Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme fait part de ses préoccupations croissantes au sujet de la situation en Ethiopie, où l’impact humanitaire du conflit est de plus en plus dramatique
17 décembre 2021
Entamant ce matin sa session extraordinaire sur « la situation grave des droits de l’homme en Ethiopie », le Conseil des droits de l’homme a entendu la Haute-Commissaire adjointe aux droits de l’homme, Mme Al-Nashif, faire part des préoccupations croissantes du Haut-Commissariat au sujet de la situation dans ce pays – en particulier en ce qui concerne le conflit en cours, son impact de plus en plus grave sur les besoins humanitaires, et l’état d’urgence qui a été adopté le mois dernier. Le conflit dans la région du Tigré s’est, ces derniers mois, étendu à d’autres régions du pays ; il implique désormais un éventail encore plus large d’acteurs, avec de graves répercussions sur les civils, a-t-elle souligné.
Mme Al-Nashif a rappelé que le rapport de l’enquête conjointe sur le Tigré, publié par la Commission éthiopienne des droits de l’homme et le Haut-Commissariat le 3 novembre dernier, avait constaté que toutes les parties au conflit – y compris les forces de défense nationale éthiopiennes, les forces tigréennes et les forces de défense érythréennes – avaient commis, à des degrés divers des violations des droits de l’homme ; certains des incidents faisant l’objet d’une enquête pourraient constituer des crimes internationaux, notamment des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, a-t-elle indiqué.
Bien que le Gouvernement éthiopien ait exprimé quelque réserve quant aux conclusions de l’enquête conjointe, il s’est engagé à mener des enquêtes approfondies et impartiales sur les violations graves présumées et à mettre en œuvre certaines des recommandations du rapport, a indiqué Mme Al-Nashif. Le Front populaire de libération du Tigré et le Gouvernement érythréen ont entièrement rejeté le rapport et ses conclusions, a-t-elle ajouté.
L’impact humanitaire du conflit est de plus en plus dramatique, a poursuivi Mme Al-Nashif, signalant que l’insécurité alimentaire aiguë touche actuellement plus de 9,4 millions de personnes dans le nord de l’Éthiopie et qu’au Tigré, quelque 5,2 millions de personnes – soit environ 90 % de la population – sont dans le besoin. Toutes les parties au conflit doivent prendre des mesures immédiates afin de mettre un terme au conflit, de protéger les civils et de mettre fin aux violations et aux abus continus des droits de l’homme commis contre le peuple éthiopien, a plaidé la Haute-Commissaire adjointe. En l’absence d’efforts importants en matière de responsabilisation, un mécanisme international constituerait un outil important, a-t-elle conclu.
M. Victor Madrigal-Borloz, Président du Comité de coordination des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, a notamment indiqué que les allégations dont les procédures spéciales sont saisies incluent en effet le ciblage délibéré de civils, des exécutions extrajudiciaires et sommaires, des détentions arbitraires, des déplacements forcés, la destruction généralisée et le pillage de biens civils, la torture, ainsi que la violence sexuelle et sexiste. Depuis le début du conflit, les Tigréens ont fait l'objet d'une discrimination généralisée, a-t-il en outre souligné.
M. Madrigal-Borloz a ajouté que les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil [rapporteurs spéciaux, experts indépendants et autres membres de groupes de travail] sont gravement préoccupés par la violence sexiste et sexuelle généralisée commise contre les femmes, les filles, les hommes et les garçons dans les régions du Tigré, d'Amhara et d'Afar. Il a appelé l’Éthiopie à prendre des mesures immédiates pour protéger les femmes et les filles contre le viol et d'autres formes de violence sexiste, et à veiller à ce que des enquêtes indépendantes soient menées sur ces faits. Les procédures spéciales appellent toutes les parties à garantir l’accès sans restriction à l'aide humanitaire, a-t-il également indiqué.
