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Déclarations Procédures spéciales

Conclusions de fin de mission de Mme Urmila Bhoola, Rapporteuse Spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences sur sa visite au Togo (27-31 mai 2019)

31 Mai 2019

31 mai 2019

Membres des Média, Mesdames et Messieurs,

Je m’adresse à vous aujourd’hui à la fin de ma visite officielle au Togo, que j’ai effectuée à l’invitation du Gouvernement du 27 au 31 mai 2019.

L’objectif de ma mission était d’évaluer la situation du travail forcé et du travail des enfants dans le pays, en mettant l’accent sur les pires formes de travail des enfants, telle que la servitude domestique. L’énoncé suivant présente mes conclusions préliminaires fondées sur les informations recueillies au cours de ma visite. Mon rapport final sera présenté au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies.

Je voudrais exprimer ma gratitude au Gouvernement Togolais pour l’invitation et l’hospitalité qui m’a été offerte, ainsi qu’à ma délégation. Je remercie les représentants des autorités gouvernementales au niveau national qui ont pris le temps de me rencontrer, ainsi que les interlocuteurs des organisations de la société civile, des syndicats, des organismes internationaux et, enfin, la Commission Nationale des Droits de l’Homme. J’ai aussi rencontré des enfants eux-mêmes victimes du travail des enfants et j’ai apprécié leur ouverture à partager leur situation avec moi.

J’exprime également ma reconnaissance au point focal de ma visite au Ministère des Droits de l’Homme pour toute son assistance et son soutien.

Au cours des cinq derniers jours, j’ai visité Lomé, Sokodé et Tabligbo.

Au cours de ma visite, j’ai constaté qu’à Lomé, les enfants continuent de travailler dans les marchés en tant que porteurs et vendeurs, et dans les milieux ruraux, ils exercent les pires formes de travail des enfants dans l’agriculture. La prévalence continue du mariage des enfants et des enfants dans la servitude domestique qui constituent deux formes contemporaines d’esclavage, requiert une attention immédiate et accrue si le Togo veut surmonter les séquelles de la pauvreté et de l’inégalité qui persistent.

Domaines clés du cadre juridique et institutionnel assurant la protection contre les formes contemporaines d’esclavage

Le Togo a ratifié tous les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, à l’exception de la Convention relative à la protection des Travailleurs Migrants et de leurs familles. Il a mis en place un cadre complet pour respecter ses obligations en vertu du droit international en matière de droits de l’homme. Le Code Pénal de 2015 interdit explicitement le travail forcé et d’autres formes d’exploitation et, en vertu de l’Article 338, « toute personne qui commet une infraction de travail forcé ou de services, par quelque moyen que ce soit, est passible d’une peine d’emprisonnement de cinq (05) à dix (10) ans et d’une amende de cinq millions (5 000 000) à vingt millions (20 000 000) de francs CFA.

Le Code Pénal interdit les conditions de travail et de vie contraires à la dignité humaine: de la personne, L’Article 351 du Code Pénal interdit les conditions de travail et de vie contraires à la dignité de la personne, c’est-à-dire l’obtention d’une personne dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance est apparent ou connu de l’auteur, la prestation de services non rémunérés ou en échange d’une rémunération clairement sans rapport avec l’importance du travail accompli. Cette pratique est passible de peines sévères.

Le Code Pénal interdit également l’exploitation de la mendicité et prévoit des peines d’emprisonnement ou des amendes sévères.

L’Article 341 du Code Pénal interdit les mariages forcés ou serviles, y compris les mariages des enfants. Il prévoit également des peines sévères pour ces infractions.

Le travail forcé est également expressément interdit dans le Code du Travail, qui le définit conformément aux Conventions de l’OIT.

Afin de protéger les enfants contre l’exploitation par le travail, le Code des Enfants de 2007 traduit les obligations internationales du Togo de protéger les droits de l’enfant en droit domestique. Par ailleurs, il existe une déclaration ministérielle (N° 1464) qui interdit expressément le travail dangereux et ne devant pas être effectué par des enfants de 15 à 18 ans. Les enfants de moins de 15 ans sont interdits en vertu de la loi Togolaise, qui est conforme aux obligations internationales du Togo.

