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Communiqués de presse Organes conventionnels

LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE ENTAME L'EXAMEN DU RAPPORT DE LA COLOMBIE

12 Novembre 2003



11 novembre 2003


Le Comité contre la torture a entamé, ce matin, l'examen du troisième rapport périodique de la Colombie sur les mesures adoptées par ce pays en vue de la mise en œuvre des dispositions de la Convention contre la torture.

Présentant le rapport soumis par son pays, Mme Clemencia Forero Ucros, Réprésentante permanente de la Colombie auprès des Nations Unies à Genève et chef de la délégation colombienne, a souligné que la situation des droits de l'homme et du droit international humanitaire en Colombie ne peut être envisagée sans tenir compte du contexte de violence généralisée exercée par les organisations armées illégales contre la population civile et les institutions de l'État. À cet égard, elle a indiqué que la grande majorité des cas de torture en 2000 a été le fait des groupes d'autodéfense illégaux et de la guérilla. Elle a mis l'accent sur les mesures prises par le Gouvernement pour se conformer à la Convention, en particulier la réforme de la justice pénale militaire, qui exclut de cette juridiction les délits de torture. Reconnaissant que la situation carcérale est préoccupante, elle a mis en avant l'action vigoureuse du Gouvernement pour y remédier.

M. Fernando Marino Menéndez, Rapporteur du Comité pour le rapport de la Colombie, a estimé que la Constitution de la Colombie est parfaitement conforme et qu'en terme de caractérisation de la torture, il n'y a pas de différence entre le droit colombien et la Convention. Toutefois, il s'est inquiété des nouvelles mesures introduites dans le cadre de la politique de sécurité publique du nouveau Président, M. Álvaro Uribe Vélez, et s'est demandé si certaines de ces mesures elles n'exposent pas plutôt la population à un risque supplémentaire. En ce qui concerne l'impunité, il s'est inquiété d'un projet de loi qui prévoit que des auteurs de graves violations des droits de l'homme pourraient bénéficier d'une indulgence, voire d'une amnistie.

Le corapporteur du Comité, M. Ole Vedel Rasmussen, s'est pour sa part interrogé sur les progrès réalisés pour rétablir le monopole de la force publique entre les mains de l'État et démanteler les groupes armés illégaux. Il s'est en outre interrogé sur les mesures prises pour la réhabilitation des victimes de la torture et pour la prévention des actes de torture. D'autres membres du Comité ont posé des questions notamment sur la suite donnée aux plaintes et peines prononcées, sur les mesures prises pour protéger les défenseurs des droits de l'homme, sur la situation carcérale ainsi que sur le sort des enfants soldats.

La délégation colombienne était composée de représentants du Ministère de l'intérieur et de la justice, ainsi que de la Mission permanente à Genève. Le Vice Ministre de la justice, qui devait présider la délégation n'a pu se rendre à Genève suite à la démission du Ministre de l'intérieur et de la justice, a indiqué la délégation.

Lors de sa prochaine séance publique, demain matin à partir de 10 heures, le Comité entamera l'examen du troisième rapport périodique du Maroc (CAT/C/66/Add.1). Il entendra les réponses de la délégation colombienne demain après-midi à partir de 15 heures.



Présentation du rapport

MME CLEMENCIA FORERO UCROS, Représentante permanente de la Colombie auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, a indiqué que le rapport soumis par son pays couvre les années 1999 à 2001. Elle a souligné que la situation des droits de l'homme et du droit international humanitaire ne peut être envisagée sans tenir compte du contexte de violence généralisée exercée par les organisations armées illégales contre la population civile et les institutions de l'État. Au moment où le Gouvernement œuvre en faveur d'un processus de paix généreux, les groupes en marge de la loi intensifient leurs actions de terrorisme, prennent des otages, torturent, enrôlent des mineurs, détruisent les infrastructures dans une escalade de violence contre la population civile. Ainsi, selon le Centro de Investigagación y Educación Popular (CINEP), une organisation non gouvernementale colombienne, la grande majorité des cas de torture qui se sont produits en 2000 a été le fait des groupes d'autodéfense illégaux et de la guérilla. À cet égard, Mme Forero a réaffirmé que les groupes d'autodéfense illégaux ne peuvent être considérés comme des organes de fait de l'État.

