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Uruguay : le Comité des disparitions forcées constate des progrès significatifs mais est préoccupé par la lenteur des recherches et l'impunité qui persiste pour ces crimes commis pendant la dictature

15 Septembre 2022

Le Comité des disparitions forcées s'est penché, cet après-midi, sur les renseignements complémentaires fournis par l'Uruguay en réponse aux observations et recommandations du Comité suite à l'examen de son rapport initial sur la mise en œuvre de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Rappelant que son pays avait été le premier, en 2013, à présenter un rapport au titre de la Convention, la délégation de l'Uruguay a mis l'accent sur les efforts consentis pour se conformer aux recommandations que lui a adressées le Comité à cette occasion. Ainsi, la délégation a mentionné la création et la déclaration de sites de mémoire historique, la réforme du code pénal concernant le droit des victimes, la mise en place d'un bureau de coordination des politiques en faveur des victimes et des témoins, ou encore l'adoption d'une loi qui confère à l'Institut national des droits de l'homme la compétence de rechercher et d'enquêter sur les personnes victimes de disparitions forcées survenues en Uruguay.

Les deux rapporteurs du Comité chargés de l'examen du rapport de l'État partie ont reconnu des progrès significatifs réalisés depuis 2013, lorsqu'il avait constaté de nombreuses carences législatives. Les experts ont toutefois regretté la lenteur des recherches, l'absence de proportionnalité entre la gravité du crime et les condamnations, la confusion entre les termes de « victime » et de « préjudice », ou encore les interrogations sur la question de la prescription. 

À cet égard, la délégation a indiqué que les crimes de disparitions forcées ne sont plus prescrits. En outre, les victimes sont désormais invitées à participer aux enquêtes. La délégation a reconnu qu'à ce jour une seule personne a été poursuivie en justice, et que les 197 cas avérés de disparitions forcées, qui se sont produits pendant la dictature militaire, n'ont toujours pas été élucidés. La question est compliquée, a reconnu le chef de la délégation, soulignant que le sujet sensible des disparitions forcées est commémoré chaque année avec beaucoup d'émotion. Le pays reste attaché à élucider tous les cas encore en souffrance, a-t-il assuré.

Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur le rapport de la République tchèque. Elles seront rendues publiques à l'issue de la session, qui se termine le 23 septembre prochain.

Lors de sa prochaine séance publique, le lundi 19 septembre à partir de 10 heures, le Comité doit tenir une réunion avec les États parties, suivie à midi d'une réunion avec des institutions des Nations Unies.

Examen des renseignements complémentaires de l'Uruguay

Le Comité était saisi de renseignements complémentaires soumis par l'Uruguay (CED/C/URY/AI/1) à la demande du Comité, suite à l'examen du rapport initial de ce pays en avril 2013 (voir les observations finales correspondantes adoptées par le Comité). Le Comité était également saisi des réponses (en espagnol) de l'État partie à une liste de points à traiter.

Présentation du rapport

M. ÁLVARO MOERZINGER, Représentant permanent de l'Uruguay à Genève, a rappelé que son pays attachait un grand intérêt aux travaux du Comité, ainsi qu'à l'évolution du processus de ratification de la Convention. À cet égard, il faut redoubler d'efforts pour que le nombre de ratifications. L'Uruguay, a précisé M. Moerzinger, a été le premier État à présenter un rapport initial au titre de l'article 29 de la Convention. Depuis les observations finales formulées par le Comité en 2013, l'Uruguay poursuit ces efforts. 

Tout d'abord, en 2009, la loi 18.596 instituant une réparation intégrale pour les victimes de disparitions forcées a été instituée et complétée en 2018 par la loi 19.641 qui autorise la création et la déclaration des sites de mémoire historique. De plus, la réforme du Code de procédure pénale de 2017 incorpore des articles (79, 80, 81) relatifs aux dispositions spécifiques visant à protéger les droits des victimes, y compris leur participation à la procédure pénale. Dans le même temps, un service des victimes et des témoins a été créé au sein du ministère public, dont la compétence est l'élaboration de stratégies pour la prise en charge, la protection et le soutien des victimes, des témoins de crimes et de leurs familles. Un parquet spécialisé dans les crimes contre l'humanité répond à l'une des recommandations de 2013 du Comité. Ce bureau a pour domaine de compétence toutes les affaires pénales qui impliquent des violations des droits de l'homme survenues dans un passé récent.

