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Communiqués de presse Organes conventionnels

LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE: RÉPONSES DE L'ALGÉRIE AUX QUESTIONS DES EXPERTS

05 Mai 2008

Comité contre la torture
APRËS-MIDI
5 mai 2008

Le Comité contre la torture a entendu, cet après-midi, les réponses apportées par la délégation de l'Algérie aux questions que lui avaient adressées vendredi plusieurs membres du Comité s'agissant des mesures prises par le pays pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

M. Idriss Jazaïry, Représentant permanent de l'Algérie auprès des Nations Unies à Genève, a d'emblée déclaré que certaines questions posées par le Comité dépassaient, selon sa délégation, le mandat du Comité et constituaient une sorte de «mini examen périodique universel». Rappelant que certaines réponses avaient déjà été apportées par l'Algérie lors de l'examen de son précédent rapport, il a insisté sur le fait que l'état d'urgence en Algérie correspondait à la poursuite de l'état de droit dans des circonstances exceptionnelles. Il a fait remarquer que l'institution de l'état d'urgence n'a pas conduit à la suspension de la Constitution et que les restrictions ont été graduellement levées. Répondant à des questions sur la lutte contre le terrorisme, M. Jazaïry a insisté sur le fait que chaque pays définit le terrorisme à sa façon. Le même principe vaut pour la garde à vue qui varie d'un pays à l'autre, a souligné le représentant de l'Algérie.

Les membres du Comité, tout en exprimant leur appréciation pour les réponses détaillées fournies par la délégation, ont noté que certaines questions étaient restées sans réponses comme la demande de pouvoir disposer de la liste des personnes disparues. À cela, le représentant de l'Algérie a répondu que la liste des personnes disparues ne pouvait être publiée car il s'agissait de cas individuels et privés et que sa publication pourrait donner lieu à contestation.


Le Comité adoptera des observations finales sur le rapport de l'Algérie en séance privée avant de les rendre publiques à l'issue de la session, le vendredi 16 mai. Demain matin, à 10 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de l'Indonésie (CAT/C/72/Add.1).



Réponses de la délégation de l'Algérie

M. IDRISS JAZAÏRY, Représentant permanent de l'Algérie auprès des Nations Unies à Genève, s'est dit étonné des questions posées vendredi par les membres du Comité qui, selon sa délégation, dépassaient les compétences du Comité et constituaient une sorte de «mini examen périodique universel». Rappelant que certaines réponses avaient déjà été apportées par l'Algérie lors de l'examen de son précédent rapport, il a insisté sur le fait que la question de l'état d'urgence en Algérie est la poursuite de l'état de droit dans des circonstances exceptionnelles. Il a fait remarquer que l'institution de l'état d'urgence n'a pas conduit à la suspension de la Constitution et que les restrictions prises ont été graduellement levées, la seule demeurant à ce jour étant l'option de réquisition des unités de l'armée populaire nationale à laquelle le Ministre peut avoir recours selon la situation sur le terrain.

Tout en faisant état d'un retour progressif à la normalité, M. Jazaïri a indiqué que la menace terroriste reste diffuse, sporadique et présente et que tant qu'elle persiste, l'état d'urgence devra être maintenu. L'ambassadeur a précisé que cette mesure représente la volonté majoritaire des citoyens algériens.

M. Jazaïry a par ailleurs souligné que la Charte pour la paix et la réconciliation nationale est aujourd'hui la propriété exclusive et inaliénable du peuple algérien. Il a fait remarquer que la Charte ne contenait pas le terme d'amnistie. L'article 45 de cette Charte doit être comprise comme le droit de faire respecter la volonté exprimée massivement par le peuple algérien de faire prévaloir la démarche de paix et de réconciliation nationale prévue par la Charte, a-t-il souligné.

