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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Cinquième Assemblée mondiale pour les femmes : WAW ! 2019/ Women 20 (W20)

27 mars 2019

Déclaration de Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

Tokyo, le 23 mars 2019

Monsieur le Premier Ministre Shinzō Abe,
Madame Abe,
Chers coprésidents,
Madame la Vice-Présidente Gabriela Michetti,
Chère Malala Yousafzai,
Excellences,
Chers collègues et amis,
Ohayo gozaimasu,

C’est un véritable honneur de prendre la parole à l’Assemblée mondiale pour les femmes et de participer à l’effort de ce pays pour parvenir à une société " où les femmes peuvent briller ". Je salue également votre décision d’associer ce travail avec Women 20, afin de faire passer un message politique fort et concerté au Sommet du G20 au mois de juin prochain. Je tiens également à reconnaître publiquement la contribution du groupe Women 20. Sans toutes ces femmes qui œuvrent depuis plusieurs années et font pression pour faire avancer l’égalité des genres au Sommet du G20, la situation serait encore plus alarmante qu’elle ne l’est aujourd’hui. Applaudissons donc tous les efforts déployés en faveur de Women 20.

Pour ce qui est du Sommet, plusieurs résolutions claires ont déjà vu le jour grâce à votre travail, mais permettez-moi de suggérer quelques idées :

La planète nous appartient tous.

Si vous, les dirigeants des pays du G20, voulez parvenir à un développement durable, vous devez autonomiser les filles et les femmes.

Si vous voulez mettre fin aux inégalités et à la pauvreté, donnez aux filles la liberté nécessaire pour qu’elles puissent faire leurs propres choix.

Si vous voulez améliorer la gouvernance et renforcer la stabilité, éliminez les obstacles qui entravent la participation des femmes.

Si vous voulez que les sociétés pacifiques deviennent une réalité, faites en sorte que les femmes prennent part aux débats.

Si vous voulez lutter efficacement contre le changement climatique – en influençant notre façon de manger, de produire, de construire, de nous déplacer, de gérer nos déchets – défendez les droits des femmes.

Si vous voulez combattre le terrorisme et façonner des sociétés sûres, éduquez les filles ; assurez-vous que les femmes puissent participer pleinement et équitablement à la société.

Intégrez les femmes à vos solutions. Sans cela, vous courez à l’échec. Car l’égalité des genres n’est pas seulement une question de justice pour des milliards de femmes et de filles. C’est la condition préalable pour relever les défis de la promotion d’un développement résilient et durable et de l’instauration d’une bonne gouvernance. 

Qu’il s’agisse de la santé de la planète ou du développement. Ou des conflits. Ou des inégalités. Des bureaux et des établissements de soins jusqu’aux conseils d’administration des entreprises. Des communautés les plus reculées au sommet du pouvoir national. De la rue et de l’école à l’espace numérique diffus et puissant. Car il ne s’agit pas seulement des défis auxquels sont confrontés les dirigeants des pays du G20. Chaque type de structure sociale, de rassemblement politique et d’organisation économique est concerné.

Dans tous ces contextes, notre message est donc le suivant :

S’il n’y a pas de justice pour la moitié de la population de nos pays, nous ne résoudrons pas nos problèmes – nous ne ferons qu’empirer les choses.

Chers participants,

La discrimination à l’égard des femmes est omniprésente dans le monde entier. Et dans chaque société, elle s’enracine dans certains moments de l’histoire et certaines caractéristiques aux multiples facettes. Toutefois, en règle générale, la discrimination à l’égard des femmes est fondée sur des stéréotypes qui sont limitatifs et souvent humiliants, et façonnés par l’idée que les femmes devraient être au service d’une société dont les objectifs et l’approche sont dictés par les hommes.

Dans la région Asie-Pacifique, comme dans de nombreuses autres régions du monde, on empêche les femmes de participer pleinement à la vie économie, politique, sociale et culturelle. De nombreuses femmes sont privées de leur dignité et de leur droit de faire leurs propres choix ; elles sont réduites au silence, exploitées, ciblées et victimes d’attaques physiques et virtuelles.

L’humiliation subie par les femmes qui s’expriment en ligne est endémique et injustement banalisée par les décideurs politiques, les institutions judiciaires et la police. La violence sexuelle est aussi souvent minimisée à tous les niveaux décisionnels à travers le monde. Dans les situations de conflit, la violence sexuelle se répand et est dévastatrice ; de nombreuses victimes sont visées en raison de leur appartenance ethnique, religieuse, politique ou clanique. Les femmes et les filles migrantes sont également exposées à un risque élevé de violence.

