cadre de sa participation à l'Initiative en faveur des pays les plus pauvres, a indiqué la délégation, qui a rappelé, à cet égard, la condamnation d'un ancien ministre de la défense.
En ce qui concerne les sanctions à l'encontre des militaires, la délégation a confirmé que les fautes commises à l'intérieur des casernes, pendant le service ou à l'encontre de la population en infraction de la législation sur les armes, relèvent des tribunaux militaires et que les poursuites sont soumises à une ordonnance du Ministre de la défense. Toutefois, la discipline exige que les fautes des militaires soient immédiatement punies, a assuré la délégation.
Au sujet de la crédibilité du Comité national des droits de l'homme, la délégation a précisé que les autorités camerounaises ont initié une restructuration profonde de ce Comité afin notamment de renforcer les garanties de son indépendance et du pluralisme de sa composition. Ce Comité, créé en 1991, constitue une organisation pionnière, a rappelé la délégation qui a souligné qu'un mécanisme de suivi des activités du Comité a été mis en place, s'agissant notamment des plaintes.
Revenant sur l'affaire des «neufs de Bépanga», qui ont disparu après avoir été détenus par le Commandement opérationnel, la délégation a indiqué que le «CO» est une unité de lutte contre le grand banditisme; il ne dispose pas de pouvoirs spéciaux. Au terme d'une enquête approfondie et d'une procédure mouvementée mais juste et équitable devant le tribunal militaire, les responsables ont été déclarés non coupables des chefs d'accusation de torture, de corruption et d'assassinat au bénéfice du doute, a précisé la délégation qui a par ailleurs porté à l'attention du Comité les fausses pièces produites par la partie civile afin de demander des indemnités faramineuses.
À la question de savoir à qui peut s'adresser une personne victime de torture, la délégation a rappelé que peuvent être saisis le Procureur de la République, les procureurs généraux près les Cours d'appel, le tribunal compétent, les délégations de police et de gendarmerie. La victime peut également introduire son recours devant le tribunal administratif ou l'Assemblée plénière de la Cour suprême. Elle peut en outre s'adresser au Comité national des droits de l'homme, au barreau et même au Parlement dans certains cas. Le Procureur de la République peut par ailleurs engager des poursuites contre un fonctionnaire suspecté de torture ou de mauvais traitements, a précisé la délégation qui a cité un exemple récent.
Au sujet des pratiques traditionnelles discriminatoires à l'égard des femmes, la délégation a assuré que l'État a pris des mesures pour combattre ces pratiques et inscrire dans la réalité le principe de l'égalité entre hommes et femmes, notamment par le biais de la création d'un Ministère de la condition féminine et de campagnes de sensibilisation en vue d'éliminer les tabous culturels qui freinent le développement des femmes et des filles. En outre, toute femme victime d'un acte discriminatoire peut former recours auprès des tribunaux. S'agissant des mutilations génitales, il n'existe pas de sanctions particulières mais elles peuvent être incriminées comme atteintes à l'intégrité physique. Un projet de loi sur les violences à l'égard des femmes est par ailleurs à l'examen, a fait valoir la délégation. Elle a en outre assuré que les autorités font tout leur possible afin de respecter l'obligation légale de séparation rigoureuse entre hommes et femmes dans les lieux de détention.

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