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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Pour un commerce sans torture : possibilités et obstacles

11 décembre 2020

Déclaration de Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

Le 11 décembre 2020

Excellences, chers collègues,

Bonjour. Dans un contexte très difficile pour les droits de l’homme, l’Alliance mondiale pour un commerce sans torture a été une initiative forte et bienvenue – un cadre de référence permettant de prendre des mesures pratiques afin d’améliorer considérablement le respect de la dignité et des droits des personnes dans le monde entier1.

Le HCDH a eu l’honneur de contribuer au rapport remis plus tôt cette année par le Secrétaire général à l’Assemblée générale, rapport qui porte sur la possibilité d’établir des normes internationales communes, du champ d’application de telles normes et des paramètres applicables concernant l’importation, l’exportation et le transfert de marchandises utilisées pour infliger la peine capitale ou la torture. Ce rapport, rédigé à la suite de la résolution 73/304 de l’Assemblée générale, s’appuie sur la contribution d’une quarantaine d’États de plusieurs régions du monde.

Notre travail dans ce domaine s’appuie sur un certain nombre d’évolutions régionales importantes, notamment le Règlement 2019/125 de l’Union européenne concernant le commerce de certains biens susceptibles d’être utilisés pour infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans la région africaine, les Lignes directrices et mesures de Robben Island pour l’interdiction et la prévention de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants recommandent aux États « [d’]interdire et [de] prévenir l’usage, la fabrication et le commerce d’appareils ou substances destinés à la pratique de la torture ou à infliger de mauvais traitements ainsi que l’usage abusif de tout autre appareil ou substance à cette fin ». Par ailleurs, il est attendu que le Conseil de l’Europe adopte une recommandation sur cette question en début d’année prochaine.

Notre point de départ commun, sur lequel tout le monde s’accorde, est que le droit international interdit déjà clairement et inconditionnellement la torture. Aucune dérogation à cette règle n’est permise en aucune circonstance. Le fait que des biens, dont le seul but est d’infliger la torture et de mauvais traitements à des êtres humains aux mains d’un tortionnaire, soient encore produits et commercialisés est abominable.

Plusieurs Rapporteurs spéciaux sur la torture successifs ont appelé à mettre fin à la fabrication, à la production, au commerce et à l’utilisation d’armes, ainsi qu’à d’autres moyens de déploiement de la force, qui sont intrinsèquement cruels, inhumains ou dégradants. En tant que Haute-Commissaire, je partage ce point de vue.

Il est également nécessaire d’instaurer des contrôles stricts sur l’exportation d’équipements de sécurité et de maintien de l’ordre qui peuvent avoir certains usages légitimes, mais qui peuvent aussi être utilisés à mauvais escient – le problème des biens à « double usage ». Cela inclut certains types de dispositifs de contention spécifiques, des armes délivrant des décharges électriques et de nombreux types d’agents de lutte antiémeute.

Il est évident que l’élaboration de réglementations efficaces dans ce domaine complexe est difficile, mais ce n’est pas impossible. Le règlement de l’Union européenne offre un modèle intéressant, car il interdit le commerce d’équipements intrinsèquement abusifs – comme les chaises électriques et les entraves en fer – et cherche à contrôler, à travers des licences, l’exportation d’autres articles qui peuvent répondre à des objectifs légitimes, mais qui pourraient être utilisés à mauvais escient. La nécessité d’un mécanisme réglementaire international à cet égard a été réitérée par de nombreux gouvernements, y compris un certain nombre d’États qui ont répondu à notre récente enquête.

Nous avons constaté la validité et l’efficacité de telles approches dans des domaines comparables. Les règlements et autres initiatives concernant les médicaments pharmaceutiques, qui peuvent également avoir des usages légitimes, mais qui peuvent être utilisés pour des injections létales, en sont un exemple clé. Comme vous le savez, les Nations Unies s’opposent au recours à la peine de mort, qui, à mon avis, ne peut être conciliée avec l’interdiction de la torture et des mauvais traitements et le principe sous-jacent de la dignité humaine et de l’égalité de tous devant la loi. Étant donné l’impact important que ces initiatives ont eu sur la pratique de la peine de mort, je recommande d’étudier de manière plus approfondie ce type de modèle dans le contexte du commerce sans torture.

Au-delà de l’industrie pharmaceutique et des entreprises impliquées dans la production et l’exportation d’équipements liés au maintien de l’ordre, des entreprises d’autres secteurs pourraient se retrouver mêlées à des activités en lien avec la torture ou la peine capitale. Conformément au cadre de référence établi dans les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, chaque entreprise doit exercer une diligence raisonnable en matière de droits de l’homme dans ses opérations, afin de garantir, selon notre thème d’aujourd’hui, qu’elle ne risque pas d’être impliquée dans des actes de torture ou de peine capitale à travers ses activités et ses échanges, notamment dans le cadre de ses relations avec des États.

Outre le renforcement des régimes juridiques et réglementaires, il reste beaucoup à faire pour inciter les forces de police à ne plus utiliser des techniques d’enquête coercitives. La police inspire davantage la confiance et est plus efficace lorsqu’elle n’a pas recours à des pratiques abusives. Le HCDH contribue actuellement à l’élaboration d’un protocole universel sur les techniques non coercitives pour les interrogatoires, afin de fournir des conseils aux autorités sur la manière de mener des interrogatoires de manière éthique et efficace sans avoir recours à la torture ou aux mauvais traitements. Nous contribuons également à l’élaboration d’un manuel de la police des Nations Unies, qui met l’accent sur ces techniques.

J’encourage fortement une action rapide et décisive dans tous ces domaines. Le HCDH reçoit très fréquemment, voire de plus en plus souvent pour certaines régions, des rapports faisant état d’actes de torture dans toutes les régions du monde. Les gouvernements doivent agir pour éradiquer immédiatement ces pratiques honteuses et illégales – et les entreprises, partout dans le monde, doivent s’assurer qu’elles ne sont pas impliquées de quelque manière que ce soit. Le rapport du Secrétaire général souligne également que l’établissement de normes internationales communes pourrait garantir une réglementation, et donc une protection, beaucoup plus efficace dans ce domaine.

La nomination des experts gouvernementaux qui examineront plus en détail la possibilité d’établir ces normes internationales communes, le champ d’application de telles normes et les paramètres applicables dans ce domaine est actuellement dans sa phase finale. Le HCDH se réjouit de soutenir le travail de ce groupe, et d’ici l’année prochaine, l’Assemblée générale aura reçu son rapport et ses recommandations sur la voie à suivre.

Excellences,

La torture prive l’être humain de son humanité, de sa dignité et de son estime de soi. Elle est dégradante, avilissante et traumatisante pour la victime. Chose moins évidente, elle l’est aussi pour le tortionnaire, tout en rendant ce dernier pénalement responsable en vertu du droit national et international. La lutte pour mettre fin à toutes les formes de torture a longtemps été l’une des priorités du HCDH. Ce combat n’est pas une question régionale ou sectorielle, mais il est véritablement dans notre intérêt à tous. Récemment, l’Alliance mondiale a donné une impulsion forte et nouvelle à ce mouvement profondément nécessaire, et j’espère que de nombreux autres pays se joindront à ces efforts.

Merci.

1. Albanie, Allemagne, Andorre, Angola, Argentine, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Brésil, Canada, Chypre, Colombie, Croatie, Danemark, Équateur, Espagne, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Indonésie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Mexique, Mongolie, Nouvelle-Zélande, Norvège, Pakistan, Paraguay, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Qatar, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède et Suisse.

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