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Procédures spéciales

Déclaration de Mme Marie-Thérèse Keita Bocoum, Experte indépendante sur la situation des droits de l'homme en République centrafricaine, à la 37ème session du Conseil des droits de l’homme

21 Mars 2018

21 mars 2018

M. le Président, distingués représentants, Mesdames et messieurs,

Je vous remercie de cette opportunité de partager mes observations sur la situation en République centrafricaine. Tout d’abord, je salue la présence du Ministre de la Justice, M. Flavien Mbata, et de sa délégation, du Représentant Spécial de l’Union Africaine pour la République Centrafricaine, M. Moussa Nébié Bédializoun, de la représentante de la société civile centrafricaine, Mme Lina Ekomo, du Représentant du Secrétaire Général Adjoint chargé des affaires politiques de la MINUSCA, M. Kenneth Gluck, et du Sous-Secrétaire Général aux Droits de l’homme, M. Andrew Gilmour, tous venus participer avec la communauté diplomatique au dialogue de haut-niveau sur les droits de l’homme en République centrafricaine.

Je salue également la présence des membres de la Plateforme religieuse de République centrafricaine, dont l’engagement pour la paix, la promotion du dialogue et les initiatives de réconciliation, doivent encore une fois être hautement saluées.

Cette année, le Conseil des droits de l’homme m’a mandaté pour évaluer l’impact du processus de paix sur les droits de l’homme. Lors de ma dernière visite en République centrafricaine du 7 au 16 février, j’ai apprécié les effets des initiatives de paix conduites par le gouvernement, l’Union africaine et les acteurs internationaux sur l’amélioration des droits civils, politiques, économiques et sociaux de la population centrafricaine. J’ai également étudié la mise en œuvre des processus de justice transitionnelle pour faire face aux exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, rendre justice et permettre la réconciliation.


Lors de ma mission, j’ai rencontré le Président de la République, le Premier ministre, des membres du gouvernement, du parlement, du corps diplomatique, de la société civile, des organisations non gouvernementales et des Nations Unies, des humanitaires, ainsi que des représentants de l’Etat, des groupes armés, des victimes et des personnes déplacées, à Bangui, Paoua, Bossangoa et Bria. J’en profite pour remercier l’ensemble de ces acteurs qui ont permis le bon déroulement de ma mission.

Tout d’abord, je souhaiterais rappeler que la violence n’a plus sa place en République centrafricaine. Les groupes armés, invités à la table des négociations, doivent respecter leurs engagements. Les actes ignobles commis contre un hôpital et des patients à Ippy, les violences ayant créé de nouveaux déplacements internes à Paoua, et l’attaque récente contre des représentants de l’éducation nationale et un consultant de l’UNICEF près de Markounda, constituent des violations graves du droit international humanitaire qui ne resteront pas impunies. Aucune excuse ne peut justifier ces atteintes aux droits à la vie, à la protection contre un déplacement arbitraire, à la santé et à l’éducation.

Lors de mes visites à Paoua, à Bossangoa et à Bria, j'ai rencontré des représentants de groupes armés (RJ, anti-Balaka, MLCG, FPRC, RPRC, UPC et groupes auto-proclamés « d’autodéfense »). J'ai réitéré à tous l'importance de mettre fin aux hostilités, de protéger les droits de l'homme et de prévenir les conflits. J'ai également indiqué que la poursuite des violences, soigneusement documentées comme dans le cadre du Mapping réalisé en 2017, les éloigne de tout pardon et les rapproche d'une réponse judiciaire.

M. le Président,

La feuille de route pour la paix en République centrafricaine est en cours. Le dialogue facilité par l’Initiative africaine vient de consulter pour la deuxième fois le gouvernement et les groupes armés en vue de préparer un dialogue sincère et juste. Lors de ma mission j’ai insisté sur l’importance de consulter l’ensemble des acteurs de la vie civile et politique, y compris les femmes et les leaders locaux et religieux, sur tout le territoire, pour permettre une appropriation et un soutien national au processus de paix devant répondre prioritairement aux attentes de la population.

