Déclarations Procédures spéciales
Observations préliminaires de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées Mme Catalina Devandas-Aguilar sur sa Visite de pays au Canada, du 2 au 12 avril 2019
12 avril 2019
Membres de la presse,
Mesdames et messieurs,
En ma qualité de Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, je termine aujourd'hui ma première visite officielle au Canada, qui a eu lieu du 2 au 12 avril 2019. Je suis une experte indépendante ayant pour mandat de présenter des rapports au Conseil des droits de l'homme et à l'Assemblée générale des Nations Unies et leur présenter des recommandations sur les progrès, les possibilités et les difficultés rencontrés dans la mise en œuvre des droits des personnes handicapées dans le monde.
Tout d’abord, j'aimerais remercier chaleureusement le gouvernement du Canada de m'avoir invitée à visiter le pays et à évaluer, dans un esprit de dialogue et de coopération, la mesure dans laquelle les personnes handicapées jouissent effectivement des droits de la personne, ainsi que les possibilités et les défis actuels. Je tiens aussi à remercier le gouvernement canadien pour sa transparence, son ouverture et l'excellente coopération qui m'ont été offertes avant et pendant la visite. Je remercie particulièrement les coordonnateurs d’Affaires mondiales Canada du Canada et du Bureau de la condition des personnes handicapées pour leur soutien dans l’organisation de ma visite.
Enfin, je souhaite remercier tout particulièrement chacune des personnes handicapées et les organisations qui les représentent que j'ai pu rencontrer, qui m'ont fait part de leur situation, de leurs préoccupations et de leur désir de changement, y compris les personnes présentant des handicaps intellectuel ou psychosociaux, les femmes et les jeunes filles handicapées provenant de divers milieux socioéconomiques et les personnes handicapées autochtones de partout au pays.
Au cours de mon séjour, j'ai eu des discussions avec de nombreux hauts fonctionnaires représentant différents ministères, organismes, sociétés d'État et organismes de service spéciaux du gouvernement fédéral, notamment : Affaires mondiales Canada, le ministère de la Justice, Emploi et Développement social Canada, le Conseil du Trésor, Santé Canada, le ministère des Femmes et de l’égalité des genres, Services aux Autochtones Canada, Statistique Canada, la Société canadienne d'hypothèques et de logement, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et l’Office des transports du Canada. J'ai également eu l'opportunité de rencontrer l'honorable Carla Qualtrough, ministre des Services publics et de l’Approvisionnements et de l'Accessibilité, et la sénatrice Chantal Petitclerc, présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. De plus, j'ai rencontré l'Assemblée des Premières Nations, l'organe représentatif des citoyens des Premières Nations du Canada.
Au niveau provincial, j'ai rencontré des hauts fonctionnaires représentant les gouvernements de l'Ontario, du Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. J'ai également eu l'honneur de rencontrer la lieutenante gouverneure et le ministre des Services aux aînés et de l'Accessibilité de l'Ontario, la directrice générale de l’Office des personnes handicapées du Québec, le ministre de l'Éducation du Nouveau-Brunswick, le président de la Chambre et le ministre de la Justice de la Nouvelle-Écosse. De plus, j'ai eu une téléconférence avec des hauts fonctionnaires du ministère du Développement social et de la Réduction de la pauvreté, du ministère du Procureur général, du ministère de la Santé et du ministère de la Santé mentale et des toxicomanies de la Colombie-Britannique. J'ai également rencontré des représentants de la Commission canadienne des droits de la personne, de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec et de la Commission sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse.
J'ai visité le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) à Toronto, le Centre universitaire intégré de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Centre-Sud-de-l'Île à Montréal, l'école secondaire Nashwaaksis à Fredericton et l'unité pour personnes ayant un handicap psychosocial et intellectuel appelée "Emerald Hall" de l'hôpital de la Nouvelle-Écosse à Halifax.
J'ai le plaisir de présenter certaines de mes observations et recommandations préliminaires, que je développerai plus en détail dans un rapport qui sera présenté lors de la 43e session du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies en mars 2020. Ces observations préliminaires ne reflètent ni tous les sujets qui m'ont été présentées, ni toutes les initiatives entreprises par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux du Canada dans le domaine du handicap.
