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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Conférence internationale sur la réduction des risques 2019

29 Avril 2019

Déclaration de Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

Le 28avril 2019 à Porto, au Portugal

Chers présidents de la Conférence,
Monsieur le Président Jorge Sampaio,
Madame la Secrétaire d’État Raquel Duarte,
Monsieur le maire de Porto,
Chers membres du panel,
Excellences,
Chers collègues et amis,
Chers militants pour la réduction des risques et défendeurs des droits de l’homme,

Je suis heureuse d’être présente à cet événement réunissant de nombreux individus dont le travail est au cœur de la réduction des risques, des politiques sur les drogues et des droits de l’homme.

Le thème de cette rencontre " Les individus avant la politique " est un véritable appel à la mobilisation et au changement des convictions afin de déplacer l’accent mis actuellement sur la répression vers le bien-être et la protection des droits des personnes qui consomment des drogues et ce, à l’échelle mondiale.

Il est particulièrement important que cette rencontre se déroule au Portugal, où l’usage de drogues et la possession pour usage personnel ne constituent plus une infraction pénale; où l’échange de seringues et les médicaments de sevrage sont largement disponibles; et où de nombreux dispositifs ont été mis en place pour que les consommateurs de drogues aient un meilleur accès aux soins de santé.

Le souci du bien-être de ces personnes et, dans la mesure du possible, la volonté de s’attaquer aux facteurs sous-jacents qui sont à l’origine de la dépendance aux drogues ont motivé ces changements juridiques et politiques. Il en a résulté une baisse considérable du nombre de nouvelles infections à VIH, de la mortalité par surdose et du nombre d’incarcérations.

La soi-disante " guerre aux drogues" est motivée par l’idée que la répression contre les personnes qui consomment de la drogue –ou qui sont impliquées dans le commerce de la drogue– fera disparaître sa consommation. Mais nous savons par expérience que ce n’est tout simplement pas le cas. Les pays qui ont suivi cette approche pendant des décennies ne sont pas plus près de devenir des pays " sans drogues " aujourd’hui. Au contraire, la variété et la quantité de substances produites et consommées sont aujourd’hui plus importantes que jamais.

La pauvreté, combinée à des possibilités limitées pour les communautés marginalisées et rurales et à l’instabilité politique, ont continué d’entraîner des niveaux élevés d’offre et une augmentation marquée des décès liés à la drogue. Entre2000 et2015, le nombre de décès liés à la drogue a augmenté de 60%, avec un nombre effarant de 450000 décès en 2015. Concernant la demande, les politiques répressives ont en réalité entravé les politiques susceptibles de s’attaquer à certains des facteurs sociaux qui rendent un individu encore plus vulnérable à la consommation de drogues et à ses conséquences néfastes.

Nous assistons à la persistance et, dans certains cas, à l’augmentation des violations des droits de l’homme liées aux mesures de contrôle des drogues. Certains rapports font état d’exécutions extrajudiciaires, d’actes de torture et de disparitions forcées à grande échelle dans certains pays; du recours à la peine de mort pour des actes liés aux drogues qui ne sont pas considérés comme les " crimes les plus graves" en droit international; de pratiques discriminatoires en matière de répression; et de détention arbitraire.

La criminalisation de la consommation de drogues dissuade les consommateurs d’accéder aux traitements et aux autres services sociaux et de santé. Outre la stigmatisation et la discrimination qu’elle alimente, la criminalisation est également susceptible d’entraîner des taux plus élevés d’injections à risque et des risques accrus de surdose, car les individus doivent s’injecter rapidement et dans des endroits peu sûrs.

La criminalisation de l’usage de drogues entraîne également des incarcérations de masse: le nombre de personnes actuellement incarcérées dans le monde atteindrait le chiffre record de dix millions, un détenu sur cinq étant incarcéré pour des infractions liées à la drogue– la plupart d’entre eux pour possession de drogue pour usage personnel. L’incarcération d’un grand nombre d’individus dans des prisons surpeuplées et sous-financées risque d’accroître la probabilité que ces personnes commettent des crimes une fois libérés. L’incarcération est également très coûteuse –beaucoup moins rentable que le traitement et l’accompagnement. Dans ce contexte, il s’agit souvent d’une peine injuste ou d’une peine d’une sévérité disproportionnée. Et bien que le risque de transmission de virus hématogènes soit élevé dans les prisons, ces dernières disposent généralement d’encore moins de services de réduction des risques que la communauté, ce qui entraîne davantage de risques pour la santé.