Enfin, M. Zenebe Kebede Korcho, Représentant permanent de l’Éthiopie auprès des Nations Unies à Genève, a déploré que l’Éthiopie soit prise pour cible et pointée du doigt par le Conseil des droits de l’homme pour avoir défendu un gouvernement démocratiquement élu, la paix et l’avenir de son peuple. Il a rappelé que son pays avait fait part de son engagement à mettre en œuvre les recommandations issues de l’enquête conjointe menée par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et la Commission éthiopienne des droits de l’homme, l’Éthiopie ayant mis en place à cette fin un mécanisme national de haut niveau. Jugeant inutile l’initiative que constitue la présente session extraordinaire, le Représentant permanent a indiqué que le Gouvernement éthiopien exprime son rejet total du projet de résolution A/HRC/S-33/L.1 soumis aujourd’hui au Conseil. Le Gouvernement ne coopérera à aucun mécanisme qui pourrait lui être imposé, a conclu M. Korcho.
Suite à ces déclarations d’ouverture, de nombreuses délégations et organisations non gouvernementales ont fait des déclarations*.
Cet après-midi, à 15 heures, le Conseil se prononcera sur le projet de résolution relatif à la situation des droits de l’homme en Ethiopie.
Déclarations d’ouverture
Ouvrant la session extraordinaire, MME KEVA LORRAINE BAIN, Vice-Présidente du Conseil des droits de l’homme, a indiqué que la demande de tenue de cette trente troisième session extraordinaire, déposée conjointement par l’Union européenne et la Slovénie, a été appuyée par les pays suivants, membres du Conseil : Allemagne, Autriche, Bulgarie, Danemark, Fidji, France, Îles Marshall, Italie, Japon, Mexique, Pays-Bas, Pologne, République de Corée, République tchèque, Royaume-Uni, Ukraine et Uruguay.
La demande a aussi été soutenue par les États observateurs suivants : Albanie, Australie, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Canada, Chili, Chypre, Colombie, Costa Rica, Croatie, Équateur, Espagne, Estonie, États-Unis, Finlande, Grèce, Honduras, Hongrie, Irlande, Islande, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Macédoine du Nord, Malte, Monaco, Monténégro, Norvège, Nouvelle-Zélande, Paraguay, Pérou, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Suède et Suisse.
La Vice-Présidente a par ailleurs expliqué au Conseil les modalités d’organisation de cette session extraordinaire compte tenu des restrictions sanitaires.
MME Nada Al-Nashif, Haute-Commissaire adjointe des Nations Unies aux droits de l’homme, a exprimé les préoccupations croissantes du Haut-Commissariat au sujet de la situation en Ethiopie, en particulier en ce qui concerne le conflit en cours, son impact de plus en plus grave sur les besoins humanitaires et l’état d’urgence qui a été adopté le mois dernier. Le conflit dans la région du Tigré s’est, ces derniers mois, étendu à d’autres régions du pays. Il implique désormais un éventail encore plus large d’acteurs, avec de graves répercussions sur les civils, a-t-elle souligné.
Mme Al-Nashif, a rappelé au Conseil que le rapport de l’enquête conjointe sur le Tigré, publié par la Commission éthiopienne des droits de l’homme et le Haut-Commissariat le 3 novembre dernier, avait constaté que toutes les parties au conflit – y compris les forces de défense nationale éthiopiennes, les forces tigréennes et les forces de défense érythréennes – avaient commis, à des degrés divers, des violations des droits de l’homme et des abus, ainsi que des violations du droit international humanitaire et du droit des réfugiés. Certains des incidents faisant l’objet d’une enquête pourraient constituer des crimes internationaux, notamment des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, a indiqué la Haute-Commissaire adjointe, avant de rappeler que ce rapport adresse un certain nombre de recommandations à toutes les parties au conflit.