J'ai rappelé l'importance de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, et sur l'importance de mesurer l'impact des conflits sur les femmes et les filles, tout en rappelant le défi de la protection et la pleine participation de celles-ci aux négociations de paix. A cet égard, je me réjouis de compter parmi le panel du dialogue interactif, la présence de Mme Lina Ekomo, directrice du Réseau pour le leadership féminin en République centrafricaine.

M. le Président,

Le lien entre l’Initiative africaine pour la paix et une feuille de route sur la justice transitionnelle est indéniable. La paix et la justice résonnent en République centrafricaine comme des impératifs qui se renforcent mutuellement. La question aujourd’hui est de savoir comment ces deux impératifs vont répondre aux besoins des victimes et garantir la nonrépétition des violences.

Lors de ma visite, j’ai invité les autorités nationales, la société civile et leurs partenaires à se pencher sur l’articulation stratégique des éléments de la justice transitionnelle. Permettez-moi de les aborder respectivement, en détaillant les principaux efforts accomplis et les défis à relever :

Les consultations nationales permettent d’écouter la population, y compris les victimes, de sorte que les programmes de justice transitionnelle reflètent le mieux possible leur vécu, leurs besoins et leurs droits. C’est en cela que la population s’est exprimée lors du forum de Bangui en 2015 pour demander une Cour Pénale Spéciale et une Commission de vérité réconciliation. Les consultations contribuent en outre à relancer ou orienter des processus de paix. Sur ce point, j’ai bien entendu l’avis populaire, soutenu par les autorités nationales, contre toute possibilité d’amnistie pour les crimes graves en République centrafricaine. Aussi, je réitère mon invitation à l’ensemble des parties prenantes pour rédiger une feuille de route sur la justice transitionnelle, évaluer les avancées du forum de Bangui et s’assurer que les mécanismes envisagés reflètent les attentes populaires.

Concernant les initiatives de poursuites judiciaires, j’ai noté des signes importants de lutte contre l’impunité, et notamment la reprise des Cours d’assises à Bangui et à Bouar et le procès historique de l’ancien chef antiBalaka Andjilo. Je me réjouis également de l’opérationnalisation imminente de la Cour Pénale Spéciale, et apprécie l’intention des parlementaires de faire diligence à l’adoption du règlement de preuves et de procédures.

Pour autant, plusieurs entraves au retour de l’Etat de droit et à l’affirmation de la chaine pénale persistent, laissant ainsi libre cours à de nombreux cas de justice populaire, dont la plupart sont constitutifs de traitements cruels et inhumains ou d’actes de torture et exécutions extra-judiciaires. Mes encouragements pour le redéploiement urgent et effectif de tous les magistrats et la revitalisation de l’inspection des services judicaires, ainsi que la mise en œuvre de la stratégie nationale de protection des victimes et témoins participant aux procédures judiciaires, ont trouvé un écho favorable chez les autorités centrafricaines et en premier lieu le Président de la République.

M. le Président, Au cours de ma visite, j’ai rappelé que des mécanismes non-judiciaires de recherche de la vérité pourraient compléter le travail des juridictions, afin d’écouter les milliers de victimes centrafricaines et d’évaluer l’importance, les causes et les conséquences des violations passées. Le mandat d’une commission de vérité repose sur un choix national, émis lors d’un processus consultatif mené auprès des victimes. J’ai précisé qu’il est également important d’évaluer les conditions sécuritaires, la volonté politique et l’intérêt des populations à collaborer pour garantir la mise en place d’une commission et son efficacité. Sans entrer dans l’étude détaillée de ces trois conditions, je pense que la République centrafricaine connait aujourd’hui un climat propice à une telle réflexion.

