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Procédures spéciales

Déclaration de Mme Marie-Thérèse Keita Bocoum, Experte indépendente sur la situation des droits de l'homme en République centrafricaine à la 39ème session du Conseil des droits de l'homme

27 Septembre 2018

27 septembre 2018

M. le Président, distingués représentants, Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de cette opportunité de partager mes observations et soumettre mon rapport annuel sur la situation en République centrafricaine.  Je remercie également les autorités et la population centrafricaine pour leur coopération, ainsi que la communauté internationale et notamment la MINUSCA pour le soutien au mandat, et toutes celles et ceux qui ont bien voulu partager avec moi leur évaluation de la situation des droits de l’homme en République centrafricaine.

A l’issue de mon 5ème mandat, je note que des étapes cruciales en matière de droits de l’homme, de justice transitionnelle et de paix ont été franchies en République centrafricaine. Pour autant, ces espoirs restent ternis par la violence continue de certains groupes armés à l’encontre des populations civiles, des humanitaires et des casques bleus.

M. le Président,
Depuis ma dernière visite en juin, la situation sécuritaire qui prenait un tournant alarmant semble s’être calmée. Mais, des récents affrontements à Bria et à Ndenga (vers Kaga Bandoro) entre les ex-Seleka et anti-Balaka, ont eu des conséquences dramatiques sur les civils dont plusieurs ont perdu la vie et dont les habitations ont été détruites.

Je reste indignée par l’assassinat des trois journalistes russes le 30 juillet près de Sibut et d’un défenseur des droits de l’homme et enseignant le 22 août à Mboki, par des éléments armés non identifiés. La République centrafricaine devrait renforcer l’efficacité des mécanismes de lutte contre l’impunité, forts et indépendants, afin d’enquêter, de poursuivre et condamner les auteurs de ces crimes atroces.

M. le Président,
La République centrafricaine a pourtant fait des progrès en matière de justice depuis le début de l’année. La promulgation et la publication du règlement de preuves et des procédures de la Cour Pénale Spéciale marque officiellement le démarrage des travaux judicaires de cette Cour.

J’ai pris note de la récente session d’assises criminelles qui s’est clôturée à Bangui le 31 août et qui a permis d’étudier 15 affaires concernant 32 accusés, parmi lesquels une femme et cinq mineurs, pour des crimes de sang, d’atteintes à la paix et à l’ordre public, ou de violences sexuelles. Egalement, je me suis réjouie de la reprise des audiences pénales du Tribunal de grande instance de Bossangoa, le 24 août 2018, après 5 ans d’absence.

S’agissant de la justice pour mineurs, j’appelle au respect des règles minima des Nations Unies en matière de justice pour mineurs, et en particulier le principe de justice restauratrice et les alternatives à la détention. J’encourage les partenaires œuvrant pour la protection de l’enfance à appuyer la République centrafricaine dans le renforcement de sa justice pour mineurs en conformité avec les standards internationaux, tout en poursuivant et augmentant l’accès aux mesures de réinsertion des jeunes démobilisés. 

Je rappelle ma recommandation aux Etats membres de continuer de financer la Cour pénale spéciale sur le long terme, tout en garantissant le soutien nécessaire aux 28 juridictions ordinaires, dont les défis restent colossaux, et à la protection des victimes et des témoins participant aux procédures judiciaires. Je les appelle aussi fortement à contribuer au fonds pour les victimes de la Cour pénale internationale dans le cadre du procès de Jean-Pierre Bemba, mais également à mettre en place d’autres fonds d’assistance aux victimes de la CPS et des juridictions nationales.

Mr. Le Président,
Un des constats principaux de mon 5ème mandat réside dans la nécessité de mettre en œuvre et de soutenir sans plus tarder une stratégie nationale de justice transitionnelle en République centrafricaine de manière coordonnée et cohérente.  Lors de mes visites de terrain, j’ai entrevu le potentiel de plusieurs régions et villes où pourraient émerger des stratégies locales pilotes, de justice transitionnelle.

J’insiste ici sur l’importance pour la MINUSCA et ses partenaires internationaux de déployer l’expertise requise auprès des acteurs gouvernementaux clés qui ont exprimé leur engagement dans ce sens. En effet, une mise en œuvre harmonieuse de mesures pénales, de recherche de la vérité par le dialogue, de réparations collectives et de garanties de non-répétition par des réformes institutionnelles, devrait permettre d’assurer le succès et la durabilité des réformes en cours, à condition que toutes ces mesures se basent en priorité sur l’intérêt des victimes. 

