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Procédures spéciales

Discours de fin de mission en République Centrafricaine par le Groupe de travail sur l’utilisation de mercenaires

18 Octobre 2016

Bangui, le 19 octobre 2016

Mesdames et Messieurs,

Au nom du Groupe de travail sur l’utilisation de mercenaires, mon collègue Anton Katz et moi-même souhaitons tout d’abord remercier le Gouvernement de la République Centrafricaine pour son invitation et pour sa coopération durant la préparation et tout au long de notre visite qui s’est déroulée du 10 au 19 octobre 2016.

Nous sommes reconnaissants à tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés, les représentants du pouvoir exécutif et du judiciaire, ainsi que les représentants de la société civile centrafricaine pour les discussions fructueuses que nous avons eues à Bangui et à Bria durant notre mission. Nous exprimons nos sincères remerciements aux victimes des violations des droits de l’homme qui ont accepté de partager leurs douloureuses expériences avec nous. Enfin, cette mission a été possible grâce au soutien remarquable de la MINUSCA que nous remercions également. A Bangui, le Groupe de travail s’est également rendu au camp M’poko et au Centre pénitentiaire de Bimbo. Au cours de sa visite à Bria, le Groupe de travail s’est entretenu avec les autorités locales, les autorités judiciaires, des représentants de la société civile, et des représentants de groupes armés afin de mieux comprendre le contexte dans lequel ces groupes armés opèrent, ainsi que leur impact sur les droits de l’homme de la population centrafricaine.

L’objectif de cette conférence de presse est de vous livrer nos observations préliminaires avant la présentation de notre rapport détaillé au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en septembre 2017.

Permettez-moi tout d’abord de vous rappeler notre mandat. Le Groupe de travail est mandaté par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies pour étudier les activités des mercenaires, ainsi que celles liées au mercenariat, et leur impact sur les droits de l’homme, en particulier sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La thématique des combattants étrangers est donc devenue un sujet d’intérêt pour le Groupe de par ses liens avec le phénomène du mercenariat.

Je souhaiterais tout d’abord préciser que le terme « mercenaire » est défini dans le Premier Protocole additionnel des Conventions de Genève de 1949, dans la Convention de 1989 des Nations Unies sur le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires, ainsi que dans la Convention de l’Union Africaine sur l’élimination du mercenariat en Afrique. En ce qui concerne les combattants étrangers, il n’existe aucune définition internationale, ni aucun cadre normatif sur ce phénomène.

Un combattant étranger fait référence à un individu qui quitte son pays d’origine ou son lieu de résidence habituelle et est impliqué dans des actes de violence dans le cadre d’une rébellion ou d’un groupe armé non étatique dans un conflit armé. Les combattants étrangers sont motivés par des facteurs divers, notamment idéologiques ou religieux, mais peuvent être aussi attirés par une motivation financière. Les combattants étrangers doivent aussi respecter le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire pendant les conflits armés.

C’est dans ce cadre précis que s’inscrit la visite du Groupe de travail en République Centrafricaine.

Le Groupe de travail félicite le Gouvernement de la République Centrafricaine pour la tenue d’élections pacifiques qui se sont déroulées le 14 février 2016, marquant le retour à la démocratie après plusieurs décennies d’instabilité qui ont constitué un frein majeur au progrès et au développement de ce pays. Nous félicitons également le Gouvernement pour ses nombreuses initiatives visant à restaurer l’Etat de droit en dépit du défi sécuritaire auquel il doit faire face. Par ailleurs, nous reconnaissons les démarches positives prises par le Gouvernement pour lutter contre l’impunité concernant les violations des droits de l’homme et  encourager la réconciliation nationale. Je fais notamment référence aux efforts en cours pour la mise en œuvre des recommandations du Forum de Bangui, y compris le processus de Désarmement Démobilisation Réinsertion et Rapatriement (DDRR), et celles du séminaire international sur la lutte contre l’impunité en République Centrafricaine du 4 septembre 2015. A cet égard, nous encourageons le Gouvernement à finaliser urgemment le processus visant à l’établissement de la Cour Pénale Spéciale en vertu de la Loi du 3 juin 2015 qui permettra d’enquêter sur les violations graves des droits de l’homme commises depuis 2003 et de poursuivre les auteurs de ces actes. La Cour Pénale internationale conduit également des enquêtes relatives aux violations des droits de l’homme commises durant la crise de 2013.

Nous félicitons la République Centrafricaine pour sa nouvelle Constitution, notamment pour avoir inscrit à l’article 29 qu’ « en cas de coup d’Etat, d’agression par un Etat tiers ou par des mercenaires, tout membre d’un organe constitutionnel a le droit et le devoir de recourir à tous les moyens pour rétablir la légitimité constitutionnelle, y compris le recours aux accords de coopération militaire ou de défense en vigueur ».  Nous notons néanmoins que la République Centrafricaine n’est pas Partie à la Convention des Nations Unies sur le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires, ni à la Convention de l’Union Africaine sur l’élimination du mercenariat en Afrique et nous l’invitons à ratifier ces deux instruments dans les meilleurs délais, ainsi qu’à adopter une législation interne lui permettant de lutter contre le mercenariat.

