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Déclarations

Dialogue interactif sur le Burundi -Présentation orale de M. Fatsah Ouguergouz, Président de la Commission d’enquête sur le Burundi

12 Mars 2017

CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME

Trente-quatrième session - Genève, le 13 mars 2017

Introduction

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,

En premier lieu, permettez-moi, au nom de mes collègues ici présentes et en mon nom propre, de remercier le Président du Conseil des droits de l’homme de nous avoir accordé sa confiance en nous désignant comme membres de la Commission d’enquête sur le Burundi. Soyez sûrs, Monsieur le Président et distingués représentants des Etats membres du Conseil, que nous sommes conscients des lourdes responsabilités qui sont les nôtres –  responsabilités que nous entendons exercer avec professionnalisme et en toute indépendance et impartialité.

La résolution 33/24, adoptée par ce Conseil, nous charge en effet:

  1. de mener une enquête approfondie sur les violations des droits de l’homme et atteintes à ces droits commises au Burundi depuis avril 2015, notamment pour déterminer s’il s’agit de crimes de droit international ;
  2. d’identifier les auteurs présumés de ces crimes ;
  3. de formuler des recommandations sur les mesures à prendre pour garantir que ces auteurs aient à en répondre ; et
  4. de dialoguer avec les autorités burundaises et toutes les autres parties prenantes afin de fournir l’appui et les conseils nécessaires à l’amélioration immédiate de la situation des droits de l’homme et à la lutte contre l’impunité.

J’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui la première déclaration orale de notre Commission qui résume le travail entrepris jusqu’à présent, ainsi que nos premières observations sur la situation des droits de l’homme au Burundi. Nous présenterons au Conseil une deuxième déclaration orale au mois de juin et notre rapport final en septembre 2017.

Mes collègues et moi-même avons reçu notre nomination fin novembre 2016. Nous avons tenu une première conférence téléphonique le 22 décembre et nous sommes réunis à Genève du 23 au 27 janvier 2017.  Le 20 décembre 2016, nous avons adressé une note verbale à la Mission permanente du Burundi à Genève pour demander une audience avec le Représentant permanent.  N’ayant pas reçu de réponse, nous lui avons adressé une deuxième note verbale, le 24 janvier 2017.  Dans une note verbale en date du 26 janvier 2017, la Mission permanente du Burundi nous a fait savoir que, le Burundi ayant rejeté la résolution du Conseil des droits de l’homme établissant notre Commission, elle n’était pas disposée à nous recevoir.

En l’absence de réponse favorable à nos demandes, nous avons adressé, le 6 février 2017,  une lettre au Ministre des relations extérieures du Burundi appelant le Gouvernement burundais à nous donner accès au territoire du Burundi afin de dialoguer avec les autorités nationales et de mener à bien nos enquêtes. Dans cette lettre, nous avons également invité le Gouvernement à nous faire parvenir toutes les informations qu’il jugerait utile à une appréciation objective de la situation des droits de l’homme au Burundi. Cette lettre est restée sans réponse à ce jour.

À l’occasion de notre réunion de janvier, mes collègues et moi-même avons notamment discuté du mandat qui nous a été confié et en particulier de nos termes de référence, qui sont maintenant disponibles sur la page internet de la Commission.

Nous avons également mené toute une série d’entretiens, notamment avec des représentants à Genève de plusieurs Etats, avec le Président du Conseil des droits de l’homme, avec le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et avec des représentants d’agences des Nations Unies. Ces rencontres nous ont permis de bénéficier des éclairages de ces différents acteurs. En ma qualité de Président, j’ai également rencontré un certain nombre d’ambassadeurs et pris contact avec des représentants de l’Union africaine à Addis Abeba.  Il y a quelques jours, je me suis en outre entretenu avec le Président de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme du Burundi.

Pour des raisons budgétaires et administratives en dehors de notre contrôle, le personnel du secrétariat qui nous appuie dans notre mission n’a été recruté qu’à la mi-février.  Nous en sommes donc encore au stade préliminaire de nos enquêtes et activités.