Cadre juridique et politique
Au niveau international, le Canada a ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) et son Protocole facultatif, le « Traité de Marrakech visant à faciliter l'accès des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées », ainsi que les principaux traités internationaux relatifs aux droits de la personne, à l'exception de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, de la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, du Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Je voudrais encourager le Canada à ratifier tous ces instruments internationaux relatifs aux droits de la personne et à envisager de retirer sa déclaration interprétative relative à l’article 12(4) de la CDPH.
Au niveau constitutionnel, la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 garantit dans son article 15 le droit à l'égalité et à la non-discrimination sur la base d'une liste non exhaustive de motifs de distinction illicite, dont le handicap.
En raison de la structure fédérale du Canada, les compétences sont réparties entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Par conséquent, diverses lois fédérales, provinciales et territoriales réglementent les droits des personnes handicapées.
Le cadre législatif fédéral tient compte des droits des personnes handicapées en vertu de diverses lois, notamment le Code criminel et la Loi sur la preuve, la Loi électorale, la Loi sur l'équité en matière d'emploi, la Loi sur la santé, la Loi sur les régimes de retraite, la Loi de l'impôt sur le revenu, la Loi sur l'épargne-invalidité, les lois sur les prêts aux étudiants et l'aide financière aux étudiants, le Règlement sur les transports aériens, et la Loi sur la radiodiffusion. Toutefois, à ce jour, il n'existe pas de législation spécifique au niveau fédéral sur les droits des personnes handicapées et la législation existante ne couvre pas l'ensemble des droits contenus dans la CDPH, ni n'est pleinement conforme à celle-ci.
Au niveau provincial, seuls l'Ontario, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et le Québec ont adopté des lois spécifiques aux personnes handicapées, dont aucune n'est exhaustive ni entièrement conforme à la CDPH. En outre, d'autres lois provinciales et territoriales ne reflètent pas une approche fondée sur les droits des personnes handicapées ; par exemple, toutes les lois sur la capacité juridique contredisent l'article 12 de la CDPH, qui reconnaît sans exception la capacité juridique de toutes les personnes handicapées sur un pied d'égalité avec les autres.
En général, le Canada n'a pas encore entrepris un processus d'examen complet pour harmoniser toutes ses lois avec la CDPH. J'aimerais rappeler que les gouvernements à tous les niveaux sont responsables de la mise en œuvre de la CDPH. Le paragraphe 5 de l'article 4 dispose que les obligations contractées par les États parties à la CDPH s'étendent à toutes les parties des États fédéraux sans aucune limitation ni exception. J'encourage vivement les autorités législatives compétentes aux niveaux fédéral, provincial et territorial à entreprendre un examen législatif complet et à achever le processus d'incorporation du traité, y compris l'harmonisation juridique, conformément à l'article 4 de la CDPH.
Je me réjouis de la présentation du projet de loi C-81, connu sous le nom de « Loi canadienne sur l'accessibilité », qui vise à rendre le Canada accessible, et qui est actuellement à l'étude au Sénat. J'ai été informée des consultations et de l'engagement continus avec les gouvernements des Premières Nations afin de clarifier comment le projet de loi pourrait s'appliquer dans ses champs de compétence. Je voudrais encourager toutes les autorités concernées à garantir à toutes les personnes autochtones handicapées la jouissance de leurs droits sans risque d'assimilation et dans les plus brefs délais. Des ressources suffisantes devraient être allouées pour assurer le succès de ce processus.
J'ai également noté qu'il n'existe aucune politique nationale au Canada pour coordonner et guider la mise en œuvre de la CDPH à l'échelle nationale, fédérale, provinciale ou territoriale. La mise en œuvre des objectifs de développement durable (ODD) au niveau national offre la possibilité d'inclure les droits des personnes handicapées dans les politiques et plans nationaux de développement. Dans ce contexte, je me réjouis de l'engagement du Canada à appuyer la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 au pays et à l'étranger. Je tiens à souligner que les efforts visant à atteindre les ODD devraient toujours tenir compte des droits des personnes handicapées dans une optique transversale et conformément à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, afin de veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte.
Mise en œuvre et suivi de la CDPH
Le Bureau de la condition des personnes handicapées (BCPH) est le point focal fédéral en matière de handicap, comme le prévoit l'article 33(1) de la Convention. Le Bureau s'emploie à renforcer les capacités et les connaissances et à favoriser l'élaboration de programmes cohérents pour les personnes handicapées dans l'ensemble du gouvernement du Canada. Chaque gouvernement provincial et territorial dispose d'un bureau similaire responsable des conseils stratégiques et de l'expertise sur les questions touchant les personnes handicapées dans sa province ou son territoire.
