Skip to main content

Communiqués de presse Organes conventionnels

Le Comité contre la Torture entame l'examen du rapport du Cameroun

28 Avril 2010

Comité contre la torture
28 avril 2010

Le Comité contre la torture a entamé, ce matin, l'examen du quatrième rapport périodique du Cameroun sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant le rapport de son pays, le Représentant permanent du Cameroun auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, M. Anatole Fabien Marie Nkou - qui était accompagné de trois autres membres de la Mission permanente du Cameroun -, a affirmé que la lutte contre la torture est au cœur de la politique du chef de l'État. Il a souligné que, dans la hiérarchie des normes au Cameroun, la Convention est une source de droit supérieure à la loi. Le juge est fondé à appliquer directement les dispositions de la Convention, a-t-il ajouté. Il a en outre indiqué que l'indemnisation est systématique dès lors que la victime d'un acte de torture peut se prévaloir d'une décision de justice. M. Nkou a par ailleurs déclaré que le Cameroun mène une politique de lutte contre la corruption, notamment en renforçant les capacités de la société civile en vue de lui permettre de jouer un rôle dans cette lutte.

La rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport du Cameroun, Mme Nora Sveaass, a demandé à la délégation camerounaise un complément d'informations sur les suites données aux allégations de mauvais traitements à l'encontre de certaines des 1168 personnes emprisonnées suite aux émeutes de février 2008. D'une manière générale, la rapporteuse a relevé que de nombreux rapports font état d'abus et de mauvais traitements en prison; de difficultés pour porter plainte contre de tels traitements; d'arrestations arbitraires de défenseurs des droits de l'homme et d'intimidations à l'encontre de journalistes. Parmi les autres préoccupations de l'experte figure la persistance des mutilations génitales féminines et autres pratiques traditionnelles, comme le repassage des seins.

Le corapporteur du Comité pour l'examen du rapport camerounais, M. Abdoulaye Gaye, a pour sa part abordé la question des privilèges des chefs traditionnels en insistant sur l'importance de mettre un terme à ces privilèges et à la forme de justice privée que certains chefs ont mis en place. Il a également insisté sur l'importance de poursuivre en justice les auteurs d'actes de torture et de mauvais traitements. Il s'est en outre interrogé sur l'indépendance et l'impartialité de la «Police des Polices», étant donné qu'elle dépend de la Direction générale de la sûreté nationale. Enfin, le corapporteur et plusieurs autres membres du Comité se sont étonnés que le Code de procédure pénale envisage la possibilité qu'une procédure pénale puisse être interrompue par décision du Ministre de la justice, ce qui, a-t-il été souligné, revient à bloquer le cours de la justice.

La délégation camerounaise répondra, vendredi 7 mai, à 10 heures, aux questions des experts. Préalablement prévue pour demain, cette séance de réponses a été déplacée afin de permettre à l'ensemble de la délégation que le Cameroun avait prévu de présenter devant le Comité d'arriver à Genève (ce qui n'a pas encore été possible en raison de problèmes persistants dans les transports aériens). Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entendra les réponses de la délégation de la France aux questions qu'il lui a posées hier matin.

Présentation du rapport du Cameroun

M. ANATOLE FABIEN MARIE NKOU, Représentant permanent du Cameroun auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, a affirmé que la lutte contre la torture est au cœur de la politique du Chef de l'État. S'agissant de la place de la Convention dans l'ordre juridique interne du Cameroun, il a précisé que la Constitution accorde clairement une position dominante aux conventions internationales : dans la hiérarchie des normes au Cameroun, la Convention est donc une source de droit supérieure à la loi. En outre, le juge est fondé à appliquer directement les dispositions de la Convention, a-t-il ajouté.

Parmi les autres préoccupations exprimées par le Comité figurait la question de la situation des droits de l'homme au Cameroun, a poursuivi le Représentant permanent. Sur ce point, il a tenu à souligner que des mesures législatives, administratives, judiciaires et d'autres pratiques répertoriées dans les différents rapports du Ministère de la justice rendent compte de l'effectivité de la mise en œuvre des différentes conventions internationales; certes, a-t-il reconnu, les droits civils et politiques font encore l'objet de violations, mais l'impunité des auteurs de ces violations relève résolument du passé, comme en témoignent les nombreuses décisions administratives et judiciaires citées dans ces rapports.