Cette discrimination et cette oppression nuisent à des millions de femmes et de filles, elles les empêchent d’avancer et les privent du plein exercice de leurs droits. Mais ce n’est pas tout. La discrimination fondée sur le sexe nuit à l’ensemble de la société. Elle nous empêche tous d’avancer. Elle nous empêche tous de vivre pleinement notre vie.

Permettez-moi tout d’abord d’examiner de plus près certaines questions économiques, car l’autonomisation économique des femmes et des filles peut profondément modifier la dynamique sociale et engendrer d’énormes transformations – c’est pourquoi elle fait partie des objectifs fondamentaux du Programme de développement durable à l’horizon 2030.

Selon un rapport de la Banque mondiale publié l’année dernière, plus de 2,7 milliards de femmes se heurtent à des obstacles juridiques qui limitent leurs options sur le marché du travail par rapport aux hommes. Des milliards d’autres sont privées d’un accès équitable à l’éducation et aux formations, ou stagnent dans des emplois à faible niveau, mal rémunérés et offrant peu de perspectives de carrière, en raison des attitudes sociales et de la discrimination dans les entreprises. En outre, comme l’a démontré le mouvement #MeToo et de nombreux cas individuels, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail sévit partout dans le monde et constitue un autre obstacle à la participation économique des femmes.

La recherche suggère que si les femmes pouvaient participer pleinement à l’économie mondiale, elles pourraient contribuer à hauteur de 28 billions de dollars au PIB mondial annuel d’ici dix ans – ce qui représente une augmentation de 26 % par rapport au statu quo.

À tous les niveaux, des petites entreprises privées aux grandes multinationales, les principaux acteurs doivent se demander si nous pouvons nous permettre de maintenir les femmes en marge de la direction économique et financière.

Je pense que la réponse est simple : nous ne pouvons pas. L’autonomisation des femmes permet de libérer le potentiel économique à tous les niveaux de la société – de l’État jusqu’aux femmes, à leurs familles et à leurs communautés, en passant par les entreprises privées et publiques.

Soyons clairs : par " autonomisation économique ", je ne veux pas seulement dire que nous devons augmenter le nombre de femmes sur le marché du travail, tout en conservant l’idée que les rôles des femmes et des hommes restent strictement et étroitement limités par des restrictions sociales.

La pleine autonomisation économique exige une transformation sociale, pour que les femmes et les hommes puissent exercer pleinement et sur un pied d’égalité leurs droits fondamentaux et qu’ils puissent faire leurs propres choix.

Les femmes seront véritablement autonomisées – et seront capables de développer pleinement leur potentiel et de " briller " – lorsqu’elles pourront exercer pleinement leurs droits et prendre leurs propres décisions, dans la dignité et l’autonomie, à la maison, au travail et sur la scène décisionnelle publique.

Comment pouvons-nous y parvenir ?

Les lois et les politiques comptent. L’égalité des femmes doit être garantie par la loi et soutenue par des politiques. Un important rapport de la Banque mondiale publié le mois dernier sous le titre Women, Business and the Law montre que les pays qui ont réformé leurs lois en faveur de l’égalité des genres ont considérablement accru la participation des femmes à la population active.

Ce rapport suggère que les domaines essentiels de la législation comprennent la protection des droits des femmes à la liberté de circulation, la non-discrimination dans l’accès au travail, la protection contre le harcèlement sexuel au travail et la violence domestique, l’égalité salariale, l’égalité dans le mariage, l’interdiction de la discrimination fondée sur la grossesse, le droit au congé parental, l’égalité dans la capacité juridique, la reconnaissance du travail non rémunéré et l’égalité en matière de protection sociale, notamment concernant les retraites et pensions.

De nombreux pays élaborent des lois et des politiques visant à réduire la disparité entre les sexes en matière de participation économique. Mais dans la plupart des pays, cette égalité juridique fondamentale n’est pas encore totalement en place. Selon le rapport, seulement six pays ont instauré la parité totale entre les hommes et les femmes d’un point de vue juridique.

En outre, même si les lois sont importantes, elles doivent également reposer sur un environnement favorable. Cela signifie qu’il faut changer et déconstruire les stéréotypes souvent profondément ancrés et qui nourrissent les inégalités et la discrimination entre les sexes, y compris les préjugés inconscients. Selon les stéréotypes habituels, le rôle des femmes consiste principalement à s’occuper des enfants et des personnes âgées dans les foyers. Malgré certains progrès réalisés à l’échelle mondiale au cours des dernières décennies, les femmes font plus des trois quarts du travail non rémunéré dans le monde, selon l’OIT. Dans la région Asie-Pacifique, elles font quatre fois plus de travail non rémunéré que les hommes.

