Organes conventionnels
Le Comité des droits de l’homme examine le rapport de la Pologne
Le rapport de la Pologne
18 octobre 2016
GENEVE (18 octobre 2016) - Le Comité des droits de l’homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport périodique de la Pologne sur les mesures prises par ce pays pour donner effet aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Présentant ce rapport, M. Lukasz Piebiak, Sous-Secrétaire d’État à la justice de la Pologne, a indiqué que la législation polonaise avait été dûment amendée afin de tenir compte de l’arrêt pilote de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Rukowski c. Pologne s’agissant de la durée excessive des procédures judiciaires. Au demeurant, le nombre de plaintes contre la Pologne n’a cessé de diminuer, ce qui reflète les efforts du pays pour améliorer ses performances en matière de protection des droits de l’homme, a ajouté le Sous-Secrétaire d’État. D’autre part, le Ministère de l’intérieur a lancé une stratégie globale pour la prévention des violations des droits de l’homme par la police, a indiqué M. Piebiak. Un Plénipotentiaire chargé de la protection des droits de l’homme et de l’égalité de traitement a été nommé par le Directeur général des prisons, a-t-il également fait valoir. Des efforts conséquents ont été déployés contre la surpopulation carcérale, ce dont témoigne le taux d’occupation carcérale, qui s’établissait le mois dernier à 86,6%. Un système national d’aide juridictionnelle gratuite a été mis en place cette année, cette assistance bénéficiant aux personnes dépendant de l’aide sociale, aux personnes de moins de 26 ans et à celles de plus de 65 ans, a ajouté M. Piebiak.
Le Sous-Secrétaire d’État a ensuite évoqué un projet de texte qui, s’il est adopté, permettra à tout patient de s’opposer à une décision d’un médecin, voire à contester un diagnostic, s’il porte atteinte à ses droits. M. Piebiak a enfin attiré l’attention sur les amendements adoptés s’agissant de la Cour constitutionnelle, afin de rendre cette institution plus démocratique et de rationaliser son fonctionnement.
L’imposante délégation polonaise était également composée, entre autres, de représentants des Ministères des affaires étrangères, de l’intérieur, de la justice, de la santé, de la famille, du travail et des sciences, ainsi que de de plusieurs représentants du service pénitentiaire, du parquet, de la police et du corps des gardes-frontière. Elle a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les membres du Comité s'agissant, notamment, de l’avortement; de la lutte contre la violence domestique; de la représentation des femmes dans la vie politique; des centres de détention secrets de la CIA; des mesures de lutte antiterroriste; de la lutte contre les crimes de haine; ou encore des conditions de détention.
Parmi les membres du Comité à s’être exprimés, une experte s’est félicitée de l’engagement de la Pologne et des efforts accomplis par ce pays. Elle a souligné que la plupart des questions à soulever s’agissant de ce pays concernaient l’état de droit. Par ailleurs, a-t-elle fait observer, le Comité demeure préoccupé par un certain nombre de points qu’il avait déjà soulevés par le passé. La même experte s’est inquiétée du traitement infligé à des détenus transférés illégalement par les États-Unis et ayant transité par le territoire polonais; elle a souhaité savoir pour quelles raisons les archives relatives à ces faits demeuraient secrètes. L’experte s’est ensuite enquise des mesures prises par les autorités polonaises pour garantir le droit à la vie des femmes dans le contexte de l’avortement. Les quelque 150 000 avortements clandestins en Pologne causeraient 500 décès par an, a-t-il été relevé.
S’agissant de la lutte contre les actes xénophobes et tout en reconnaissant que la Pologne n’était pas restée passive dans ce domaine, un expert a estimé que l’on y semble toutefois privilégier l’action a posteriori plutôt que la prévention. En outre, des déclarations de responsables politiques qui ne sont pas de nature à apaiser l’opinion à l’égard des musulmans, bien au contraire, ont été faites, notamment après l’attentat de Nice en France, s’est-il inquiété. On note également des attitudes xénophobes et discriminatoires à l’encontre des demandeurs d’asile, a-t-il ajouté. Les responsables de ces délits, voire de ces agressions, bénéficient semble-t-il d’une certaine impunité, s’est inquiété l’expert.
Un autre expert a déploré le manque d’exhaustivité de la loi contre la discrimination, qui ne prend pas en compte les critères du handicap ou de l’orientation sexuelle, par exemple. Un expert a relevé qu’une loi de novembre 2013 autorise le maintien en détention de personnes présentant un danger particulier du fait de leurs troubles mentaux.