La question des disparitions est une des conséquences de la tragédie nationale, a-t-il dit, rappelant que le 3 octobre 2005, le chef de l'État avait présenté l'expression de la compassion de la Nation aux familles des victimes. Il s'est étonné que les terroristes et ceux qui ont cherché à protéger la nation au péril de leur vie soient renvoyés dos à dos. Dans le cas de l'Algérie, la puissance publique a recouru à la force pour s'opposer à des criminels armés voulant prendre la Nation en otage, a-t-il rappelé, et on ne peut comparer cette situation à celle de pays ayant eu recours à la force pour réprimer et opprimer l'opposition.

M. Jazaïry a par ailleurs fait remarquer que chaque pays définit le terrorisme à sa façon. L'Algérie, a-t-il ajouté, plaide pour une convention contre le terrorisme qui établirait la distinction entre le droit des peuples à lutter contre l'occupation coloniale ou étrangère et le fléau de la criminalité transnationale.

Un membre de la délégation a ensuite assuré le Comité que des aveux qui auraient été obtenus par la force n'ont pas valeur de preuve; les procès-verbaux établis ne constituent pas une preuve, mais seulement une information a-t-il précisé.

S'agissant du droit des personnes placées en garde à vue, la délégation a affirmé que celles-ci ont le droit de communiquer avec leur famille, d'être examinées par un médecin de leur choix et d'être informées de tous leurs droits par l'autorité judiciaire. S'agissant des questions sur le droit à la présence d'un avocat, la délégation a indiqué qu'une réflexion est en cours à ce sujet.

La délégation a confirmé que l'Algérie pratique un moratoire sur la peine de mort depuis 1993 et qu'aucune peine de mort n'a été exécutée depuis cette date. Les nouvelles législations qui sont adoptées depuis quelques années ne prévoient d'ailleurs plus la peine de mort, a précisé le chef de la délégation.

La délégation s'est encore exprimée sur les domaines d'attribution de la justice militaire, précisant que celle-ci ne juge que les délits ayant trait à des délits militaires, sauf en ce qui concerne des actes portant atteinte à la sûreté de l'État. Le tribunal militaire est dirigé par un civil, a-t-il été précisé, et les décisions du tribunal militaire peuvent faire l'objet d'un recours devant la Cour suprême.

Évoquant une affaire qui avait fait l'objet d'une communication devant le Comité, la délégation algérienne a affirmé qu'un médecin légiste avait été mandaté pour effectuer une autopsie ayant conclu à une mort découlant d'un suicide par pendaison.

S'agissant des relations entre la justice civile et militaire, un membre de la délégation algérienne a assuré que le tribunal militaire est un tribunal permanent, régulièrement constitué, dont les audiences sont publiques et dont le président est un magistrat civil.

La délégation a indiqué que les prérogatives des officiers de police judiciaire ont été étendues à l'ensemble du territoire national dans le cadre de la lutte antiterroriste. En 2001, le code de procédure pénale a introduit un système de notation et d'évaluation des officiers par le Procureur général, évaluations basées en outre sur le critère de respect de la procédure. Il a par ailleurs été indiqué que le Ministre de la justice intervient dans les activités d'encadrement et de promotion de la police judiciaire, notamment au travers de la diffusion de circulaires portant sur le respect des droits de l'homme. La délégation a cité, à cet égard quatre affaires ayant impliqué des défauts de respect de la procédure par des officiers et qui ont été jugées. Elle a également signalé des réunions très régulières entre le procureur de la République et les officiers de police judiciaire concernant le respect de la procédure. La délégation a encore indiqué que la législation impose au procureur de la République des visites inopinées des lieux de garde à vue. En 2006, 5399 visites ont été pratiquées, et 8005 en 2007.

En réponse à la question de savoir pourquoi les agents de l'ordre public ne sont pas mentionnés dans les dispositions du code pénal relatives à la torture, la délégation a insisté sur le fait que les fonctionnaires, de manière générale, sont bien inclus dans le règlement interdisant la torture.