Les mesures de réduction des risques ont été reconnues comme étant essentielles pour les consommateurs de drogues, notamment par l’Assemblée générale des Nations Unies, le Conseil des droits de l’homme, l’Organisation mondiale de la santé, l’ONUSIDA, et de multiples organes conventionnels et rapporteurs spéciaux sur les droits de l’homme.

Excellences,

Les gouvernements doivent sauvegarder et améliorer le bien-être des sociétés. Lorsque des politiques ne parviennent manifestement pas à atteindre leurs objectifs, il est temps de les modifier.

Comme le montre l’exemple du Portugal, les politiques fondées sur des données probantes et guidées par le souci de la santé publique et des droits de l’homme sont plus efficaces pour faire face à la fois à l’offre et à la demande de drogues - ainsi qu’à leurs effets les plus néfastes sur la société.

En 2001, le Portugal avait le taux de VIH le plus élevé d’Europe parmi les consommateurs de drogues injectables. Le Président Sampaio et mon collègue le Secrétaire général António Guterres, alors Premier Ministre du Portugal, ont introduit la même année la dépénalisation de la consommation individuelle des drogues. Des ressources plus importantes ont été allouées à la prévention, au traitement –y compris les mesures de réduction des risques– et aux programmes de réinsertion sociale des consommateurs de drogues. Les taux de toutes les maladies sexuellement transmissibles ont diminué de façon spectaculaire. Les taux globaux de consommation de drogues ont diminué. Le Portugal a aujourd’hui l’un des taux de mortalité liée à la consommation de drogues les plus bas d’Europe.

Excellences
Chers collègues et amis,

Si l’on considère spécifiquement les programmes de réduction des risques, les faits parlent d’eux-mêmes. Lorsque ces programmes existent –et qu’ils reçoivent un financement adéquat–, ils réussissent à réduire considérablement les dommages pour la santé et le bien-être des personnes qui utilisent des drogues.

L’échange de seringues, les traitements de qualité, l’éducation, le soutien psychologique et les produits de substitution comme la méthadone ou la naxolone ont permis de réduire efficacement la dépendance, les surdoses et la propagation du VIH et de l’hépatite C.

Des progrès ont été remarqués lorsque les autorités nationales ont géré l’usage de drogues et la toxicomanie comme un problème de santé publique nécessitant un traitement, des conseils et des interventions médicales.

Les programmes de traitement de la toxicomanie et de soutien psychologique sont non seulement beaucoup plus efficaces que la prison pour réduire la dépendance et l’abus de drogues; ils sont également plus rentables. Et ils n’ont pas l’énorme impact social et économique sur les communautés pauvres et minoritaires que l’on observe actuellement dans de nombreux pays ayant recours à des pratiques policières discriminatoires et à l’incarcération de masse.

En mars de cette année, lors du débat ministériel de haut niveau de la 62e session de la Commission des stupéfiants à Vienne, tous les États Membres ont exprimé à l’unanimité leur inquiétude concernant les politiques de contrôle des drogues non conformes aux obligations internationales relatives aux droits de l’homme.

En novembre de l’année dernière, l’Organe international de contrôle des stupéfiants a clairement réaffirmé que les mesures de contrôle des drogues adoptées par les États violent non seulement les droits de l’homme internationalement reconnus, mais aussi les conventions internationales relatives au contrôle des drogues. En juin 2017, douze organismes des Nations Unies ont publié une déclaration recommandant l’examen et l’abrogation des sanctions prévues par la loi criminalisant ou interdisant l’usage ou la possession de drogues pour usage personnel.

Étant donné ces preuves indéniables et le consensus international clair en faveur de politiques en matière de drogues fondées sur les droits de l’homme, pourquoi tant de personnes prises au piège de la toxicomanie sont-elles privées de leurs droits en tant qu’êtres humains ?