Afin de mettre en œuvre le cadre juridique, nous avons été informés qu’un certain nombre d’institutions nationales travaillent activement en vue de mettre fin au travail des enfants, y compris aux pires formes de travail des enfants, ainsi qu’au mariage des enfants. C’est le cas du Comité National des Droits de l’Enfant créé en vertu du Code de l’Enfant. Le Ministère de l’Action Sociale, de la Promotion de la Femme et de l’Alphabétisation a mis sur pied une Direction Générale de la Protection de l’Enfance qui, nous a-t-on dit, travaille de concert avec les services en charge de travail créés par le Ministère du Travail au niveau régional pour contrôler le travail des enfants. L’Inspection du Travail créée par le Ministère du Travail joue également un rôle clé dans l’identification des enfants qui sont exploités ou soumis à des formes contemporaines d’esclavage. Nous avons été informés que le nombre d’inspecteurs du travail est insuffisant, qu’ils ne sont pas autorisés à accéder à des maisons privées et qu’ils ne peuvent pas imposer de pénalités aux contrevenants.

Le Togo a également mis en place un Comité Directeur National contre le Travail des Enfants, qui fait partie de ses obligations en vertu du Plan d’Action Régional de la CEDEAO relatif à l’Elimination du Travail des Enfants, en particulier ses pires formes, mais il doit encore finaliser son plan d’action national en vue de mettre fin au travail des enfants, y compris les pires formes de travail des enfants. 

Conclusions préliminaires de la visite

Nous avons été informées que le travail et l’exploitation sexuelle des enfants résultent souvent de la traite des personnes à l’échelle nationale et régionale, ce qui est lié, entre autres, au manque de développement et à la situation difficile en matière de sécurité dans l’ensemble de la région.

Mariage d’enfants et autres pratiques traditionnelles dommageables

Le Ministère de l’Action Sociale nous a informés qu’en 2015, 453 filles victimes de mariage d’enfants ont été retirées du foyer et pour lesquelles le Ministère prenait des mesures d’atténuation. Il est fort probable que le nombre total de filles mariées de force est beaucoup plus élevé.

La réduction des mariages des enfants par le biais du programme national de lutte contre les mariages forcés et des enfants, la protection des victimes et la sensibilisation des parents demeurent une priorité clé. Dans ce contexte, nous avons été informés de la Déclaration de Notsè, signée le 14 juin 2013, dans laquelle un groupe de leaders religieux se sont engagés à retirer les filles des couvents, ce qui réduirait leur vulnérabilité au mariage des enfants, au travail des enfants et aux diverses pratiques préjudiciables. Le 1er mars 2016, la Déclaration de Togblékopé a été signée par des chefs traditionnels en complément de la Déclaration de Notsè, qui portait spécifiquement sur la fin du mariage des enfants.

Bien que la déclaration demeure symboliquement importante, elle ne dissuade pas efficacement les leaders religieux de continuer à exploiter les enfants dans la servitude domestique et d’autres formes de travail des enfants. Les organisations de la société civile étaient également préoccupées par la nature non contraignante de la déclaration ainsi que par son applicabilité géographique limitée. Nous avons également été informés d’autres pratiques culturelles comme les accusations de sorcellerie contre des enfants. Nous avons été choqués d’apprendre que les accusations de sorcellerie servent souvent d’excuse pour expulser des enfants indésirables de leur famille et de leur collectivité. Les enfants ostracisés deviennent vulnérables à l’exploitation dans les pires formes de travail des enfants.

Servitude domestique

J’ai été informée qu’en dépit de l’interdiction du travail des enfants et des pires formes de travail des enfants, la servitude domestique des enfants demeure un problème national; la pratique culturelle de confiage consiste à placer les enfants dans des familles pour qu’ils travaillent en échange de la possibilité de recevoir une éducation, mais souvent, ces enfants sont victimes de mauvais traitements et d’exploitations, y compris des pires formes de travail des enfants. La plupart des domestiques sont des filles. Bien que les garçons soient aussi soumis au travail forcé dans les secteurs de la construction, des mines, de l’agriculture et des ateliers de mécanique, les filles sont touchées de façon disproportionnée par la servitude domestique. Cette situation est conforme aux normes sociales qui continuent de discriminer les femmes.

Nous nous sommes adressées à diverses organisations de la société civile qui nous ont fait part de leurs expériences en matière de retrait des enfants, y compris des enfants qui avaient été victimes de la traite à l’extérieur du Togo sous le couvert de la pratique de confiage.