Bien que le Gouvernement éthiopien ait exprimé quelque réserve quant aux conclusions de l’enquête conjointe, il s’est engagé à mener des enquêtes approfondies et impartiales sur les violations graves présumées et à mettre en œuvre certaines des recommandations du rapport, a indiqué Mme Al-Nashif. Le Front populaire de libération du Tigré et le Gouvernement érythréen ont entièrement rejeté le rapport et ses conclusions, a-t-elle ajouté. Le Gouvernement éthiopien a donné suite à son propre engagement en créant un groupe de travail interministériel, et le Haut-Commissariat et la Commission éthiopienne des droits de l’homme ont été invités à discuter des plans du Gouvernement pour la mise en œuvre des recommandations du rapport conjoint. Le Groupe de travail interministériel a indiqué les domaines dans lesquels il entend demander un soutien substantiel de la part des Nations Unies.
Pendant ce temps, le conflit s’est poursuivi, avec des combats continus au-delà des frontières du Tigré. Le Haut-Commissariat continue de recevoir des informations crédibles faisant état de graves violations des droits de l’homme et d’abus commis par toutes les parties.
L’impact humanitaire du conflit est de plus en plus dramatique, a poursuivi Mme Al-Nashif. L’insécurité alimentaire aiguë touche actuellement plus de 9,4 millions de personnes dans le nord de l’Éthiopie, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH, ou OCHA selon l’acronyme anglais). Au Tigré, 5,2 millions de personnes – soit environ 90 % de la population – sont dans le besoin. Seules des fournitures humanitaires limitées organisées par l’ONU ont pu entrer au Tigré depuis juillet, y compris de la nourriture et des fournitures médicales vitales. En juin dernier, le BCAH estimait qu’au moins 400 000 personnes au Tigré vivaient dans des conditions assimilables à la famine ; étant donné les difficultés d’accès, aucune estimation récente n’a été publiée, mais la situation actuelle est probablement pire qu’elle ne l’était alors, a déclaré la Haute-Commissaire adjointe.
Au moins 2 millions de personnes à travers le Tigré, l’Amhara et l’Afar ont été forcées de quitter leurs maisons en raison du conflit et beaucoup d’entre elles ne reçoivent pas l’aide dont elles ont besoin pour rester en vie, a poursuivi Mme Al-Nashif, avant de faire état d’inquiétudes quant aux pressions que pourraient subir les personnes déplacées internes pour retourner dans des zones qui pourraient ne pas être sûres. Mme Al-Nashif s’est également dite préoccupée par la situation des réfugiés érythréens vivant en Éthiopie, dont bon nombre expriment une crainte de représailles de la part des forces érythréennes opérant dans le pays.
L’état d’urgence à l’échelle nationale annoncé le 2 novembre suscite par ailleurs d’importantes préoccupations en matière de droits de l’homme, à grande échelle, a par ailleurs souligné la Haute-Commissaire adjointe. Notamment, l’état d’urgence autorise l’arrestation, la fouille et la détention de toute personne soupçonnée de soutenir le Front populaire de libération du Tigré et l’Armée de libération Oromo, désignés « groupes terroristes » en mai 2021. Cette disposition excessivement large a conduit à des arrestations et détentions massives de milliers d’Éthiopiens, y compris du personnel de l’ONU, et, selon le Comité pour la protection des journalistes, d’au moins 14 journalistes. La plupart des personnes arrêtées sont des Tigréens de souche et de telles arrestations se sont poursuivies ces derniers jours. Alors que certaines des personnes arrêtées au cours des six dernières semaines ont été libérées, nous estimons qu’entre 5 000 et 7 000 personnes sont toujours détenues, dont 9 membres du personnel de l’ONU. Beaucoup sont détenus au secret ou dans des lieux inconnus. Cela équivaut à une disparition forcée et constitue une très grave source d’inquiétude, a déclaré Mme Al-Nashif. Elle a en outre déploré une croissance des discours de haine et de l’incitation à la violence de la part des autorités fédérales et régionales, ciblant en particulier les Tigréens et les membres de la communauté Oromo.
Toutes les parties au conflit doivent prendre des mesures immédiates afin de mettre un terme au conflit, de protéger les civils et de mettre fin aux violations et aux abus continus des droits de l’homme commis contre le peuple éthiopien, a plaidé la Haute-Commissaire adjointe.
