Procédures spéciales
Déclaration par Rosa Kornfeld-Matte, Experte Indépendante chargée de promouvoir l’exercice par les personnes âgées de tous les droits de l’homme
10 septembre 2017
Conseil des droits de l’homme
36ème session
11 septembre 2017
Excellences,
Mesdames et messieurs,
Dans l’exercice de mes fonctions, j’ai effectué une visite au Singapour du 21 to 29 septembre 2016 à l'invitation du Gouvernement, afin de recueillir des bonnes pratiques et d’identifier des lacunes dans la mise en œuvre de la législation existante.
Le Singapour est l'une des populations vieillissantes les plus rapides au monde. Le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus devraient doubler d'ici 2030 pour atteindre 900 000 personnes. Cette révolution démographique a des implications étendues pour la société à tous les niveaux et entre en jeu préoccupations croissantes au sujet de la capacité des personnes âgées de profiter de l'intégralité de leurs droits de l'homme.
Je félicite le gouvernement d'avoir reconnu les défis importants et de mettre en place une multitude de mesures et de programmes pour soutenir les besoins de sa population vieillissante.
Les programmes récents tels que le Programme Soutien Argent ou le Paquet Génération Pionnier sont des étapes importantes pour aborder la pauvreté des personnes âgées, mais plus doit être fait pour veiller à ce que toutes les personnes âgées, indépendamment du fait qu'ils aient ou non été employés, sont assurée du point de vue financier durant la vieillesse. Alors que le vieillissement actif est un concept que je soutiens, nous devons également veiller à ce que les cadres appropriés existent pour prévenir l'économisation des personnes âgées et afin de permettre à un vieillissement digne.
Je salue les efforts pour préparer la voie pour de nouveaux modèles de soins. Le Singapour a beaucoup à offrir aux autres, dans et au-delà de la région, en termes de bonnes pratiques dans le domaine des technologies des soins de santé. Ces technologies offrent des possibilités imprévues dans le réaménagement des systèmes de soins pour les personnes âgées étant donné que de nombreux systèmes existants vont, dans un avenir proche, atteindre les limites de leurs capacités, s’ils ne l’ont pas déjà. J’aborderai en profondeur ce sujet durant la présentation de mon rapport thématique.
J’encourage, de manière générale, le Gouvernement à poursuivre ses efforts, notamment celles visant à améliorer le système de soins et la politique sociale doivent se poursuivre afin de mettre en place les infrastructures nécessaires, des programmes et des plans pour faire face à la nouvelle réalité démographique et les préoccupations en terme de droits de l'homme d'un nombre accru de personnes âgées.
J’ai également effectué une visite en Namibie du 2 to 13 March 2017.
La Namibie a parcouru un long chemin depuis son l'indépendance il y a seulement 27 ans. Depuis, elle jouit d'une stabilité politique et d'une croissance économique stable, et elle est classée parmi les pays à revenu intermédiaire supérieur. Nous devons reconnaître les réalisations de la Namibie.
Malgré tous ces efforts, la Namibie reste le pays le plus inégalitaire au monde. Bien que je reconnaisse que les niveaux de pauvreté ont été considérablement réduits depuis l'indépendance, ils restent élevés pour certaines parties de la population et certaines régions du pays. Je suis également pleinement conscient que certaines des inégalités qui persistent sont l'héritage de la domination coloniale et que les attitudes ne changent pas du jour au lendemain. Cela ne signifie pas cependant que les disparités existantes en matière de revenus et de répartition des terres sont acceptables, et je dois insister sur le fait que davantage peut et doit être fait pour lutter contre la pauvreté des personnes âgées.
Le lancement du Plan d'action pour la prospérité pour tous, dit Plan de prospérité Harambee 2016/17 - 2019/20, offre un grand potentiel pour assurer que les personnes âgées puissent jouir de leurs droits, car il se réfère spécifiquement à la protection sociale des personnes âgées et traite de domaines clés tels que la faim, la pauvreté et le logement.
La Namibie dispose d'un système de protection sociale complet qui joue un rôle essentiel dans son économie et sa société. Je reconnais également qu'il existe un cadre juridique important et un éventail d'institutions, des ministères du secteur public aux organismes publics et aux entreprises du secteur privé.