La délégation a par ailleurs été priée de commenter les rapports d’autres organes de traité des Nations Unies constatant une érosion des droits de l’homme en Pologne.
Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport de la Pologne et les rendra publiques à l’issue de la session, qui doit clore ses travaux le vendredi 4 novembre.
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de la Jamaïque (CCPR/C/JAM/4).
Présentation du rapport de la Pologne
Le Comité est saisi du rapport périodique de la Pologne, élaboré en réponse à la liste de points à traiter (en anglais) que lui a adressée le Comité.
M. LUKASZ PIEBIAK, Sous-Secrétaire d’État à la justice de la Pologne, a rappelé que son pays avait soumis son rapport il y a un an et a indiqué que depuis, il avait poursuivi ses efforts visant à renforcer la protection des droits de l’homme. À la suite de l’arrêt pilote de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Rukowski c. Pologne, le Ministère de la justice a pris les mesures d’urgence nécessaires pour le mettre en œuvre, a-t-il fait valoir, rappelant que ce jugement relevait des lacunes s’agissant de la durée excessive des procédures judiciaires. La législation a donc dûment été amendée afin de tenir compte de cet arrêt, a-t-il souligné, tout en précisant qu’avant même cet amendement, la Pologne s’était efforcée de raccourcir la durée des procédures. Au demeurant, le nombre de plaintes contre la Pologne n’a cessé de diminuer, ce qui reflète les efforts du pays pour améliorer ses performances en matière de protection des droits de l’homme, a affirmé M. Piebiak. On constate la même tendance dans le nombre de jugements concernant une violation de la Convention européenne des droits de l’homme par la Pologne: il y en a eu 29 en 2015 contre 141 en 2008.
Outre les mesures prises en faveur d’une accélération des procédures, on a fait en sorte de mettre un terme aux interpellations infondées, a poursuivi le Sous-Secrétaire d’État à la justice. Par ailleurs, des unités spécialisées ont été mises en place au sein du Parquet afin de lutter contre le crime organisé, la corruption et la cybercriminalité. Ont en outre été nommés des consultants et des coordinateurs pour des catégories particulières de délits, tels que les actes haineux, a ajouté M. Piebiak. Des mesures ont aussi été prises contre la traite d’êtres humains, un Plan d’action national en la matière étant en cours de mise en œuvre pour la période 2016-2018 qui prévoit non seulement des mesures de prévention mais aussi des mesures d’assistance aux victimes. Un réseau de groupes de travail chargés de la traite a aussi été mis en place dans toutes les régions du pays et des actions de sensibilisation de la population ont été menées.
D’autre part, le Ministère de l’intérieur a lancé une stratégie globale pour la prévention des violations des droits de l’homme par la police, a indiqué M. Piebiak. Les services pénitentiaires ont édicté une réglementation contre les discriminations afin de prévenir l’exclusion sociale de personnes appartenant à des cultures différentes, tout en menant des formations sur les droits de l’homme. Un Plénipotentiaire chargé de la protection des droits de l’homme et de l’égalité de traitement a été nommé par le Directeur général des prisons, a également fait valoir le Sous-Secrétaire d’État. Des efforts conséquents ont été déployés contre la surpopulation carcérale, ce dont témoigne le taux d’occupation carcérale, qui s’établissait le mois dernier à 86,6%. Par ailleurs, des mesures ont été prises pour permettre à un plus grand nombre de détenus de travailler. Un système national d’aide juridictionnelle gratuite a été mis en place cette année, cette assistance bénéficiant aux personnes dépendant de l’aide sociale, aux personnes de moins de 26 ans et à celles de plus de 65 ans.
Par ailleurs, M. Piebiak a attiré l’attention sur la politique nataliste promue par les autorités polonaises, laquelle permet aux foyers de recevoir une allocation mensuelle à compter du deuxième enfant – voire du premier pour les familles à bas revenu. En outre, les familles ayant un enfant handicapé bénéficient d’une allocation plus élevée. Le Sous-Secrétaire d’État a ensuite évoqué un projet de texte qui, s’il est adopté, permettra à tout patient de s’opposer à une décision d’un médecin, voire à contester un diagnostic, s’il porte atteinte à ses droits.