Il existe des tribunaux dans chaque région afin de s’assurer que les cas signalés font l’objet d’enquêtes et de poursuites. Nous n’avons pas obtenu de données précises sur le nombre de poursuites et de condamnations dans de tels cas, ce qui souligne la nécessité d’accroître la collecte de données et la production de rapports pour permettre au Gouvernement de vérifier si des progrès sont réalisés ou non.

Des efforts non gouvernementaux sont déployés pour professionnaliser le secteur des travailleurs domestiques grâce à l’enregistrement adéquat des travailleurs domestiques et à la sensibilisation à leurs droits.

La servitude domestique demeure un problème invisible et le fait que les inspecteurs du travail ne peuvent pas, en vertu de la loi applicable, avoir accès à des maisons privées, contribue à maintenir l’impunité dans ces cas. De plus, les plaintes contre les employeurs de domestiques sont rarement déposées parce qu’il s’agit de membres de la famille. La corruption a été mentionnée comme un autre facteur qui, dans certains cas, évite que les auteurs du travail des enfants soient traduits en justice.

En 2009, le Ministère de l’Action Sociale a mis en place un numéro vert appelé « ligne verte», dans le but de protéger les enfants en leur fournissant un mécanisme de signalement en cas de violence ou d’exploitation. La ligne téléphonique « Allo 10-11 » est un service public supervisé par un comité directeur avec un centre de contrôle et une douzaine d’organisations partenaires de la société civile sont responsables des références. Ce service est une initiative clé qui permet aux enfants à risque d’appeler pour dénoncer les auteurs de façon anonyme et de demander des conseils et de l’assistance juridique. Cependant, elle n’est opérationnelle qu’à Lomé, ce qui laisse un vide dans les régions rurales. J’ai  été également informée que les enfants des régions éloignées peuvent éprouver des difficultés à accéder à la ligne téléphonique et qu’il faut davantage de sensibilisation en la matière.

La société civile joue généralement un rôle important dans les efforts déployés par les gouvernants dans la prise en compte les droits des enfants et dans le retrait des enfants du travail et de l’exploitation sexuelle.

Accès à l’éducation

En vertu de la Loi Togolaise, l’enseignement primaire est obligatoire et gratuit. Dans la pratique, cependant, il y a des coûts indirects importants liés à la scolarité, par exemple, les enfants doivent payer leurs bancs. Même si les frais de scolarité ont été abolis au niveau primaire et réduits au niveau secondaire, les coûts indirects continuent de représenter un obstacle majeur pour les familles pauvres, augmentant ainsi le risque que les enfants soient mis au travail au lieu d’assurer leur accès à l’éducation. Par conséquent, le Gouvernement doit accorder une plus grande priorité à cette question afin que tous les enfants aient accès à une éducation abordable et de qualité. L’investissement dans l’éducation est un investissement dans l’avenir du Togo. L’éducation est aussi l’une des pierres angulaires de la prévention du travail des enfants et, par conséquent, elle mérite une intervention urgente du Gouvernement.

Bien que nous ayons été informées qu’on y porte attention, une attention accrue à la réadaptation professionnelle est un élément important pour assurer le retrait permanent des enfants des situations d’esclavage.

Mettre fin au travail des enfants et aux inégalités entre les sexes dans le cadre des engagements du Togo au titre des Objectifs de Développement Durable

L’acceptation sociale du travail des enfants, y compris les pires formes de travail des enfants, prévaut dans le pays. Selon de nombreux acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux, les normes et les pratiques culturelles appuient le travail des enfants, y compris sous ses pires formes, et sont socialement acceptées comme moyen d’éduquer un enfant. Le travail des enfants demeure une stratégie de survie pour de nombreuses familles, ainsi que pour les enfants eux-mêmes. Par conséquent, il faut  un changement de mentalité de la société togolaise pour reconnaître les enfants comme des détenteurs de droits et comme des contributeurs importants à la croissance et au développement économiques durables.

Conformément à la cible 8.7 des Objectifs de Développement Durable, le travail des enfants sous toutes ses formes doit être éliminé d’ici 2025. J’ai toutefois remarqué que ceci ne semble pas être un impératif urgent pour le Gouvernement. Il faut accorder beaucoup plus d’importance à cette question si le Togo veut atteindre cet objectif mondial ambitieux. Parmi les priorités clés en matière de développement qui nécessitent une attention et une action accrues de la part du Togo, figurent l’éradication de la pauvreté, l’éducation et l’égalité des sexes. La volonté politique est une condition préalable à la réalisation de progrès durables dans ces domaines, par exemple en créant des possibilités de travail décent et en augmentant le plein emploi productif grâce à l’obtention de possibilités de développement. Ceci demeure un paradigme important pour le Gouvernement du Togo, mais au cours de ma visite, j’ai peu entendu parler des mesures concrètes qui sont prévues à cet égard.