Pourquoi tant de pays ont-ils encore des obstacles juridiques et politiques aux services vitaux de réduction des risques –y compris des lois qui rendent illégaux l’échange d’aiguilles et de seringues et les traitements de substitution aux opiacés ?

Chers présidents de la Conférence,
Chers collègues et amis,

Compte tenu de la présence dans cet auditoire de nombreux éminents experts dans le domaine de la santé, j’aimerais aborder pendant quelques instants la question de l’accès aux médicaments réglementés –non seulement pour les traitements de sevrage aux opiacés, mais aussi pour les besoins de santé non liés à la consommation de drogues illicites.

L’usage médical de stupéfiants placés sous contrôle reste indispensable pour soulager la douleur et la souffrance. Il est essentiel de veiller à ce qu’ils soient disponibles à ces fins: le refus de soulager la douleur peut constituer un mauvais traitement assimilable à de la torture. Il est également essentiel de veiller à ce que les traitements de substitution aux opiacés puissent aider les personnes qui sont devenues dépendantes à prendre leurs distances par rapport aux nombreux dangers pour la vie et la santé associés aux sources illégales de stupéfiants.

Rendre les drogues placées sous contrôle international disponibles à des fins médicales et scientifiques est au cœur des conventions internationales relatives au contrôle des drogues depuis la Convention unique sur les stupéfiants de 1961. Et je suis convaincue que tous les États Membres ont la capacité de concevoir une législation qui garantisse le respect de cet élément vital du droit à la santé.

Outre les restrictions excessives imposées à l’accès aux opioïdes dans plusieurs pays, une épidémie de dépendance aux opioïdes en Amérique du Nord a entraîné des taux de mortalité sans précédent. Cette crise a été provoquée par la surprescription d’opioïdes par les médecins.

De toute évidence, il est nécessaire d’introduire des réglementations et des formations bien conçues concernant la prescription d’opioïdes, y compris concernant le suivi, pour que l’objectif d’un soulagement adéquat de la douleur puisse être atteint. Le traitement de la dépendance aux opiacés au moyen de programmes axés sur l’abstinence est probablement beaucoup moins efficace que les traitements de substitution aux opiacés.

L’abstinence complète de la consommation de drogues a également été, jusqu’à présent, le principal message de prévention dans de nombreux pays. Mais que l’abstinence soit utilisée comme traitement ou comme prévention, il existe très peu de preuves montrant qu’elle est efficace. Des informations honnêtes, l’encouragement de la modération lors des expérimentations chez les jeunes et la priorité accordée à la sécurité par la connaissance sont beaucoup plus susceptibles d’aboutir à des résultats positifs –comme tous les États l’ont noté dans le document final de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies de 2016 consacrée aux drogues, où ils se sont engagés à prendre des mesures préventives efficaces, concrètes et factuelles, et à fournir des informations précises concernant les risques de toxicomanie. Il est également essentiel pour toute campagne de prévention et de sensibilisation de promouvoir des attitudes non stigmatisantes à l’égard des consommateurs de drogues.

Chers présidents de la conférence,

Dans un certain nombre de pays, des réformes importantes sont nécessaires pour mettre les systèmes de justice pénale en conformité avec le droit international des droits de l’homme sur les questions liées à l’usage de drogues.

Le recours à la peine de mort a connu une évolution positive, notamment une diminution significative du nombre d’exécutions signalées pour des infractions liées à la drogue depuis 2015. Toutefois, au moins 3940 personnes ont été exécutées pour une infraction liée à la drogue ces dix dernières années. Je reste préoccupée par le recours continu à la peine capitale pour les infractions liées à la drogue dans un certain nombre d’États et par les mesures prises pour la réintroduire dans d’autres. Trente-cinq États maintiennent la peine de mort pour les infractions liées à la drogue, en violation du droit international des droits de l’homme. Nous recommandons vivement aux États de modifier leur code pénal et de ne plus prononcer la peine de mort, quelle que soit l’infraction commise, y compris les infractions liées à la drogue.

