Organes conventionnels
Le Comité pour l'Élimination de la discrimination raciale auditionne la société civile au sujet de l'Argentine et de l'Uruguay
22 novembre 2016
Comité pour l'élimination
de la discrimination raciale
22 novembre 2016
La situation des communautés autochtones et d'ascendance africaine est au cœur des discussions
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a tenu ce matin un dialogue avec les représentants de la société civile au sujet de la mise en œuvre de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale en Argentine et en Uruguay – les deux pays dont les rapports seront examinés cette semaine.
En ce qui concerne l'Argentine, la discussion a plus particulièrement porté sur la situation des populations autochtones, s'agissant notamment de leurs droits fonciers; sur la situation des migrants; et sur l'invisibilité des personnes d'ascendance africaine présentes dans ce pays.
Pour ce qui est de l'Uruguay, c'est là encore la marginalisation de la communauté d'ascendance africaine et les préjugés et discriminations à l'encontre de cette communauté et des communautés autochtones qui étaient au cœur de la discussion. A également été déploré le manque d'application concrète des lois existantes.
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de l'Argentine, qu'il achèvera mercredi matin.
Audition de la société civile
S'agissant de l'Argentine
Abogados y Abogadas del Noroeste Argentino en Derechos Humanos y Estudios Sociales (ANDHES) et Unión de Pueblos de la Nación Diaguita ont souligné que les normes régissant les questions autochtones mises en place en 1985, sur le plan territorial en particulier, ne correspondaient pas aux normes internationales. Elles relèvent d'une loi d'urgence incomplète qui, en outre, n'est pas convenablement mise en œuvre dans la pratique. Les deux ONG ont par ailleurs dénoncé l'impunité totale suite aux assassinats d'au moins sept dirigeants autochtones par des propriétaires terriens et leurs employés. Le Comité devrait exiger la mise en place de mécanismes efficaces susceptibles d'assurer la réalisation du droit des autochtones à être consultés, ont ajouté les ONG, faisant observer qu'aucune loi ne réglemente la question de la consultation des communautés concernées et de l'obtention préalable de leur accord libre et informé.
S'exprimant au nom de six organisations, le Centro de Estudios Legales y Sociales a évoqué les questions migratoires en soulignant que la législation en vigueur en Argentine en matière de régularisation n'a pas été mise en œuvre convenablement. Il a dénoncé l'accroissement des opérations de contrôle sous le prétexte de lutte contre la traite et l'exploitation par le travail qui ont pour effet de mettre en demeure les migrants de régulariser leur situation mais sans leur donner l'information nécessaire pour ce faire. Il a aussi dénoncé la création d'un centre de détention des migrants – le premier de tous les pays du Mercosur – sous le prétexte de combattre la migration irrégulière. On assiste par ailleurs à l'augmentation des mesures d'expulsion pour présence irrégulière sur le territoire. De telles mesures ont un impact négatif sur les droits des personnes migrantes et conduisent à des pratiques contraires à la Convention.
La Comisión Organizadora del 8 de Noviembre a estimé qu'en dépit des efforts faits en faveur de la promotion de la diversité culturelle, les initiatives en la matière n'ont pas eu d'effet pour renverser la culture d'invisibilité de la communauté d'ascendance africaine d'Argentine. Ce pays doit se reconnaître comme un État multiculturel et pluriel, a-t-elle estimé. Le Ministère de la culture et le Secrétariat aux droits de l'homme de la Nation ont un rôle clé à jouer dans la reconnaissance de la communauté d'ascendance africaine, au sein de laquelle figurent de nombreux migrants sénégalais. L'ONG a par ailleurs exigé le démantèlement du centre de détention des migrants.
Dans le cadre du dialogue qui a suivi ces présentations, le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l'Argentine, M. Pastor Elias Murillo Martinez, a posé une série de questions, s'agissant notamment de la reconnaissance juridique des territoires autochtones, en particulier sur le plan cadastral. Il a aussi demandé quelle était l'origine des personnes d'ascendance africaine en Argentine, celles-ci étant de fait peu visibles dans le pays. Il a enfin souhaité savoir quelle avait été la réaction de la population face à la création d'un centre de rétention des migrants.
Un expert a attiré l'attention sur la situation de la communauté juive, notant que la majorité des plaintes provenaient de cette communauté, devant celles en provenance des autochtones. Le rapport est silencieux sur le nombre de juifs en Argentine, alors qu'il fournit des estimations sur les nombres d'autochtones et de personnes d'ascendance africaine, a-t-il relevé.
Un autre expert a déploré qu'en dépit du fait que les auteurs de l'assassinat de Javier Chocobar soient connus, ils n'ont pas été traduits en justice. À l'inverse, lorsqu'il s'agit de poursuivre des autochtones pour d'éventuels délits, y compris mineurs, la justice fait preuve d'une bien plus grande célérité, a-t-il fait observer. Le même expert a souligné que les Mapuches étaient couramment considérés en Argentine comme Chiliens – et inversement comme Argentins lorsqu'ils vivent au Chili; il a en outre dénoncé la grave contamination des eaux dans les territoires mapuches situés dans le sud de l'Argentine.
Une autre experte s'est interrogée sur le fait que l'Argentine ne se voyait pas comme une nation multiculturelle. Comment le pays fait-il face aux questions de l'esclavage et du colonialisme, a-t-elle demandé?
