Notes de conférence de presse Procédures spéciales
Face à la désinformation, la liberté d’expression ne fait pas partie du problème mais constitue bien un des principaux moyens de lutte, souligne la Rapporteuse spéciale sur la liberté d’opinion et d’expression
02 juillet 2021
MATIN
Le 2 juillet 2021
Les algorithmes, la publicité ciblée et les pratiques d’extraction de données des grandes sociétés des médias sociaux semblent pousser les utilisateurs vers des “contenus extrémistes” et vers les théories complotistes d’une manière qui fait le lit et amplifie la désinformation, tout en réduisant le pouvoir des individus et en usurpant leur autonomie et leur pouvoir de développer leurs propres opinions, a expliqué ce matin la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Mme Irene Khan, alors qu’elle présentait son rapport devant le Conseil des droits de l’homme.
Il est difficile de trouver les moyens de contrer la désinformation en raison du flou qui entoure la définition de cette notion, a poursuivi Mme Khan. Selon elle, la technologie numérique a mis à la disposition de divers acteurs des moyens de produire, de diffuser et d’amplifier des informations fallacieuses ou tendancieuses à des fins politiques, idéologiques ou commerciales, à une échelle, à une vitesse et avec une audience sans précédent.
Mme Khan a en outre souligné que la désinformation en ligne, qui s’adosse à des griefs politiques, sociaux et économiques exprimés dans le monde réel, peut avoir de graves conséquences pour la démocratie et les droits de l’homme, comme on l’a constaté lors de récentes élections, dans la lutte contre la pandémie de coronavirus (COVID-19) ou encore dans des attaques commises contre des groupes minoritaires.
Face à ce constat, la Rapporteuse spéciale a expliqué que la liberté d’expression ne fait pas partie du problème mais constitue bien un des principaux moyens de lutter contre la désinformation et que l’accès à des sources diverses et variées d’information, à des médias libres, indépendants et divers, ainsi que l’alphabétisation numérique et des réglementations intelligentes des médias sociaux sont les antidotes de la désinformation.
Suite à cette présentation, de très nombreuses délégations* ont participé au dialogue interactif avec Mme Khan.
Le Conseil a également entendu ce matin la présentation d’une étude du Groupe de travail sur la détention arbitraire, intitulée « Détention arbitraire liée aux politiques de lutte contre la drogue ». Présentant cette étude, la Présidente-Rapporteuse du Groupe de travail, Mme Elina Steinerte, a expliqué que cette étude visait à garantir que l'interdiction absolue de la détention arbitraire, comme l'exige le droit international, fasse partie de la réponse de la justice pénale aux crimes liés à la drogue.
Dans cette étude, le Groupe de travail note avec inquiétude l'augmentation des cas de détention arbitraire comme conséquence des lois et politiques de contrôle des drogues et constate que les personnes qui consomment des drogues sont particulièrement exposées au risque de détention arbitraire. Le Groupe de travail recommande donc notamment aux États de décriminaliser l'usage, la possession, l'acquisition ou la culture de drogues pour l'usage personnel, et de prévoir des peines proportionnées pour les infractions liées à la drogue.
Cet après-midi, à 15 heures, le Conseil doit poursuivre son dialogue avec le Groupe de travail sur la détention arbitraire avant d’entamer son dialogue avec le Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée.
Dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression
Le Conseil est saisi du rapport de la nouvelle Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression (A/HRC/47/25), intitulé « Désinformation et liberté d’opinion et d’expression ».
Présentation de rapport
Nommée en août dernier, la nouvelle Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, MME IRENE KHAN, a indiqué que depuis cette date, elle avait rencontré de nombreux représentants d’Etats Membres des quatre groupes régionaux, ainsi que des représentants des sociétés numériques, de la société civile et des détenteurs de droits, qu’elle a tous remerciés pour leur engagement avec son mandat.
Passant à la désinformation, thème de son rapport, elle a indiqué qu’il n’existait pas de définition universellement acceptée de cette notion. Il est difficile de trouver les moyens de contrer la désinformation à cause justement du flou de la définition, a-t-elle souligné. Partant, elle a indiqué avoir examiné les pratiques au niveau international pour arriver à interpréter ce concept, de telle sorte que la désinformation peut être désignée comme une information fallacieuse ou biaisée divulguée pour occasionner de graves préjudices, tandis que la « mésinformation » signifierait la dissémination involontaire de fausses informations
La désinformation n’est donc pas un phénomène nouveau, a poursuivi la Rapporteuse spéciale. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que la technologie numérique a mis à la disposition de divers acteurs des moyens de produire, de diffuser et d’amplifier des informations fallacieuses ou tendancieuses à des fins politiques, idéologiques ou commerciales à une échelle, à une vitesse et avec une audience sans précédent.
