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Article d’opinion Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Les données sur les décès d’enfants sont un véritable appel à la justice

16 Octobre 2019

Tribune libre de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme Michelle Bachelet dans la revue Nature

16 octobre 2019

Les chances de survie des nouveau-nés jusqu'à l'âge adulte n'ont jamais été aussi élevées : ces 20 dernières années, le taux de mortalité infanto-juvénile a diminué de plus de moitié. Presque tous les 193 États Membres des Nations Unies ont fait d'énormes progrès en la matière. Au sein de chaque pays en revanche, de nombreux enfants sont condamnés à une mort prématurée en raison des disparités.

Une étude parue cette semaine dans la revue Nature se penche sur le cas de 99 pays à revenu faible ou moyen qui, en 2017, ont compté pour 93 % des décès d'enfants de moins de 5 ans (R. Burstein et alNature, numéro 574, pages 353–358 ; 2019*). Les auteurs ont déterminé le taux de mortalité des jeunes enfants dans chacune des 17 554 régions administratives entre 2000 et 2017 avec une précision remarquable.

Le résultat global est encourageant : 60 % des régions font preuve de progrès soutenus. Toutefois, un examen plus poussé permet de révéler des inégalités persistantes. Selon les calculs de l'équipe de recherche, 58 % des 123 millions de décès relevés sur cette période de 17 ans étaient évitables. Si toutes les régions de l'étude avaient des taux de mortalité équivalents à ceux des régions les plus performantes de leur pays, ces décès n'auraient pas eu lieu.

Les zones plus riches, y compris les capitales, ont généralement des taux beaucoup plus bas de mortalité infanto-juvénile. Une mauvaise gouvernance peut conduire à l'affectation disproportionnée de ressources publiques à des groupes d'élite. Le nombre de décès de jeunes enfants est bien plus important dans les zones de pauvreté – où les groupes ethniques ou religieux minoritaires, les peuples autochtones et d'autres personnes qui font l'objet de discrimination sont susceptibles de vivre. La discrimination contre les femmes conduit à l'échec des mesures promouvant la santé maternelle. La discrimination contre les groupes ethniques ou religieux mène quant à elle à une insuffisance des services proposés aux adultes et aux enfants. De plus, les décès d'enfants s'accompagnent souvent d'autres violations des droits de l'homme. L'insécurité, la violence et les conflits touchent des millions d'enfants.

La leçon globale que nous devons tirer de ces informations détaillées sur la mortalité est que nous devons concevoir des cadres très larges en matière de programmes de santé. La lutte contre la mortalité infanto-juvénile nécessite des efforts à travers toutes les fonctions gouvernementales – fournir l'accès à un traitement médical n'en est qu'un élément. Pour que les gouvernements puissent défendre les droits des citoyens à la santé, ils doivent tenir compte des déterminants sociaux du bien-être des enfants.

En tant que pédiatre chargée de traiter les familles de prisonniers politiques dans les années 1980 durant la dictature d'Augusto Pinochet au Chili, j'ai vu des enfants qui étaient non seulement malades, mais aussi démunis et traumatisés. À cette époque, j'essayais de guérir leur maladie, mais je ne pouvais pas leur fournir un environnement protecteur capable de les aider à grandir. C'est quelque chose que je me suis employée à faire en instaurant plusieurs politiques en tant que Ministre chilienne de la santé et de la défense (2002-2006) et Présidente du Chili (2006-2010 et 2014-2018), et par la suite en tant que militante de la santé mondiale, directrice d'ONU-Femmes et Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme aujourd'hui. Tout au long de ma carrière, j'ai pu constater que des améliorations sont possibles, rentables et bénéfiques sur le long terme.

Au Chili, le taux de décès chez les enfants de moins de 5 ans est tombé de 148 à 7 pour 1 000 entre 1961 et 2018 – une amélioration sans précédent. Depuis 1990, la mortalité maternelle au Chili a diminué de 31 à 13 pour 100 000 naissances vivantes, et le taux de mortalité infantile est tombé de 16 à 6 pour 1 000. Les disparités entre les différentes régions ont également diminué, les plus grandes réductions de la mortalité ayant eu lieu dans les régions les plus pauvres.

Comment y sommes-nous parvenus ? Nos programmes se sont concentrés sur des objectifs allant bien au-delà de la garantie de l'accès à un médecin par les enfants malades.

En tant que Présidente du Chili, je savais que la réduction de la mortalité infanto-juvénile nécessitait d'assurer l'accès à des soins, de surveiller la santé des femmes enceintes et de promouvoir les campagnes de vaccination. Il s'agissait également d'assurer la sécurité alimentaire, en partie en garantissant que les écoles puissent servir des repas nutritifs. Le programme Chile Crece Contigo (le Chili grandit avec toi), lancé en 2006, a été le premier programme en son genre en Amérique latine. Il aide les familles à avoir accès à l'éducation, aux soins de maternité et aux services de santé.

Les ressources ne sont pas les seuls éléments permettant de garantir des services satisfaisants. Si les femmes se sentent dévalorisées ou insuffisamment consultées au sujet de leur propre corps à l'hôpital ou lors de visites chez le médecin, ou si elles doivent attendre pendant des heures pendant leurs rendez-vous, elles risquent de ne pas venir pour recevoir leurs soins prénataux. Nous avons veillé à différencier les besoins dans le pays. Nous avons installé des signalisations dans des langues autochtones dans plusieurs zones clés, fait appel à des agents interculturels et encouragé des approches inclusives.

Une couverture véritablement universelle et de haute qualité exige des politiques qui s'étendent au-delà du cadre strictement médical. Elle nécessite des mesures permettant de faire respecter l'ensemble des droits de l'homme et de lutter contre l'inégalité et la pauvreté. Des politiques en faveur de logements décents, de meilleurs droits pour les travailleurs, davantage d'allocations pour la garde d'enfant et le chômage, l'accès aux services de base tels que l'eau propre : ces types de réformes doivent être reconnus comme essentiels pour la santé.

Les données sur la mortalité infanto-juvénile révèlent la triste réalité des inégalités. En améliorant ces données, nous pouvons éviter que ces tragédies frappent ces familles. Nous pouvons également changer l'avenir de communautés entières, potentiellement pour plusieurs générations. La Banque mondiale a estimé que jusqu'à 30 % des différences de produit intérieur brut par habitant peuvent être attribuées au « capital humain » – à savoir l'éducation, la formation et la santé.

Il y a trente ans, la Convention sur les droits de l'enfant, qui est devenue le traité relatif aux droits de l'homme le plus largement ratifié de l'histoire, a souligné le droit de chaque nouveau-né de jouir du meilleur état de santé possible. Quelle que soit la complexité des causes profondes, les facteurs qui contribuent à la mortalité chez les enfants sont dus à l'incapacité de traiter les problèmes de grande envergure : la pauvreté, la marginalisation, la discrimination et l'injustice.

Les données objectives telles que celles publiées cette semaine doivent être suivies d'actions entreprises à l'échelle du gouvernement et de la société.

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