Skip to main content

Communiqués de presse Organes conventionnels

LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE ENTAME L'EXAMEN DU RAPPORT DE LA TURQUIE

02 Mai 2003



CAT
30ème session
2 mai 2003
Matin





Le Comité contre la torture a entamé, ce matin, l'examen du deuxième rapport périodique de la Turquie sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Présentant le rapport de son pays, M. Turkekul Kurttekin, Représentant permanent de la Turquie auprès des Nations Unies à Genève, a assuré que son pays continuerait de prendre des mesures efficaces afin de prévenir et d'éliminer la torture. Le Parlement a adopté, en 2001, une série d'amendements constitutionnels contenant de nouvelles dispositions relatives, entre autres, à la prévention de la torture. Ainsi, une personne arrêtée ou détenue doit désormais être présentée devant un juge sous 48 heures et, dans certains cas, dans un délai de quatre jours. En outre, les informations recueillies dans des circonstances non conformes à la loi ne peuvent être retenues comme éléments de preuve, a poursuivi M. Kurttekin. Il a par ailleurs rappelé que l'État d'urgence a été totalement levé en Turquie le 30 novembre 2002.
La délégation turque est également composée de représentants du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de la justice et du Ministère de l'intérieur.
M. Fernando Mariño Menéndez, rapporteur du Comité chargé de l'examen du rapport de la Turquie, s'est réjoui de la levée totale de l'état d'urgence qui était en vigueur dans certaines régions du pays depuis 1978. Il a néanmoins fait état d'informations selon lesquelles les défenseurs de droits de l'homme seraient harcelés en Turquie. Il s'est également inquiété de la protection juridique des enfants et a souligné qu'il y a eu dans le pays des plaintes constantes faisant état du recours délibéré à la destruction de logements et aux déplacements forcés à l'encontre de la population kurde. Il a aussi cité des allégations de violences sexuelles contre des femmes en détention.
M. Ole Vedel Rasmussen, co-rapporteur du Comité pour l'examen du rapport turc,
a souligné que la Turquie progresse à une rapidité indéniable et il est donc essentiel que toutes les autorités publiques soient dûment informées des changements dont a notamment fait état la délégation dans sa présentations. Il a également fait part de ses préoccupations s'agissant des conditions de détention dans le pays.
Les sauvegardes juridiques contre la torture sont désormais en place dans le pays et un grand changement est en train d'intervenir en Turquie en ce qui concerne l'engagement du pays vis-à-vis des normes internationales dans le domaine des droits de l'homme, ont constaté d'autres membres du Comité.
Le Comité entendra lundi après-midi, à 15h30, les réponses de la délégation turque aux questions soulevées ce matin par les experts. Cet après-midi, à 15 heures, il entendra la délégation de l'Islande, qui répondra aux questions que lui ont adressées les experts hier matin.