La délégation, relevant la difficulté de définir le terrorisme, a noté que le législateur a défini le phénomène au travers de ses manifestations. L'article de loi sur la question ne prévoit toutefois pas de sanction pénale, mais il est toujours appliqué en combinaison avec d'autres articles qui incriminent l'acte commis.

À la question de savoir pourquoi l'âge pénal légal avait été réduit à 16 ans, la délégation a précisé que cette mesure ne s'appliquait que pour les actes terroristes et que les suspects bénéficient dans tous les cas du régime spécial propre aux mineurs.

S'agissant des préoccupations du Comité concernant les châtiments corporels aux enfants, la délégation algérienne a assuré que ceux-ci sont strictement interdits par la loi, en milieu scolaire et domestique. Un numéro vert a été mis en service il y a quelques jours pour dénoncer les actes de violence à l'encontre des enfants, a ajouté la délégation.

Au sujet de la violence contre les femmes, la délégation a communiqué des informations sur les femmes victimes de la décennie 1990, mentionnant, notamment, la création de lieux de réhabilitation et l'apport d'un soutien psychologique et financier. La délégation a précisé que les droits des femmes font partie de la formation des magistrats. La stratégie nationale de lutte contre la violence contre les femmes couvre la période 2007 à 2011 et intègre notamment la conduite d'une enquête générale de prévalence, la création d'une commission de lutte contre la violence contre les femmes, la création de centres nationaux d'accueil et de cellules d'écoute.

La délégation a également apporté des chiffres relatifs aux indemnisations des victimes de la décennie noire, précisant que 5730 personnes ont reçu des indemnisations pour les dommages subis.

La délégation algérienne a par ailleurs souligné que les membres des services de sécurité et des forces de l'ordre reçoivent une formation en matière de droits de l'homme.

S'exprimant sur la nomination des juges, le chef de délégation a souhaité rectifier un malentendu, indiquant que, pendant les dix premières années de leur fonction, les juges peuvent être assignés à des postes dans l'ensemble du pays, mais qu'au terme de ces dix ans, ils ont la possibilité d'être nommés et de rester à un poste fixe. Ce délai de 10 ans ne concerne donc pas la question de l'inamovibilité des magistrats.

Le chef de la délégation a indiqué que l'Algérie ne voyait pas d'inconvénient à la visite du Rapporteur contre la torture, mais souhaitait que cette visite soit justifiée par un mandat précis et attendait des précisions à cet égard. De même, s'agissant de la procédure spéciale sur la liberté d'expression et d'opinion, l'Algérie a indiqué qu'elle attendait une demande de visite de la part du nouveau Rapporteur spécial.

Complément d'examen

Questions supplémentaires des membres du Comité

M. CLAUDIO GROSSMAN, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l'Algérie, a rappelé que, dans l'examen des rapports des États, le Comité se base sur un certain nombre de normes qui sont applicables à tous.

Rappelant qu'aucune situation ne peut être invoquée pour justifier la torture et que tout acte de torture doit faire l'objet de poursuites, M. Grossman a relevé que l'article 45 de l'ordonnance de mise en œuvre de la Charte pour la paix et pour la réconciliation semble dire le contraire, car du point de vue du droit, cet article semble permettre une amnistie pour les agents de l'État, a-t-il ajouté.

Pour ce qui est de la liberté d'expression, le rapporteur a noté que la législation semble limiter la possibilité pour celui qui aurait subi la disparition d'un proche de s'enquérir auprès des autorités et de demander une enquête à ce sujet.

Dans quelle mesure la situation qui prévaut en Algérie aujourd'hui justifie-t-elle l'application de l'état d'urgence, a d'autre part demandé le rapporteur, suggérant que celui-ci pourrait être levé.