Par ailleurs, a poursuivi le représentant uruguayen, le Bureau de coordination des politiques en faveur des victimes et des témoins a été créé en mars 2018. La loi 19.822 de 2019 a conféré à l'Institut national des droits de l'homme la compétence de rechercher et d'enquêter sur les disparitions forcées survenues en Uruguay dans un passé récent. Afin de mener à bien ses actions, l'Institut a été doté des ressources humaines et financières adéquates, ainsi que de pouvoirs juridiques spéciaux tels que l'accès illimité aux archives des services de renseignement, des institutions publiques ou privées ou encore de la possibilité de convoquer les fonctionnaires de l'État et les particuliers pour d'éventuelles déclarations. Il est à noter, a précisé M. Moerzinger, que le défaut de comparution est punissable en tant qu'infraction pénale. Un article relatif à la communication directe entre l'institution et le parquet spécialisé dans les crimes contre l'humanité a également été ajouté à la loi de 2019.

M. Moerzinger a tenu à souligner les progrès réalisés par son pays dans un certain nombre de domaines identifiés par le Comité, à savoir, le processus d'harmonisation législative, les éléments et critères relatifs à la réparation intégrale, et les problèmes liés au passé de l'Uruguay survenus avant l'entrée en vigueur de la Convention. 

Questions et observations des membres du Comité   

Un des deux rapporteurs chargés de l'examen du rapport de l'Uruguay, M. JUAN JOSÉ LÓPEZ ORTEGA, a remercié l'Uruguay pour les réponses fournies aux questions posées par le Comité. Concernant l'harmonisation du cadre législatif, l'Uruguay s'est désormais doté d'une définition des disparitions forcées. L'expert a rappelé qu'il existait lors de l'examen avec le Comité en 2013 un certain nombre de carences législatives, auxquelles il fallait remédier. 

La corapporteuse, MME CARMEN ROSA VILLA, a déploré la lenteur des recherches dans les cas des disparitions forcées et l'impunité qui persiste dans certains cas. Le Comité recommande à l'État partie de faire toute la lumière sur ces cas de disparitions forcées et de tenir pour responsable et juger les auteurs de ces crimes. 

Les deux rapporteurs ont fait part de leurs préoccupations quant au manque de proportionnalité entre la gravité du crime et les condamnations. Il semble, dans une affaire en cours, qu'une assignation à résidence ait été prononcée pour les auteurs d'un crime, les corapporteurs suggérant qu'il fallait réfléchir à des peines minimum.

La rapporteuse a interrogé la délégation sur les raisons pour lesquelles le délit de disparition forcée ne faisait toujours pas l'objet d'un plan national et a voulu connaître les obstacles rencontrés par le pays dans ce domaine, en dépit des réformes législatives qui ont été menées à bien. Une grande partie des affaires restent impunies à cause du retard entre l'enquête et l'interpellation de l'auteur. Quelles mesures sont-elles prises pour pallier la lenteur des investigations, a-t-elle demandé. 

La rapporteuse a toutefois noté certains progrès réalisés par l'Uruguay pour se conformer aux recommandations de 2013, notamment le parquet spécialisé dans les crimes contre l'humanité et l'unité des victimes et des témoins au sein du ministère public.

Par ailleurs, en 2013, les experts avaient encouragé l'Uruguay à prendre les mesures législatives voulues pour réglementer l'exercice du recours en habeas corpus et le rapporteur a demandé à la délégation des précisions sur l'application concrète de cette recommandation. 