Présentation du rapport de la Turquie
Présentant le rapport de son pays, M. TURKEKUL KURTTEKIN, Représentant permanent de la Turquie auprès des Nations Unies à Genève, a déclaré que son pays reste profondément engagé en faveur de la promotion et de la protection des droits de l'homme. Soulignant que la torture constitue une très grave violation des droits de l'homme et une atteinte inadmissible à la dignité humaine, il a assuré que son pays continuerait de prendre des mesures efficaces afin de prévenir et d'éliminer une telle pratique. Le pays a déjà, à cet effet, amendé sa Constitution et ses lois et a pris d'importantes mesures portant notamment sur la formation dans le domaine des droits de l'homme. En octobre 2001, le Parlement a adopté une série d'amendements constitutionnels contenant de nouvelles dispositions relatives, entre autres, à la prévention de la torture.
Ainsi, a précisé le représentant turc, un amendement a-t-il été apporté au paragraphe 5 de l'article 19 de la Constitution, qui stipule qu'une personne arrêtée ou détenue doit être présentée devant un juge sous 48 heures et, dans certains cas (lorsque le délit a été commis collectivement), dans un délai de quatre jours. Un autre amendement adopté élimine les restrictions qui pesaient jusqu'ici sur la procédure de notification d'une arrestation aux proches de la personne arrêtée ou détenue; désormais, une telle notification leur est faite sans retard. L'article 19 de la Constitution a également été amendé afin d'assurer que les dommages subis par une personne ayant été soumise à un traitement incompatible avec les dispositions de cet article font l'objet d'une indemnisation. En vertu d'un autre amendement apporté à la Constitution, les faits constatés dans des circonstances non conformes à la loi ne peuvent être retenus comme éléments de preuve, a poursuivi M. Kurttekin. Un autre amendement apporté à la Constitution prévoit que les étrangers résidant en Turquie ont droit de s'adresser aux autorités compétentes pour présenter une plainte les concernant personnellement.
M. Kurttekin a par ailleurs rappelé que l'État d'urgence a été totalement levé en Turquie le 30 novembre 2002, de sorte que le pays a pu retirer la réserve qu'il maintenait à l'égard de l'article 5 de la Convention européenne sur les droits et libertés fondamentaux. Le 5 février 2003, certains articles du Code pénal ont été amendés et une nouvelle loi a été adoptée qui prévoit une sanction pour ceux qui empêchent les détenus de bénéficier de leurs droits.
Le Représentant permanent de la Turquie a par ailleurs indiqué qu'en octobre 2002, la Cour de cassation, fournissant ainsi une nouvelle jurisprudence quant à l'interprétation de la torture et des mauvais traitements, a elle-même souligné que la torture est un crime contre l'humanité et a rappelé que la torture, comme tout acte inhumain ou dégradant, sont interdits en vertu des instruments internationaux et de la législation interne turque. La modernisation des centres de détention turcs se poursuit conformément aux normes figurant dans le Règlement sur l'arrestation, la détention et l'interrogatoire - normes qui répondent aux critères internationaux en la matière, a par ailleurs indiqué M. Kurttekin. Il s'est dit convaincu du rôle capital que joue la formation dans le domaine des droits de l'homme dans le cadre des efforts qu'il convient de déployer pour prévenir la torture. À cet égard, il a notamment indiqué que le profil des personnes qui se suicident dans les centres de détention est étudié par les personnels concernés. M. Kurttekin a par ailleurs souligné que 18 nouvelles prisons modernes ont été inaugurées dans le pays.
Le deuxième rapport périodique de la Turquie (CAT/C/20/Add.8), qui couvre la période allant d'avril 1990 à août 2001, souligne que les instruments internationaux approuvés par le Parlement turc au moyen d'une loi de ratification sont directement incorporés au droit interne - ce qui est le cas de la Convention contre la torture. La Constitution actuelle, adoptée par référendum en 1982, stipule que nul ne sera soumis à la torture ou à des mauvais traitements et que nul ne sera soumis à une peine ou à un traitement incompatible avec la dignité humaine. Le rapport précise que les tribunaux de sûreté de l'État sont des tribunaux de première instance spécialisés chargés d'examiner les atteintes à l'intégrité de l'État, à l'ordre démocratique ou à la République. L'autorité compétente pour examiner les recours formés contre les décisions des tribunaux de sûreté de l'État est la Haute Cour d'appel. En 1999, la Constitution a été modifiée en vue de retirer les juges militaires des tribunaux de sûreté de l'État, de sorte que désormais, tous les membres de ces tribunaux sont désignés parmi les juges civils. Le rapport souligne aussi que le Code pénal prévoit et réprime les atteintes à l'intégrité et à la sécurité physiques et psychiques. Le Code de procédure pénale qui interdit les méthodes d'interrogatoire invalidant le consentement de la personne telles que la torture, les mauvais traitements, l'usage de la force ou de la violence ou le fait d'administrer des médicaments de force. Cet article interdit également de recueillir des déclarations par des promesses illégales. La dernière partie de cet article dispose que les déclarations obtenues par ces méthodes interdites ne peuvent pas être considérées comme des éléments de preuve, même avec le consentement de l'intéressé.
La durée maximale de la garde à vue a été fixée à 24 heures pour les délits de droit commun commis par une personne et, pour les mêmes délits commis en réunion (par trois personnes ou plus), elle a été ramenée de 15 jours à quatre jours. La garde à vue peut être prolongée jusqu'à quatre jours, avec l'autorisation écrite du Procureur. Elle peut être portée à huit jours dans des circonstances exceptionnelles, à la demande du Procureur et avec l'autorisation du juge. Le détenu doit être présenté au juge dans les quatre jours au plus tard. La durée de garde à vue des personnes arrêtées pour des délits individuels ou collectifs relevant des tribunaux de sûreté de l'État a été considérablement réduite. En outre, en vertu du Code de procédure pénale tel que modifié, lorsque le Procureur demande que la détention soit prolongée, le suspect, son défenseur ou son représentant légal, son conjoint ou ses parents au premier ou deuxième degré peuvent demander au juge sa libération immédiate. Le juge doit agir dans les 24 heures suivant la demande. Dès qu'il a connaissance de la commission d'un crime ou délit, le procureur est tenu de procéder aux investigations nécessaires pour déterminer s'il convient d'engager des poursuites. S'il reçoit des informations portant sur des actes de torture ou des mauvais traitements, il doit ouvrir une enquête d'office, qu'une plainte ait été déposée ou non. Entre 1994 et 2000, 6 416 procès pénaux ont été ouverts contre des membres des forces de sécurité accusés de violations des articles 243 (torture) et 245 (mauvais traitements) du Code pénal.
Le rapport indique que les autorités turques sont convaincues qu'il sera possible de remédier aux problèmes isolés qui découlent généralement de pratiques d'agents de l'État en exercice dans les zones critiques, en intensifiant la formation du personnel en matière de droits de l'homme à tous les niveaux.