Cela compromet les possibilités pour les femmes de poursuivre leur carrière sur un pied d’égalité avec les hommes et augmente le risque qu’elles deviennent économiquement dépendantes. Ces stéréotypes limitent également les choix de vie des hommes et des garçons : ils doivent assumer la seule responsabilité de gagner un revenu, l’équilibre entre leur vie professionnelle et familiale est complètement faussé et ils doivent se soumettre à des horaires de travail excessifs.

Dans cette région où les sociétés vieillissent à un rythme sans précédent et où le besoin de soins de qualité pour les personnes âgées ne cesse de croître, il sera crucial – pour le développement durable, l’harmonie sociale et le bien-être dans toutes les catégories démographiques et économiques – de repenser les responsabilités domestiques et en matière de soins, les services sociaux et la protection sociale.

Vous connaissez peut-être le programme phare de l’OIT sur la création de socles de protection sociale pour tous.  Il s’agit également d’une grande priorité en matière de droits de l’homme. Il est vital d’investir dans des programmes de protection sociale pour parvenir à l’égalité des sexes dans une économie qui mobilise le dynamisme en renforçant les droits fondamentaux de tous. 

Les pays n’ont pas besoin d’être riches pour mettre en place des programmes de protection sociale importants et efficaces. Lorsque j’étais présidente du Chili, j’ai géré de nombreux problèmes économiques complexes – dont beaucoup étaient liés aux vicissitudes de l’économie mondiale et à leur impact sur les personnes en situation difficile, y compris de nombreuses femmes. Nous avons réussi à réformer le système des retraites, grâce à un mécanisme de redistribution et de couverture permettant aux personnes les plus marginalisées, y compris les femmes, de compter sur un salaire de base. Cette réforme a eu de nombreux effets importants et positifs – notamment pour les nombreux bénéficiaires individuels dont nous avons défendu les droits, mais pas seulement.

Même les pays les plus pauvres peuvent mettre en place des systèmes de protection sociale universels qui incluent une couverture de maternité universelle. L’OIT a montré qu’un système universel de protection sociale comprenant des prestations de maternité pour toutes les femmes ayant un nouveau-né, des allocations pour tous les enfants, des prestations pour toutes les personnes gravement handicapées et des pensions de vieillesse universelles peut coûter en moyenne 1,6 % du PIB. Et ce type de système de protection sociale, reposant sur une approche fondée sur les droits de l’homme et sensible au genre, contribue à libérer les femmes du piège de la pauvreté et à transformer les stéréotypes de genre et les relations entre les sexes.

Excellences,

La violence sexiste au travail, y compris la violence sexuelle et le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, est inadmissible. Il reste encore beaucoup à faire pour régler ces problèmes. La violence et le harcèlement sexuels constituent un obstacle majeur à l’entrée et au maintien des femmes sur le marché du travail et ont un impact négatif important sur les droits et la santé des femmes. La prévalence de ces formes de violence est élevée et les demandes des femmes pour rétablir la justice sont trop souvent minimisées, ridiculisées et rejetées.

La lutte contre la violence et le harcèlement sur le lieu de travail exige un effort concerté et déterminé pour changer la culture du lieu de travail. Les engagements verbaux vagues ne suffisent plus à résoudre ces problèmes - et pour être honnête, ils n’ont jamais été suffisants. Il faut appliquer une tolérance zéro envers le mépris et les abus auxquels les femmes sont confrontées, du plus haut niveau de pouvoir national, aux magasins et aux bureaux de chaque ville, en passant par les champs et les structures agro-industrielles rurales où tant de femmes sont employées. La violence verbale et le harcèlement physique sont liés, et leur élimination nécessitera d’adopter des mesures fermes, transparentes et complètes pour faire en sorte que, lorsque de tels abus se produisent, leurs auteurs soient tenus responsables.

Pour façonner les politiques qui permettront de s’attaquer efficacement à ces questions et à d’autres, les femmes et des filles doivent participer de manière plus active aux prises de décisions et à la vie politique. Pendant des siècles, les hommes ont prétendu parler au nom des femmes : cela ne marche pas.