En ce qui concerne l’objet de notre visite et selon les informations que nous avons recueillies, la crise de 2013 a vu l’implication de centaines de mercenaires et de combattants étrangers venus de pays voisins tels que le Tchad, le Soudan, le Cameroun et le Niger dans les atrocités commises contre la population civile. Cette crise a laissé le pays exsangue et a longtemps paralysé les institutions étatiques. Ses conséquences ont été désastreuses pour la République Centrafricaine et laissé des blessures profondes dans la population, en particulier chez les plus vulnérables, notamment les femmes, les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées. Nous savons que le conflit aurait fait plus de 5,000 morts, plus de 380,000 personnes déplacées, plus de 450,000 réfugiés dans les pays voisins, environ 6,000 femmes victimes de violences sexuelles et environ 10,000 enfants enrôlés de force par les différents les groupes armés. Ces chiffres continuent d’augmenter chaque jour en conséquence des actions commises par divers groupes armés dans différentes régions du pays. Aujourd’hui, plus de la moitié de la population centrafricaine a un besoin urgent d’assistance humanitaire.

Durant notre visite, des groupes armés ont continué leurs activités dévastatrices dans le pays, notamment à Kaga Bandoro et à Ngakobo les 12 et 15 octobre derniers, faisant plus de 40 morts dans ces deux localités et provoquant le déplacement de plus de 5,000 personnes fuyant les violences contre la population civile. Les attaques des groupes armés sont une menace quotidienne pour la population qui vit dans un état d’insécurité permanent. Certains quartiers de Bangui demeurent des zones dangereuses à cause de la circulation d’armes et la présence de groupes armés incluant des mercenaires, selon les informations recueillies. Les principaux groupes armés opérant dans le pays comprennent les ex-Séléka, les anti-balakas et la LRA.

Le Groupe de travail note que l’identification des mercenaires demeure une question complexe en République Centrafricaine, compte tenu de la diversité de sa population. Néanmoins, il est établi qu’à cause des frontières poreuses des mercenaires en provenance des pays voisins ont rejoint divers groupes armés en République Centrafricaine pour des motivations essentiellement financières, pillant différentes localités à travers le pays, s’emparant du bétail et des biens de la population, prélevant des taxes illégales et contrôlant les ressources minières du pays. Durant la crise de 2013, des mercenaires ont rejoint les rangs de la Séléka pour renverser l’ancien Président Bozizé. Selon les informations reçues, environ 500 mercenaires sont encore présents en République Centrafricaine profitant de l’instabilité pour continuer de s’enrichir à travers différentes activités criminelles, telle que l’extorsion de la population et le pillage des ressources naturelles.

En dehors des mercenaires cités plus haut, des combattants étrangers en provenance du Tchad et du Soudan ont également participé à la crise de 2013 pour des raisons religieuses. Par conséquent, des affrontements entre la Séléka (à prédominance musulmane) et les anti-balakas (majoritairement chrétiens) ont provoqué des milliers de morts parmi les musulmans et les chrétiens. A ce jour, ce phénomène continue de représenter un risque majeur d’insécurité dans le pays.
Selon les informations recueilles, en dehors de la menace que représentent les ex-Séléka et les anti-balakas, la présence d’éléments étrangers en provenance principalement d’Ouganda, mais également du Soudan et de la République Démocratique du Congo dans les rangs de la LRA, constitue un facteur aggravant d’insécurité sur une large partie du territoire centrafricain, notamment dans le Haut-Mbomou, la Haute Kotto et la Basse Kotto. En effet, ces milices commettent de graves de violations des droits de l’homme, y compris des enlèvements, des viols, des traitements cruels, inhumains et dégradants, des actes de violences et d’esclavage sexuels, ainsi que la traite des personnes. La LRA a également enlevé des centaines d’enfants pour en faire des enfants soldats.  Nous avons aussi appris que des femmes font également partie de la LRA.

Avec ses frontières poreuses permettant la libre circulation des personnes en provenance des pays voisins, la République Centrafricaine est devenue un pays d’accueil mais aussi la cible de mercenaires et de combattants étrangers.
Nos observations sont basées sur les informations recueillies et nous avons noté que la question de savoir qui est centrafricain et qui ne l’est pas fait débat. A cet égard, il est essentiel que la question identitaire  soit réglée dans le cadre du processus de réconciliation nationale.

Combattre les activités illicites des groupes armés continue d’être un défi pour la République Centrafricaine dû à la faiblesse de ses forces de sécurité, incluant l’armée, la police et la gendarmerie, qui sont actuellement en phase de formation par l’Union Européenne. Entretemps, ces groupes continuent de terroriser la population et de commettre des atrocités de masse en toute impunité. Cette insécurité est exacerbée par la prolifération d’armes à travers le pays. La présence de la MINUSCA a contribué à maintenir une certaine stabilité en République Centrafricaine, notamment grâce à la coopération existante avec le Gouvernement centrafricain dans le cadre du processus de DDRR.