S'agissant de l'indemnisation des victimes de la torture, celle-ci obéit au régime de droit commun, qui prévoit une réparation judiciaire subséquente à la déclaration de culpabilité de l'auteur de la torture, a expliqué M. Nkou. Elle s'inscrit dans le cadre du régime général des indemnisations consécutives aux dysfonctionnements de l'administration, a-t-il ajouté. L'indemnisation est systématique dès lors que la victime peut se prévaloir d'une décision de justice rendue en force jugée ou d'un protocole transactionnel.

Le Représentant permanent du Cameroun a affirmé que son pays, suite à son Examen périodique universel, s'est attelé à renforcer certaines actions pour réaliser les priorités du programme national de gouvernance. Il s'agit notamment de l'affinement d'une politique de lutte contre la corruption; de la modernisation du dispositif législatif pertinent; et du renforcement des capacités de la société civile en vue de lui permettre de jouer un rôle effectif dans la lutte contre la corruption. Le Cameroun est fier de compter plus de 200 partis politiques, quatre grandes centrales syndicales, plusieurs centaines d'organisations non gouvernementales, une riche presse libre et indépendante, des dizaines de radios indépendantes, qui confortent et assurent chaque jour davantage la démocratie camerounaise. La Constitution garantit à tous la jouissance des droits, a ajouté M. Nkou. Tous les observateurs avertis de la vie internationale ne manqueront pas de remarquer la spécificité du Cameroun dans une Afrique en proie à des turbulences et à toutes les incertitudes, a insisté le Représentant permanent.

Sur le plan économique, le Cameroun privilégie l'accès à l'école primaire gratuite, la santé des populations et la protection des femmes, des fillettes et des enfants, a poursuivi M. Nkou. La plus grande partie du budget de l'État est consacrée aux secteurs de l'éducation, de la santé et de la culture. Toutefois, cet exercice vital de promotion et de protection des droits de l'homme ne va pas sans obstacles, a nuancé M. Nkou, citant notamment l'impact des crises alimentaires, énergétiques, financières et écologiques. Il a conclu sa présentation en affirmant que son Gouvernement est heureux de poursuivre le dialogue et la coopération avec le Comité. Le Cameroun prend au sérieux les enjeux de la Convention et convient que le chemin à parcourir reste considérable; mais la volonté politique est indéniable et irréversible, a-t-il assuré.

Le quatrième rapport périodique du Cameroun (CAT/C/CMR/4) fait part de plusieurs innovations de nature à améliorer l'application de la Convention contre la torture. Il indique notamment que l'Administration pénitentiaire a été rattachée au Ministère de la justice, qu'une direction des droits de l'homme et de la coopération internationale a été créée au sein de ce même Ministère et qu'une Division spéciale de contrôle des services de police dite «Police des Polices» a été créée au sein de la Délégation générale à la sûreté nationale. Le rapport souligne aussi que, outre l'incrimination de la torture, le Cameroun a pris un ensemble de mesures visant à mettre fin aux actes de torture et autres formes de violences. Des poursuites judiciaires ayant abouti à des sanctions ont été engagées contre certains responsables de la police, de la gendarmerie et de l'Administration pénitentiaire reconnus coupables d'actes de torture, sans préjudice des poursuites disciplinaires.

En ce qui concerne la question de la supervision effective des lieux de détention, le rapport indique que le Comité national des droits de l'homme et des libertés (et plus tard la Commission nationale) a, dès ses premières activités, effectué de nombreuses visites des lieux de détention, soit à la suite d'une requête, soit à sa propre initiative. La Commission effectue également de façon régulière des visites dans les cellules des commissariats de police et les brigades de gendarmerie. En outre, des organismes internationaux comme le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) procèdent régulièrement à des visites dans les prisons et lieux de détention.

S'agissant du problème du nombre élevé des détenus préventifs, le rapport reconnaît que les structures existantes sont très insuffisantes et souvent inadaptées. Néanmoins, l'État a réagi en créant de nouvelles juridictions et en multipliant le nombre de salles d'audience dans les grandes métropoles que sont Douala et Yaoundé. L'augmentation des effectifs (magistrats et greffiers) a permis le redéploiement du personnel judiciaire, favorisant plus de célérité dans le traitement des procédures en général et des cas de détention préventive en particulier. Par ailleurs, le Gouvernement du Cameroun et l'Union européenne ont signé le 18 juillet 2001, une Convention pour le «Programme d'amélioration des conditions de détention et respect des droits de l'homme» (PACDET). Une seconde Convention «PACDET II» a été signée en 2006. Ce projet vise essentiellement l'amélioration des conditions de détention en vue du respect des droits de l'homme dans les dix prisons centrales concernées.