Mme Khan a dégagé quatre conclusions principales. La première est que la désinformation en ligne, qui s’adosse à des griefs politiques, sociaux et économiques exprimés dans le monde réel, peut avoir de graves conséquences pour la démocratie et les droits de l’homme, comme cela a pu être constaté lors de récentes élections, dans la lutte contre la pandémie de coronavirus (COVID-19) ou encore dans des attaques commises contre des groupes minoritaires.
D’un autre côté, la réponse des Etats à la désinformation s’avère tout aussi problématique, certains ayant recours à des mesures exagérées comme des coupures d’Internet ou à l’adoption de lois, vaguement définies, pénalisant ou censurant l’expression en ligne, ou obligeant les plates-formes numériques à supprimer un contenu sans aucune procédure judiciaire. Des gouvernements se sont également servi de ces lois contre les journalistes, les opposants politiques et les défenseurs des droits de l’homme, a ajouté Mme Khan, soulignant que de telles mesures sont non seulement incompatibles avec le droit international relatif aux droits de l’homme mais contribuent en outre peu à la lutte contre la désinformation. Bien au contraire, elles découragent le flux de diverses sources d’information, entravent l’établissement des faits, alimentent les rumeurs, encouragent la peur et sapent la confiance dans les pouvoirs publics, a expliqué la Rapporteuse spéciale.
En troisième lieu, Mme Khan a souligné que la réponse des sociétés à la désinformation avait été « tardive, inadéquate et opaque ». Les algorithmes, la publicité ciblée et les pratiques d’extraction de données, autant de pratiques des grandes entreprises de médias sociaux, semblent pousser les utilisateurs vers des “contenus extrémistes” et vers les théories complotistes, d’une manière qui fait le lit et amplifie la désinformation, tout en réduisant le pouvoir des individus et en usurpant leur autonomie et leur pouvoir de développer leurs propres opinions. A cet égard, Mme Khan a fait observer que les entreprises sises aux Etats-Unis avaient pris des mesures positives pour interdire ou réduire l’impact de ce qu’elles considèrent comme de fausses informations ou des pratiques trompeuses, même si ces mesures sont encore bien insuffisantes pour faire une différence réelle. Mme Khan s’est également inquiétée de l’inconsistance de la modération des contenus. Enfin, ni les Etats, ni les entreprises n’ont suffisamment agi pour remédier à la désinformation ciblant les femmes en ligne, plus particulièrement les journalistes et les défenseuses des droits de l’homme, mais aussi les femmes que l’on cherche ainsi à écarter de l’arène publique. La Rapporteuse spéciale a plaidé pour que l’on mette fin à la violence et au harcèlement des femmes en ligne et hors ligne.
Enfin, quatrièmement, les tentatives visant à combattre la désinformation en portant atteinte aux droits de l’homme ne se fondent pas sur une vision à long terme et demeurent contre-productives, a souligné la Rapporteuse spéciale.
De ce fait, la liberté d’expression ne fait pas partie du problème mais constitue bien un des principaux moyens de lutter contre la désinformation, a souligné Mme Khan, prenant comme exemple le fait que dans le contexte de la COVID-19, la foi des individus dans le vaccin ne repose pas sur la censure mais sur le flux libre d’informations et le débat ouvert.
L’accès à des sources diverses et variées d’information et à des médias libres, indépendants et divers, ainsi que l’alphabétisation numérique et des réglementations intelligentes des médias sociaux sont les antidotes de la désinformation, a indiqué Mme Khan, avant de renvoyer à une série de recommandations qui figurent à la fin de son rapport. Parmi celles-ci, le Conseil devrait envisager d’organiser régulièrement des consultations multipartites avec les États, les entreprises, les organisations de la société civile et les acteurs internationaux et régionaux concernés, ainsi que de lancer des initiatives sur la question de la sauvegarde et de la promotion des droits de l’homme dans l’espace numérique.
Aperçu du débat
De nombreuses délégations ont déclaré que la désinformation, amplifiée par les technologies numériques, constitue une menace considérable pour les droits de l’homme et les institutions démocratiques. Plusieurs se sont montrées particulièrement inquiètes face à l’augmentation de ce phénomène dans le contexte de la pandémie de COVID-19. L’accès numérique sans entraves à une information fiable est indispensable pour garantir un débat démocratique et pour lutter efficacement contre des menaces globales comme les pandémies et le changement climatique, a souligné une délégation.