Les travailleurs humanitaires doivent aussi être autorisés de toute urgence à circuler rapidement, en toute sécurité et sans entrave pour aider tous les civils dans le besoin au Tigré et dans les autres zones touchées par le conflit, a souligné Mme Al-Nashif. Elle a également demandé à toutes les parties de réévaluer les dommages immédiats et à long terme causés à une nation qui est à juste titre fière de sa place unique dans l’histoire de l’humanité et de ses récents progrès en matière d’infrastructures, de développement et de dignité humaine. Toutes les parties doivent cesser immédiatement les hostilités sans conditions préalables et participer à un dialogue significatif et inclusif au niveau national, a-t-elle insisté.
Le Gouvernement doit prendre des mesures immédiates pour veiller à ce que les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence soient pleinement conformes aux engagements pris par le pays en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme. En particulier, toutes les personnes détenues dans le cadre de l’état d’urgence doivent continuer à être traitées conformément aux normes internationales. Les observateurs indépendants, y compris la Commission éthiopienne des droits de l’homme, devraient être autorisés à accéder à tous les centres de détention.
Il incombe à l’État de s’acquitter de sa responsabilité principale d’engager des procédures équitables et indépendantes qui traitent de l’ensemble des violations identifiées – et pas seulement des cas individuels isolés – et de prendre en considération la responsabilité du commandement. En l’absence d’efforts importants en matière de responsabilisation, un mécanisme international constituerait un outil important, a-t-elle conclu.
M. VICTOR MADRIGAL-BORLOZ, Président du Comité de coordination des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, a relevé que, selon l'enquête conjointe menée par la Commission éthiopienne des droits de l'homme et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, toutes les parties au conflit ont perpétré des violations du droit international des droits de l'homme et du droit international humanitaire dans la crise actuelle dans la région du Tigré. Certains de ces actes peuvent constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, a souligné M. Madrigal-Borloz : les allégations dont les procédures spéciales sont saisies incluent en effet le ciblage délibéré de civils, des exécutions extrajudiciaires et sommaires, des détentions arbitraires, des déplacements forcés, la destruction généralisée et le pillage de biens civils, la torture, ainsi que la violence sexuelle et sexiste.
Depuis le début du conflit, les Tigréens ont fait l'objet d'une discrimination généralisée, a souligné M. Madrigal-Borloz. Les procédures spéciales ont reçu des informations selon lesquelles des milliers de Tigréens ont été détenus de manière arbitraire dans des prisons surveillées et contrôlées par des soldats et d'autres agents de l'État qui les gardent, les torturent, voire les exécutent. Ces victimes seraient ciblées principalement en raison de leur identité ethnique et de leur complicité supposée avec le Front populaire de libération du Tigré, a indiqué M. Madrigal-Borloz.
Les forces de défense érythréennes sont également impliquées dans le conflit. Selon une survivante tigréenne qui a raconté son expérience à l'équipe d'enquête conjointe, des soldats des forces de défense érythréennes ont menacé de tuer les Tigréens, de violer leurs femmes, de « nettoyer les Tigréens » et de les « remplacer par de vrais Éthiopiens », a indiqué M. Madrigal-Borloz.
Les titulaires des procédures spéciales sont gravement préoccupés par la violence sexiste et sexuelle généralisée commise contre les femmes, les filles, les hommes et les garçons dans les régions du Tigré, d'Amhara et d'Afar, des crimes attribués à toutes les parties au conflit – armée éthiopienne, armée érythréenne, forces et milices tigréennes, forces spéciales et milices de la région d’Amhara, a poursuivi M. Madrigal-Borloz. L'équipe d'enquête conjointe a documenté que des femmes et des filles ont été victimes de viol, y compris de viols collectifs. Ces actes, qui constituent des violations flagrantes des droits de l'homme et du droit humanitaire, semblent avoir été commis dans le cadre d'une stratégie délibérée visant à terroriser, dégrader et humilier les victimes et le groupe ethnique minoritaire auquel elles appartiennent, avec l'assentiment d’acteurs étatiques et non étatiques.