Examen du rapport turc
M. Fernando Mariño Menéndez, rapporteur du Comité chargé de l'examen du rapport de la Turquie, a relevé qu'un long délai s'est écoulé entre l'examen du rapport initial du pays, en 1990, et l'examen du présent rapport qui regroupe les deuxième, troisième et quatrième rapports périodiques de la Turquie. Durant ces treize années, le monde a subi d'importants bouleversements et l'État turc a lui aussi connu d'importants changements, dont le moindre n'est pas son intégration dans le Conseil de l'Europe. En 1998, la Turquie a reconnu la compétence du Comité au titre des articles 21 et 22 de la Convention contre la torture, a rappelé M. Mariño Menéndez. Aujourd'hui, il n'est pas facile d'évaluer les treize années qui se sont écoulées depuis l'examen du rapport initial, d'autant plus que ces derniers jours, la délégation turque a présenté de nombreuses informations supplémentaires portant sur les changements législatifs intervenus depuis l'automne 2001.
M. Mariño Menéndez s'est toutefois réjoui de la levée totale de l'état d'urgence qui était en vigueur dans certaines régions du pays depuis 1978. Ainsi, les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme ont-ils pu reprendre tout leur effet sur l'ensemble du territoire turc, a-t-il souligné. Il s'est également réjoui de la décision d'observer un cessez-le-feu, prise en 1999 par le PKK. Il est en outre louable et important que la Turquie approuve la majorité des recommandations émanant du Comité européen pour la prévention de la torture. De plus, selon les informations que vient de fournir la délégation eu égard à la jurisprudence, il semble que la torture est sur la voie d'être considérée non plus comme un délit de droit commun mais comme un crime voire un crime contre l'humanité, assorti des peines appropriées.
Y a-t-il une inspection systématique des lieux de détention, a cependant demandé M. Mariño Menéndez ? Il a également souhaité savoir si les organisations non gouvernementales participaient à ce type d'inspection.
S'intéressant particulièrement à la situation de certains groupes vulnérables, M. Mariño Menéndez a fait état d'informations selon lesquelles les défenseurs de droits de l'homme seraient harcelés en Turquie. Des organisations non gouvernementales se heurtent à l'hostilité de certaines entités publiques, a-t-il insisté. Il s'est également inquiété de la protection juridique des enfants dont certains, apparemment âgés d'à peine six ans, seraient placés en détention. Il a également fait état de cas de torture et de mauvais traitements dont auraient été victimes des enfants. Il a ainsi mentionné le cas d'un militant pro-kurde de 17 ans arrêté en mars 1996 et dont la plainte pour torture ne semble pas avoir reçu le traitement qui convient. Les minorités constituent également un groupe vulnérable, a souligné M. Mariño Menéndez. Il y a eu en Turquie des plaintes constantes faisant état du recours délibéré à la destruction de logements et aux déplacements forcés à l'encontre de la population kurde, a-t-il rappelé. Les femmes constituent également un autre groupe à risque, a poursuivi M. Mariño Menéndez, citant le rapport d'une organisation non gouvernementale indépendante qui dénonce les violences sexuelles que subissent les femmes placées en détention. Aussi, M. Mariño Menéndez s'est-il enquis des garanties protégeant les femmes détenues. Souvent, les faits de viol sont dissimulés et ne sont pas dûment reconnus comme constituant un acte de torture, a-t-il affirmé.
En conclusion, M. Mariño Menéndez a reconnu que la Turquie a déployé de nombreux efforts pour se mettre en conformité avec les dispositions de la Convention contre la torture. Il n'en demeure pas moins que subsistent de nombreux vestiges du passé, a-t-il ajouté. Ces relents du passé couplés avec l'inertie qui prévalait jusqu'à présent, et qui était peut-être renforcée par la lutte contre le terrorisme, empêchent que les autorités, les juges, les procureurs, les policiers et les forces de sécurité suivent une pratique qui respecte en toutes circonstances l'interdiction de la torture et des mauvais traitements