Enfin, M. Piebiak a attiré l’attention sur les amendements adoptés s’agissant de la Cour constitutionnelle, afin de rendre cette institution plus démocratique et de rationaliser son fonctionnement. Il a en effet été estimé que le mode de désignation des juges et les règles de fonctionnement de ladite Cour devaient être revus car ils ne garantissaient pas le plein respect des droits individuels. Le Sous-Secrétaire d’État a toutefois tenu à dissiper les craintes au sujet d’une éventuelle non-publication des arrêts de la Cour, en assurant que ceux-ci sont et seront publiés dans l’avenir.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
Une experte s’est félicitée de l’engagement de la Pologne et des efforts accomplis par ce pays. Elle a souligné que la plupart des questions qui seraient soulevées durant l’examen du rapport concernaient l’état de droit. Par ailleurs, a-t-elle fait observer, le Comité demeure préoccupé par un certain nombre de points qu’il avait déjà soulevés par le passé. Elle a insisté sur le rôle crucial de la Cour constitutionnelle qui, a-t-elle rappelé, doit rester indépendante du Parlement et du pouvoir exécutif. Elle s’est donc interrogée sur les incidences des amendements apportés au statut de cette Cour et a souligné que des préoccupations sont apparues suite à des initiatives gouvernementales ayant visé à paralyser cette institution. Comment une Cour constitutionnelle peut-elle être efficace si les textes qui la régissent sont continuellement revus, a-t-elle demandé, relevant qu’outre les amendements apportés au statut de la Cour ces douze derniers mois, un nouveau texte était à présent en discussion? Dans ce contexte, la Cour constitutionnelle est-elle encore en mesure d’assurer ses fonctions, alors que le Gouvernement refuse d’en rendre publics les arrêts, a-t-elle ajouté?
La même experte s’est inquiétée du traitement infligé à des détenus transférés illégalement par les États-Unis et ayant transité par le territoire polonais. Elle a souhaité savoir pour quelles raisons les archives relatives à ces faits demeuraient secrètes. L’experte s’est ensuite enquise des mesures prises par les autorités polonaises pour garantir le droit à la vie des femmes dans le contexte de l’avortement. Des mesures ont-elles été prises pour prévenir les grossesses non désirées, notamment en matière d’accès aux contraceptifs, particulièrement dans les campagnes? Des mesures ont-elles été prises pour faciliter l’accès à l’avortement légal, a demandé l’experte, indiquant avoir eu vent de l’existence de mesures qui visent à empêcher les femmes de bénéficier d’interruptions volontaires de grossesse légales. Il apparaît que l’invocation de l’objection de conscience par de nombreux médecins ne permet pas aux femmes de pouvoir avorter légalement dans plusieurs régions du pays, a insisté l’experte. La délégation peut-elle indiquer s’il existe bien un accès effectif à l’avortement légal, a-t-elle demandé? Les autorités envisagent-elles de restreindre plus encore l’accès à l’avortement légal, a-t-elle interrogé?
Un autre membre du Comité s’est enquis des mesures prises par le Gouvernement pour prévenir les actes xénophobes. Tout en reconnaissant que la Pologne n’était pas restée passive dans ce domaine, il a estimé que l’on y semble toutefois privilégier l’action a posteriori plutôt que la prévention. En outre, des déclarations de responsables politiques qui ne sont pas de nature à apaiser l’opinion à l’égard des musulmans, bien au contraire, ont été faites, notamment après l’attentat de Nice en France, s’est-il inquiété. On note également des attitudes xénophobes et discriminatoires à l’encontre des demandeurs d’asile, a-t-il ajouté. Les responsables de ces délits, voire de ces agressions, bénéficient semble-t-il d’une certaine impunité, s’est inquiété l’expert, avant de se demander si le Gouvernement polonais ne devrait pas prendre des mesures plus efficaces dans ce domaine. Il s’est en outre demandé pour quelle raison le Conseil contre la xénophobie et la discrimination raciale avait été aboli.
Le même expert a ensuite évoqué plus spécifiquement le cas des actes antisémites, faisant observer que les statistiques présentées dans le rapport à ce sujet sont contestées par certaines ONG; ainsi, le nombre de poursuites en justice (pour acte antisémite) serait surestimé. Des textes antisémites sont, semble-t-il, en vente libre, ce qui dénote «un manque de sévérité» des autorités face à ces phénomènes, a par ailleurs déploré l’expert.