Les experts ont demandé à la délégation de préciser la manière dont les victimes ou leurs familles participent à tous les niveaux de l'enquête et si une assistance juridictionnelle gratuite était proposée. Lors de l'examen du rapport en 2013, le Comité avait indiqué que la notion des victimes prévue par la législation uruguayenne n'était pas conforme à la Convention et avait proposé un amendement de la législation. La victime est définie, par l'État partie, comme la personne directement affectée par le délit. La notion du Comité est plus vaste et concerne toute personne ayant subi un préjudice direct. La notion de victimes est différente de celle de préjudice et doit être revue et figurer dans la législation, ont souligné les experts. Par ailleurs, en Uruguay, les victimes sont tenues de démontrer qu'elles ont subi un préjudice pour bénéficier d'une réparation et elles se trouvent obligées de choisir entre la perception d'une retraite ou d'une indemnisation. Il a été noté que si une personne reçoit une allocation, elle doit renoncer à toute action à venir contre l'État. Quelle est la portée d'un tel renoncement et comment il se justifie-t-il?

Les rapporteurs ont également abordé la question de la prescription concernant la période 1968-1985. Le Gouvernement envisage-t-il d'accélérer les procédures en lien avec cette période, a demandé la rapporteuse. Le Comité demeure préoccupé quant aux informations faisant état d'une prescription et souhaite savoir si la jurisprudence est appliquée. Quelle est la position de la Cour suprême sur cette question?

La rapporteuse a demandé à la délégation quelles dispositions réglementaient les autorités ou les fonctionnaires sous le coup d'une enquête pour disparition forcée ou pour ceux liés à une telle affaire. Elle a estimé qu'il serait judicieux d'éviter leur participation aux enquêtes qu'ils pourraient influencer ou au cours desquelles ils pourraient faire obstacle.

Le rapporteur a recommandé à la délégation de fournir des moyens humains supplémentaires à l'Institut national des droits de l'homme afin qu'il puisse gérer la masse de documents dont il est saisi.

Le Comité estime indispensable que le Gouvernement lance un appel officiel au plus grand nombre pour aider à l'aboutissement des enquêtes et mettre fin au « pacte du silence ». Cet appel serait un outil efficace de collaboration et démontrerait l'engagement du Gouvernement à défendre la démocratie. 

Des allégations font état de vandalisme sur des lieux de mémoire, a poursuivi le corapporteur. Existe-t-il un délit lié à ces faits, qui semblent récurrents, a-t-il demandé. L'État a-t-il élucidé ces crimes et identifié les responsables de tels actes.

Réponses de la délégation 

Répondant aux questions posées, la délégation a indiqué que son gouvernement veillait à se conformer aux articles de la Convention depuis l'examen du rapport de l'Uruguay en 2013. Le concept de la disparition forcée est très large et englobe les adultes comme les enfants. À ce jour, il n'y a pas eu de condamnations définitives en matière de disparitions forcées. Une seule personne a été poursuivie par le tribunal, mais l'accusé est décédé au cours du procès. Par ailleurs, plusieurs militaires ont été accusés du délit de disparition forcée, a indiqué la délégation. Elle a ajouté que les condamnations ne sont plus les mêmes depuis la révision du code pénal.

S'agissant de la participation des victimes à l'enquête, la délégation a indiqué que l'ancien code législatif ne permettait pas leur participation. Depuis, le cadre législatif a changé et permet leur participation. Elles peuvent également bénéficier d'un accompagnement juridique. 

La délégation a assuré le Comité qu'il n'y avait pas de nouvelle disposition concernant la prescription sur les affaires de disparitions forcées. Ce crime n'est pas prescrit, il n'y a pas d'entraves et les enquêtes suivent leur cours. Par ailleurs, les peines prononcées confirment qu'il s'agit de crimes contre l'humanité. 

La délégation a ajouté que, depuis la loi de 2017, la notion de circonstances atténuantes était désormais reconnue pour les personnes qui fournissent des informations. Par ailleurs, depuis 2018, l'habeas corpus est reconnu comme un recours dans la constitution du pays.