Toutefois, le Canada n'a pas de mécanisme pour coordonner et harmoniser les initiatives menées aux niveaux fédéral, provincial et territorial par ces différents points focaux. Il n'y a pas non plus suffisamment d'efforts pour coordonner les réponses au niveau provincial/territorial. Ce manque de mécanismes de coordination est un élément critique qui limite l'intégration et la mise en œuvre de la CDPH au Canada.
Le Canada n'a pas encore nommé de mécanisme de surveillance indépendant, comme l'exige le paragraphe 2 de l'article 33 de la Convention, pour promouvoir, protéger et surveiller son application. À cet égard, j'ai noté avec satisfaction que le projet de loi C-81 propose la désignation de la Commission canadienne des droits de la personne comme organisme indépendant chargé de surveiller la mise en œuvre de la CDPH par le gouvernement du Canada. J'exhorte le gouvernement à fournir à la Commission canadienne des droits de la personne les ressources financières et humaines dont elle a besoin pour s'acquitter de ce mandat aux niveaux fédéral, provincial et territorial.
En outre, j'aimerais encourager chaque province et territoire à désigner également des mécanismes de surveillance indépendants, conformément au paragraphe 33(2) de la Convention, dans leurs domaines de compétence respectifs.
Collecte des données
Un Canadien sur cinq (soit environ 6,2 millions de personnes) est une personne handicapée. Statistique Canada dispose de données sociodémographiques et de statistiques solides sur cette population. L'Enquête canadienne sur le handicap est la principale source de données sur les personnes handicapées de 15 ans et plus. Malgré ces données, je reste préoccupée par le peu d'informations disponibles sur les personnes vivant en institution et le manque de données sur la situation des personnes autochtones handicapées vivant dans les réserves.
Je me réjouis de la capacité du Canada de désagréger les données sur le handicap des enquêtes existantes, comme les enquêtes sur le revenu des ménages et les enquêtes sur la santé, en utilisant les questions d’identification des incapacités (QII) et la courte série de questions sur le handicap formulées par le Groupe de Washington. Il s'agit là d'étapes importantes pour surveiller la mise en œuvre de la CDPH et des ODD d'une manière comparable au niveau international.
Toutefois, j'ai noté avec préoccupation que les informations statistiques et administratives disponibles ne sont pas utilisées pour orienter la conception, la mise en œuvre et le suivi des politiques et programmes.
Considérations générales sur le cadre d'orientation et la réponse actuels en matière de handicap
Le gouvernement fédéral a exprimé sa vision de rendre le Canada accessible et inclusif pour les personnes handicapées. Au cours des dernières années, le gouvernement a encouragé ou amélioré diverses initiatives liées aux personnes handicapées, notamment le projet de loi C-81, une nouvelle stratégie pour un gouvernement accessible, des améliorations importantes au Programme canadien pour l’épargne-invalidité et le Fonds pour l'accessibilité.
Néanmoins, au cours de ma visite, j'ai remarqué que les discussions sur les droits des personnes handicapées s'inscrivent toujours dans le cadre de l'assistance sociale, plutôt que dans une approche fondée sur les droits de la personne. Bien que la Charte canadienne des droits et libertés consacre le droit à la non-discrimination et que les lois fédérales, provinciales et territoriales sur les droits de la personne reconnaissent l'obligation d'accommodement, qui prévoit des recours individuels, cela ne suffit pas à assurer une transformation systémique de la société.
Je voudrais rappeler aux autorités que la CDPH adopte un modèle d'égalité réelle qui va au-delà des approches non discriminatoires en vue de l'inclusion et de la pleine participation des personnes handicapées. Par conséquent, des réponses gouvernementales plus proactives sont nécessaires pour assurer un changement systémique et soulager les individus du fardeau d'engager des procédures juridiques longues et onéreuses pour obtenir la reconnaissance et l'exercice de leurs droits.
J'ai également noté d'importantes disparités dans les domaines de l'accessibilité et de l'accès à l'éducation, à la santé, à l'administration de la justice et à la protection sociale selon le lieu de résidence des personnes handicapées au Canada. La disponibilité et la qualité des services variant considérablement d'un endroit à l'autre, cela restreint la liberté de mouvement des personnes handicapées dans le pays. La situation des personnes autochtones handicapées est particulièrement préoccupante, car elles sont très en retard dans l'exercice de leurs droits et elles n'ont pas accès aux mêmes services et possibilités, dont beaucoup ne sont fournis qu'à l'extérieur des réserves et de manière non adaptée à leur culture.
