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Communiqués de presse Organes conventionnels

DES EXPERTS DU COMITE DES DROITS DE L’HOMME DEMANDENT A LA DELEGATION CROATE DES PRECISIONS SUR LA SITUATION DES SERBES

28 Mars 2001



Comité des droits de l'homme
Soixante et onzième session
28 mars 2001
1913e séance - après-midi

 
La délégation indique que des mesures de réconciliation nationale sont à l’étude
 
Les améliorations de la situation des droits de l’homme en Croatie intervenues ces deux dernières années ont été mises en avant au cours de la deuxième séance que le Comité des droits de l’homme consacrait, cet après-midi, à l’examen du rapport initial de la Croatie, en application des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
 Les experts n’en ont pas moins souhaité obtenir de la part de la délégation croate des éclaircissements sur la situation faite aux minorités et aux personnes revenues en Croatie après avoir été déplacées pendant les affrontements qui ont suivi l’éclatement de l’ex-Yougoslavie.  Ils ont tout particulièrement cherché à vérifier les allégations concernant des cas de discrimination à l’égard de Serbes de souche.  Le Gouvernement de coalition avait fait un certain nombre de promesses, a rappelé un expert, faisant toutefois remarquer que les informations dont le Comité dispose, indiquent que les Serbes continuent à vivre dans des situations d’insécurité qui n’ont pas été décrites par les autorités croates, et font état de manifestations sporadiques de violence et notamment d’homicides dans la région de Vokovar. Ils ont attiré l’attention sur des obstacles imposés par les autorités croates contre le retour de milliers de Serbes ainsi que d’incendies et de destruction de logements serbes sans que des poursuites aient été engagées.  Il a été demandé à la délégation d’indiquer les mesures qui avaient été prises par le nouveau Gouvernement pour garantir la sécurité des Serbes et faciliter leur retour.  A cet égard, il a semblé important à plusieurs experts d’obtenir de la délégation croate des précisions sur les conditions d’attribution de la citoyenneté et de la prise en compte de l’appartenance ethnique dans ce processus.
 Un expert a demandé s’il existait des programmes de réconciliation nationale en Croatie.  Pour mieux faire comprendre l’intérêt de ces programmes, il a évoqué le cas d’un bibliothécaire qui avait brûlé tous les ouvrages d’auteurs serbes et tous ceux écrits en  cyrillique.
Dans ses réponses, la délégation a indiqué que le Gouvernement reconnaissait que des mesures de réconciliation sont indispensables à l’établissement d’un climat de confiance au sein de la société croate.  Un comité composé de diverses instances, étatiques, universitaires et civiles, ainsi que la société civile doit se réunir prochainement pour examiner les améliorations à apporter en la matière, a-t-elle précisé.  Elle a également apporté des précisions sur le système judiciaire.  Quant au retour des réfugiés, le Gouvernement croate est disposé à ouvrir la porte à tous ceux qui souhaitent revenir en Croatie et sont prêts à reconnaître ce gouvernement comme le leur.
 Le Comité poursuivra l’examen du rapport initial de la Croatie demain, jeudi 29 mars, à partir de 10 heures.