Interprétation du mandat

J’aimerais maintenant apporter quelques précisions sur notre mandat.

Vu l’étendue de ce dernier et le délai relativement bref pour le mettre en œuvre, nous avons décidé de concentrer notre travail d’enquête en priorité sur les violations des droits de homme et les atteintes à ceux-ci les plus graves, en particulier celles qui sont susceptibles de constituer des crimes de droit international.

À cet égard, nous avons bien noté que, le 27 octobre 2016, le Gouvernement du Burundi a notifié au Secrétaire général des Nations Unies, dépositaire du Statut de Rome, son intention de se retirer de ce traité. Cette décision n’a cependant pas d’incidence sur notre mandat, le retrait du Burundi du Statut de Rome ne le dégageant pas de ses obligations.  En outre, ce retrait n’est effectif qu’une année après sa notification.

Nous examinerons les violations des droits de l’homme et les atteintes à ceux-ci commises par toutes les parties. Dans notre travail d’investigation, nous adopterons le même niveau de preuve que la majorité des commissions d’enquête internationales en matière de droits de l’homme, à savoir des  « motifs raisonnables de croire ». Cela implique que, pour fonder nos conclusions, nous veillerons à avoir réuni un corps d'informations fiables, concordantes, sur la base duquel une personne raisonnable et normalement prudente aurait des raisons de croire qu’un incident ou un comportement systématique a eu lieu.  

Nous sommes bien conscients qu’un travail d’observation et d’enquête sur les violations des droits de l’homme commises depuis avril 2015 au Burundi a déjà été mené, notamment par la mission des Experts indépendants établie par la résolution 24/1 du Conseil des droits de l’homme. Nous accorderons bien entendu une attention particulière à leur rapport. En tant qu'organe indépendant, notre Commission mènera néanmoins ses propres enquêtes.

Évolution de la situation des droits de l’homme au Burundi

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs, j’aimerais maintenant dire quelques mots sur l'évolution de la situation des droits de l’homme au Burundi.

Nous sommes préoccupés par l’ampleur et la gravité des allégations de violations des droits de l’homme et des atteintes à ceux-ci au Burundi qui ont été portées à notre attention. Sur la base d’une série de premiers entretiens que nous avons menés avec diverses sources, il ressort que les tendances observées en 2015 et 2016 persisteraient.

La libération, suite à un décret présidentiel du 3 janvier 2017, de plusieurs centaines de prisonniers, y compris certains membres de partis d’opposition détenus depuis 2014, est une mesure positive. Cette mesure ne représente cependant qu’une action très limitée à la lumière des allégations de nouvelles arrestations visant notamment des membres de partis d’opposition, tels que les Forces nationales de libération (FNL).

Les restrictions à certaines libertés publiques ont perduré.  Le Burundi a récemment adopté deux nouvelles lois restrictives, l’une sur les associations burundaises à but non lucratif, adoptée en janvier 2017 et en attente de promulgation ; l’autre sur les organisations non-gouvernementales internationales, promulguée le 23 janvier 2017.  La grande majorité des journalistes, des membres de la société civile et des partis d’opposition qui avaient fui le pays en 2015 sont toujours en exil. La plupart de ceux qui restent au Burundi seraient obligés de travailler clandestinement. 

D’après les informations portées à notre connaissance, les violations du droit à la vie et à l’intégrité physique de la personne persistent au Burundi, même si par rapport à 2015 elles semblent être commises d’une manière plus clandestine ou prendre de nouvelles formes.  Les allégations de disparitions forcées se sont multipliées, tout comme celles faisant état de recours à des lieux de détention non officiels. Une peur profonde semblerait s’être installée au sein de la population burundaise. Cette peur constituerait un obstacle supplémentaire aux enquêtes sur les violations particulièrement sensibles, telles que les violences sexuelles, dont plusieurs cas ont été rapportés depuis 2015.

En outre, nous avons reçu des témoignages selon lesquels le phénomène de découverte de cadavres, parfois mutilés, pendus ou avec les bras ligotés, qui avait pu être observé en 2015 et début 2016, a repris ces derniers mois. Dans de nombreux cas, ni les victimes, ni les auteurs présumés n’auraient pu être identifiés.