S'exprimant au nom de plusieurs ONG, une représentante de la société civile a expliqué que le métissage avait rendu la communauté d'ascendance africaine moins visible et aussi moins nombreuse numériquement. Son absence de visibilité s'explique aussi par le fait que les Noirs sont moins présents dans les grandes villes, en dépit d'une immigration venue d'Afrique dans les années 90. Une autre représentante de la société civile a souligné l'absence de toute politique spécifique en faveur des Afro-descendants, s'agissant notamment de l'accès à la justice et à l'éducation; cela s'explique par le fait que l'Argentine ne considère pas qu'elle compte une communauté noire.
La communauté juive est considérée comme une communauté religieuse et non pas comme une communauté ethnique; elle est toutefois estimée à un demi-million de personnes en Argentine, a-t-il en outre été indiqué. Il a également été rappelé que deux attentats avaient visé la communauté juive dans les années 90 et que ces actes n'ont pas abouti à des condamnations en justice, en dépit de la tenue d'un procès qui a été finalement annulé.
Pour ce qui a trait à la question territoriale s'agissant des communautés autochtones et à l'absence de titres de propriété, une ONG a attiré l'attention sur le rôle joué dans ce contexte par la déforestation. La délimitation des terres et l'octroi de titres de propriété exigent des actions en justice qui sont longues et coûteuses, a-t-elle souligné; or, les autochtones, qui vivent majoritairement en zone rurale, n'ont qu'un accès limité aux institutions judiciaires. Par ailleurs, les données concernant les populations autochtones ne sont pas fiables, car ces populations ont en partie échappé au recensement de la population. En effet, le recensement national de 2010 a couvert le territoire national de manière insuffisante, s'agissant particulièrement des autochtones et des personnes d'ascendance africaine, a insisté l'ONG.
Quant aux migrants, les ONG estiment que la création d'un centre de détention pour migrants s'est faite dans un certain flou quant aux véritables objectifs visés.
S'agissant de l'Uruguay
La Coalición de Organizaciones de Sociedad Civil Uruguay a déploré que, malheureusement, le suivi et la mise en œuvre des observations et recommandations du Comité laissent à désirer en Uruguay. Les normes légales existantes dans ce pays ne couvrent pas les expressions multiples de discrimination raciale et les rares progrès constatés se concentrent seulement dans le département de Montevideo, ce qui reflète une grave inégalité territoriale, a ajouté la Coalition.
En dépit du fait que l'on ait incorporé des variables relatives à l'ethnicité lors du recensement de 2011, l'État n'a guère progressé dans la reconnaissance pleine et entière de la population autochtone, a poursuivi la Coalition. Elle a attiré l'attention sur la marginalisation de la communauté d'ascendance africaine, qui – à l'instar des communautés autochtones – fait l'objet de préjugés et de discrimination. Elle a fait observer que l'inégalité entre les personnes d'ascendance africaine et la majorité de la population se manifeste de manière particulièrement visible dans l'accès à l'éducation et, surtout, dans le taux élevé d'abandon scolaire qui frappe les personnes d'ascendance africaine. Si les femmes d'ascendance africaine trouvent à s'employer comme travailleuses domestiques, cela se fait souvent de manière informelle avec des salaires médiocres, non déclarés et dans le cadre d'emplois de piètre qualité.
Dans le cadre du dialogue qui a suivi cette présentation, le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l'Uruguay, M. Alexei Avtonomov, s'est interrogé sur les causes de l'invisibilité de la population autochtone et a évoqué la nécessité d'instaurer en sa faveur des «mesures temporaires spéciales», sous forme de quotas en matière d'emploi ou de bourses d'études, par exemple. Un de ses collègues a abordé le problème de l'accès à la justice et s'est enquis du nombre d'actions en justice engagées pour des motifs de discrimination. L'État fournit-il un appui juridique, a-t-il demandé?
Dans leurs réponses, les représentants de la société civile ont expliqué qu'une bonne partie de la population ne comprenait pas l'utilité d'instaurer des «mesures temporaires spéciales» en faveur, par exemple, des personnes d'ascendance africaine. Pour ce qui est de l'accès à la justice, le problème ne vient pas de l'inexistence de textes de loi mais plutôt de leur manque d'application, a-t-il été souligné. Le racisme, la xénophobie et la discrimination raciale ne sont pas reconnus comme un problème auquel le pays serait confronté, même si l'institution nationale des droits de l'homme vient tout juste de commencer à se pencher sur la question.
La Coalition des organisations de la société civile de l'Uruguay a par ailleurs indiqué que les syndicats s'intéressent au secteur informel, où la population d'ascendance africaine est surreprésentée; les organisations de la société civile, elles, se mobilisent plutôt sur des questions telles que le harcèlement sexuel dans le cadre du travail domestique. Le salaire minimum (fixé entre 200 et 300 dollars) constitue le seuil en dessous duquel une personne peut solliciter une assistance juridique de l'État, a précisé la Coalition.
La question n'est pas tant de savoir si les lois sont adéquates en Uruguay, mais plutôt si elles s'appliquent, a insisté la Coalition. Très peu d'étudiants en droit et de candidats au barreau ont reçu une formation adéquate en matière de droits de l'homme et de non-discrimination, du fait que ces matières ont été introduites tardivement dans le cursus universitaire. Par ailleurs, les populations les plus marginalisées ne vivent pas dans la région de la capitale et sont, d'une certaine manière, «oubliées», a souligné la Coalition.
La société civile a par ailleurs dénoncé les «discours haineux» et le caractère courant de certaines expressions populaires péjoratives à l'égard des Noirs, que l'on retrouve même dans la presse. L'Uruguay ne dispose pas de plan d'action dans le cadre de la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine et n'a pas ratifié la Convention interaméricaine contre le racisme et toutes les formes de discrimination et d'intolérance, a-t-il en outre été souligné.
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