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Communiqués de presse

LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE ENTAME L'EXAMEN DU RAPPORT DU PÉROU

02 Mai 2006

2 mai 2006

Le Comité contre la torture a entamé, ce matin, l'examen du quatrième rapport périodique du Pérou sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant le rapport de son pays, M. Alejandro Tudela, Ministre de la justice du Pérou, a rappelé que le Pérou connaît actuellement un processus électoral, le deuxième tour des élections présidentielles devant se dérouler ce mois-ci. Il a en outre fait part des changements importants apportés dans le domaine de l'indépendance de la justice depuis la présentation du précédent rapport de son pays, 90% des magistrats étant en effet désormais titularisés, c'est-à-dire stables dans leur fonction. M. Tudela a par ailleurs rappelé qu'à la suite de l'arrêt rendu le 14 mars 2002 par la Cour interaméricaine des droits de l'homme au sujet des lois d'amnistie, le Tribunal constitutionnel péruvien a décidé que la loi d'amnistie et les normes de prescription empêchant la poursuite des violations graves de droits de l'homme sont contraires à la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

Le Représentant permanent du Pérou auprès des Nations Unies à Genève, M. Manuel Rodríguez Cuadros, a pour sa part indiqué que les enquêtes judiciaires menées au sujet d'allégations de torture durant la période comprise entre 2000 et 2005 font apparaître que des membres des forces armées et des forces de police péruviennes font partie des auteurs présumés d'actes de torture allégués dans le département d'Ayacucho, où 80%, les victimes sont de jeunes hommes âgés de 18 à 25 ans et, en grande majorité, d'origine paysanne. M. Rodríguez Cuadros a précisé que 95% des membres des forces armées ou policières présumés responsables ont déjà été suspendus de leurs fonctions.

La délégation péruvienne était également composée d'autres représentants du Ministère des relations extérieures, et de membres du Conseil national des droits de l'homme.

Le rapporteur du Comité chargé de l'examen du rapport du Pérou, M. Fernando Mariño Menéndez, a souligné que le pays est en cours de consolidation de l'État de droit depuis plusieurs années. Il a notamment souhaité savoir si les procureurs péruviens ont libre accès aux commissariats de police. Il a également souhaité savoir pourquoi, entre 2003 et 2004, l'accès de la Croix-Rouge aux prisons du pays a été interrompu durant plusieurs mois. Il existe une différence considérable entre la situation qui prévalait auparavant au Pérou et celle qui prévaut aujourd'hui, a pour sa part reconnu le co-rapporteur du Comité pour l'examen du rapport péruvien, M. Claudio Grossman. Il a toutefois relevé le manque apparent d'indépendance de l'Institut médico-légal péruvien.

Le Comité entendra demain après-midi, à 15 heures, les réponses de la délégation péruvienne aux questions soulevées ce matin par les experts. Cet après-midi, à 15 heures, il tiendra une réunion avec le Rapporteur spécial sur la torture.


Présentation du rapport

Présentant le rapport de son pays, M. ALEJANDRO TUDELA, Ministre de la justice du Pérou, a rappelé que le Pérou connaît actuellement un processus électoral, le deuxième tour des élections présidentielles devant se dérouler ce mois-ci. Il a en outre fait part des changements importants apportés dans le domaine de l'indépendance de la justice depuis la présentation du précédent rapport de son pays, 90% des magistrats étant en effet désormais titularisés, c'est-à-dire stables dans leur fonction, alors qu'ils étaient auparavant suppléants ou provisoirement en fonction.

M. Tudela a par ailleurs rappelé qu'à la suite de l'arrêt rendu le 14 mars 2002 par la Cour interaméricaine des droits de l'homme au sujet des lois d'amnistie, le Tribunal constitutionnel péruvien a statué que la loi d'amnistie et les normes de prescription empêchant la poursuite des violations graves de droits de l'homme sont contraires à la Convention américaine des droits de l'homme. Le Ministre Tudela a ajouté qu'en application de l'arrêt de 2002 de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, et en accord avec une recommandation présentée par la Commission «Vérité et réconciliation», la Cour suprême a décidé de la création d'un sous-système de justice spécialisé dans les violations des droits de l'homme. Actuellement, a poursuivi M. Tudela, un certain nombre d'affaires, parmi lesquelles celles de Barrios Altos et de La Cantuta, sont en jugement.

Le Ministre péruvien de la justice a par ailleurs rappelé que la Commission Vérité et réconciliation a été créée en 2001 afin d'éclaircir les violations des droits de l'homme et actes de torture commis dans le pays entre 1980 et 2000. Le rapport final de cette commission a été remis au Gouvernement en août 2003, permettant de faire la lumière sur les atrocités commises au Pérou durant cette période.