Un autre expert a quant à lui déploré le manque d’exhaustivité de la loi sur la discrimination. Pourquoi les autorités polonaises ne considèrent-elles pas nécessaire d’amender ce texte qui ne traite que de la discrimination fondée sur la race, l’origine ethnique et la nationalité, sans prendre en compte les critères du handicap ou de l’orientation sexuelle, par exemple, a-t-il demandé? Quant au plan d’action national sur l’égalité de traitement, il ne semble pas appliqué de manière efficace, a-t-il poursuivi. Ce plan arrivant à échéance à la fin de l’année, est-il prévu de lui donner une suite, a-t-il demandé?
L’expert a ensuite abordé le problème de la violence domestique, estimant qu’un nombre non négligeable d’affaires avaient été classées sans suite de manière injustifiée. Il existe en effet une tendance à considérer qu’il s’agit d’affaires d’ordre privée, a-t-il fait observer. Toute en se félicitant de l’instauration de quotas de (places réservées aux) femmes pour certains scrutins, il a souhaité savoir pour quelle raison les élections sénatoriales n’étaient pas concernées par cette mesure. Relevant par ailleurs que les femmes utilisaient systématiquement leur congé parental, l’expert a attiré l’attention sur le manque de places disponibles dans les crèches. Les autorités polonaises prévoient-elles de lutter contre les stéréotypes persistants s’agissant des rôles attribués traditionnellement aux femmes et aux hommes, a d’autre part demandé l’expert?
Un autre membre du Comité a souhaité savoir si la délégation disposait de statistiques sur le taux de mise en œuvre des recommandations du Comité et si la société civile était impliquée dans le suivi de la mise en œuvre du Pacte et desdites recommandations. S’agissant des crimes de haine, il a fait observer que seule une faible proportion des plaintes enregistrées donnait lieu à des inculpations. Aussi, s’est-il demandé si des efforts suffisants étaient déployés pour lutter contre ce fléau. Il a rappelé que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale avait demandé à ce que le caractère racial d’un délit constitue une circonstance aggravante. Le même expert a par ailleurs estimé nécessaire de sensibiliser davantage les procureurs au problème des actes antisémites. Évoquant enfin la question de la protection de la communauté LGBTI, cet expert a fait part de son inquiétude face au fait qu’il était question que le Plénipotentiaire chargé de la protection des droits de l’homme et de l’égalité de traitement ne soit plus chargé des questions en rapport avec l’égalité des sexes et l’orientation sexuelle, afin de se concentrer, de façon privilégiée, sur la protection des droits de la famille. Il apparaît que la vaste majorité des membres de la communauté LGBTI victimes d’agressions préfèrent ne pas porter plainte, de peur d’une réaction hostile de la police, a fait observer l’expert. En outre, les couples homosexuels ayant des enfants conçus à l’étranger ne parviennent pas à les faire enregistrer en Pologne, a-t-il déploré.
Pour sa part, un autre membre du Comité a relevé que le Code pénal polonais ne contenait aucune référence à la torture et a rappelé que le Comité contre la torture avait demandé qu’il y soit remédié. Cet état de fait a pour conséquence qu’il n’y a pas de peine prévue qui prenne en compte la gravité de ce crime, a insisté l’expert. En dépit d’un nombre important de plaintes contre des membres des forces de l’ordre, on constate un nombre très faible de condamnations à leur encontre, a-t-il ensuite fait observer. La délégation est-elle en mesure d’apporter des précisions sur les mesures de réparation prises en faveur des victimes, a-t-il demandé? Qu’en est-il en outre des mesures de sensibilisation à l’intention de la police? Ce même expert a cité plusieurs cas d’abus de la part de policiers, s’interrogeant sur l’issue de ces affaires et, plus largement, sur la possibilité de mener des enquêtes indépendantes à leur sujet.
Ce même membre du Comité s’est par ailleurs inquiété de la possibilité de condamner à une «thérapie hormonale» un auteur de viol ou d’inceste et a émis l’espoir que ce type de traitement ne soit pas irréversible. La loi précise-t-elle à quel type de personnes ce type de traitement pouvait être infligé? Concerne-t-il uniquement les récidivistes? Que se passe-t-il lorsque le délinquant sexuel refuse de se soumettre à un tel traitement et combien de cas sont-ils concernés, a demandé l’expert?
La délégation a été priée de dire quelles mesures la Pologne prenait pour détecter les personnes victimes de la traite des êtres humains et pour les protéger. Une experte a demandé des précisions sur le cadre juridique qui entoure la lutte contre ce problème.