La présence de tant d’acteurs étrangers est ressentie par les centrafricains comme un obstacle à l’auto-détermination et le peuple centrafricain a exprimé le besoin de reprendre son destin en main. Le Groupe de travail réitère que le droit à l’auto-détermination est un élément fondamental des efforts des centrafricains pour se démarquer de leur passé tumultueux. Ce droit est violé par les mercenaires et les combattants étrangers dont le seul but est de déstabiliser le pays dans leur propre intérêt.

Le mandat du Groupe de travail comprend également l’étude des activités des sociétés militaires et de sécurité privées. Nous avons été informés dans le cadre de notre visite de l’existence d’une compagnie de sécurité privée assurant la protection d’un site pétrolier qui aurait utilisé des éléments appartenant à des groupes armés ex-Séléka lesquels auraient reçu une rémunération substantielle. Le Groupe de travail s’inquiète du manque de régulations solides et effectives permettant de répondre à d’éventuelles violations des droits de l’homme commises par ces sociétés.  Le Groupe recommande que celles-ci soient tenues responsables dans le cas où des membres de leur personnel commettraient des violations des droits de l’homme. Il recommande enfin la création de mécanismes de réparation auxquels puissent recourir d’éventuelles victimes de ces actes.

Dans ce contexte difficile et afin de répondre aux diverses préoccupations que nous avons évoquées, le Groupe de travail souhaite formuler les recommandations suivantes :

  • La protection des civils demeure une priorité absolue, ainsi que des réformes urgentes du secteur de la sécurité. Cela est nécessaire afin de garantir un environnement stable, notamment à la lumière des derniers incidents qui ont résulté dans la mort de nombreux civils et le déplacement de milliers de personnes, ce qui est une source de préoccupation majeure pour l’avenir du pays. A cet égard, le Groupe encourage la MINUSCA à répondre d’une manière plus proactive et préventive aux menaces contre les civils, notamment, dans les zones sensibles comme les camps de personnes déplacées.
  • L’élucidation des actes de violence commis par les différents groupes armés depuis 2003 est nécessaire pour assurer à la population civile un environnement stable dans lequel le droit à la sécurité de chacun est respecté de manière impartiale. Par ailleurs, nous encourageons l’Etat centrafricain à lutter contre l’impunité et à renforcer son système judiciaire ; à mettre en place des mécanismes de réparation afin d’aboutir à une véritable réconciliation nationale. A cet effet, le Groupe de travail encourage l’Etat centrafricain à adopter de manière urgente une loi de protection des témoins et des victimes.
  • Le renforcement des efforts du Gouvernement pour que la Cour Pénale Spéciale soit opérationnelle dans les meilleurs délais, en procédant à la sélection et la nomination de magistrats et de personnel judiciaire hautement qualifié, qui seront en mesure de mener des enquêtes sur les violations graves des droits de l’homme devrait être une priorité;
  • Le Groupe de travail recommande au Gouvernement centrafricain de renforcer sa coopération avec les organisations de la société civile et de les associer aux processus d’enquêtes et de réconciliation, et ceci de manière transparente. Ces processus doivent permettre la participation de la population sur l’ensemble du territoire, particulièrement les groupes vulnérables. Le Groupe de travail appelle également au renforcement des capacités de la société civile.
  • Le Groupe de travail a noté la nécessité de renforcer d’une manière transparente la politique de désarmement, de démobilisation, de réinsertion et de rapatriement. Il encourage le Gouvernement à s’assurer que les personnes qui ont pris part à des violations des droits de l’homme soient poursuivies pour leurs actes et ne puissent pas bénéficier du  processus DDRR.
  • Nous recommandons également de mettre en place la coopération régionale avec les pays voisins afin de lutter contre les mercenaires, les combattants étrangers et leur impact négatif sur les droits de l’homme. Nous insistons sur le fait que le mercenariat est un phénomène transfrontalier qui ne peut être combattu qu’avec l’étroite coopération d’autres pays, en particulier les pays limitrophes. Par ailleurs, l’insécurité dans les pays voisins peut aussi avoir un impact négatif sur la situation en République Centrafricaine, ce qui rend la coopération régionale indispensable dans les efforts en cours pour sécuriser le pays.
  • Etant donné que les richesses minières du sous-sol centrafricain telles que le diamant, l’or, l’uranium et le pétrole, continuent d’attirer des éléments étrangers dans le but d’exploiter ces ressources de manière illégale, il est essentiel que le Gouvernement centrafricain mette en place un système de sécurisation des sites miniers, et un mécanisme transparent de gestion des ressources naturelles.
  • Enfin, la participation de tous les secteurs de la société est indispensable pour la reconstruction de l’unité nationale. Des initiatives telles que la Plateforme Religieuse représentent des moyens précieux de rétablir le dialogue et la paix durable entre les différentes communautés.
  • Enfin, la sensibilisation de la population au respect des droits de l’homme, l’octroi de réparation aux victimes des atrocités commises par les groupes armés et le droit au développement sont essentiels pour garantir la paix et à la réconciliation.

        Je vous remercie de votre attention.