Il y a un besoin urgent de leadership de haut niveau aux niveaux fédéral, provincial et territorial pour guider et garantir une mise en œuvre efficace et coordonnée des droits des personnes handicapées partout au Canada.
Accessibilité à l'environnement physique, à l'information et aux communications
Au cours de ma visite, j’ai constaté que les infrastructures publiques et privées, ainsi que les systèmes de transport public, ne sont pas encore entièrement accessibles aux personnes handicapées, avec quelques variations d'une province à l'autre. Bien que certaines provinces et certains territoires aient adopté des lois à cet égard, leur mise en œuvre et leur application demeurent insuffisantes.
Le dépôt du projet de loi C-81, connu sous le nom de Loi canadienne sur l'accessibilité, est une étape importante pour favoriser l'accessibilité dans les domaines de compétence fédérale, y compris l'utilisation des marchés publics comme outil pour s'assurer que les biens et services achetés au fédéral sont accessibles aux personnes handicapées. Toutefois, je note avec inquiétude l'absence de données de référence indiquant l'état actuel de l'accessibilité au Canada et tout progrès réalisé dans l'élimination des obstacles.
En ce qui concerne l'accès à l'information et aux communications, j'ai été heureuse d'apprendre les efforts déployés par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes pour rendre les services de radiodiffusion accessibles par le sous-titrage codé et la description sonore en français et en anglais. Je salue également la décision de cette Commission d'établir une obligation pour les fournisseurs d’offrir un service de relais. En ce qui concerne l'utilisation de la langue des signes, je crains que les langues des signes américaine et québécoise ne soient pas officiellement reconnues au Canada et que la prestation de services d'interprétation en langue des signes demeure très limitée, y compris l'accès aux services de base.
L'éducation
L'éducation au Canada relève de la compétence des provinces et des territoires. On constate des différences importantes dans la pratique à l'échelle du pays. J'ai été extrêmement heureuse d'apprendre l'existence du système d'éducation pleinement inclusif mis en œuvre au Nouveau-Brunswick, qui est l'un des meilleurs au monde et un modèle à suivre, où tous les enfants handicapés fréquentent des écoles ordinaires et reçoivent un soutien personnalisé, quel que soit le niveau de leurs besoins, dans un cadre de conception universelle pour l'apprentissage. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick a également mis en œuvre un cadre de prestation intégrée des services axé sur les enfants et les jeunes, qui comprend une intervention multidisciplinaire et coordonnée entre les organismes pour soutenir les enfants et les jeunes handicapés.
Toutefois, je crains que la plupart des politiques provinciales et territoriales n'aient pas encore mis en œuvre des systèmes d'éducation entièrement inclusifs et que les étudiants handicapés d'autres régions du Canada puissent recevoir des niveaux de soutien très différents. J'ai été informée que de nombreux enfants handicapés continuent d'être scolarisés dans des classes séparées ou dans des écoles spécialisées, et j'ai reçu des informations inquiétantes selon lesquelles les enfants handicapés peuvent être scolarisés à des journées partielles d’école ou temporairement retirés de l'école, pour des périodes allant jusqu'à six mois sans accès à l'éducation.
J'ai également noté un décalage entre l'engagement de l'État en faveur de l'inclusion dans la législation et les politiques et la mise en œuvre quotidienne dans la pratique, qui se traduit par de longs délais d'attente et le manque de services pour les étudiants handicapés et leurs familles, ce qui les met sous pression émotionnelle et financière importante. J'ai également été informée que les enfants handicapés dans des classes séparées ou ceux qui ont suivi un plan d'éducation individualisé peuvent recevoir un certificat ou un diplôme différent de celui des autres enfants, ce qui limite leurs chances de s'inscrire à des niveaux supérieurs.