Au cours des dernières années, nous avons assisté à une forte augmentation du nombre d’exécutions extrajudiciaires de personnes perçues comme des consommateurs de drogues ou impliquées dans le commerce illicite de drogues, et je tiens à être très claire à ce sujet. Tout être humain accusé d’une infraction a droit à un procès équitable devant un tribunal. Quiconque est responsable du meurtre d’une telle personne –que l’auteur ou les responsables soient ou non des agents de l’État– commet une infraction grave qui doit faire l’objet d’une enquête, de poursuites et de sanctions.

Les consommateurs de drogues sont aussi fréquemment soumis à des détentions arbitraires ou à des abus de la part des forces de l’ordre. Les centres de détention obligatoire pour toxicomanes sont incompatibles avec le droit relatif aux droits de l’homme et impliquent souvent de multiples formes de violations des droits de l’homme. Ils doivent être complètement revus et être remplacés par des services volontaires dans la communauté. Des rapports font aussi fréquemment état de consommateurs de drogues devant donner de l’argent ou offrir des services sexuels à la police pour ne pas être arrêtés. Les membres des communautés minoritaires, les personnes d’ascendance africaine et les personnes LGBT peuvent également être la cible de mesures de police discriminatoires, ce qui porte atteinte aux droits de l’homme.

Les consommateurs de drogues ne doivent pas être privés de leurs droits fondamentaux. Ils ont les mêmes droits que nous tous, y compris le droit à la santé et à la vie, à la non-discrimination, à la protection contre les arrestations et détentions arbitraires, et à la protection contre la torture et autres formes de mauvais traitements.

Il faut veiller à ce que les politiques et programmes en matière de drogues tiennent compte de la situation particulière des femmes et des filles dans ce contexte. Il faut notamment de se pencher sur l’augmentation considérable du nombre de femmes incarcérées dans de nombreux pays –qui est souvent due à l’augmentation du nombre de femmes incarcérées pour des infractions liées à la drogue, bien que dans de nombreux cas leur rôle soit non violent et relativement mineur. Leur taux élevé de condamnations peut s’expliquer en partie par le fait que l’administration de la justice ne tient pas compte des sexospécificités, ni de facteurs tels que le manque relatif d’accès des femmes à une représentation juridique efficace, la pauvreté et la violence sexiste.

Excellences,

L’année dernière, 31 responsables d’institutions et d’entités du système des Nations Unies ont adopté une position commune afin d’apporter un soutien coordonné aux États Membres en matière de droits de l’homme, d’état de droit, de santé publique, de développement et de sécurité dans le contexte des drogues. Elle vise à promouvoir la prévention et le traitement, y compris la réduction des risques, et à renforcer l’action de la justice et des systèmes d’application de la loi pour arrêter le crime organisé et protéger –plutôt que cibler–les personnes qui consomment des drogues.

J’encourage vivement les États Membres, la société civile, les professionnels de la santé et d’autres à soutenir le travail de l’équipe spéciale de coordination des Nations Unies pour rééquilibrer les politiques en matière de drogues dans une approche de santé publique.

Ceux qui sont tombés dans le piège de la dépendance à la drogue ont besoin d’aide pour reconstruire leur vie. Les politiques gouvernementales ne doivent pas devenir une plus grande menace pour leur bien-être que les drogues qu’ils consomment: des sanctions disproportionnées et injustes ne peuvent qu’accroître leurs souffrances et les conduire à une marginalisation et une misère plus profondes.

Je ne doute pas que des politiques globales et fondées sur des principes qui respectent la dignité, les droits de l’homme et la justice réduiront à la fois l’offre et la demande, protégeront la santé et –comme prévu dans le document final de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies de2016 sur le problème mondial de la drogue– contribueront à atteindre les objectifs de développement durable.

Elles contribueront également à bâtir des sociétés et des systèmes de gouvernance et de justice plus respectueux, et pourraient contribuer à soulager en partie la misère et les traumatismes humains profonds, qui sont souvent associés aux personnes qui deviennent dépendantes des drogues.

Nous partageons votre combat.

Merci.