Se référant au chiffre avancé par l'Algérie de 5730 personnes qui auraient obtenu réparation, M. Grossman a souhaité savoir si les noms des personnes disparues peuvent être connus et s'est intéressé à savoir quels sont les critères pour l'obtention d'une réparation.

MME ESSADIA BELMIR, corapporteuse, assurant que les questions posées par les membres du Comité étaient uniquement motivées par la volonté de dialogue, s'est référée aux disparitions de personnes et a insisté sur le fait que l'État partie, s'il a le choix des modalités pour ce faire, se doit de trouver une issue acceptable au problème. Elle a considéré, à cet égard, que l'attestation de mort présumée délivrée par un tribunal sans qu'une enquête ne soit aboutie, n'est pas satisfaisante du point de vue du droit et de celui des familles de disparus.

Une experte a considéré que les déclarations de la délégation ne cadrent pas avec les informations reçues. S'agissant, notamment, de la violence contre les femmes, l'experte s'est référée aux affirmations de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes faisant état d'une impunité généralisée. Elle a demandé s'il y a eu une enquête pour établir qui est responsable d'actes tels que ceux qui se sont produits à Hassi Messaoud.

Une autre experte a relevé que la délégation algérienne a admis qu'il y avait des dispositions prévoyant d'empêcher des poursuites, en vue de garantir la paix et la sécurité, estimant que de telles mesures sont contraires à la Convention.

Une question supplémentaire a porté sur l'existence de prisons secrètes dont l'Algérie affirme qu'elles n'existent plus. L'expert s'est référé à des allégations faisant état de l'existence de «baraques» où seraient menés des interrogatoires et a demandé aux représentants algériens de confirmer que de tels lieux n'existaient pas dans le pays.

Dans le cas de la personne décédé en garde à vue qui se serait suicidé par pendaison, l'expert a demandé pourquoi la famille n'a pas eu accès au rapport du médecin légiste.

Une dernière question a porté sur le droit à un avocat des personnes placées en garde à vue, l'expert exprimant la conviction que ce serait un facteur supplémentaire de protection contre tout traitement inhumain.

Réponses complémentaires de la délégation algérienne

M. Jazaïry a exprimé le sentiment que le Comité a mis dans la bouche de la délégation des expressions qui ne sont pas les siennes. Il a affirmé que la délégation algérienne n'estime pas que les questions du Comité dépassent son mandat, mais que ces questions portent sur un spectre très large. Il a, par ailleurs, affirmé que l'Algérie ne remet pas en question le fait que la torture ne soit injustifiable, quelles que soient les circonstances. S'agissant des questions du Comité portant sur l'amnistie, le représentant a expliqué que les membres des forces de l'ordre ne peuvent être poursuivis pour des actes commis dans l'exercice d'opérations militaires, sauf s'ils commettent un acte à titre personnel, comme un viol, par exemple. Tout en reconnaissant que les trois conditions limitant les poursuites sont larges et peuvent être sujettes à interprétation, il a estimé que l'intention du législateur est claire.

S'agissant des bénéficiaires des indemnisations, un membre de la délégation a déclaré que rien n'empêche les familles de porter la disparition d'un proche devant la justice pénale.
S'agissant des allégations de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, il a ajouté que l'Algérie a demandé à la Rapporteuse de fournir les noms se référant aux situations dans lesquelles des auteurs de viol auraient été amnistiés en vertu de la Charte pour la paix et pour la réconciliation et n'aurait pas reçu de réponses.

Un autre membre de la délégation a relevé que la Charte pour la paix et pour la réconciliation a été introduite en 2006, ce qui n'a pas empêché les autorités, depuis, de lancer des poursuites à l'encontre d'agents de la force publique.

M. Jazaïry a finalement relevé que l'Algérie ne pouvait pas publier la liste des personnes disparues car il s'agissait de cas individuels et privés et que sa publication pourrait donner lieu à des protestations comme cela a été le cas lors de la publication de la liste des contribuables italiens, indiquant leurs revenus.

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