Une experte a voulu connaître la position de la Pologne au sujet de l’accueil des réfugiés. Elle a relevé que le refus affiché par certaines personnalités polonaises d’accueillir des réfugiés musulmans était une violation explicite de l’interdiction de toute discrimination pour des motifs religieux. La même experte s’est dite aussi préoccupée par le manque de protection des mineurs migrants.
Une experte a voulu savoir s’il était exact que le Président de la République avait refusé sans motif la nomination de plusieurs magistrats de la Cour constitutionnelle, ce qui soulèverait des questions quant à l’indépendance de la justice en Pologne.
Un expert a noté avec satisfaction la baisse notable, depuis la présentation du dernier rapport polonais, du nombre des personnes placées en détention préventive dans ce pays. En revanche, la durée de la détention préventive ne s’est pas réduite: elle peut aller jusqu’à deux ans, le parquet demandant régulièrement, chaque trimestre, des prolongations de placement en détention provisoire, a regretté l’expert. Dans ce contexte, la délégation a été priée de dire s’il était prévu de modifier la loi pour limiter le recours à la détention préventive. Le même expert a observé que la loi contre le terrorisme autorisait le placement en garde à vue de suspects pendant quatorze jours. Il a par ailleurs recommandé aux autorités polonaises de prendre les mesures nécessaires pour améliorer la prise en charge médicale des personnes détenues et d’appliquer en leur faveur les normes européennes sur les conditions de vie en prison, s’agissant par exemple de la surface minimale disponible par détenu dans les cellules.
Un autre expert a relevé qu’une loi de novembre 2013 autorise le maintien en détention de personnes présentant un danger particulier du fait de leurs troubles mentaux. La société civile craint que cette loi soit ne applicable à toute personne détenue et de manière rétroactive. Aussi, la délégation polonaise a-t-elle été priée de donner des précisions à ce sujet. La délégation a aussi été priée d’expliquer à quelles conditions, légales et matérielles, les personnes détenues ont accès à un avocat. L’expert a recommandé à la Pologne de se conformer aux dispositions européennes qui prévoient l’accès à un conseil juridique aux toutes premières étapes de la procédure judiciaire.
Dans quelle mesure la peine de dix ans de prison prévue pour «outrage au système politique» est-elle compatible avec le Pacte, s’est interrogé un membre du Comité? Un autre expert a constaté que la Pologne ne prévoit pas d’abroger l’article du Code pénal punissant de prison la diffamation par voie de presse: or, cette prise de position va à l’encontre de l’interprétation que le Comité donne du Pacte, compte tenu de la dangerosité de cette mesure pour la liberté d’expression. Il existe des moyens de sanctionner la diffamation au plan civil, a souligné l’expert.
Un expert a relevé que plusieurs organisations non gouvernementales s’inquiètent que l’exercice du droit de réunion en Pologne soit compromis par le caractère vague des dispositions de la loi contre le terrorisme: cela pourrait avoir des répercussions négatives sur le droit de réunion des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles ou des personnes qui défendent des causes telles que le droit à l’avortement, a relevé l’expert. La Pologne, signataire du Pacte, doit en respecter l’exigence de non-discrimination quel que soit le motif, a-t-il été souligné.
Les quelque 150 000 avortements clandestins en Pologne causeraient 500 décès par an, a pour sa part fait observer une experte. Elle s’est enquise des mesures prises pour faciliter concrètement l’accès des femmes aux modalités d’avortement légales, notamment pour surmonter la réticence de médecins ou d’hôpitaux.
D’autres questions des experts du Comité ont porté sur les conditions juridiques de la surveillance des télécommunications, s’agissant notamment du stockage des métadonnées. La délégation a été priée de commenter les rapports d’autres organes de traité des Nations Unies constatant une érosion des droits de l’homme en Pologne.
Réponses de la délégation
Pour des raisons légales, le Ministère de la justice n’a pas la liste des arrêts rendus par les tribunaux, du fait de leur statut d’entités indépendantes, a expliqué la délégation. Toutefois, les tribunaux les publient sur Internet, a-t-elle ajouté, en réponse aux questions relatives à la prise en compte du Pacte par la justice polonaise.