Alors que l'établissement et l'expansion d'un vaste système de subventions sociales est une réalisation importante et un exemple à suivre, la subvention universelle non contributive de vieillesse dans de nombreux ménages constitue le seul revenu en raison de l'épidémie de VIH/sida. Je reconnais l'énorme impact positif de la subvention pour la vieillesse à la réduction des niveaux de pauvreté, alors qu'il est important de veiller à ce que l'aide affectée parvienne aux bénéficiaires visés.
J’encourage la communauté internationale d’apporter le soutien nécessaire aux efforts du Gouvernement pour relever les défis du vieillissement de la société et en particulier dans la lutte contre la pauvreté des personnes âgées.
Excellences,
Les robots et l’intelligence artificielle vont transformer radicalement nos vies dans les années à venir, y compris le principe même de la prise en charge des personnes âgées. Ne me méprenez pas : Cette remarque ne se veut ni prophétique, ni alarmiste. C’est un appel à la réflexion étant donné qu’il s’agit d’une question encore bien peu explorée qui demande d’urgence un examen plus approfondi, afin d’assurer que les droits fondamentaux des personnes âgées soient efficacement protégés, aujourd’hui et à l’avenir.
Bien que les personnes âgées constituent le plus hétérogène de tous les groupes d’âge, une grande partie d’entre eux, à partir d’un certain moment, ont besoin d’un appui pour conserver leur autonomie et leur indépendance et rester pleinement intégrés dans la société. La disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la qualité de l’assistance sont compromises en raison de la pression accrue du vieillissement démographique, qui, combinée à la pénurie de professionnels de la santé et de la protection sociale et aux contraintes économiques, limite les possibilités de fournir un appui structuré, en particulier à leur domicile. Cette situation ne touche pas seulement les États occidentaux, mais aussi, de plus en plus, les pays en développement.
Le vieillissement de la population mondiale sera accompagné d’une augmentation de la demande en technologies d’assistance et en robots pour la prise en charge des personnes âgées. Ces dispositifs étant capables d’accomplir des tâches que les êtres humains ne peuvent ou ne souhaitent pas effectuer, ou qu’ils ne peuvent effectuer aussi bien ou aussi efficacement. Cette tendance sera particulièrement marquée dans le domaine des soins à domicile en raison du souhait des personnes âgées de continuer à vivre chez elles aussi longtemps que possible.
Actuellement, on ne trouve aucune référence explicite au droit aux technologies d’assistance dans les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées, ni dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, non plus que dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. En l’absence d’un instrument particulier relatif aux personnes âgées et bien qu’elles ne soient pas applicables à toutes les personnes âgées, seuls les dispositions de la Convention relative aux droits des personnes handicapées peuvent fournir quelques indications en ce qu’il y est reconnu l’importance de l’accès aux technologies d’assistance. En vue de cette lacune, il est nécessaire d’étudier d’avantage les éléments d’un droit à l’aide à la vie quotidienne des personnes âgées, en mettant l’accent sur les liens entre vieillissement et handicap et/ou la manière dont le droit aux soins et au soutien peut être protègé sur la base d’une approche prenant en considération la totalité du cycle de vie.
La technologie d’assistance et la robotique sont et seront utilisées dans trois domaines principaux, à savoir aider à surveiller le comportement et la santé des personnes âgées ; aider celles-ci ou les soignants dans les tâches quotidiennes ; et répondre au besoin d’interaction sociale. Chacun de ces domaines touche inévitablement à l’exercice par les personnes âgées de leurs droits fondamentaux, notamment leur dignité et leur autonomie, leur autodétermination au moyen de l’information, la non-discrimination à leur égard et l’égalité avec les autres.
Si la plupart des technologies d’assistance et nombre des robots utilisés actuellement sont des systèmes automatisés qui agissent selon un scénario préalablement programmé, la gamme des nouvelles technologies qui voient le jour fonctionnent de manière bien plus autonome, et vont des systèmes qui sont encore supervisés par l’homme aux robots entièrement autonomes grâce à l’intelligence artificielle, capables de décider en toute indépendance et de façon dynamique s’il y a lieu d’exécuter une tâche ainsi que du moment et de la façon de procéder.
L’utilisation des technologies d’assistance et des robots peut fortement accroitre la capacité́ des personnes âgées à vivre de façon indépendante et autonome et à exercer pleinement leurs droits fondamentaux sur un pied d’égalité avec les autres. Des robots bien conçus pourraient contribuer à répondre à la demande croissante en soins, et ce, de manière plus sûre, responsable et durable, en réduisant la prévalence de la maltraitance et de la violence à l’encontre des personnes âgées.