Questions et commentaires des experts
 Le rapport croate a été jugé complet, sérieux, détaillé et bien conçu par la plupart des experts qui se sont exprimés cet après-midi.  Une experte a rappelé que ce n’était pas la première fois que la Croatie présentait un rapport sur la situation des droits de l’homme dans ce pays puisqu'elle l’avait déjà fait en 1992 à la suite d’une décision prise pendant la crise.  Il a été fait remarquer que la Croatie n’avait pas répondu à la question  sur les mécanismes qui permettraient aux personnes invoquant les dispositions du Protocole ou les recommandations faites par le Comité et il lui a été demandé d’apporter une réponse à cette question.  La hiérarchie entre le droit interne, la Convention européenne des droits de l’homme et le Pacte, telle qu’elle a été décrite par la délégation a été jugée compliquée et susceptible d’engendrer des conflits entre les dispositions de ces différents textes.  Un autre expert a demandé d’expliquer comment l’appartenance à une minorité pouvait influer sur l’attribution de la citoyenneté et d’indiquer les pièces d’identité réclamées aux réfugiés à cet égard.  Est-il exact que l’on puisse enrôler les enfants dès l’âge de 15 ans? a interrogé une experte.  Le rapport énonce les cas où la détention est obligatoire ce qui dans sa formulation, contredit le Pacte, a-t-elle fait remarquer, insistant sur la nécessité de communiquer au Comité des précisions sur la nature de ces cas.
 Des précisions factuelles et statistiques ont également été demandées sur les cas d’abus commis par des personnes occupant des positions officielles.  Plusieurs experts ont exprimé leurs préoccupations au regard de l’article 4 et des dérogations envisageables lorsqu’un état d’exception est décrété.  Il a semblé à un expert qu’il existait une certaine confusion en Croatie sur la nature exacte de l’état d’exception qui, a-t-il souligné, n’existe pas sous ce nom dans la Constitution.  Quels sont les recours dont dispose un citoyen qui estime que ses droits et libertés fondamentales ont été violés dans ce cas? a-t-il été demandé.  Concernant les facultés et prérogatives du Président de la République, il a été demandé si, au-delà du contrôle exercé par la Chambre des représentants, il existait des recours judiciaires possibles.
 Une experte a ensuite évoqué les nombreuses informations reçues par le Comité au sujet de la destruction d’un nombre très important de maisons en 1995, l’incendie de maisons de réfugiés entre 1992 et 1998, ainsi que l’expulsion de nombreuses familles, dont les victimes étaient toutes d’origine serbe.  Elle s’est interrogée sur les mesures prises par les autorités et, en particulier, sur les raisons expliquant l’absence de condamnation dans ces cas.  L’experte a également demandé des explications au sujet du paragraphe 189 du rapport sur la loi de procédure pénale, en insistant sur l’arrestation et la garde à vue.  Elle a été très surprise par le fait que les procédures engagées dans trois affaires d’isolement illégal sont toutes suspendues.  S’agissant des plaintes de particuliers, elle s’est étonnée de la décision de prescription dans des cas où la lenteur de la procédure était en fait imputable aux autorités judiciaires elles-mêmes.  Elle a demandé des explications sur la possibilité de condamner des mineurs de 14 ans à des peines de plus de 10 ans.  Les experts ont également souhaité des précisions sur la composition du Barreau.
Les experts ont apprécié le fait que la Croatie soit l’un des très rares pays qui ait choisi la voie de la succession au Pacte plutôt que de l’accession, ce qui a permis d’éviter une situation intermédiaire de vide juridique.  Ils ont demandé de préciser la citoyenneté des personnes nées sur le territoire croate alors que la Croatie faisait partie de la République fédérative de Yougoslavie.  Ils ont également souhaité connaître les qualifications requises pour devenir citoyen croate et s’il y a des problèmes pour les personnes déplacées ou celles qui sont d’origine serbe.  Quels sont les efforts déployés par le Gouvernement pour réintégrer les membres de minorités ethniques dans la société croate, a-t-il été demandé.  A cet égard, un expert s’est demandé s’il est envisagé de créer une commission de réconciliation entre les communautés ethniques en Croatie.  Le cas d’un libraire obligé de brûler tous les ouvrages d’auteurs serbes ou écrits en alphabet cyrillique a été déploré.  Il a également été demandé quelle est la définition du terme «nation» tel qu’il est employé dans le rapport initial. 
Un expert a exprimé des inquiétudes face aux changements radicaux qui se sont produits dans le pays et qui ont une incidence sur l’actuel gouvernement démocratique.  Rappelant que le droit international ne permet pas la vengeance, un expert a regretté que l’on continue de résister au retour de réfugiés d’origine serbe.  Nous savons qu’un bon nombre de personnes de ce groupe ont eu des difficultés à obtenir les documents d’identité indispensables à leur retour, a-t-il ajouté.  Selon les informations reçues par le Comité, les Croates d’origine serbe souffrent d’insécurité et d’explosion de violences sporadiques à leur encontre pouvant aller jusqu’à l’homicide, a fait observer un expert, souhaitant des précisions sur les violences interethniques qui se produisent actuellement.  Par ailleurs, le Comité a demandé d’indiquer la position du Gouvernement croate sur les décisions du Tribunal pénal international de La Haye, avec qui les autorités croates n’ont toujours pas coopéré, sur les membres des forces armées croates.  Il a souhaité connaître les mesures prises par la Croatie pour favoriser les recherches des nombreuses personnes détenues ou disparues de la zone du Danube. 
Les affirmations du rapport au sujet du service militaire obligatoire ont également été relevées et un expert a demandé si l’objection de conscience est respectée, notamment par l’instauration d’un service civil. 
Certains experts ont insisté sur les changements politiques très positifs survenus en Croatie et se sont félicités des efforts accomplis pour doter le pays d’institutions démocratiques.  Il a été demandé des détails sur les procès qui avaient eu lieu, la nature des affaires jugées et les sentences rendues au regard de l’origine ethnique des personnes, et cela pour tirer au clair des informations faisant état d’un nombre plus élevé de condamnations affectant les Serbes.  Un expert a également souhaité avoir des informations sur les sanctions prévues pour les soldats ou les personnes soupçonnées d’avoir participé à des crimes de guerre.  Il a été fait état d’informations inquiétantes sur des sévices qui auraient été infligés par des prisonniers à d’autres prisonniers.  Quelles ont été les mesures prises par les autorités croates et quels sont  les recours existants à cet égard, a-t-il été demandé.  Un expert a également demandé à la délégation d’expliquer ce qui détermine la sentence maximale dans les cas de torture, qui est de cinq ans, et celle prévue pour les sévices graves qui est de dix ans.
Rappelant que la liberté de croyance était protégée par la législation croate, un expert a demandé si cela couvrait toutes les religions y compris les nouveaux mouvements religieux, et si ces derniers pouvaient exercer librement leur activité et bénéficier de la protection de l’Etat.  Qu’en est-il de l’enseignement religieux et de la protection des sites et des monuments religieux dont un grand nombre ont souffert de la guerre?  L’Etat a-t-il pris des mesures pour leur protection et leur restauration? a-t-il interrogé.