Mme Forero a mis l'accent sur certaines des mesures législatives adoptées au cours de la période à l'examen afin de mettre les lois et les institutions nationales en conformité avec les obligations contractées au niveau international. Elle a en particulier attiré l'attention sur la loi 522 de 1999 qui réforme la justice pénale militaire et exclut totalement de cette juridiction les délits de torture, génocide et disparitions forcées. En outre, l'obligation d'obéissance est définie afin d'éliminer la possibilité pour les membres des forces publiques d'obéir à des ordres manifestement illégaux. Elle a cité un certain nombre de lois qui illustrent la volonté de renforcer une culture des droits de l'homme et du droit international humanitaire au sein des forces publiques, non seulement par le développement des capacités mais aussi en favorisant de nouvelles attitudes et des manières d'appréhender ces questions «dans le cadre d'une conception institutionnelle au service de la démocratie». C'est ainsi que plus de 290 000 fonctionnaires ont été formés aux droits de l'homme et au droit international humanitaire (DIH), a-t-elle fait valoir.

La situation carcérale a été et demeure une préoccupation prioritaire, a par ailleurs indiqué Mme Forero, qui a mis en avant l'action vigoureuse entreprise par le Gouvernement afin de mettre en œuvre de nouvelles mesures et remédier à la situation préoccupante qui a été dénoncée tant par la Cour constitutionnelle que par le Bureau de Bogotá du Haut Commissariat aux droits de l'homme. Le Gouvernement a mené des efforts visant notamment à former les fonctionnaires de l'administration carcérale dans le domaine des droits de l'homme; à créer un réseau d'entités publiques et privées qui développent des programmes de surveillance, d'intervention et d'intégration sociale de la population carcérale; à fournir des équipements médicaux et sanitaires; à construire de nouveaux établissements et agrandir ceux qui existent; à permettre aux autorités judiciaires d'être présente dans les établissements; et à accorder une attention particulière aux groupes vulnérables parmi la population carcérale.

Dans son troisième rapport périodique (CAT/C/39/Add.4), la Colombie reconnaît que la torture compte parmi les violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire commises dans le pays, en particulier dans le cadre du conflit armé. C'est pourquoi, soucieux de conjuguer sa volonté politique de rétablir la paix et sa détermination à garantir et protéger les droits de l'homme, le 19 août 1999, le Gouvernement colombien a présenté à la communauté nationale et internationale sa politique de promotion, de respect et de garantie des droits de l'homme et d'application du droit international humanitaire pour la période 1998-2002. Cette politique se fonde notamment sur les grandes lignes suivantes : intensification de la lutte contre l'impunité, un nouvel élan étant donné aux enquêtes sur les cas les plus exemplaires; protection des défenseurs des droits de l'homme et des représentants syndicaux; lutte contre les groupes d'autodéfense et contre les enlèvements; fourniture d'une aide plurisectorielle aux populations déplacées et renforcement des capacités de l'État, en particulier aux fins de la modernisation de la force publique.
Le rapport fournit des données illustrant l'évolution de la pratique de la torture. Ainsi, dans sa publication intitulée Noche y niebla (nuit et brouillard), l'organisation non gouvernementale CINEP fait état, pour l'année 2000, de 100 cas de torture (soit 420 victimes), ce qui représente une augmentation par rapport à l'année précédente. Il ressort des données que les groupes d'autodéfense sont les principaux auteurs d'actes de torture (65,2 % du total). Le nombre d'actes de torture perpétrés par les groupes d'autodéfense a augmenté de 231,7 % en 2000 par rapport à 1999. Les associations Convivir (Services de vigilance et de sécurité privée) et la guérilla pratiquent également la torture, mais beaucoup moins que les groupes d'autodéfense et les auteurs inconnus. Pour ce qui est des agents de l'État, de la force publique en particulier, le Gouvernement prend note avec inquiétude des données du service du Procureur général selon lesquelles 101 plaintes pour torture ont été reçues en 2000, chiffre comparable à la moyenne de 112 plaintes annuelles enregistrées entre 1997 et 1999, période au cours de laquelle 338 cas ont été présentés au total.