Capacité juridique
Au Canada, les personnes ayant un handicap intellectuel ou psychosocial se voient systématiquement refuser la capacité juridique en vertu de régimes décisionnels de substitution, comme la tutelle et la curatelle, apparemment pour leur propre protection. Par exemple, en Ontario, il y a environ 20 800 adultes sous diverses formes de tutelle, alors qu'au Québec, il y a environ 34 000 adultes sous tutelle ou curatelle. En réalité, loin d'être protégées, les personnes handicapées placées dans le cadre de ces mesures sont privées de leur reconnaissance de la capacité juridique dans des conditions d’égalité et d'autres droits, et courent un plus grand risque d'abus et de placement en institution.
Il existe des expériences réussies d’accompagnement à la prise de décision au Canada, comme celles de la Colombie-Britannique, qui visent à permettre aux personnes handicapées d'exercer un choix et un contrôle sur leur propre vie. Si certaines de ces pratiques existent depuis de nombreuses années, l'absence d'un cadre juridique habilitant limite leur impact et leur possibilité de les étendre.
Dans ce contexte, j'exhorte toutes les provinces et tous les territoires à entreprendre un processus complet d'examen de leur système juridique afin de permettre la pleine réalisation du droit à la capacité juridique des personnes handicapées, sur la base de l'égalité avec les autres. Il est également important de fournir une assistance financière et technique aux organisations de la société civile qui peuvent soutenir la mise en œuvre d'initiatives pour l’accompagnement à la prise de décision.
Rappelant la contribution fondamentale du Canada à la notion d’accompagnement à la prise de décision dans le processus de rédaction de la CDPH, en collaboration avec les personnes handicapées qui se défendent elles-mêmes, ainsi que certaines de ses pratiques de longue date en matière d’accompagnement pour la prise de décision, j'aimerais réitérer ma recommandation de retirer la réserve du Canada au paragraphe 12(4) de la CDPH et accélérer le processus pour éliminer toute forme de régime de prise de décisions substitutive dans le pays.
Accès à la justice
Il existe une obligation d'accommoder les besoins des personnes handicapées dans toutes les procédures devant les cours et tribunaux fédéraux en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne et du Code criminel. Différentes provinces et territoires reconnaissent également cette obligation dans leurs lois respectives. De plus, j'ai été informée des efforts déployés par le Conseil canadien de la magistrature pour élaborer des cours de formation et des lignes directrices sur l'accès à la justice des personnes handicapées.
J'aimerais rappeler aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux que l'obligation de fournir des mesures d'adaptation procédurale aux personnes handicapées dans toute procédure judiciaire, telle qu'établie à l'article 13 de la CDPH, est distincte de l'obligation de fournir des aménagements raisonnables, puisque la première n'est pas soumise au critère de la contrainte excessive.
En outre, je suis très préoccupée par la surreprésentation des personnes handicapées, en particulier celles qui appartiennent à des communautés autochtones ou à d'autres communautés minoritaires, tant dans les prisons que dans le système de justice pour mineurs. J'ai également reçu des informations alarmantes selon lesquelles des personnes ayant des handicaps psychosociaux sont renvoyées devant des tribunaux de santé mentale pour des délits mineurs où elles sont soumises à des peines plus lourdes et à des régimes plus stricts.
Privation de liberté et traitement non volontaire
Les lois provinciales et territoriales du Canada prévoient l'hospitalisation et le traitement non volontaires des personnes ayant un handicap psychosocial, en contradiction avec les articles 14 et 25 de la CDPH. Par exemple, la Loi sur la santé mentale de la Colombie-Britannique contient des critères très larges pour le placement d'office et, une fois détenue, une personne peut être traitée de force sans son consentement libre et éclairé, y compris la médication forcée et la thérapie électroconvulsive.
De plus, la plupart des provinces et territoires ont adopté des lois autorisant les ordonnances de traitement communautaire à l'initiative des cliniciens, qui obligent les personnes ayant un handicap psychosocial à se conformer à un plan de traitement qui comprend généralement des médicaments et des services de consultation. J'ai reçu plusieurs plaintes concernant l'application de ces ordonnances, notamment l'absence de garanties procédurales, l'absence d'autres options de traitement et les menaces d'hospitalisation forcée.
On m'a informée que les taux de placements d'office et d'ordonnances de traitement en milieu communautaire sont en hausse partout au Canada. De même, le nombre de lits pour malades hospitalisés dans les hôpitaux psychiatriques, en particulier dans les unités médico-légales, est également en augmentation. De plus, différents interlocuteurs m'ont dit qu'il y a un nombre important de personnes ayant un handicap psychosocial qui n'ont plus besoin d'être à l'hôpital mais qui ne peuvent pas partir en raison du manque d'alternatives communautaires.