Concernant les tortures, mauvais traitements et détentions arbitraires commis sous la responsabilité des chefs traditionnels du Nord, le rapport indique que les chefs traditionnels sont des auxiliaires de l'Administration et sont soumis à un régime disciplinaire rigoureux. Les sanctions varient en fonction de la faute commise. L'article 29 du décret de 1977 portant sur l'organisation des chefferies traditionnelles refuse explicitement aux chefs traditionnels le droit de punir leurs «sujets», sous peine de révocation. Cet article interdit, entre autres, «les exactions des chefs à l'égard des populations».

Conformément à une recommandation du Comité, le Gouvernement camerounais a initié un projet de loi sur la question des mutilations génitales. En attendant son aboutissement, des opérations de sensibilisation et de reconversion sont entreprises en direction des personnes qui pratiquent ces coutumes ancestrales, afin de les rendre financièrement autonomes. S'il n'y a pas encore de loi incriminant spécifiquement les mutilations génitales féminines, il n'en demeure pas moins que les auteurs de tels faits sont poursuivis chaque fois qu'ils sont dénoncés.

S'agissant des effets de l'amnistie prévue à l'article 297 du Code pénal dont peut bénéficier le coupable d'un viol si ce dernier se marie avec la victime, ils ne visent pas à encourager l'impunité des auteurs de viol, affirme le rapport. Il convient dans un premier temps de relever que ces dispositions ne s'appliquent que lorsque «la victime pubère lors des faits», qui aurait pardonné à son bourreau, consent librement au mariage avec celui-ci, poursuit-il. Cette question sera certainement examinée dans le cadre de l'actualisation du Code pénal déjà en chantier.

Observations et questions des membres du Comité

MME NORA SVEAASS, rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport du Cameroun, s'est félicitée des réformes juridiques entreprises par le pays afin de mieux se conformer à ses obligations internationales et de renforcer les droits de l'homme. Elle a tout particulièrement salué l'adhésion du pays à un certain nombre d'instruments internationaux, dont la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et le Protocole contre le trafic illicite de migrants. Elle a souhaité savoir si le Cameroun envisage de ratifier le Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Mme Sveass a constaté, selon les chiffres annoncés par la délégation camerounaise, que la population carcérale s'élevait, en 2009, à 23 196 personnes, dont 15 000 personnes placées en détention préventive et 9000 condamnées. Elle s'est étonnée que le nombre de personnes en détention préventive soit plus élevé que le nombre de personnes condamnées et a souhaité avoir davantage d'informations sur ce point. La délégation a également été invitée à apporter un complément d'informations sur les 953 mineurs détenus.

La rapporteuse s'est en outre faite l'écho des allégations de mauvais traitements à l'encontre de certaines de 1168 personnes emprisonnées suite aux émeutes de février 2008. Elle a tout particulièrement cité le cas de M. Jacques Tiwa, décédé le 28 février 2008, des suites de violences de la part des forces de sécurité, alors qu'il n'était pas armé et n'avait pas participé à la manifestation. Elle a souhaité avoir des informations sur cette affaire et les suites qui lui ont été données, s'inquiétant d'un fossé éventuel entre les réformes et mesures juridiques, d'un côté, et leur mise en œuvre effective, de l'autre.

D'une manière générale, la rapporteuse a souligné que de nombreux rapports d'Amnesty International ou d'autres organisations font état d'abus et mauvais traitements en prison. Il semble très difficile de porter plainte pour de tels traitements, a-t-elle ajouté, mettant en garde contre l'impunité qui en découle. Elle a aussi attiré l'attention sur des rapports dénonçant les arrestations arbitraires de défenseurs des droits de l'homme, les intimidations à l'encontre de journalistes et les limitations à la liberté d'expression. Enfin, Mme Sveass a demandé des informations supplémentaires sur des cas de torture et viols commis contre des femmes, il y a dix ans, dans une province du Sud-Ouest, par des agents de sécurité, puisque aucune information n'a été donnée depuis ces faits. La rapporteuse a conclu son intervention en demandant des détails sur les mesures prises pour mettre un terme aux mutilations génitales féminines et autres pratiques traditionnelles, comme le repassage des seins. Que fait le Cameroun pour sensibiliser les populations à ces questions ?