La Cour constitutionnelle est régie par une loi promulguée le 22 juillet de cette année, a poursuivi la délégation. Ce texte fait obligation au Premier Ministre de publier les décisions de la Cour dans un certain délai, ce qui a d’ores et déjà été fait dans le Journal officiel, a-t-elle précisé. Deux arrêts n’ont pas été publiés parce qu’ils traitent de textes qui ne sont plus en vigueur, a ajouté la délégation. La Cour constitutionnelle est pleinement opérationnelle et elle continuera de l’être, a-t-elle assuré, précisant qu’un projet de loi est en débat afin de redéfinir le statut des juges de cette Cour et qu’il est proposé que ceux-ci soient au nombre de 11.
Interpellée au sujet des centres de détention secrets de la CIA, la délégation a indiqué que cette question renvoie à des documents qui sont classifiés et qui le demeureront jusqu’à nouvel ordre; elle a rappelé que la loi définit les pièces qui ne peuvent être rendues publiques. La délégation a expliqué que les autorités polonaises avaient souhaité prendre contact avec les victimes et qu’elles s’étaient heurtées au refus des autorités américaines. Une enquête demeure toutefois ouverte, qui devrait se clore le 11 mars 2017.
Les mesures de lutte contre le terrorisme obéissent à la stratégie européenne, ainsi qu’à la politique de l’Alliance atlantique en la matière, a d’autre part déclaré la délégation. La loi «sur les situations critiques» vise à améliorer la coordination des différentes autorités et des différents ministères chargés de la lutte contre le terrorisme; elle a un caractère essentiellement technique et ne fait plus référence à la nationalité ou aux origines des suspects, a indiqué la délégation.
L’avortement en Pologne est légal dans trois cas de figure: en cas de menace sur la vie de la mère; en cas de tests médicaux indiquant une malformation irréversible ou une maladie incurable du fœtus; et enfin, si la grossesse résulte d’un acte criminel. Des projets de texte ont été soumis par des citoyens, qui visaient soit à libéraliser l’interruption volontaire de grossesse, soit à la restreindre; à l’heure actuelle, néanmoins, le Parlement n’est saisi d’aucun projet de modification de la loi actuelle qui viserait à limiter le droit à l’avortement, a indiqué la délégation.
La Cour européenne des droits de l’homme a établi que se posait effectivement un problème d’accès à l’interruption volontaire de grossesse en Pologne, a ensuite reconnu la délégation. Tout avis médical ou diagnostic – y compris pour ce qui a trait à l’avortement – peut aujourd’hui faire l’objet d’un recours auprès du Médiateur pour les droits des patients, a-t-elle souligné. Le médecin doit prendre en compte l’avis du patient et le faire figurer dans son dossier médical; cela concerne toute décision médicale à laquelle entend s’opposer un patient. Cette nouvelle disposition permettra d’améliorer la transparence des avis médicaux, a insisté la délégation.
S’agissant de la clause dite de l’objection de conscience, la délégation a reconnu qu’elle permettait au médecin de s’abstenir de pratiquer un certain nombre d’interventions contraires à ses convictions. Cela ne lui permet toutefois pas de restreindre la fourniture d’un service à un patient si cette restriction de service est susceptible de nuire au patient et de porter atteinte à sa santé. En outre, l’ensemble du personnel d’un hôpital ne peut se contenter de faire valoir collectivement son objection de conscience: une liste d’établissements hospitaliers alternatifs (où peut être fourni le service demandé) doit être donnée au patient.
L’avortement pour des raisons économiques est interdit en Pologne, a par la suite souligné la délégation. L’avortement est en revanche autorisé en cas de viol, tandis que le personnel de santé est formé à la prise en charge des femmes qui doivent subir un avortement en cas de malformation du fœtus, a-t-elle ajouté. Si, dans un arrêt rendu en 2015, la Cour constitutionnelle autorise les médecins à se prévaloir de la clause de l’objection de conscience pour refuser de procéder à un avortement, les établissements hospitaliers n’en sont pas moins tenus de garantir l’accès à l’avortement légal, a insisté la délégation. Les autorités constatent cependant que l’accès à l’avortement est plus difficile dans l’est de la Pologne, a-t-elle indiqué.
La délégation a par ailleurs assuré de la disponibilité des contraceptifs sur l’ensemble du territoire polonais.
La stérilisation est possible en cas de malformations congénitales au sein de la famille et ne saurait concerner une femme âgée de moins de 35 ans; elle doit se faire avec l’assentiment d’un médecin, a d’autre part indiqué la délégation.
