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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE ENTAME L'EXAMEN DU TROISIÈME RAPPORT PÉRIODIQUE DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE
13 mai 2002
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CAT
28ème session
13 mai 2002
Matin
Le Comité contre la torture a entamé, ce matin, l'examen du troisième rapport périodique de la Fédération de Russie sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Présentant le rapport, M. Yuri Kalinin, Vice-Ministre de la justice de la Fédération de Russie, a indiqué que la Douma (Parlement) examine actuellement un projet de loi visant à abolir la peine capitale, qui fait déjà l'objet d'un moratoire. Le Vice-Ministre a d'autre part reconnu qu'il existe au sein de l'armée un problème de non-respect des droits des soldats. S'agissant de la situation dans la République de Tchétchénie de la Fédération de Russie, la Fédération de Russie vérifie toutes les allégations de la violation des droits de l'homme et, si nécessaire, il est fait appel aux procédures prévues par la législation pénale, a indiqué M. Kalinin.
La délégation russe est également composée de représentants du Ministère des affaires étrangères, de la Douma, du Bureau du Procureur général et de la Mission permanente de la Fédération de Russie auprès des Nations Unies à Genève.
La rapporteuse du Comité chargée de l'examen du rapport de la Fédération de Russie, Mme Felice Gaer, a indiqué avoir reçu des informations selon lesquelles la moitié des détenus en Fédération de Russie seraient, selon leurs dires, battus à un moment ou un autre. Le conflit en Tchétchénie est «un cauchemar éveillé» pour les habitants de la région, a par ailleurs souligné Mme Gaer. Tortures et arrestations arbitraires sont pratiques courantes et les viols et violences sexuelles contre les personnes détenues semblent également très répandus. Des cas de disparitions forcées ou involontaires sont également dénoncés, dont l'ampleur varie d'une source à l'autre, a poursuivi Mme Gaer.
Le co-rapporteur du Comité chargé de l'examen du rapport russe, M. Ole Vedel Rasmussen, a déploré le manque de formation de la police et d'autres personnels compétents aux questions relatives aux droits de l'homme, en particulier s'agissant des droits des détenus. L'expert a par ailleurs souligné qu'il serait judicieux, afin de prévenir la torture, de s'efforcer de limiter à 72 heures au maximum la durée de la garde à vue. M. Rasmussen a par ailleurs fait état d'informations selon lesquelles la situation des enfants dans les orphelinats semble pouvoir être assimilée à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Il a également déploré les conditions de vie dans les hôpitaux psychiatriques.
Le Comité entendra demain après-midi, à 15 heures, les réponses de la délégation russe aux questions qui lui ont été posées ce matin.
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité présentera ses conclusions et recommandations sur le rapport de la Norvège.
Présentation du rapport de la Fédération de Russie
Présentant le rapport de son pays, M. YURI KALININ, Vice-Ministre de la justice de la Fédération de Russie, a rappelé qu'en 2001, un nouveau code a été adopté, qui entrera en vigueur le 1er juillet prochain et qui devrait permettre d'assurer l'indépendance des juges et les droits de citoyens, tout en luttant contre la criminalité. De nouvelles dispositions ont également été adoptées concernant la garde à vue et l'assignation à résidence, a par ailleurs souligné le Vice-Ministre. Il a par ailleurs rappelé que le Président Poutine a soumis au Parlement un projet de loi qui vise à améliorer le fonctionnement du système judiciaire dans le pays. La Douma examine actuellement un projet de loi visant à abolir la peine capitale, a par ailleurs indiqué M. Kalinin avant de rappeler que le pays observe déjà un moratoire sur la peine de mort.