La délégation a rappelé qu'en 1988, une loi avait été promulguée rendant impossible de poursuivre des personnalités politiques ou militaires dans l'exercice de leurs fonctions, notamment au cours de la dictature militaire. En 2004, le caractère constitutionnel de cette loi a été reconnu et renforcé par la loi 18.131 de 2011. Mais depuis les récentes réformes législatives, la Cour suprême estime désormais qu'il s'agit d'une loi anticonstitutionnelle. 

La délégation a souligné que le Ministère de l'intérieur procédait à la recherche des responsables de disparitions forcées pendant la dictature selon une procédure lancée sur la base d'une dénonciation. Dans le cas où une personne recherchée se trouve à l'étranger, l'Uruguay saisit Interpol. Un site internet est également mis en place, avec le consentement des familles.  La délégation a souligné que de nombreux acteurs coordonnent les efforts d'enquête, de recherche et d'arrestation des criminels.

Tous les tribunaux du pays sont favorables à la non-prescription dans les cas de disparitions forcées car il s'agit de crimes contre l'humanité, a poursuivi la délégation.

Concernant le vandalisme sur des sites de mémoire, ce sont des actes abjectes et, lorsque les responsables seront identifiés, ils seront punis.

Une représentante de l'Institut national des droits de l'homme a indiqué que tous les fichiers de ses archives devraient être classés et numérisés. L'équipe chargée des disparitions forcées est composée de 90 fonctionnaires qui disposent des ressources nécessaires pour achever leurs travaux.

Un membre du parquet a indiqué que les disparitions forcées, dans la notion traditionnelle du terme, concernent 197 personnes, qui est le nombre de personnes dont le corps n'a pas été retrouvé. En 1972, à la veille du régime dictatorial, une loi avait été promulguée permettant aux militaires d'arrêter, de juger et de condamner les civils. Ainsi, des civils étaient parfois détenus, condamnés et souvent torturés par la justice militaire. Avec le coup d'État de novembre 1973, un décret prévoyait que certains groupes politiques étaient désormais illégaux et pouvaient être poursuivis. Leurs membres sont alors arrêtés, privés de liberté et condamnés. En 1975, les premiers centres de détention clandestins voient le jour. Et les personnes qui demeurent dans ces centres y demeurent jusqu'à leur disparition. Par ailleurs, beaucoup d'affaires ont également eu lieu à l'étranger dans le cadre de l'opération Condor et les crimes, commis notamment en Argentine, ont été élucidés et jugés au début des années 2010. Enfin, les affaires de disparitions forcées sont toutes couvertes par la loi 18.026, mais les militaires refusent de fournir des informations, a ajouté le représentant. 

Conclusions

Le chef de la délégation de l'Uruguay a souligné que le sujet des disparitions forcées abordé devant le Comité était extrêmement sensible et que cette préoccupation faisait partie de l'« ADN national ». Le Comité a beaucoup parlé du pacte de silence et, en tant que diplomate, M. Moerzinger a reconnu qu'il était difficile d'en parler. Toutefois, il faut, a-t-il dit, se remémorer les étapes traversées par l'Uruguay depuis les années 1970. Cette question est compliquée et l'Uruguay en est conscient. Le sujet est sensible et il est commémoré chaque année avec beaucoup d'émotion. Tous les partis politiques du pays sont attachés à la prévention de ces faits et le pays tente d'élucider tous les cas encore en souffrance. Enfin, il a reconnu qu'il fallait envisager d'harmoniser la législation et tenir compte des obstacles qui se présenteront, tout en n'oubliant pas les efforts consentis pour trouver une solution à ces événements du passé.

Le rapporteur du Comité pour le rapport de l'Uruguay a remercié la délégation pour ce dialogue. Le Comité et l'Uruguay ont pour objectif commun de garantir l'application de la Convention en Uruguay et doivent agir en tant qu'alliés pour prévenir les disparitions forcées.

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