Mr. Le Président,
Les victimes et populations centrafricaines continuent de souffrir de manque de consultation à tous les niveaux. Leur participation aux efforts de paix n’est pas optionnelle. Elles demandent que leurs voix soient entendues, aux côtés de celles du Gouvernement et des groupes armés dans le cadre des négociations facilitées par le Panel de l’Initiative africaine. Une approche inclusive devrait intégrer la consultation de toutes les couches de la population, représentative de l’ensemble des ethnies et des communautés présentes en République centrafricaine, mais également des représentants des près de 570.000 personnes réfugiées centrafricaines.

Il est temps de donner aux centrafricains le droit d’écrire leur histoire et de connaître la vérité. Les craintes des victimes de venir témoigner devraient être effacées le plus rapidement, en créant des conditions préalables au témoignage en toute sécurité. J’ai pris bonne note de l’intention du gouvernement centrafricain d’initier très prochainement des consultations nationales sur le mandat d’une possible commission de vérité, justice, réparation et réconciliation. Ces consultations sont essentielles pour intégrer les points de vue de toutes les régions du pays, et notamment des communautés les plus touchées par la violence et les réfugiés, afin d’établir une commission qui aidera la société centrafricaine à comprendre et à reconnaître son passé, en portant à la connaissance du grand public les témoignages et les récits des victimes.

M. le Président,
La situation des droits de l’homme s’illustre par une activité constante des groupes armés menant des attaques contre les civils, une autorité étatique encore trop faible, l’impunité dominante, des cas de discrimination fondée sur l’ethnie et la religion, une fragmentation sociale et la marginalisation de certaines populations, notamment dans l’Est et le Nord du pays. Mais à l’inverse de la tendance à la violence croissante observée depuis juillet 2017, la situation des droits de l'homme dans l'ensemble du pays semble pourtant s'améliorer les derniers mois, bien que des affrontements sporadiques de groupes armés continuent d'affecter la protection des civils.

L’incitation publique à la violence et au discours de haine par les médias et d’autres plateformes de communication traditionnelles est devenue une préoccupation majeure, plaçant la religion et l’ethnie à la source des violences et mettant en danger une cohésion sociale déjà fragile.

Je déplore aussi que les cas de violences sexuelles et de traitements cruels, dégradants et inhumains restent toujours sans suite judiciaire. En outre, malgré la ratification du Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés, de graves violations des droits des enfants se poursuivent, dont des recrutements, des meurtres et mutilations.

J’insiste encore sur la nécessité d’assurer une meilleure protection des droits des femmes centrafricaines et de renforcer les initiatives en faveur de leur autonomisation. 

Sur une note positive, je félicite la MINUSCA et les acteurs humanitaires pour l’adoption du protocole de partage d’informations et de signalement des allégations d’exploitations et abus sexuels, le 24 août 2018. Ce protocole marque l’engagement des partenaires internationaux auprès du Gouvernement pour une meilleure protection de tous les Centrafricains. Je trouve cependant inacceptable que malgré les nombreuses sensibilisations menées auprès des forces de maintien de la paix, certains soldats continuent de commettre ces abus et j’invite à la plus grande fermeté contre les auteurs de ces violences ou leurs supérieurs hiérarchiques qui ne rapporteraient pas ces cas.

J’ai appris récemment avec grande satisfaction l’intention du gouvernement d’accorder un budget à la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour l’année 2019.

M. le Président,
La situation des droits de l’homme pourrait s’améliorer dans les mois à venir, si les groupes armés s’engageaient réellement dans le cadre de l’initiative de paix africaine et des accords de paix locaux. Leur sincérité au regard de la cessation des hostilités et de la protection des civils, permettrait de faire émerger des opportunités économiques, tout en créant un climat propice aux options de justice transitionnelle, notamment en matière de programmes DDR, de réparations collectives et d’initiatives de poursuites.

Conformément aux conclusions du Forum de Bangui de 2015 sur la réconciliation, je réitère tout mon soutien aux autorités centrafricaines, au système des Nations Unies, au Panel de l’Initiative africaine, aux organisations des droits de l’homme, à la société civile et aux victimes pour le refus catégorique d’une amnistie des combattants qui auraient commis ou ordonné des crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou génocide en République centrafricaine.

J’insiste encore sur le rôle capital de la CEEAC et les organes en charge des droits de l’homme de l’Union Africaine dans la promotion du dialogue pour la paix en RCA, les progrès en matière de justice et de réconciliation et l’amélioration de la situation humanitaire dans le pays au niveau national et sous-régional.

Le peuple centrafricain ne veut plus entendre parler d’impunité. J’appelle ici toutes celles et ceux qui se sentent concernés et engagés dans la résolution de la crise, à écouter la population en vue de mettre fin définitivement aux violences et promouvoir la paix durable et le développement social et économique de la République centrafricaine.

M. Le Président, honorables membres du Conseil, je vous remercie de votre attention.