Complétant l'intervention du Ministre, M. Manuel RodrÍguez Cuadros, Représentant permanent du Pérou auprès des Nations Unies à Genève, a notamment indiqué que toutes les normes du Statut de Rome de la Cour pénale internationale sont considérées comme partie intégrante du droit interne péruvien.

M. Rodríguez Cuadros a par ailleurs indiqué que les enquêtes judiciaires menées au sujet d'allégations de torture durant la période comprise entre 2000 et 2005 font apparaître que des membres des forces armées et des forces de police péruviennes font partie des auteurs présumés d'actes de torture allégués dans le département d'Ayacucho, où 80%, les victimes sont de jeunes hommes âgés de 18 à 25 ans et, en grande majorité, d'origine paysanne. M. Rodríguez Cuadros a précisé que 95% des membres des forces armées ou policières présumés responsables ont déjà été suspendus de leurs fonctions.

Le Représentant permanent du Pérou a fait valoir que le bureau du Défenseur du peuple a pour mandat de protéger les droits de l'homme et les droits de tous les administrés du pays; il a en outre la capacité de citer à comparaître toute autorité, y compris militaire et policière.

M. Rodríguez Cuadros a en outre indiqué que son pays dispose d'un mécanisme spécifique chargé d'évaluer les demandes d'extradition présentées au Pérou. Il s'agit d'une commission multisectorielle présidée par le Ministère de la justice; aucune extradition ne se fait en dehors de ce mécanisme, a précisé le Représentant péruvien. La pratique a montré que les questions de droits de l'homme et de protection des droits de la personne restent toujours présentes à l'esprit de ce mécanisme, a-t-il ajouté.

Un autre membre de la délégation péruvienne a précisé que c'est le pouvoir exécutif qui prend la décision d'extradition; néanmoins, une opinion judiciaire est nécessaire et c'est la Cour suprême qui est chargée de la fournir. Le Gouvernement est tenu de suivre un avis négatif de la Cour suprême, a indiqué la délégation. Elle a souligné que le Pérou n'a eu à connaître d'aucun cas de personne qui aurait été soumise à la torture après avoir été extradée du Pérou.

La délégation péruvienne a par ailleurs souligné qu'une loi organique de la police énumère un certain nombre de principes régissant le fonctionnement des unités de police, au nombre desquels figure celui selon lequel les policiers ne doivent pas appliquer d'ordre qui constituerait une violation de la Convention contre la torture.

S'agissant de la question soulevée par le Comité au sujet du nombre élevé de plaintes dénonçant des actes de torture dans l'armée, en particulier à l'encontre des appelés, la délégation a signalé qu'à compter de 2003, lorsque le service militaire obligatoire est devenu facultatif au Pérou, on a assisté à une disparition des situations de violations qui avaient pu être relativement fréquentes par le passé.

La délégation a par ailleurs indiqué que le Code pénal péruvien a été modifié afin que la violence sexuelle ne soit plus considérée comme un délit contre l'honneur mais comme un délit contre la liberté sexuelle, ce qui implique pour l'État une obligation de poursuite au pénal alors qu'auparavant, seule la victime pouvait porter plainte.

S'agissant des mesures prises pour inspecter les lieux de détention afin d'éviter la pratique de la torture, la délégation a notamment fait valoir que les autorités péruviennes acceptent les visites inopinées des délégués de la Croix-Rouge, ce qui est offre une garantie à cet égard. Elle a par ailleur indiqué que l'établissement pénitentiaire de Challapalca à Tacna a été fermé récemment et qie celui de Yanamayo compte actuellement une population pénale de 70 détenus (dont 13 pour délit de terrorisme).

La délégation a assuré qu'il n'existe aucune disposition du droit interne péruvien qui, aux fins de l'application des résolutions Conseil de sécurité relatives à la lutte contre le terrorisme, entraînerait un préjudice en matière de droits de l'homme.

La délégation a d'autre part rappelé que le Tribunal constitutionnel péruvien a déclaré que la justice militaire n'est pas compétente pour connaître des affaires civiles ni pour juger des affaires de violation des droits de l'homme; elle doit se borner à juger des délits de fonction.

S'agissant de la question des stérilisations forcées, la délégation a souligné que le Gouvernement péruvien s'oppose à tout type de stérilisation forcée. Au Pérou, il est interdit d'encourager à toute méthode contraceptive par la duperie ou par toute forme de pression ou de coercition, a-t-elle ajouté. Le Ministère de la santé applique une politique de libre choix en ce qui concerne les méthodes légales de contrôle de la natalité, a insisté la délégation.