Mais la catégorie des " femmes " est très large – la moitié de la population ne peut être décrite de manière adéquate en un seul mot.  La représentation des femmes doit tenir compte de la variété de leurs antécédents et de leurs caractéristiques –  notamment, l’âge, le statut social et économique, le handicap, l’appartenance ethnique, la géographie, la religion, et l’identité sexuelle. La mise en place de mesures transitoires pourrait s’avérer nécessaire pour corriger les profondes inégalités historiques.

Au Chili, il y a quatre ans, nous avons modifié le système électoral pour faire en sorte que les candidates représentent au moins 40 % de la population candidate aux élections. Pour être honnête, je voulais 40 % d’élus, mais je n’ai pas gagné cette bataille. Ce n’est pas la seule bataille que j’ai perdue, mais elle était très importante. L’élection à la Chambre basse du Congrès qui a suivi a entraîné une augmentation de près de 7 % du nombre de femmes députées. Lors de la première élection depuis l’adoption de cette mesure, le rapport femmes-hommes au parlement a augmenté de 10 %. 

Monsieur Abe mentionnait les femmes dans le conseil d’administration des entreprises. Nous avions le même problème. Nous nous sommes demandé comment nous pouvions convaincre le secteur privé de faire de même, en commençant par la maison. Au début de mon second mandat en 2014, alors que les conseils d’administration des entreprises publiques ne comptaient que 4 à 5 % de femmes, nous avons fixé comme objectif que d’ici la fin du mandat, 40 % des personnes à la direction de ces entreprises seraient des femmes. Ensuite, nous avons montré au secteur privé que cela était non seulement possible, mais aussi utile et très bénéfique pour l’économie.  Nous avions atteint 42 % à la fin de mon mandat, donc je peux vous assurer que cela est vraiment possible.

Des actions concrètes et une forte direction en faveur d’un changement systémique donnent des résultats. Je sais que le Japon a également adopté l’année dernière une loi sur les quotas électoraux. J’espère que ce sera une étape décisive pour la participation des femmes.

Excellences,

On ne peut pas débattre des problèmes mondiaux sans parler des dangers pressants que représentent les changements climatiques. Ce thème a particulièrement sa place dans une conférence pour les femmes, car les changements climatiques intensifient les vulnérabilités existantes et sont donc particulièrement dévastateurs pour les femmes et les filles.

Les catastrophes naturelles, notamment les énormes tempêtes et l’élévation du niveau de la mer, comme nous venons de le voir en Afrique au Mozambique, au Mali et en Ouganda, détruisent les habitations, les moyens de subsistance et les communautés. Conjuguées à l’inégalité entre les sexes, elles peuvent exposer les femmes à de plus grandes difficultés physiques, économiques et sociales, y compris le déplacement, et à un accès réduit aux services essentiels ou au travail. Dans les pays aux contextes fragiles, les femmes et les filles touchées par les catastrophes climatiques peuvent être confrontées à des risques accrus de mariage d’enfants et de traite.

D’autres manifestations moins soudaines du changement climatique – comme les sécheresses fréquentes ou le réchauffement des océans– affectent les sources d’eau et la biodiversité et érodent les terres fertiles. Ces phénomènes peuvent eux aussi affecter en premier les femmes, car la plupart des activités agricoles à petite échelle sont menées elles.

De toute évidence, les besoins des femmes doivent être au cœur des stratégies de lutte contre les changements climatiques. Plus que jamais, nous devons dès aujourd’hui donner la parole aux femmes pour qu’elles puissent contribuer à la mise en œuvre de politiques et d’une gouvernance adaptées et efficaces.

Et en effet, à travers le monde, de nombreuses femmes et filles prennent la parole en tant que militantes.  En tant que citoyennes, étudiantes, travailleuses, dirigeantes de communautés et d’entreprises, journalistes, universitaires, parlementaires et dans tout autre rôle, elles cherchent à défendre les droits de leurs communautés, et de nous tous, en dénonçant les violations des droits de l’homme et en réclamant que justice soit faite.

Comme Malala, qui très jeune a défendu le droit à l’éducation des filles ; ou comme Greta, la jeune Suédoise de 15 ans qui manifeste dans les rues pour appeler à l’action pour le changement climatique.

Nous avons besoin que les femmes fassent entendre leur voix. Nous devons veiller à ce que le genre ne soit pas un obstacle à l’égalité des chances à tous les niveaux et dans tous les domaines de la vie. Nous devons agir, car les femmes comptent. Toute personne injustement mise de côté souffre d’une profonde injustice.

Nous agir, car en permettant aux femmes d’exercer pleinement leurs droits dans l’égalité et la dignité, nous pourrons prendre de meilleures décisions, pour un monde meilleur.

Merci.

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