Plusieurs délégations ont insisté sur le rôle de l’éducation aux médias, notamment numériques, pour lutter contre le phénomène de désinformation.
A l’instar de la Rapporteuse spéciale, certaines délégations ont expliqué qu’il ne faut pas considérer le droit à la liberté d’opinion et d’expression comme la source du problème. Ce droit constitue précisément le moyen de lutter contre la désinformation, a souligné une délégation, ajoutant que soutenir de robustes régimes d’information publique et assurer la diversité et l’indépendance des médias ainsi que l’autonomisation des individus constituent également des moyens de lutter contre la désinformation. La solution réside non pas dans la répression de la liberté d’expression, mais plutôt dans la promotion d’une information diversifiée, indépendante et respectueuse des droits de l’homme, a-t-il été indiqué.
Plusieurs délégations ont soutenu l’approche de la Rapporteuse spéciale qui estime que la lutte contre la désinformation exige des réponses multidimensionnelles et multipartites fondées sur les droits de l’homme et sur l’engagement volontaire des États et de toutes les parties prenantes.
Un certain nombre d’intervenants ont relevé le rôle et la responsabilité grandissants des entreprises, dont le modèle économique et la politique de modération sont souvent incompatibles avec leurs obligations. Certains « régimes » se servent de leur pouvoir discrétionnaire pour couper ou perturber la connectivité Internet afin de limiter la contestation politique, notamment pendant les élections, a-t-il en outre été déploré. Plusieurs pays ont dénoncé les mesures disproportionnées que constituent le fait de couper les communications, d’incriminer et de censurer les discours sur la base de lois au champ d’application excessivement large et nébuleux, ou encore de réduire l’espace civique. Toutes ces mesures sont contraires au droit international des droits de l’homme et ne peuvent être que contreproductives, a-t-il été souligné.
Certains pays fabriquent et diffusent de la désinformation à des fins politiques et en dénigrent d’autres sous le prétexte des droits de l’homme, dans le seul but de s’immiscer dans leurs affaires intérieures, a déclaré un groupe de pays, avant de se dire en outre gravement préoccupé par le fait que quelques titulaires de mandat reprennent des informations non authentifiées provenant des médias et des groupes politiques occidentaux pour porter des accusations sans fondement contre des États souverains.
*Liste des intervenants : Union européenne, Suède (au nom d’un groupe de pays), Ukraine (au nom d’un groupe de pays), Finlande (au nom d’un groupe de pays), Chine (au nom d’un groupe de pays), Brésil (au nom d’un groupe de pays), Canada, Sierra Leone, Libye, Australie, Allemagne, France, Indonésie, Luxembourg, Israël, Equateur, Ghana, République tchèque, Suisse, Cuba, Costa Rica, Monténégro, Fidji, Iraq, Arménie, Syrie, Chili, Chine, Inde, Maldives, Maroc, Liban, Burkina Faso, Pays-Bas, Venezuela, Etats-Unis, Egypte, Singapour, Grèce, Népal, Slovaquie, Botswana, Namibie, Autriche, Azerbaïdjan, Soudan, Irlande, Pakistan, Belgique, Nigéria, Timor-Leste, Géorgie, Royaume-Uni, Afghanistan, Ethiopie, Mauritanie, Macédoine du Nord, Fédération de Russie, Pologne, Tanzanie, Honduras, UNESCO, Albanie, Malawi, Soudan du Sud, Bélarus, Colombie, Kazakhstan, Cameroun, Liechtenstein, Philippines, Barbade, République de Moldova, Bolivie, Viet Nam, Malaisie, Ouganda, Bangladesh, Tunisie, Cambodge, Commonwealth Human Rights Initiative, Palestinian Initiative for the Promotion of Global Dialogue and Democracy, Association pour la communication progressive, Article 19 - Centre international contre la censure, The World Forum on Music and Censorship, Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, Fédération internationale des journalistes, Institut du Caire pour les études sur les droits de l’homme, Ordem dos Advogados do Brasil Conselho Federal, et World Evangelical Alliance.