Actuellement, le recours à la détention préventive reste exceptionnel, a souligné indiqué M. Kalinin. Il a également indiqué qu'un institut a été mis sur pied pour s'occuper des personnes ayant commis des délits mineurs. Le 30 novembre dernier, la Douma a amnistié 25 000 personnes – essentiellement des femmes et des mineurs, a par ailleurs rappelé le Vice-Ministre de la justice. Soulignant que les autorités s'efforcent d'œuvrer à l'humanisation de la législation pénale, il a précisé que le système d'application des peines a vu la mise en place d'un service particulier chargé de veiller au respect des droits de l'homme des prisonniers. Ce service dispose d'un mandat qui s'étend à tous les centres de détention du pays, a-t-il insisté.
Le Vice-Ministre a d'autre part reconnu qu'il existe au sein de l'armée un problème de non-respect des droits des soldats. Aussi, est-il prévu d'améliorer les mécanismes de protection des soldats au sein de l'armée.
Étant donné la situation politique qui existe dans la République de Tchétchénie, des mesures ont été prises pour y assurer le respect des droits de l'homme. La Fédération de Russie vérifie toutes les allégations de violation des droits de l'homme et, si nécessaire, il est fait appel aux procédures prévues par la législation pénale. Un organe a d'ailleurs été créé pour veiller au respect des lois dans cette République et les bureaux du Procureur général s'efforcent de veiller au respect des droits de l'homme. Il existe 12 tribunaux en République de Tchétchénie et 29 juges ayant des pouvoirs étendus, qui examinent les affaires civiles et pénales. Toutefois, les questions très graves sont transmises à la Cour suprême de la République de Tchétchénie, a indiqué le Vice-Ministre.
Le troisième rapport périodique de la Fédération de Russie (CAT/C/34/Add.15) rappelle que la Constitution du pays stipule, en son article 21, que nul ne doit être soumis à la torture, à la violence ni à d'autres traitements ou châtiments cruels ou dégradants. Le rapport ajoute qu'en vertu de l'article 15 de la Constitution, les principes universellement reconnus et les dispositions du droit international et des traités internationaux par lesquels la Fédération de Russie est liée font partie intégrante de son système juridique. Étant constitutionnels, ils s'appliquent directement dans l'ensemble de la Fédération. En outre, le Code pénal de la Fédération de Russie comprend plusieurs articles en vertu desquels tout acte illégal de violence physique ou psychologique à l'encontre d'êtres humains engage la responsabilité pénale de celui qui le commet. Le droit pénal russe ne définit pas à proprement parler la notion de «torture», bien que le terme «torture» y apparaisse à plusieurs reprises. Aussi, les responsables de l'application de la loi s'appuient-ils sur la définition de la torture qui figure dans la Convention. Il convient de noter que le Code pénal prévoit la responsabilité pénale non seulement dans le cas où un agent de l'État fait usage de la torture pour contraindre une personne à faire une déposition, mais aussi en cas de torture dans le cadre de la famille. Le Code pénal comprend un certain nombre d'autres dispositions visant à étendre la portée de la Convention, concernant par exemple l'incitation au suicide par des mauvais traitements ou une dégradation systématique, les graves atteintes à la santé infligées avec une cruauté particulière - au moyen de brutalité ou de sévices -, les voies de fait, l'enlèvement, la privation illégale de liberté, l'internement illégal en établissement psychiatrique, la prise d'otage, l'abus de pouvoir ou d'autorité, la violation (en usant de l'humiliation, de la dégradation ou de la violence) du règlement des forces armées sur les relations entre militaires de même rang.
Rappelant que dans une de ses décisions, le Comité contre la torture s'est inquiété de ce que divers décrets présidentiels autorisant la détention de suspects pour une durée allant jusqu'à 30 jours ne créent des conditions propres à favoriser la violation des droits des détenus, le rapport souligne que ce problème est désormais résolu. En effet, un décret présidentiel de juin 1997 a annulé un décret de 1994 sur les mesures d'urgence contre le banditisme et d'autres manifestations du crime organisé, ainsi qu'un article d'un autre décret sur les mesures d'urgence à Moscou.
