Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Conférence de presse : déclaration liminaire de Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
04 septembre 2019
Genève, le 4 septembre 2019
Bonjour, et merci de votre présence. C'est un plaisir de vous voir de nouveau. J'espère que vous avez pu prendre quelques jours de repos au cours de l'été – même si j'ai bien peur que les nombreuses crises qui éclatent sans cesse dans le monde ne vous aient pas donné beaucoup de répit.
Cela fait maintenant un an que j'occupe le poste de Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme – même si j'ai souvent l'impression que cela fait bien plus longtemps ! Lors de la discussion informelle que j'ai eue avec beaucoup d'entre vous en septembre de l'année dernière, j'avais mentionné le fait que l'on attendait beaucoup de moi – certaines personnes chérissant l'espoir de me voir réussir à ce poste, et d'autres, attendant de me voir échouer. J'avais promis d'établir un dialogue avec les États, de les écouter et de les conseiller et de faire de même avec les ONG, à l'échelle internationale et locale.
C'est ce que je me suis efforcée de faire. Au cours de l'année écoulée, j'ai été en mesure d'engager des discussions constructives avec de nombreux États, des organisations de la société civile et d'autres, et j'ai été à l'écoute de leurs inquiétudes tout en gardant un esprit ouvert. J'estime que mon expérience et les perspectives multiples que j'en ai tirées m'ont bien servi dans cette tâche, et ont permis au Haut-Commissariat de tenter de créer des espaces de dialogue entre les États et la société civile. Et bien entendu, si cela est nécessaire, je m'exprime publiquement pour mettre en évidence des violations des droits de l'homme dans le but d'empêcher que la situation ne s'aggrave ou de défendre les droits de ceux qui ne sont pas entendus.
J'ai réussi à me rendre dans des pays de chaque région du monde – certaines visites étant plus poussées que d'autres. J'ai pu constater de première main l'énorme travail que nos collègues accomplissent sur le terrain en renforçant l'universalité des droits de l'homme, en fournissant des conseils et une assistance aux autorités en matière de droits de l'homme, en travaillant avec la société civile et en défendant les droits des plus vulnérables.
Je me doutais bien que ce travail ne serait pas de tout repos, mais je voudrais partager avec vous certaines de mes plus grandes frustrations et craintes au sujet de la situation des droits de l'homme dans notre monde d'aujourd'hui. Je crains que nous nous éloignions du principe des solutions mondiales aux problèmes mondiaux en raison de deux tendances claires qui nous poussent dans des directions opposées.
Le monde n'a jamais été aussi interconnecté.
Les violations des droits de l'homme commises dans une partie du monde peuvent avoir de graves répercussions dans d'autres, à l'échelle régionale et internationale.
J'en veux pour preuve le grand nombre de personnes fuyant leur pays en raison des conflits armés, de l'insécurité, de l'oppression politique, des crises climatiques et de l'incapacité de protéger les droits économiques, sociaux et culturels.
On constate également ce phénomène avec les feux qui font rage en Amazonie et les calottes glaciaires qui fondent au Groenland et ailleurs.
Ou encore dans la facilité avec laquelle les discours haineux et racistes et la rhétorique xénophobe peuvent se propager dans les sombres recoins d'Internet et ouvertement sur les médias sociaux.
Les violations des droits de l'homme sont l'affaire de tous, car elles peuvent tous nous affecter à un niveau très fondamental : notre paix et notre sécurité, notre économie, même nos poumons dépendent de la promotion et de la protection des droits de l'homme loin de chez nous, et ce où que nous vivions.
Malheureusement, l'autre tendance nous dirige dans la direction opposée.
Plus que jamais, la souveraineté et les frontières nationales sont invoquées et empêchent que les problèmes liés aux droits de l'homme ne soient soulevés et traités de manière concertée. Des États du monde entier avertissent la communauté internationale, nous y compris, de ne pas intervenir dans les affaires intérieures. Cette tendance, qui ne cesse de croître à l'échelle mondiale, est préoccupante.
Ces deux tendances, qui vont dans des directions opposées, semblent nous éloigner de plus en plus du principe consistant à apporter des solutions mondiales aux problèmes mondiaux.
J'encourage vivement les États à travailler ensemble et de manière concertée et multilatérale sur ces problèmes majeurs en matière des droits de l'homme. Les accords internationaux tels que l'Accord de Paris, le Pacte mondial sur les migrations et le Pacte mondial sur les réfugiés fournissent des conseils solides et concrets. Et bien entendu, la Déclaration universelle des droits de l'homme et les instruments relatifs aux droits de l'homme nous montrent la voie.