J'exhorte les gouvernements provinciaux et territoriaux à transformer leurs systèmes de santé mentale afin d'assurer une approche fondée sur les droits et des interventions communautaires bien financées, en veillant à ce que toutes les interventions en soins de santé soient fournies sur la base du consentement libre et éclairé.
J'ai également remarqué qu'il n'y a pas de surveillance indépendante des établissements et des institutions de santé mentale. J'aimerais recommander aux gouvernements provinciaux et territoriaux d'établir des mécanismes de surveillance indépendants pour les centres de privation de liberté, y compris pour les hôpitaux et les institutions.
Vivre de façon autonome dans la communauté
Je suis extrêmement préoccupée par l'absence de réponses globales pour garantir l'accès des personnes handicapées au soutien dont elles ont besoin pour vivre de façon autonome dans leur collectivité. Bien que la législation, les services et les programmes varient d'une province et d'un territoire à l'autre, l'accès au soutien n'est généralement pas considéré comme un droit, mais plutôt comme un programme d'aide sociale qui dépend de la disponibilité des services.
De plus, de nombreux services et programmes de soutien sont gérés par des organismes sans but lucratif, avec un financement et des orientations limitées de la part des gouvernements provinciaux et territoriaux. Par conséquent, les personnes handicapées ont un accès limité à différentes formes de soutien (y compris le soutien au revenu, le soutien à domicile et les centres de répit), ce qui entraîne de longues périodes d'attente pouvant atteindre plusieurs années. Bien que certains projets pilotes aient démontré leur potentiel de transformation de la prestation de services (par exemple les initiatives visant à fournir un financement direct personnalisé), l'identification, la systématisation et l'expansion globales de ces initiatives demeurent un défi.
Selon Statistique Canada, environ 509 000 personnes avec un problème de santé résident dans des hôpitaux, des foyers de soins infirmiers, des foyers de groupe et d'autres institutions à long terme. Bien que la majorité des grands établissements pour personnes handicapées aient été fermés, l'absence d'options communautaires ne donne pas d'autre choix aux personnes handicapées que de vivre dans des établissements et d'autres milieux résidentiels où elles finissent par être séparées et isolées de leur communauté, ce qui les empêche de choisir et de contrôler les modalités de vie et de soutien, et restreint considérablement leurs décisions quotidiennes.
En outre, on m'a informée que les personnes handicapées, en particulier celles qui ont un handicap intellectuel et psychosocial, sont nettement surreprésentées dans la population des sans-abri. Ce taux continue d'augmenter en raison de la pauvreté et du manque de services communautaires, notamment de logements adéquats et subventionnés.
À cet égard, j'exhorte les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux à adopter des plans d'action concrets pour prévenir la réinstitutionnalisation des personnes handicapées et à assurer la prestation de services communautaires, y compris des logements adéquats. La prestation d'un soutien aux personnes handicapées est non seulement une obligation du Canada en matière de droits de la personne, mais aussi une condition essentielle pour faire en sorte que personne ne soit laissé pour compte dans la mise en œuvre du Programme pour le développement durable de 2030.
Droit à la vie
Je suis extrêmement préoccupée par la mise en œuvre de la législation sur l’aide médicale à mourir dans une perspective de handicap. On m'a informée qu'il n'y a pas de protocole en place pour démontrer que les personnes handicapées ont reçu des solutions de rechange viables lorsqu'elles sont admissibles à l’aide médicale à mourir. J'ai également reçu des plaintes inquiétantes concernant des personnes handicapées dans des institutions qui subissent des pressions pour obtenir de l'aide médicale à mourir, et des praticiens qui ne signalent pas officiellement les cas impliquant des personnes handicapées. J'exhorte le gouvernement fédéral à enquêter sur ces plaintes et à mettre en place des mesures de protection adéquates pour veiller à ce que les personnes handicapées ne demandent pas d’aide médicale à mourir simplement parce qu'il n'existe pas de solutions de rechange communautaires et de soins palliatifs.
Emploi et protection sociale
Selon les données officielles de Statistique Canada, 41 pour cent des personnes handicapées sont sans emploi ou hors du marché du travail. Ce taux est de 20 pour cent supérieur à celui des personnes non handicapées, et celles qui ont un emploi gagnent moins que les Canadiens non handicapés. Au sein du gouvernement fédéral, les personnes handicapées ne représentent que 5,6 pour cent de tous les fonctionnaires, occupent moins de postes de gestion et obtiennent moins de promotions.