M. Ole Vedel Rasmussen, co-rapporteur du Comité pour l'examen du rapport turc, a offert ses condoléances aux nombreuses familles qui ont souffert du tremblement de terre qui vient de se produire en Turquie. Il a rappelé qu'en 1992 et en 1996, la Turquie a fait à deux reprises l'objet d'une déclaration publique du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) qui peut faire une telle déclaration si un pays ne coopère pas ou refuse d'améliorer la situation à la lumière des recommandations du Comité. Un seul autre pays a jusqu'à présent fait l'objet d'une déclaration publique du CPT. C'est la Turquie, suivie par la Fédération de Russie, qui a le plus fait l'objet de visites du CPT, a également souligné M. Rasmussen. Il n'en demeure pas moins que la Turquie bouge et va de l'avant avec une rapidité indéniable, a-t-il poursuivi. Il est donc essentiel que toutes les autorités publiques soient dûment informées des nombreux changements qui interviennent sur le plan législatif.
Tout en relevant qu'un Haut Conseil des droits de l'homme a été créé dans le pays en tant qu'organe consultatif, M. Rasmussen a rappelé que l'article 10 de la Convention est très précis et traite de l'éducation concernant spécifiquement l'interdiction de la torture et non les droits de l'homme en général.
M. Rasmussen a par ailleurs rappelé que Human Rights Watch a demandé aux autorités turques d'abroger l'article 31.1 du Code de procédure pénale. Il a également fait part de ses préoccupations s'agissant des conditions de détention eu égard au surpeuplement carcéral qui prévaut dans le pays.
Le co-rapporteur a par ailleurs souhaité connaître quelles garanties les textes législatifs apportaient en matière d'impartialité des enquêtes judiciaires. Relevant qu'un citoyen peut porter plainte devant une grande quantité d'organes différents (Procureur, Assemblée nationale, Commission des droits de l'homme de l'Assemblée nationale, Haut Conseil des droits de l'homme, Département des droits de l'homme placé sous l'autorité du Premier Ministre, Conseil consultatif sur les droits de l'homme…sans parler de l'ombudsman qui va être créé), il a souhaité savoir à laquelle de ces instances la délégation conseillerait de s'adresser.
M. Rasmussen a souligné que soumettre contre son gré une femme à un examen médical pour déterminer sa virginité est totalement injustifiable, quelles que soient les circonstances.
Un autre membre du Comité a reconnu que les sauvegardes juridiques contre la torture sont désormais en place dans le pays, comme l'a d'ailleurs admis l'organisation Human Rights Watch elle-même. Cet expert s'est toutefois inquiété des très nombreux examens et fouilles corporelles pratiqués sur les détenus des deux sexes en Turquie. Ce même expert a indiqué avoir été informé qu'en Turquie, les homosexuels peuvent être exemptés du service militaire mais que cela implique dans la pratique qu'ils soient soumis à un examen anal voire qu'ils présentent une preuve vidéo attestant d'un rapport sexuel avec un individu du même sexe.
Un autre membre du Comité s'est dit convaincu qu'un grand changement est en train d'intervenir en Turquie en ce qui concerne l'engagement du pays vis-à-vis des normes internationales de droits de l'homme.



* *** *

VOIR CETTE PAGE EN :