M. ABDOULAYE GAYE, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport camerounais, a estimé que le Cameroun bénéficie de potentialités très importantes. Selon lui, si le Cameroun persiste dans la voie qu'il s'est fixée, pour la primauté de l'état de droit et le respect des droits de l'homme, ses efforts permettront aux populations camerounaises de s'épanouir pleinement et à l'État camerounais de rayonner au niveau international.

Constatant les avancées dont a fait part la délégation camerounaise, l'expert s'est toutefois étonné de l'énoncé selon lequel le mandat du Conseil constitutionnel est « éventuellement » renouvelable. Soulignant l'importance de ce Conseil, il a insisté sur la nécessité de trancher la question de la possibilité de son renouvellement par une loi claire.

En ce qui concerne la «Police des Polices», M. Gaye s'est demandé si des problèmes d'indépendance, d'objectivité et d'impartialité ne se posaient pas s'agissant de cette institution; une institution plus indépendante de la Direction générale de la sûreté nationale ne serait-elle pas plus efficace, a-t-il demandé ?

Le corapporteur - suivi sur ce point par plusieurs autres membres du Comité - s'est aussi étonné que le Ministre de la justice ait le pouvoir d'arrêter une procédure pénale, ce qui, a-t-il souligné, revient à bloquer le cours de la justice. Il a rappelé que ce genre de pouvoir doit impérativement faire l'objet d'un contrôle.

La délégation camerounaise a également été invitée à fournir des informations complémentaires sur le fonctionnement de la Commission nationale des droits de l'homme et des libertés et sur le suivi des recommandations de cette dernière. Il semble que cette Commission se contente, pour ce qui est du suivi de ses recommandations, des promesses des autorités, s'est inquiété M. Gaye. Aussi, s'est-il interrogé sur les moyens d'assurer un suivi plus efficace et structuré desdites recommandations. L'expert a également requis un complément d'informations sur le tribunal militaire; il a notamment souhaité savoir si la Cour suprême du Cameroun avait un pouvoir de contrôle sur l'application de la loi par le tribunal militaire.

S'intéressant ensuite à la question du refoulement des requérants d'asile, le corapporteur s'est étonné que seuls les arrêtés d'expulsion du Premier Ministre semblent pouvoir faire l'objet de recours. Qu'en est-il des possibilités de recours pour tous les autres actes d'expulsion, a-t-il demandé ?

Enfin, M. Gaye a abordé la question des privilèges des chefs traditionnels, rappelant à cet égard que le Comité avait recommandé au Cameroun qu'il soit mis un terme à ces privilèges et à la forme de justice privée que certains chefs ont mis en place et que soient poursuivis ceux qui ont commis ou fait commettre des actes de torture et de mauvais traitements. Or, le corraporteur s'est dit préoccupé que ces pratiques semblent persister.

L'attention a par ailleurs été attirée sur la pratique des mariages forcés, un expert souhaitant savoir si cette pratique est explicitement réprimée au Cameroun. Cet expert s'est en outre enquis de l'accès des femmes aux tribunaux, faisant observer que ces dernières semblent y avoir un accès plus restreint que les hommes.

Des détails ont été demandés au sujet de l'amnistie, prévue à l'article 297 du Code pénal, dont peut bénéficier le coupable d'un viol si ce dernier se marie avec la victime. Combien de mariages de ce type ont-ils été contractés ? A quelles conséquences s'expose une femme qui refuse ce type de mariage ?

Qu'en est-il des possibilités de poursuites en justice et de sanctions à l'encontre d'agents des forces de l'ordre qui se seraient rendus coupable de torture, a demandé une experte, constatant que les gendarmes semblent ne pouvoir être poursuivis que sur autorisation du Ministère de la défense ?

Plusieurs membres du Comité ont attiré l'attention sur les conditions de détention très difficiles au Cameroun. Ils ont souhaité en savoir davantage au sujet des possibilités offertes à des organismes indépendants d'effectuer des visites dans les centres de détention; de la tenue des registres dans les prisons et dans les centres de détention provisoire; des mesures prises pour régler le problème de la surpopulation carcérale; de la fréquence des décès en prison; et du respect des droits des détenus à voir un médecin, un avocat et un membre de leur famille.

_________

Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

VOIR CETTE PAGE EN :