De même, au niveau national, j'ai souligné à maintes reprises la nécessité d'un dialogue inclusif et constructif pour instaurer un climat de confiance, résoudre des problèmes qui semblent insolubles et prévenir des troubles et des conflits.
À l'heure actuelle, dans des lieux très différents en termes de niveau de développement, de situation politique et de circonstances, nous sommes témoins d'une effusion de mécontentement populaire et de protestations de masse – ou de leur ferme répression par l'État.
Dans chaque région, à Hong Kong, en Russie, en Papouasie indonésienne, au Cachemire administré par le Pakistan, au Honduras et au Zimbabwe, et bien entendu au Yémen et en Syrie, nous constatons le besoin désespéré de dialogue.
Beaucoup de revendications découlent des inégalités et des déséquilibres de pouvoir. Ce n'est que lorsque des personnes de tous horizons ont l'opportunité de prendre part aux débats pour discuter ouvertement de leur accès aux droits sociaux, économiques, civils, politiques et culturels – dans un espace sûr, sans crainte de répression – que nous pouvons espérer garantir la stabilité.
Chacun a le droit d'avoir une opinion et de l'exprimer de façon pacifique. Les mesures drastiques telles que le blocage général de l'accès à Internet, parfois pour des périodes prolongées, sont contraires au droit international.
L'usage inutile et disproportionné de la force à l'encontre de personnes ayant des points de vue différents, ainsi que les arrestations de personnes qui exercent leur droit à la liberté d'expression et de réunion pacifique ne peuvent qu'exacerber les tensions, portant ainsi gravement atteinte à l'espace de dialogue.
Bien trop de défenseurs des droits de l'homme et journalistes sont ciblés et font l'objet de poursuites, de harcèlement – en ligne et hors ligne, y compris de « trolling » – ou même de violences physiques et d'assassinats ciblés. Leur travail est essentiel à la sauvegarde de nos droits de l'homme, et leur protection contre les représailles constitue un indicateur sans appel de la situation des droits de l'homme dans leur pays.
Face aux troubles qui se manifestent actuellement dans tant de régions du monde, je lance aujourd'hui un appel mondial pour que toutes les parties impliquées renoncent à la violence, fassent preuve de retenue et donnent la priorité à un dialogue ouvert et inclusif.
Je tiens ici à m'attarder sur l'une des pires crises que nous ayons connu ces huit dernières années : celle de la Syrie, qui a commencé avec l'échec honteux du Gouvernement à garantir un espace de dialogue sûr.
Ne serait-ce qu'au cours des quatre derniers mois, depuis l'escalade des hostilités dans la zone démilitarisée d'Edleb et ses environs entre le 29 avril et le 29 août, le Haut-Commissariat a pu confirmer le décès de 1 089 civils, tués par les parties au conflit – 572 hommes, 213 femmes et 304 enfants.
Parmi ces victimes civiles, 1 031 décès seraient attribuables aux attaques aériennes et terrestres menées par les forces gouvernementales et leurs alliés dans les provinces d'Edleb et de Hama. Des groupes armés non étatiques ont également lancé des attaques dans des zones peuplées contrôlées par le Gouvernement, et seraient responsables des 58 autres décès.
En outre, depuis le 29 avril, nos rapports font état de 51 établissements médicaux – notamment des hôpitaux, des cliniques et des services ambulanciers – endommagés par ces attaques.
Il va sans dire que ces chiffres sont effroyables, honteux et tragiques.
Il semblerait que dans cette course pour contrôler les territoires, les pertes civiles ne soient pas un facteur d'inquiétude. Toute escalade ne fera qu'entraîner de nouvelles pertes humaines et le déplacement de civils qui ont déjà été forcés de fuir à plusieurs reprises dans des situations de détresse humanitaire.
Je lance un appel à toutes les parties au conflit et aux États – nombreux et puissants – ayant une influence de mettre de côté leurs différences politiques et d'arrêter ce carnage.
Je vous remercie tous pour votre attention et pour votre aide afin de faire connaître les enjeux relatifs aux droits de l'homme à travers le monde. Pour ma part, je suis très impatiente de mettre à profit tout ce que j'ai pu voir et apprendre cette première année au cours des trois prochaines années de mon mandat en tant que Haute-Commissaire aux droits de l'homme.
FIN
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