Réponses et remarques de conclusion de la Rapporteuse spéciale
MME KHAN a expliqué que la désinformation était très difficile à définir car ce qui est vrai pour quelqu’un peut être faux pour un autre. De même, il y a différentes formes d’expression comme la satire ou l’humour. Le point de départ doit dès lors être la liberté d’opinion et d’expression. En droit international, le droit à la liberté d’expression ne reconnaît pas la « fausseté » comme un élément autorisant à restreindre la liberté d’expression. Il faut donc que les gouvernements soient très prudents quant aux mesures qu’ils prennent, notamment pour ce qui est de la restriction de l’accès à l’Internet, car ils restreignent alors en fait la confiance de la population. La population a droit à l’information et l’Etat a l’obligation de mettre en œuvre ce droit, a insisté la Rapporteuse spéciale.
Les entreprises privées doivent aussi en faire davantage, a poursuivi Mme Khan. Jusqu’ici, l’accent a été mis sur la modération du contenu ; mais la Rapporteuse spéciale a incité à aller au-delà de cette approche. Les Etats peuvent adopter des règlementations pour obliger les entreprises à être transparentes s’agissant de ce qu’elles font, notamment en matière de récolte de données, pour que les utilisateurs aient le droit à un vrai respect de leur vie privée.
Le Conseil des droits de l’homme doit jouer un rôle actif sur les sujets liés à la désinformation, notamment sur la question de la responsabilité des entreprises, a insisté Mme Khan.
La Rapporteuse spéciale a rappelé que les procédures spéciales sont indépendantes et respectent le code de conduite qui leur applicable, notamment pour ce qui est de ne pas utiliser comme source unique les articles de presse. Elle a dès lors incité les pays à permettre une visite de son mandat afin que celui-ci ait directement accès à l’ensemble des sources.
Dialogue avec le Groupe de travail sur la détention arbitraire
Le Conseil est saisi d’une étude du Groupe de travail sur la détention arbitraire (A/HRC/47/40) intitulée « Détention arbitraire liée aux politiques de lutte contre la drogue ».
Présentation de l’étude
MME ELINA STEINERTE, Présidente-Rapporteuse du Groupe de travail sur la détention arbitraire, a indiqué que l’étude dont est ici saisi le Conseil visait à garantir que l'interdiction absolue de la détention arbitraire, comme l'exige le droit international, fasse partie de la réponse de la justice pénale aux crimes liés aux stupéfiants, et que cette réponse comprenne également des garanties juridiques et des garanties de procédure régulière.
Dans son étude, le Groupe de travail note avec inquiétude l'augmentation des cas de détention arbitraire comme conséquence des lois et politiques de contrôle des drogues et constate que les personnes qui consomment des drogues sont particulièrement exposées au risque de détention arbitraire, a indiqué Mme Steinerte. Un problème connexe est la criminalisation de la possession de matériel associé à la consommation de drogues, qui contribue à la surpopulation carcérale, a-t-elle ajouté. Le Groupe de travail souligne que l'emprisonnement pour des infractions liées à la drogue devrait être une mesure de dernier recours et qu’en principe, l’emprisonnement ne devrait être utilisé que pour des crimes graves.
L’étude identifie aussi plusieurs violations des droits de l'homme commises dans le contexte de la prétendue guerre contre la drogue, notamment le recours excessif et prolongé à la détention préventive, qui peut durer des mois voire des années, et la violence physique ou psychologique envers les détenus, y compris le refus d'un traitement de substitution à des suspects toxicomanes. Le Groupe de travail recommande donc notamment aux États de décriminaliser l'usage, la possession, l'acquisition ou la culture de drogues pour l'usage personnel, et de prévoir des peines proportionnées pour les infractions liées à la drogue.
Le Groupe de travail a également observé que la criminalisation de la consommation de drogues facilitait le déploiement du système de justice pénale contre les consommateurs de drogues de manière discriminatoire, les forces de l'ordre visant souvent les membres de groupes vulnérables et marginalisés.
Le Groupe note par ailleurs avec inquiétude la disponibilité insuffisante de services de réduction des risques et de traitement de la toxicomanie pour les personnes toxicomanes en détention. Constatant que la pratique qui consiste à enfermer les personnes qui consomment des drogues dans des centres de traitement obligatoires peut donner lieu à une privation arbitraire de liberté, le Groupe appelle à la fermeture de ces structures et à mettre à disposition des services sociaux et de santé volontaires.
Enfin, a conclu Mme Steinerte, le Groupe de travail souligne la contribution importante que les associations de consommateurs de drogues peuvent jouer dans la conception, la mise en œuvre, le suivi et l'évaluation des politiques en matière de drogues.
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