La délégation a précisé que le Protocole facultatif se rapportant à la Convention a été renvoyé au Congrès aux fins de ratification. On peut donc espérer que, bientôt, le nouveau Congrès l'approuvera.

Le quatrième rapport périodique du Pérou (CAT/C/61/Add.2) souligne la politique actuelle de promotion et de défense des droits de l'homme et attire l'attention sur la réduction sensible du nombre de nouvelles plaintes pour actes présumés de torture ou mauvais traitements en est la preuve. Le Défenseur du peuple a déposé en 2002 un rapport qui repose sur l'examen de 118 cas de torture et traitements cruels, inhumains ou dégradants présumés, liés à la prestation du service militaire qui ont été portés à sa connaissance. Le bureau du Défenseur du peuple enquête d'office ou à la demande des parties sur des cas de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants présumés, attribués à des agents de la Police nationale péruvienne; 292 cas ont été enregistrés progressivement à partir de l'année 1998 pour atteindre un niveau préoccupant en 2000, année pendant laquelle 94 cas d'atteinte à l'intégrité de la personne ont été enregistrés. À compter de cette date, le nombre de cas a commencé à décroître sans pourtant retomber à zéro, car en 2001, 2002 et 2003, un nombre important de plaintes ont été enregistrées à ce sujet. Le bureau du Défenseur du peuple a enregistré, pendant la période 1999-2004, 37 plaintes pour torture ou traitements cruels, inhumains ou dégradants présumés au préjudice de détenus de certains établissements pénitentiaires. Le rapport souligne par ailleurs que la mise au secret de 15 jours au titre du régime de détention provisoire a été déclarée inconstitutionnelle par un arrêt du Tribunal constitutionnel, mais la mise au secret peut s'effectuer, à titre exceptionnel, dans les cas indispensables et à condition que les autorités cherchent à faire la lumière sur un délit ou un crime jugé très grave.

Le rapport précise que la Commission Vérité et réconciliation s'est prononcée contre le recours à des tribunaux militaires pour juger des civils et toutes les poursuites engagées pour trahison contre des civils ont dû être abandonnées. S'agissant de la peine d'isolement d'au moins un an à partir de la date du procès, appliquée automatiquement dans le cas de toute personne condamnée pour infraction à la loi contre le terrorisme, le rapport indique que le Tribunal constitutionnel estime que «soumettre un condamné à une peine qui suppose l'isolement absolu pendant un an constitue une mesure déraisonnable et disproportionnée, constitutive d'un traitement cruel et inhumain». Le rapport rappelle par ailleurs qu'en ce qui concerne les lois d'amnistie, la Commission Vérité et réconciliation a conclu que «la dictature d'Alberto Fujimori a cherché à légaliser de façon scandaleuse l'impunité des violations des droits de l'homme commises par des agents de l'État». Depuis l'arrêt rendu par la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans l'affaire Barrios Altos, en date du 14 mars 2001, les lois d'amnistie n°26479 et 26492 sont dépourvues d'effet juridique et ne constituent aucunement un obstacle aux enquêtes que les autorités administratives ou judiciaires pourraient ouvrir sur des faits constitutifs d'une violation des droits de l'homme, notamment de la torture.

À partir de l'année 1999 jusqu'à aujourd'hui, indique par ailleurs le rapport, les états d'exception instaurés dans des zones géographiques précises du pays ont été de moins en moins fréquents; ceci prouve bien que la suspension de l'exercice de certains droits fondamentaux n'est pas une pratique continue de la part du Président de la République. Le rapport reconnaît que le pays ne dispose d'aucune statistique officielle des cas de torture qui auraient été dénoncés devant les autorités compétentes, ce qui s'explique par le fait qu'il n'existe pas au sein du ministère public (ni d'ailleurs dans les instances juridictionnelles) de système spécial d'enregistrement des plaintes sur la question. Un autre problème vient se greffer sur cette question: certaines victimes ou certains de leurs avocats, par ignorance, dénoncent une atteinte à l'intégrité de la personne en la qualifiant de blessures ou d'abus d'autorité, sans se rendre compte que ce comportement peut être constitutif de torture au sens de l'article 321 du Code pénal. On constate qu'à la différence de la période antérieure à 1999 et, en particulier, depuis novembre 2000, la situation de la torture connaît des changements notables à la suite de l'avènement du régime démocratique, même si les plaintes n'ont pas complètement disparu. Dans leur majorité, les plaintes déposées ont fait ou font l'objet d'une enquête administrative, du parquet ou judiciaire. Le rapport précise en outre que le nouveau Code de procédure pénale qui entrera en vigueur en 2006 réglementera la détention provisoire dans un sens qui respecte les garanties judiciaires, en s'opposant autant que faire se peut à faire courir aux personnes privées de liberté à titre provisoire le risque d'être soumises à la torture ou à de mauvais traitements.