Le rapport indique par ailleurs que la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants est entrée en vigueur pour la Russie le 1er septembre 1998. Au cours de la période 1998-2000, précise le rapport, les services de sécurité des départements du Ministère de l'intérieur ont reçu 78 219 plaintes et communications de particuliers dénonçant les agissements de fonctionnaires de ces départements. Ces communications ont donné lieu à 44 839 enquêtes internes à l'issue desquelles 17 193 fonctionnaires ont été appelés à rendre des comptes. Parmi ceux-ci, 4 598 ont été révoqués et 1 134 autres rétrogradés. Au total, 10 374 dossiers ont été soumis au Bureau du Procureur et des poursuites pénales ont été engagées dans 5 093 cas.
Après avoir rappelé que dans l'une de ses décisions, le Comité contre la torture a noté avec préoccupation que les recrues des forces armées russes étaient victimes de brutalités de la part des militaires, le rapport admet que les infractions au règlement sur les relations personnelles et les violences physiques à l'encontre de subordonnés continuent malheureusement d'être un grave problème au sein des forces armées et d'autres formations militaires russes. Plus de 400 officiers sont actuellement poursuivis pour violence physique à l'encontre de subordonnés, précise plus loin le rapport. Le rapport ajoute que le Comité contre la torture a fait part de ses préoccupations au sujet de communications signalant de nombreuses violations des droits de l'homme dans la République tchétchène de la Fédération de Russie et l'incapacité des autorités à faire cesser ces violations. À cet égard, le Bureau du Procureur général a accompli des efforts considérables pour restaurer la légalité constitutionnelle sur le territoire de la République tchétchène, par exemple en rétablissant les organes du ministère public.
Cette année a par ailleurs vu l'établissement d'un Bureau du Procureur au niveau de la République de Tchétchénie et dans 13 villes ou districts. Il y a lieu de noter que les organismes chargés de l'application de la loi en Tchétchénie recrutent activement du personnel local. Ainsi, plus de 40% du personnel de ces bureaux sont des citoyens de nationalité tchétchène. Les contrôles effectués par le Bureau du Procureur général ont révélé qu'au premier semestre de l'année 2000, 16 délits (6 meurtres, 4 homicides par négligence, 1 viol et 2 affaires de vol) avaient été perpétrés contre des civils sur le territoire tchétchène; quatre affaires pénales ont déjà été portées devant les tribunaux. «Depuis le début de l'opération de lutte contre le terrorisme», poursuit le rapport, les services du Bureau du Procureur militaire ont traité 729 affaires pénales intentées contre des militaires et des affaires relatives à la mort de militaires tombés aux mains de bandes criminelles armées. Dans 139 affaires, l'enquête préliminaire a été achevée et la question portée devant les tribunaux pour qu'ils l'examinent quant au fond. Dans 25 affaires, des poursuites pénales ont été engagées contre des militaires pour des délits commis contre des membres de la population locale. Le rapport indique par ailleurs que le Représentant spécial du Président pour les droits de l'homme et ses collaborateurs reçoivent des communications et des déclarations de citoyens tchétchènes désireux de faire respecter leurs droits et libertés. Au total, 5 689 demandes avaient été déposées au 1er juillet 2000.
Examen du rapport de la Fédération de Russie
La rapporteuse du Comité chargée de l'examen du rapport de la Fédération de Russie, MME FELICE GAER, a déclaré qu'il est difficile, à la lecture du rapport russe, de conclure que la torture dans ce pays a été pénalisée conformément aux dispositions de la Convention contre la torture. En effet, plusieurs articles du Code pénal parlent de préjudices matériels et corporels ou de sévices, par exemple, sans définir la torture à proprement parler.
Tout en se réjouissant des efforts déployés par les autorités afin de réduire la population carcérale, Mme Gaer a relevé qu'il semble que de nombreux individus soient arrêtés de façon discutable dans des centres de détention provisoire, sans être condamnés par la suite.