Même si les échanges avec des robots, par exemple avec des robots « de compagnie », pourraient être bénéfiques pour le bien-être physique et psychologique des personnes âgées, il faudrait étudier de manière approfondie la mesure dans laquelle ils pourraient pallier les échanges limités ou inexistants avec des êtres humains, et évaluer les risques potentiels à cet égard. Les robots étant appelés à s’acquitter de davantage de tâches orientées vers la prestation de soins, l’intérêt qu’ils présentent pour les personnes âgées dépendra d’une conception et d’une utilisation responsables.
Les technologies existantes et nouvelles, telles que les robots de soins, fonctionneront de manière de plus en plus autonome et finiront par s’acquitter de réelles tâches liées aux soins. Cela soulève un certain nombre de préoccupations qui, s’il n’y est pas remédié́, risquent d’avoir une incidence négative sur les droits fondamentaux des personnes âgées. Il pourrait être nécessaire de réviser les cadres normatifs et politiques existants pour faire en sorte qu’une approche fondée sur les droits de l’homme soit adoptée en ce qui concerne les technologies d’assistance.
Les technologies d’assistance et les robots vont recueillir, traiter et conserver des quantités sans précèdent de données.
L’utilisation de l’information va gagner en volume et en complexité́ à mesure que les robots s’acquitteront de fonctions de plus en plus autonomes. Pour comprendre les risques que comportent les robots autonomes pour le droit à l’autodétermination en matière d’information et au respect de la vie privée, il faut se faire une idée de la manière dont les données sont et seront utilisées par ces technologies. Le cadre normatif existant, tel que l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui énonce le principe relatif à la réduction du nombre de données utilisées, continue de fournir des orientations essentielles à cet égard, même si les robots et l’intelligence artificielle ont par définition besoin de grandes quantités de données pour fonctionner correctement. Les incidences de l’utilisation des technologies d’assistance et de la robotique sur l’autodétermination des personnes âgées en matière d’information doivent être mieux comprises et évaluées.
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Je tiens à souligner que les technologies d’assistance, puisqu’ils sont – et je le répète - des moyens essentiels de permettre aux personnes âgées de vivre de façon autonome et de participer pleinement à tous les aspects de l’existence sur un pied d’égalité avec autrui, doivent être d’un coût abordable et accessibles. Pour en assurer l’accès universel, les technologies d’assistance devraient être intégrées dans les régimes de protection sociale et de soins de santé. En outre, les conditions d’accès ne doivent pas être définies uniquement en fonction de l’âge. Toutefois, la promotion de technologies de pointe telles que la robotique devrait agir en faveur, et non pas au détriment, des efforts visant à garantir que les produits d’assistance à faible intensité technologique sont accessibles à tous.
L’approche fondée sur les droits de l’homme doit être intégrée au stade de la conception des technologies d’assistance. Ceci garantit que la technologie ne va pas déconsidérer les personnes âgées et qu’elle va tenir compte de leurs différents besoins et préférences, en accordant l’attention voulue aux groupes vulnérables, y compris à ceux qui ont des besoins importants en assistance, aux personnes handicapées sur le plan cognitif ou autre, et aux « immigrants » de l’ère numérique, notamment.
Des évaluations de l’incidence des technologies d’assistance et de la robotique sur les droits de l’homme devraient être réalisées. Il est essentiel de vérifier les algorithmes et les décisions prises par les machines ainsi que leur conformité aux normes relatives aux droits de l’homme, pour éviter tout traitement discriminatoire, imputable notamment à des algorithmes entachés de partialité. Il est également nécessaire d’élaborer des principes directeurs concrets pour ce type d’évaluation des effets des technologies sur les droits de l’homme, et de le faire en consultation avec les concepteurs et les fabricants, mais aussi avec les prestataires de services, les responsables des achats et la société civile.
Le consentement éclairé de l’utilisateur est primordial dans la mise en place des technologies d’assistance et de la robotique. Les personnes âgées doivent pouvoir évaluer les risques et les avantages concrets associés aux technologies.
Pour ceci, les informations doivent être communiquées et formulées de manière compréhensible en tenant compte de la situation des personnes concernées et de leurs capacités cognitives. Le paradigme du choix et de la maitrise inclut le droit de renoncer à un dispositif d’assistance à tout moment. Le retrait du dispositif ne doit pas se faire sans le consentement exprès de l’utilisateur.