Examen du rapport

Le rapporteur du Comité chargé de l'examen du rapport du Pérou, M. Fernando Mariño MenÉndez, a souligné que le Pérou est un pays qui, depuis plusieurs années, est en cours de consolidation du point de vue de l'État de droit. Le Tribunal constitutionnel fait en outre preuve de beaucoup de créativité et des progrès sont intervenus pour ce qui est de l'indépendance de la justice, a-t-il ajouté. Il a néanmoins relevé que la délégation a indiqué à plusieurs reprises qu'elle fournirait ultérieurement des informations au sujet d'un certain nombre de questions soulevées par le Comité, s'agissant par exemple des réparations octroyées entre 2000 et 2005 aux victimes de la torture.

M. Mariño Menéndez s'est par ailleurs demandé si la définition de la torture prévue dans le Code pénal péruvien couvrait bien tous les aspects de la définition énoncée à l'article premier de la Convention.

Relevant que la Cour suprême n'a confirmé que six verdicts à l'issue de plaintes de torture, M. Mariño Menéndez s'est demandé s'il y avait eu, en la matière, des verdicts émanant d'instances inférieures.

Le rapporteur a souhaité savoir si, au Pérou, les procureurs ont libre accès, par exemple, aux commissariats de police. Il a également demandé si des verdicts ont déjà été rendus dans ce pays dans des affaires de disparition forcée.

Entre 2003 et 2004, l'accès de la Croix-Rouge aux prisons du pays a été interrompu durant plusieurs mois, a par ailleurs relevé M. Mariño Menéndez, qui en a demandé les raisons.

Le co-rapporteur du Comité chargé de l'examen du rapport péruvien, M. CLAUDIO GROSSMAN, a relevé la différence considérable qui existe entre la situation qui prévalait auparavant au Pérou et celle qui prévaut aujourd'hui. Désormais, 90% des magistrats sont inamovibles et les trois membres du Tribunal constitutionnel qui avait illégalement été limogés ont été réintégrés dans leurs fonctions. M. Grossman s'est en outre félicité de la création de la Commission Vérité et réconciliation.

M. Grossman a toutefois souhaité en savoir davantage sur ce qui est prévu au Pérou pour renforcer et approfondir la formation dispensée aux différents personnels concernés (armée, police, pouvoir judiciaire et institutions pénitentiaires) s'agissant des questions relatives à la torture.

L'expert a par ailleurs relevé le manque apparent d'indépendance de l'Institut médico-légal au Pérou.

Compte tenu des graves conséquences de la non-réhabilitation des victimes de la torture, M. Grossman s'est enquis des programmes prévus en faveur de leur réhabilitation au Pérou.

Un autre membre du Comité a pour sa part insisté sur l'importance que revêt à ses yeux l'édification d'un pouvoir judiciaire authentique, tant il est vrai que la résolution de tous les problèmes de droits de l'homme est conditionnée à l'existence d'un véritable pouvoir judiciaire. Beaucoup d'efforts ont certes été réalisés depuis la présentation du rapport initial du Pérou, a reconnu cet expert; il a néanmoins souhaité obtenir davantage de précisions sur ce qui est fait, réellement, pour assurer l'existence d'un véritable pouvoir judiciaire qui dise le droit sans immixtion quelconque. De quelles garanties dispose lui-même le garant, à savoir le Conseil national de la magistrature ?

Un autre expert a souligné que s'il faut se féliciter de la titularisation des magistrats, subsiste la question des garanties accordées à ce corps professionnel. En effet, des recours ont été engagés par des magistrats et procureurs considérant que le Conseil national de la magistrature avait porté atteinte à leur droit à une procédure régulière.

Attirant l'attention sur les abus perpétrés sur les nouvelles recrues dans l'armée, un membre du Comité a fait observer que les responsables de ce type de violence ne sont jamais sanctionnés.

Un autre membre du Comité a attiré l'attention sur le cas d'un groupe de 23 femmes violées par des militaires, parmi lesquels des officiers haut placés, en 1988. Quelques années après les faits, elles ont porté plainte et leur plainte a été rejetée sous prétexte qu'il s'agissait de femmes mariées, donc non vierges, et que le problème ne saurait de ce fait être aussi grave qu'il ne l'aurait été si elles n'avaient pas été mariées.
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