Mme Gaer a indiqué avoir reçu «des rapports stupéfiants faisant apparaître que la moitié des détenus en Fédération de Russie seraient, selon leurs dires, battus à un moment ou un autre». Les détenus se plaignent très souvent de mauvais traitements durant la période de détention avant procès, a-t-elle insisté. L'experte s'est notamment enquise des modalités de surveillance de la violence – notamment sexuelle – contre les femmes détenues. Comment, d'une manière générale, est surveillée la violence contre les femmes au sein de la société russe, a demandé Mme Gaer?
Mme Gaer s'est inquiétée des modalités d'application de la législation relative à la garde à vue, notamment eu égard à certains cas pour lesquels la garde à vue semble s'être prolongée durant des périodes très longues.
«Le conflit en Tchétchénie est un cauchemar éveillé pour les habitants de cette région», a souligné Mme Gaer. Tortures et arrestations arbitraires sont pratiques courantes et les viols et violences sexuelles contre les personnes détenues semblent également très répandus. Des cas de disparitions forcées ou involontaires sont également rapportés, dont l'ampleur varie d'une source à l'autre, a poursuivi Mme Gaer. Selon les chiffres transmis à la Haut-Commissaire aux droits de l'homme par le Gouvernement russe lui-même, plus de cent personnes auraient ainsi disparues de manière inexpliquée. Mme Gaer a en outre souhaité savoir s'il est vrai, comme l'affirment certaines organisations non gouvernementales qu'il existe des instructions secrètes permettant d'avoir recours, en République de Tchétchénie, à des interrogatoires sous la contrainte – euphémisme derrière lequel pourrait en fait se cacher la pratique de la torture.
Le co-rapporteur du Comité chargé de l'examen du rapport russe, M. OLE VEDEL RASMUSSEN, a déploré le manque de formation de la police et d'autres personnels compétents aux questions relatives aux droits de l'homme, en particulier s'agissant des droits des détenus. La situation en République de Tchétchénie est grave, comme l'a dit Mme Gaer, et il est important dans ce contexte que le personnel de l'armée, y compris le personnel médical de l'armée, soit dûment formé, a-t-il souligné.
L'expert s'est enquis des résultats des enquêtes menées autour de la découverte de certaines fosses communes en République de Tchétchénie. Les responsables ont-ils été découverts et poursuivis? Si les corps ont pu être identifiés, y a-t-il eu indemnisations?
M. Rasmussen a par ailleurs souligné qu'il serait judicieux, afin de prévenir la torture, de s'efforcer de limiter au strict minimum, c'est-à-dire à un maximum de 72 heures, la durée de la garde à vue.
Selon certaines informations disponibles, la situation des enfants dans les orphelinats semble pouvoir être décrite comme équivalant à un traitement cruel, inhumain ou dégradant, a par ailleurs relevé M. Rasmussen.
L'expert a déploré les conditions de vie qui prévalent dans les prisons où l'incidence de la tuberculose est préoccupante. Il s'est également inquiété que certains mineurs soient détenus avec des adultes. M. Rasmussen a par ailleurs déploré les conditions de vie épouvantables qui semblent prévaloir dans les hôpitaux psychiatriques et a dénoncé les hospitalisations forcées qui semblent être imposées dans ce type d'établissement.
En fin de séance, le Président du Comité, M. Peter Thomas Burns, a pris note des changements positifs intervenus en Fédération de Russie s'agissant, en particulier, de la suspension de la peine capitale, du rattachement des prisons au Ministère de la justice et de l'introduction de l'aide judiciaire. Cet ensemble de mesures atteste de la volonté du Gouvernement d'appliquer les normes que le Comité considère comme appropriées, a déclaré M. Burns. Il s'est toutefois inquiété d'une habitude d'impunité qui semble prévaloir dans le pays, surtout en ce qui concerne les agissements de militaires qui se sont rendus coupables de crimes très graves. Le Président du Comité a également souhaité savoir si l'amnistie évoquée par la délégation russe a concerné des personnes accusées voire condamnées pour des actes de torture.
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