Je me réjouis de l'initiative du gouvernement fédéral, en tant que premier employeur du Canada, d'améliorer le recrutement, le maintien en poste et la promotion des personnes handicapées. Des efforts semblables sont nécessaires aux niveaux provincial et territorial pour accroître l'emploi des personnes handicapées dans le secteur public.
En ce qui concerne la protection sociale, je suis profondément préoccupée par le taux élevé de pauvreté parmi les personnes handicapées. Bien que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux offrent une variété de prestations, y compris l'aide au revenu et les crédits d'impôt, aux personnes handicapées et à leur famille, on m'a informée que les disparités en matière de protection sociale entre les provinces et les territoires sont importantes et que l'accès à certaines de ces prestations est difficile en raison de critères d'admissibilité rigoureux et de procédures lourdes. En outre, l'existence de différents programmes et prestations qui se recoupent rend difficile pour certaines personnes handicapées de s'y retrouver dans le système. Le Canada doit revoir son système de protection sociale pour s'assurer que les mesures fondées sur les droits favorisent la citoyenneté active, l'inclusion sociale et la participation communautaire des personnes handicapées.
Participation des personnes handicapées
En ce qui concerne la participation aux processus décisionnels, j'ai été heureuse d'apprendre que, d'une manière générale, les autorités consultent les personnes handicapées et les organisations qui les représentent. Par exemple, j'ai entendu parler de consultations approfondies sur le projet de loi C-81. Toutefois, les organisations de personnes handicapées expriment le besoin de passer d'une simple consultation avec elles à une participation active à toutes les décisions qui les touchent directement ou indirectement. De même, les autorités sont encouragées à faire des efforts supplémentaires pour assurer la participation de toute la diversité des personnes handicapées aux processus de prise de décisions, y compris les femmes et les enfants handicapés, ainsi que ceux appartenant aux communautés autochtones et raciales.
On m'a également informée que le gouvernement fédéral appuie les organisations de personnes handicapées par l'entremise du Programme de partenariats pour le développement social, qui fournit 11 millions de dollars canadiens chaque année en financement des projets et en financement de base aux organisations nationales de personnes handicapées. Cet appui financier n'a pas augmenté au fil des ans et est offert dans le cadre d'un processus concurrentiel qui oblige les organisations nationales de personnes handicapées à se faire concurrence.
J'aimerais encourager le gouvernement fédéral à revoir ce mécanisme de financement afin de créer un environnement propice à la création et au fonctionnement d'organisations représentatives des personnes handicapées.
Coopération internationale
Conformément à l'article 32 de la CDPH, l'Agence canadienne de développement international (ACDI) devrait être accessible et inclusive pour les personnes handicapées. J'aimerais encourager le gouvernement fédéral à faire en sorte que l'inclusion des personnes handicapées soit considérée dans tous les efforts d'aide internationale du Canada comme une conditionnalité transversale.
Pour conclure
En tant que pays très développé, le Canada est toujours en retard dans la mise en œuvre de ses obligations en vertu de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Il y a d'importantes lacunes dans la façon dont les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux du Canada respectent, protègent et réalisent les droits des personnes handicapées. Néanmoins, le pays a le potentiel d'entreprendre une transformation majeure et d'adopter pleinement l'approche du handicap fondée sur les droits de la personne introduite par la Convention. Les diverses initiatives pilotes et les bonnes pratiques en place pourraient, si elles étaient mises à l'échelle de façon adéquate, promouvoir un changement systémique pour les personnes handicapées au Canada.
L'engagement du Canada à l'égard de la mise en œuvre des ODD représente une excellente occasion de mettre en œuvre les droits des personnes handicapées, à condition que toutes les réponses stratégiques aux niveaux fédéral, provincial et territorial soient formulées à la lumière des normes élevées de la CDPH.
Permettez-moi de conclure en réitérant que je suis très reconnaissante au gouvernement du Canada de m'avoir invitée à visiter le pays. Reconnaissant les principes et les valeurs d'égalité, de respect de la diversité et d'équité - pour lesquels le Canada est bien connu à l'échelle internationale - j'espère que ces valeurs guideront également toutes les réponses de l'État en ce qui concerne les droits des personnes handicapées.
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