Les programmes de réparations visent à fournir aux victimes de violations et leurs familles des réparations matérielles et symboliques, individuelles et collectives. A Bria, tout comme à Bangui, à Bossangoa et à Paoua, j’ai entendu les populations civiles demander le renforcement des secteurs prioritaires de la santé, l’éducation, la sécurité et des opportunités économiques. J’apprécie l’intention de l’Assemblée nationale d’envisager une loi relative aux victimes des conflits, pour répondre aux besoins des personnes réfugiées, des personnes déplacées et traiter de la question de la réparation. De plus, au titre des réparations collectives immédiates, j’encourage les autorités à réaliser le plan de relèvement et consolidation de la paix (RCPCA), de manière stratégique et conjointe avec le processus de paix.

Les réformes institutionnelles (incluant les initiatives de vetting) constituent le 5ème pilier de la justice transitionnelle. La politique nationale de sécurité, présentée au parlement pour adoption, et les actions en résultant, telles que le projet pilote désarmement, démobilisation et réintégration (DDR), le déploiement progressif des FACA et le processus de vetting national constituent des avancées notoires. Lors de ma visite j’ai aussi constaté la restauration progressive de l’autorité de l’Etat par le redéploiement des préfets et de certains services administratifs. Tout en félicitant leur courage de revenir s’installer dans des zones contrôlées jusqu’à lors par des groupes armés, j’invite le gouvernement à les doter sans plus tarder des moyens nécessaires pour renforcer l’effectivité de leur présence, dans le cadre de politiques sectorielles et de planifications budgétaires réalistes et basées sur les exigences de bonne gouvernance.

M. le Président, Aujourd’hui encore plus de 2.5 millions de centrafricains ont besoin d’une assistance humanitaire. Près de 700.000 déplacés et 550.000 réfugiés attendent les conditions d’un retour en toute sécurité, leur garantissant de retrouver ou compenser ce qu’ils ont laissé derrière eux en fuyant leurs villages. Les humanitaires continuent d’être la cible d’attaques ignobles, par des individus méprisant le droit international humanitaire. Or, comment peut-on demander l’avis d’une population, lorsque près de la moitié de celle-ci vit dans une quête de survie quotidienne, et dans la crainte de savoir que les responsables des crimes les plus atroces sont encore libres de tout mouvement ?

M. le Président, Permettez-moi de rappeler encore une fois que le chemin de la paix repose sur une articulation stratégique d’un processus politique inclusif, de mécanismes de justice transitionnelle forts et sur l’amélioration et la jouissance des droits économiques et sociaux des populations. Il dépendra aussi de la volonté d’inclusion de toutes et tous dans la République.

Au cours de ma visite, j'ai discuté avec les représentants du gouvernement centrafricain et du corps diplomatique sur l'implication de la région dans la résolution de la crise centrafricaine. Je les encourage à soutenir les efforts humanitaires et à coopérer judiciairement pour s’assurer que les auteurs des crimes qui circulent librement soient remis aux autorités centrafricaines.

Les opinions convergent vers la nécessité de développer une stratégie sous régionale pour faire face aux questions de sécurité transfrontalière, telles que les violences liées à la transhumance, le trafic d'armes et les ressources naturelles, qui peuvent avoir un impact négatif dans le pays et au sein de la région d’Afrique centrale. J'ai été informée des efforts en cours du gouvernement centrafricain pour revitaliser les commissions mixtes prévues dans le cadre de conventions bilatérales. Cependant, je veux aussi souligner le rôle important de coordination et d’harmonisation que pourrait jouer la Communauté économique des États de l'Afrique centrale, avec le soutien indispensable du Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique centrale. J’envisage de me rendre prochainement à Libreville pour échanger en détails sur ces sujets.

M. le Président, Des espoirs de relèvement naissent en République centrafricaine grâce aux efforts du gouvernement et de la population centrafricaine, aidés par les partenaires internationaux et régionaux. Ils s’appuient désormais sur des bases saines, que sont la ratification des conventions internationales, la création d’une commission nationale des droits de l’homme et le démarrage d’une réflexion sur une politique nationale en matière de droits de l’homme. Ces espoirs ne peuvent continuer à être mis en péril par quelques groupes ou individus refusant d’emprunter le chemin de la paix, de la réconciliation, de la bonne gouvernance et du développement.

Mr. Le Président, honorables membres du Conseil, je vous remercie de votre attention.