Par ailleurs, la participation active des personnes âgées à la conception et à la mise au point des technologies d’assistance et de la robotique est essentielle. Elles doivent aussi participer à tous les aspects de la prise de décisions concernant l’introduction des technologies d’assistance dans le cadre des politiques publiques, y compris la conception, la fourniture et le suivi.
Il est essentiel que la population soit sensibilisé à la disponibilité des dispositifs d’assistance en diffusant des informations auprès de tous les groupes visés. Il est par ailleurs nécessaire de renforcer la capacité des personnes âgées et des soignants, qu’ils interviennent dans un cadre formel ou informel, à se lancer dans les technologies d’assistance et la robotique, en leur dispensant pour cela des formations ciblées. Les connaissances technologiques sont primordiales afin de permettre aux personnes âgées et aux soignants de comprendre et d’évaluer les avantages et les risques inhérents à ces technologies.
Ceci me mène à la nécessité de continuer à rechercher des mécanismes appropriés de responsabilisation et de surveillance concernant les technologies d’assistance et, en particulier, les robots. Il faut notamment en engager des débats sur la création d’un organe de surveillance spécialisé en intelligence artificielle, et il faut faire en sorte que ces mécanismes prennent en considération de manière adéquate la situation des personnes âgées et qu’ils soient fondés sur les normes relatives aux droits de l’homme.
Je tiens aussi à féliciter les travaux de l’Organisation mondiale de la Santé consacrés aux technologies et aux dispositifs d’assistance. L’OMS encourage notamment toutes les institutions et tous les fonds et programmes spécialisés des Nations Unies à garantir l’application d’une approche fondée sur les droits de l’homme lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des technologies d’assistance.
Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et son appel à ne laisser personne de coté offrent une occasion unique de faire en sorte que la mise en place de dispositifs d’assistance et robotiques perfectionnés dans le cadre des soins aux personnes âgées n’accentue pas les inégalités entre pays développés et pays en développement. Je voudrais rappeler ici l’engagement des Etats à travers l’objectif 17 des objectifs de développement durable, à renforcer la coopération Nord-Sud, la coopération Sud-Sud et la coopération triangulaire régionale et internationale, ainsi qu’à améliorer l’accès à la science, aux technologies, à l’innovation et au partage des connaissances.
Je souhaite de vous inviter vivement à continuer cette réflexion que je juge essentielle sur l’incidence de la technologie d’assistance et la robotique sur les droits des personnes âgées. Une manifestation parallèle « On robots and rights: the impact of automation on the human rights of older persons imperatives & desiderata » se tiendra le jeudi 14 septembre de 13 à14h30 en salle XI.
Excellences,
Mesdames et messieurs,
Pour conclure, je souhaite renouer le passé et le futur, notamment en vue de la flagrante lacune de protection dans le domaine la technologie d’assistance et la robotique. Décembre dernier, j’ai présenté mon rapport d’ensemble (comprehensive report), que le Conseil des droits de l’homme m’a demandé de rédiger, à la septième session du Groupe de travail à composition non limitée sur le vieillissement à New York.
Je note avec satisfaction que de nombreuses délégations ont repris les conclusions de mon rapport, affirmant que le cadre juridique existant sur le plan international, quel que soit son degré de mise en œuvre, ne suffit pas à garantir de manière globale et efficace l’exercice par les personnes âgées de tous leurs droits fondamentaux et qu’il abordait les questions du vieillissement sous l’angle du développement plutôt que des droits de l’homme. Il sera important de tirer parti du renforcement du consensus interrégional sur le fait qu’il est nécessaire, dans de nombreux domaines, de mieux protéger les droits fondamentaux des personnes âgées pour leur permettre de jouir pleinement de ces droits et de les exercer dans la pratique. Je me réjouis à la perspective de pouvoir continuer à collaborer avec le Groupe de travail à composition non limitée sur le vieillissement et de contribuer à ses travaux, conformément à son et à mon mandat.
Permettez moi également, une fois de plus, de remercier le groupe d’amis pour les personnes âgées ainsi que la société civile pour leur soutien continue afin d’assurer que les personnes âgées puissent vivre dans la dignité et jouir pleinement de leurs droits.
Je vous remercie pour votre attention.