La question de l’immunité pour des crimes commis dans le passé a été soulevée.  Est-ce que cette immunité a été maintenue?  Peut-il y avoir des procès en l’absence de l’inculpé et des procès à effet rétroactif? a-t-il été demandé.
 
Réponses de la délégation croate
M. BRANKO SMERDEL, professeur à la Faculté de droit de Zagreb, a indiqué que les différents traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, une fois ratifiés, font partie intégrante de l’ordre juridique national croate et ont la primauté sur la législation nationale sans qu’il y ait une hiérarchie entre eux.  Les tribunaux de première instance croates reçoivent actuellement une formation en matière de normes internationales, a-t-il indiqué.  La seule instance qui prenne en compte des traités internationaux est la Cour constitutionnelle qui est très consciente du fait que si ses décisions ne s’en inspirent pas, elles courent le risque d’être annulées par la Cour européenne.   Les faiblesses de la Constitution se situent dans son application, a-t-il reconnu, et l’idée de la soumettre à une nouvelle série d’amendements pour qu’elle prenne mieux en compte les normes internationales en matière de droits fondamentaux est envisagée.  Un expert de la Cour de l’Europe nous a par exemple demandé de réviser l’article 14 sur les pratiques discriminatoires. 
Poursuivant, M. Smerdel a également déclaré que certains courants de pensée en Croatie estiment qu’il faudrait supprimer le mot «citoyen» dans la Constitution et le remplacer par «tous».  Il y a un début de progrès en direction d’une constitution vivante.  De 1993 à 1996, la Croatie avait vécu dans un état d’urgence de facto et de jure en vertu du fait que le Président avait exercé ses pouvoirs conformément à l’article 101 de la Constitution, et ne pouvait revenir à la réflexion sur l’application de la Constitution et le rapprochement de ce texte de la pratique.  Après les élections de 2000, la coalition parvenue au pouvoir s’est donné pour tâche principale de modifier la Constitution.  D’autres juristes estiment qu’elle doit au contraire être stabilisée.  Pour ce qui concerne les dérogations, la Constitution contient des dispositions théoriques contenues à l’article 101 et exposées ce matin.  En 1991, il était admis que ce serait un moindre mal que d’invoquer l’article 101 de sorte que le Président a émis une quinzaine de décrets ayant force de loi.  L’article 17 autorisant certaines dérogations n’a jamais été invoqué et l’état de guerre n’a jamais été déclaré non plus, ce qui a posé des problèmes juridiques immenses.  En fait, la Croatie a été confrontée à diverses situations d’urgence «officieuses» et certains villages et villes situés près de la ligne de feu ont été exposés à des tirs de mortiers pendant des années.  Cependant, dans la mesure où toutes les agences gouvernementales étaient actives et que tout citoyen estimant que ses droits étaient lésés pouvait, en théorie, saisir l’ombudsman, la délégation pourrait déclarer qu’il n’y pas eu d’état d’exception en Croatie.
Prenant à son tour la parole, M. BRANKO SOCANAC, chef de département au Ministère de l’intérieur, a expliqué que les recommandations émanant des organes conventionnels sont communiquées au Gouvernement par le Ministère des affaires étrangères et que leur exécution est confiée à la nouvelle commission des droits de l’homme croate.  Le Gouvernement reconnaît que des mesures de réconciliation sont indispensables à l’établissement d’un climat de confiance au sein de la société croate.  Un comité composé de diverses instances, étatique, académique et civile, ainsi que de la société croate doit se réunir prochainement pour examiner les améliorations à apporter en la matière. 