L’inclusion sociale est essentielle pour assurer la stabilité sociale et le développement. Cependant, le développement doit être durable et inclusif afin d’être bénéfique pour tous, y compris les plus vulnérables. Et c’est exactement ce qui est au cœur de l’agenda 2030: il appelle les Etats à « ne laisser personne pour compte ». Ceci s’accompagne également de responsabilités pour le secteur des entreprises, notamment en ce qui concerne les industries extractives: les entreprises Privées ou Publiques doivent s’assurer qu’elles ne tolèrent pas le travail des enfants et d’autres pratiques d’exploitation, comme le stipulent les Principes Directeurs relatifs aux Entreprises et aux Droits de l’Homme.

Pour conclure, je tiens à réitérer que les lois à elles seules ne suffisent pas pour protéger tous les enfants du travail forcé, de la servitude domestique et d’autres formes d’esclavage contemporain. Les lois doivent être appliquées efficacement, ce qui signifie qu’elles doivent être appuyées par une volonté politique, un renforcement de capacité et d’importantes ressources pour être efficaces dans la réalisation des droits inscrits dans ces lois. Bien que le Togo dispose d’un cadre national complet et de mécanismes institutionnels pour soutenir l’application de la loi, une application efficace de la loi doit être assurée en particulier pour les enfants, parallèlement au renforcement des mesures de prévention.

Je présenterai un rapport détaillé au Conseil des Droits de l’Homme en temps opportun, mais entre-temps, j’exhorte le Gouvernement Togolais à envisager la mise en œuvre des mesures suivantes qui préviendraient et combattraient le travail des enfants, notamment sous ses pires formes:

Recommandations Initiales  

  • Prendre des mesures immédiates et efficaces pour mettre fin à la servitude domestique et retirer les enfants du travail domestique. Plus précisément, protéger les filles et les garçons contre l’exploitation du travail des enfants, en particulier dans les services domestiques, en augmentant les inspections et les amendes imposées aux employeurs, conformément à la Convention N° 182 (1999) de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) relative à l’Interdiction et l’Action Immédiate pour l’Elimination des Pires Formes de Travail des Enfants;
  • Réglementer et surveiller les conditions de travail des travailleurs domestiques et envisager la ratification de la Convention N° 189 de l’OIT (2011) relatif au travail décent pour les travailleurs domestiques ;
  • Renforcer la coopération interinstitutionnelle entre tous les ministères concernés en augmentant l’efficacité des structures existantes ;
  • Appliquer le Code du Travail et la législation sociale dans le secteur informel, notamment en l’ouvrant aux services d’inspection du travail ;
  • Adopter et mettre en œuvre un Plan d’Action National complet pour Lutter contre le Travail des Enfants et veiller à ce qu’il soit financé adéquatement;
  • Accroître la collecte de données sur le nombre et la nature des cas signalés; sur le nombre d’enquêtes, de condamnations, de poursuites et la nature des sanctions imposées;
  • Recueillir des données désagrégées sur les enfants retirés des pires formes de travail des enfants et les mesures prises pour leur réinsertion sociale et leur réadaptation;
  • Etendre la couverture géographique de la « ligne verte » à l’ensemble du territoire du Togo et augmenter les ressources budgétaires et humaines de ce service public;
  • Accroître les efforts visant à mettre fin aux pratiques traditionnelles nuisibles comme les accusations de sorcellerie qui exposent les enfants aux pires formes de travail des enfants, en plus de nuire à leur développement, à leur bien-être et à leur intégrité générale;
  • Accroître le soutien financier accordé à la Commission Nationale des Droits de l’Homme;
  • Envisager la ratification du Protocole 29 de la Convention sur le Travail Forcé de l’OIT;

Je vous remercie de votre attention et j’exprime une fois encore ma gratitude à tous les acteurs et à tous ceux qui ont contribué au succès de la mission. Je me réjouis à l’idée de collaborer davantage avec le Gouvernement Togolais sur ces questions et d’autres questions relevant de mon mandat.

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