La délégation a ensuite assuré que l’État polonais déploie, en direction de la population et des fonctionnaires, policiers en particulier, de nombreux efforts de formation et de sensibilisation contre les crimes incitant à la haine. Quelque 86 000 policiers sur la centaine de milliers que compte le pays ont suivi un atelier de formation de dix jours – atelier dont la durée n’était jusqu’à l’an dernier que de cinq jours. Des messages sont diffusés dans les médias et des campagnes multilingues sont organisés, non seulement afin de sensibiliser la population au problème mais aussi pour toucher les victimes potentielles. Pas moins de 120 ONG sont impliquées dans ces actions, a précisé la délégation.
Le nombre de procédures ouvertes pour crimes de haine s’est établi à 973 pour l’an dernier et, à ce stade, il est de 615 pour cette année, a poursuivi la délégation, estimant que le nombre d’incidents demeurait globalement stable. Les victimes sont principalement musulmanes, d’ascendance africaine et de confession juive dans une moindre mesure, a-t-elle précisé. Des unités de lutte contre la cybercriminalité ont été mises en place au sein de la police, a ajouté la délégation. Deux cents policiers ont bénéficié d’une formation plus particulière relative à l’antisémitisme, a-t-elle en outre précisé. La délégation a jugé injustifiées les affirmations selon lesquelles les procureurs feraient preuve de passivité face aux actes haineux; bien au contraire, le travail de détection de cette catégorie de crimes est plus important et le nombre d’instructions ouvertes est plus élevé, a-t-elle assuré. La délégation a cité plusieurs cas d’agressions chauvines ou racistes ayant donné lieu à des poursuites en justice; il en a été de même s’agissant de déclarations néonazies, a-t-elle ajouté. Les procureurs, qui sont au nombre de 52, sont correctement formés, a-t-elle souligné.
L’interdiction de la discrimination est de nature constitutionnelle, a d’autre part indiqué la délégation. Il est ainsi possible de saisir la justice en cas, par exemple, de discrimination dans l’emploi.
Quant au Conseil national de lutte contre la xénophobie et la discrimination raciale, son abolition a été provoquée par son manque d’efficacité, dans la mesure où il menait essentiellement un travail théorique, a expliqué la délégation; il ne formulait pas de recommandations et ne prenait pas non plus de décisions. Concrètement, on n’a pas relevé de retombées tangibles de ses activités, a-t-elle insisté; il coûtait cher et ne produisait pas les résultats escomptés.
S’agissant de déclarations contestables – émanant notamment d’un ministre – faites à la suite de l’attentat de Nice du 14 juillet dernier, la délégation a expliqué que de telles déclarations relevaient de la liberté d’expression. En raison de son passé communiste, la Pologne ne saurait privilégier la censure, a-t-elle ajouté. La justice est toutefois capable de faire la différence entre ce qui relève de la liberté d’expression et ce qui relève de propos tombant sous le coup de la loi.
La famille demeure la valeur suprême de nombreux Polonais, a expliqué la délégation, et cela explique la fermeté des autorités contre les auteurs de violence domestique. La politique nationale dans ce domaine se manifeste notamment par des campagnes de sensibilisation, par des programmes éducatifs visant les agresseurs et par la prise en charge des victimes par des équipes spécialisées et multidisciplinaires. Les organisations non gouvernementales jouent un rôle prépondérant dans ce domaine, a ajouté la délégation. Les victimes de la violence domestique peuvent être prises en charge, dans un centre d’accueil local, par du personnel spécialisé: répartis dans l’ensemble du pays, ces centres comptent près de 600 places.
Sur le plan de la répression, la justice peut prononcer une mesure d’éloignement à l’encontre de l’auteur de violence domestique, a poursuivi la délégation; ce dernier peut en outre être soumis à des mesures de contrainte, de réinsertion ou de thérapie obligatoires. Les victimes de viol sont désormais mieux protégées, a précisé la délégation, le Code pénal ayant en effet été amendé pour réprimer plus durement ce crime. Si la police n’est pas encore autorisée à prononcer d’elle-même une mesure d’éloignement, elle doit cependant arrêter toute personne dont elle soupçonne qu’elle se livre à des actes de violence domestique, a précisé la délégation.
D’une manière générale, a ajouté la délégation, l’aide aux victimes est financée par les fonds publics, des fonds auxquels les organisations non gouvernementales ont pu demander à bénéficier; après examen des dépôts de candidatures, vingt-six organisations ont pu bénéficier de cette aide, moyennant le respect de certains critères – cinq organisations non gouvernementales candidates n’ayant en effet pas répondu aux critères, a indiqué la délégation.