Le rapport détaille en outre les mesures législatives, administratives et autres visant notamment à lutter contre les groupes armés et les enlèvements, protéger les défenseurs des droits de l'homme et aider les personnes déplacées, pour renforcer l'administration de la justice et lutter contre l'impunité. Il détaille également le fonctionnement de la justice pénale militaire et les réformes dont elle a fait l'objet en 1999 tout comme le Code pénal et le Code de procédure pénale. Il est par ailleurs question des mesures de protection contre l'expulsion, le refoulement et l'extradition de personnes qui risquent d'être soumis à la torture, des mesures de sensibilisation, d'éducation et de formation à l'interdiction de la torture ainsi que des règles en matière d'interrogatoire. Enfin, le rapport présente les modalités d'examen des plaintes pour torture et la responsabilité civile de l'État pour violation des droits de l'homme.


Examen du rapport

M. FERNANDO MARINO MENÉNDEZ, Rapporteur du Comité pour le rapport de la Colombie, a déploré que ce rapport soit soumis avec cinq ans de retard, tout en reconnaissant la complexité de la situation en Colombie. Le conflit armé a déplacé le contexte habituel des droits de l'homme et l'application du droit international humanitaire est pertinente dans ce contexte, a-t-il reconnu. Néanmoins, dans la mesure où la torture est interdite dans quelque cas que ce soit, la Convention doit être respectée. Il a noté que le rapport ne couvre que les années 1999 à 2001. Or en 2002, M. Álvaro Uribe est arrivé au pouvoir et la politique de sécurité qu'il a mise en œuvre pose certains problèmes au regard de la Convention, a-t-il estimé. Le respect du principe d'interdiction de la torture avec toutes les garanties de prévention sont liées au principe de l'État de droit. Or la Cour constitutionnelle de la Colombie a déclaré que la loi sur les troubles internes et la loi de défense et de sécurité nationale ne sont pas constitutionnelles.


M. Marino s'est félicité que la Constitution de la Colombie est parfaitement conforme à l'article 1 de la Convention en termes de définition de la torture : il n'y a pas de différence entre le droit colombien et la Convention à cet égard. Pour ce qui est de l'article 2, qui oblige les États à se doter de toutes les mesures pour que la torture ne soit pas pratiquée, il a relevé certaines contradictions entre le rapport et d'autres informations telles que celles émanant du Bureau du Haut Commissaire aux droits de l'homme en Colombie et d'organisations non gouvernementales qui font état de tortures pratiquées par des agents de la force publique. Il a en particulier fait allusion à deux cas qui indiquent que la torture est pratiquée par des agents de la force publique. Il existe une dichotomie sinon une contradiction depuis l'introduction de la politique de sécurité publique, a-t-il relevé. L'article 2 fait obligation d'adopter des mesures de prévention et d'éradication de la torture. Or on peut se demander si certaines mesures récemment adoptées n'exposent pas la population à un risque supplémentaire. À cet égard, il s'est interrogé au sujet des milices paysannes et des réseaux d'informateurs civils et sur le contrôle que peut exercer l'État sur ces groupes. Ces personnes sont-elles considérées comme des agents de l'État, a-t-il demandé. Il a en outre demandé si la question de l'interdiction d'obéissance aux ordres illégitimes s'applique de la même façon aux forces militaires qu'aux forces de police. Il a également demandé si, dans le cadre des fonctions judiciaires qui ont été confiées à l'armée, l'habeas corpus sera respecté. Il s'est en outre interrogé sur la réforme en cours et les limites constitutionnelles qui ont été prévues dans le cadre de la proclamation de l'état d'urgence et d'exception. Au sujet du non-refoulement de personnes qui risquent d'être torturés, il a préconisé de revoir le décret qui ne prévoit le refoulement qu'en cas de peine de mort mais pas de risque de torture.