Pour ce qui est des possibilités de retour des réfugiés, le Gouvernement s’est montré disposé à ouvrir la porte à tous ceux qui souhaitent revenir en Croatie et reconnaissent ce gouvernement comme étant le leur.  Pour le moment, il n’y pas de problème majeur en ce qui concerne l’accès des réfugiés croates aux documents d’identité.  Bien que les difficultés qu’ils affrontent ne soient plus de nature politique, des problèmes économiques empêchent malheureusement le rapatriement de fonctionner efficacement. 
Pour ce qui est des minorités, le représentant a indiqué que 8 000 à 30 000 Roms vivent en Croatie, et qu’ils vont être considérés par le Gouvernement comme une minorité nationale bénéficiant des soins de santé, d’une éducation prenant compte de leur culture, et d’un logement.  Le Gouvernement va essayer de développer en Croatie une atmosphère tenant compte des problèmes de racisme, de discrimination raciale et de xénophobie. 
M. MARIN MRCELA, juge à la Cour du Comté de Zagreb, a indiqué que le Code pénal définit précisément les délits de droit pénal couverts par les normes internationales.  Il a répondu à la question portant sur le niveau inférieur des peines appliquées dans le cas de torture à celles prévues dans le cas de sévices graves en expliquant que dans le second cas, il s’agissait de sévices entraînant la mort.  Il a précisé par ailleurs que les tribunaux n’avaient pas été saisis de cas d’esclavage imposé par une autorité publique, citant toutefois  un cas au titre de l’article sur l’esclavage, qui fait actuellement l’objet d’un examen.
Le tribunal militaire a été aboli et ce sont les tribunaux ordinaires qui jugent les affaires militaires, a indiqué le délégué.  Le traitement des personnes inculpées s’est par ailleurs amélioré récemment de manière significative.  Elles sont désormais informées de leurs droits et les informations recueillies en l’absence d’un avocat ne peuvent être retenues contre elles.  A l’expiration des 24 heures de garde à vue, une prolongation de 24 heures supplémentaires peut être décidée.  La personne placée en garde à vue est détenue dans les locaux de police. 
Après avoir indiqué que la détention obligatoire - mandatory detention - n’existe plus en Croatie depuis 1999, M. Mrcela a précisé que la durée de la détention varie par ailleurs en fonction du type de l’infraction qui fait l’objet de la procédure pénale.  Il a dit ne pas connaître de cas de mise en détention au secret bien qu’il ait été chargé des questions de détention dans les tribunaux de Zagreb.  Son expérience personnelle à ce sujet ne lui a permis de connaître, en trois ans, qu’un seul cas d’individu détenu sans raison légale pendant un mois et qui a été ensuite libéré.  Les mineurs sont les jeunes de 14 à 16 ans; de 16 à 18 ans, ils sont considérés comme de jeunes adultes.  Le traitement des mineurs fait suite à une tradition remontant à 1975 établissant clairement qu’ils ne sauraient être jugés ou emprisonnés selon le même régime ou dans les mêmes établissements que les adultes.  La peine maximale, même en cas de meurtre, est de trois ans. 
Les Procureurs d’Etat appartiennent à un organe étatique et leur statut hiérarchique est, à ce titre, distinct de celui des juges.  La procédure suivie par le conseil judiciaire pour la nomination des juges a été revue.  A présent, un conseil judiciaire doit être présent dans chaque tribunal et donner son opinion sur les candidats à cette fonction.  La Cour constitutionnelle a rejeté certaines décisions de l’autorité judiciaire qu’elle a jugées anticonstitutionnelles.  Il existe bien sûr des réglementations disciplinaires en cas d’infraction des juges.  Il s’est présenté cinq cas ces dernières années et l’une de ces procédures a malheureusement été présentée comme une violation des droits fondamentaux de l’accusé.  En ce qui concerne la réforme du fonctionnement des tribunaux, ce n’est pas seulement la loi mais aussi la formation qui doit être changée.  Le représentant a indiqué que les affaires civiles enregistrent moins de retard que les procédures pénales car il existe une possibilité de traiter ces dernières en urgence. 
   
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