Un système de quotas de femmes dans les listes des partis politiques a été introduit pour les élections aux chambres haute et basse du Parlement, a ensuite fait valoir la délégation. Toute liste qui ne répondrait pas à l’exigence de présence minimale de femmes ne serait tout simplement pas validée, a-t-elle assuré.
La délégation a d’autre part assuré que les autorités polonaises ne restaient pas inactives face au problème de l’écart salarial entre les femmes et les hommes. Pour combler cet écart, elles organisent d’abord des conférences et autres séminaires de sensibilisation au niveau local, tout en appliquant certains programmes de sensibilisation visant plus précisément les petites et moyennes entreprises et, d’une manière générale, les employeurs.
Les tribunaux polonais ont de plus en plus souvent recours aux mesures alternatives à la privation de liberté, a ensuite indiqué la délégation, évoquant notamment le port du bracelet électronique, qui peut durer jusqu’à une année et remplace environ 6% des peines de prison inférieures à huit ans. Un peu plus de deux mille personnes ont pu bénéficier du bracelet, libérant quelque 800 places de prison. Le tribunal peut également choisir de confisquer les biens de personnes condamnées ou d’infliger une amende.
S’agissant des conditions de détention, la délégation a précisé que les services pénitentiaires emploient 1000 médecins – y compris des spécialistes – et 1000 infirmières pour 75 000 détenus, tandis que plus de 227 000 rendez-vous de dentiste ont été recensés en 2015. Les détenus ont ainsi accès à un excellent système de santé. Chaque cas de suicide fait l’objet d’une enquête, a poursuivi la délégation. Les personnes handicapées détenues sont, au besoin, dirigées vers des établissements dotés de locaux répondant à leurs besoins, a-t-elle en outre fait valoir. Le statut des quelque 109 détenus dangereux placés dans des cellules particulières est réévalué tous les cinq mois, a d’autre part indiqué la délégation. Les effets secondaires du traitement chimiothérapique pouvant être administré à ces détenus dangereux sont passagers, a assuré la délégation : il ne s’agit donc pas d’une «castration chimique», mais bien d’une thérapie, a-t-elle insisté.
S’agissant de la protection des droits des mineurs dans la justice, la délégation a indiqué qu’un mineur peut être placé pendant quatorze jours dans une «salle provisoire» afin de faire évaluer son état par des éducateurs et des médecins. Les enfants polonais sont très bien protégés par la loi, a assuré la délégation : il est impensable en Pologne de traduire un enfant de moins de dix-sept ans devant une cour d’assises.
L’organisation des rapports entre les trois pouvoirs est garante de leur indépendance respective, a assuré la délégation polonaise: les juges contrôlent ainsi le pouvoir exécutif pour veiller au respect du droit international et de la Constitution. La nomination des juges de la Cour constitutionnelle reflète une nécessaire «perméabilité» entre ces pouvoirs, puisque l’organe qui en est chargé est composé aussi de représentants de l’exécutif et du législatif, a-t-elle indiqué. La Cour suprême polonaise a fixé antérieurement la procédure: le Conseil national du pouvoir judiciaire doit, pour nommer les magistrats, présélectionner les candidats dont la liste sera soumise au Président de la République. Sur 10 000 magistrats, le Président a refusé dix candidats: il semble donc qu’il n’exerce ses prérogatives que de manière exceptionnelle, a fait valoir la délégation.
La loi sur la liberté de réunion permet aux autorités d’interdire un rassemblement qui pourrait entraîner des risques sécuritaires ou sanitaires ou qui contrevient au principe d’assemblée pacifique, a expliqué la délégation. Toute décision dans ce sens peut faire l’objet de recours devant les tribunaux, a-t-elle fait valoir. Pour mesurer le risque sécuritaire, les autorités appliquent l’échelle d’alerte élaborée par l’OTAN: cette échelle n’a servi qu’à deux reprises.
Remarques de conclusion
M. NIGEL RODLEY, membre du Comité présidant la séance, a regretté les lacunes dans certaines réponses de la délégation concernant, notamment, le remaniement du pouvoir judiciaire ou la publication des arrêts de la Cour constitutionnelle. Il a relevé que les prérogatives des institutions publiques ne semblent pas conformes aux attentes contemporaines en la matière: le Comité s’inquiète en particulier de l’organisation de la justice polonaise et de certaines limites à la liberté d’expression, a-t-il indiqué.
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