S'agissant de la question de la lutte contre l'impunité, le rapporteur a relevé que la loi exclut de la juridiction militaire pénale les délits de torture et de disparition forcée ainsi que le génocide. Rappelant que la justice militaire ne devrait pas connaître des délits liés aux violations des droits de l'homme en général, il s'est demandé comment l'action pénale était engagée. Il s'est inquiété en outre d'un projet de loi qui prévoit que des personnes condamnées pour de graves violations des droits de l'homme pourraient ne pas être condamnées et que des personnes démobilisées pourraient bénéficier d'une indulgence, voire d'une amnistie. Il a demandé des informations sur ces textes et posé la question de la tolérance vis-à-vis des actions perpétrées par des membres de groupes paramilitaires démobilisés responsables de massacres. Il a par ailleurs relayé la préoccupation qui existe à l'égard des défenseurs des droits de l'homme qui sont victimes d'attaques et demandé si des décisions au niveau judiciaire ou auprès du ministère public (fiscalía) ont été prises. Évoquant la détention préventive, il a demandé des statistiques et des informations plus précises sur la situation des détenus.

M. OLE VEDEL RASMUSSEN, corapporteur du Comité pour le rapport de la Colombie, a pour sa part déploré que le rapport ne mentionne pas la question de la formation du personnel médical qui peut être associé à la torture ou qui y est confronté. À cet égard, il a souligné l'importance de l'examen médical en cas d'allégations de mauvais traitements et a demandé si une formation spécifique existe ou est envisagée. Il a en outre rappelé que l'information et l'éducation sont indispensables s'agissant de la prévention et l'interdiction de la torture. Il s'est également interrogé sur les mesures prises pour la réhabilitation des victimes. Il a par ailleurs demandé quelles sont concrètement les dispositions qui sont appliquées s'agissant du traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées. Il a demandé des statistiques ventilées sur la population carcérale et des précisions sur les mécanismes de visite de centres de détention et de surveillance du système pénitentiaire. Il a aussi demandé à qui peut s'adresser une personne victime de mauvais traitement en prison et quel genre de service médical est à la disposition des détenus.

Rappelant la recommandation précédente du Comité demandant de rétablir le monopole de la force publique entre les mains de l'État et le démantèlement des groupes armés illégaux, M. Rasmussen s'est interrogé sur les progrès réalisés depuis 1995. Il a également demandé davantage de précisions sur les suites données aux plaintes pour torture et sur les mesures prises afin de lutter contre l'impunité. Il a estimé par ailleurs que la force militaire est la pire force que l'ont puisse utiliser au sein de la société civile et que ce sont les forces de police qui devraient s'occuper du contrôle de la société civile. À cet égard, il a demandé quelles mesures sont prises pour assurer le passage d'un contrôle militaire à un contrôle civil. M. Rasmussen a par ailleurs relevé que la Colombie n'a jamais fait de contribution au Fonds volontaire de contribution des Nations Unies pour les victimes de la torture alors que le Fonds finance des activités en Colombie. Il s'est interrogé sur les mesures prises afin de prévenir l'usage de la torture. Il a souligné que selon les informations provenant de plusieurs organisations non gouvernementales, la situation en Colombie se caractérise par un usage systématique de la torture.

D'autres membres du Comité ont notamment posé des questions sur le nombre de victimes de la torture depuis 2000 et sur les critères utilisés pour déterminer les auteurs d'actes de torture. Certains ont relayé la préoccupation exprimée par Amnesty International face à l'impunité et l'amnistie dont bénéficient des membres des forces armées ou de la police. Relevant que les crimes sexuels ne seraient pas considérés comme acte de torture, certains membres ont demandé si le Gouvernement a l'intention de punir les cas de viols et de violence sexuelle utilisés comme stratégie de lutte anti-guérilla.

Des informations précises et des données statistiques ont en outre été demandées sur la population carcérale et sur la prévalence des violences sexuelles en milieu carcéral. De même, des informations précises sur le nombre de plaintes et de condamnations et sur les peines prononcées ont été demandées. Enfin, en ce qui concerne les enfants soldats, un membre du Comité s'est félicité des informations sur le nouveau programme de réhabilitation et de réinsertion des ex-combattants mais a souhaité que des statistiques ventilées par sexe et région d'origine soient fournies sur les enfants déserteurs ainsi que des informations sur la prise en charge de ces enfants.

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