L’usage fréquent de la torture a été souligné dans les rapports précédents des Nations Unies et d’organisations non gouvernementales. Nos premiers entretiens ont notamment révélé de nouvelles allégations selon lesquelles des personnes soupçonnées d’être des opposants ou des détracteurs du Gouvernement ont été torturées dans les locaux des services de renseignement. Les allégations de torture dont ont été victimes plusieurs détenus, arrêtés suite à l’attaque d’un camp militaire dans la province de Muyinga le 24 janvier 2017, sont également alarmantes.

Les pratiques d’extorsion et de rançonnement se seraient renforcées suite à un affaiblissement de l’Etat de droit. Plusieurs sources font état d’une forme de privatisation des activités de maintien de l’ordre et d’application de la loi, notamment au profit de membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir (Imbonerakure).   

L’impunité quasi-totale dont jouiraient les auteurs de ces violations nous inquiète particulièrement. Même lorsque des victimes ou témoins sont en mesure d’identifier les auteurs présumés, les cas de poursuites judiciaires seraient rares à l’encontre d’agents de l’Etat ou de ceux qui auraient son soutien. En revanche, des personnes soupçonnées de participer à des groupes d’opposition continueraient d’être arrêtées, souvent arbitrairement. Certaines sont jugées et condamnées à de lourdes peines dans des procès dont le caractère expéditif et inéquitable nous a été rapporté. D’autres resteraient en prison sans jugement pendant de longues périodes. Des mineurs auraient également été arrêtés arbitrairement, notamment lors de rafles par la police.

Des attaques par des groupes ou des personnes non identifiées ont par ailleurs contribué à alimenter la spirale de la violence. Parmi les cas récents, nous avons noté, entre autres, l’attaque qui a ciblé le conseiller en communication du Président de la République, le 28 novembre 2016, et le meurtre du Ministre de l’eau, de l’environnement et de la planification, le 1er janvier 2017.

Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, au moins 27 000 Burundais ont quitté leur pays entre le 1er janvier et le 9 mars 2017.  Le nombre total de réfugiés ayant fui le Burundi depuis avril 2015, principalement vers les pays voisins, s’élève à plus de 391 700 personnes. De nombreux Burundais quittent également leur pays en raison de difficultés économiques.  Ces difficultés accentuent la précarité de groupes déjà vulnérables, portent atteinte à la jouissance en particulier de leurs droits à la santé et à l’éducation, et augmentent le risque d’insécurité alimentaire.

À ce stade, je tiens cependant à souligner qu’il  nous reste encore six mois pour conduire nos enquêtes – enquêtes que nous mènerons en toute impartialité en écoutant chaque partie prenante, à savoir les victimes et témoins, les autorités gouvernementales burundaises, et tout autre acteur que nous jugerons utile. La question de la coopération du Gouvernement burundais avec notre Commission revêt donc une grande importance pour la conduite de nos investigations. 

Coopération avec la Commission d’enquête

À cet égard, Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,

nous regrettons vivement à ce jour l’absence de volonté de coopération du Gouvernement du Burundi, pourtant membre de ce Conseil. Nous continuerons néanmoins à faire tous les efforts nécessaires pour ouvrir un dialogue avec les autorités burundaises et les tenir informées de l’avancée de nos travaux. Nous les invitons de nouveau à nous communiquer toutes les informations qu’elles jugeraient utiles à nos enquêtes. Nous avons également publié un appel à informations sur la page internet de notre Commission à l’intention de toute personne ou organisation intéressée.

Nous appelons enfin les Etats membres de ce Conseil ainsi que les Etats de la région, les Nations Unies, l’Union africaine et les organisations sous-régionales à coopérer avec notre Commission.

Comme je l’ai indiqué, nous avons déjà entamé des démarches en ce sens et ne manquerons pas de faire part à ce Conseil de l’avancée de notre travail lors de sa prochaine session en juin ; nous serons alors en mesure de donner plus de détails sur la teneur de nos enquêtes.

Je vous remercie de votre attention.

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