Les estimations sont choquantes, a précisé l’expert : de novembre 2020 à juin 2021, plus de 2200 survivants ont dénoncé des violences sexuelles et sexistes au Tigré, visant notamment des mineurs. Ces chiffres sont une sous-estimation de l'étendue réelle de la violence sexuelle et sexiste perpétrée, car ce type de violence est généralement sous-déclaré en raison de la peur et de la stigmatisation, et, dans ce contexte précis, de l’impossibilité d’accéder aux centres de santé ou de soutien, a précisé M. Madrigal-Borloz.
Les actes de violence sont perpétrés tant en milieu rural qu'en milieu urbain, au domicile des victimes ou dans les centres où elles sont hébergées, a fait observer M. Madrigal-Borloz. En octobre 2020, a-t-il précisé, l'Éthiopie accueillait 149 000 réfugiés érythréens enregistrés, dont beaucoup vivaient dans quatre camps dans la région du nord du Tigré. Entre novembre et décembre 2020, certains de ces camps auraient été occupés par l'armée érythréenne et attaqués par des milices tigréennes. Les forces érythréennes auraient détruit les abris et les infrastructures disponibles dans les camps, forçant les réfugiés à se déplacer vers la frontière et finalement à retourner en Érythrée. Des femmes et des filles érythréennes auraient également été violées par des membres de milices tigréennes alors qu'elles s'échappaient des camps, toujours en décembre 2020, a relaté l’expert.
D’autre part, la situation humanitaire a atteint des niveaux alarmants et s'aggrave de jour en jour, a poursuivi M. Madrigal-Borloz. Les organisations internationales signalent qu'aucune aide humanitaire n’est parvenue dans la région du Tigré depuis le 18 octobre 2021 ; les déplacements par route des travailleurs humanitaires à l'intérieur et à l'extérieur du Tigré sont interdits depuis le 28 octobre 2021 ; et les déplacements dans les régions d'Amhara et d'Afar restent limités. À ce propos, les procédures spéciales appellent toutes les parties à garantir l’accès sans restriction à l'aide humanitaire, a indiqué M. Madrigal-Borloz.
Les procédures spéciales appellent aussi les acteurs étatiques et non étatiques parties au conflit à respecter et à protéger les droits de l'homme, et à prévenir les violations sur tout territoire placé sous leur juridiction ou leur contrôle effectif. Les procédures spéciales sont préoccupées par l'ampleur et la gravité des violations commises par toutes les parties et réaffirment l'urgence de traduire les coupables en justice, quel que soit leur camp, a insisté M. Madrigal-Borloz. En particulier, a-t-il ajouté, les procédures spéciales appuient les recommandations du rapport de l'enquête conjointe demandant à toutes les parties au conflit de mettre fin à toutes les formes de violence sexuelle et sexiste et de faire savoir, sans équivoque, aux forces et groupes armés que les violences basées sur le genre sont interdites et punissables. L'Éthiopie doit enfin prendre des mesures immédiates pour protéger les femmes et les filles contre le viol et d'autres formes de violence sexiste, et veiller à ce que des enquêtes indépendantes soient menées sur ces faits.
M. Zenebe Kebede KORCHO, Représentant permanent de l’Éthiopie auprès des Nations Unies à Genève, a relevé qu’il y a 85 ans, déjà à Genève, l’Empereur Hailé Sélassié, qui avait lancé un appel à la Société des Nations, n’avait pu convaincre le multilatéralisme de mettre fin à l’agression italienne. L’histoire se répète, aujourd’hui, 85 ans plus tard, alors que l’Éthiopie défend à nouveau sa souveraineté et son intégrité territoriale – ce coup-ci d’une agression interne, a-t-il affirmé. Cette fois encore, l’engagement de l’Ethiopie en faveur du multilatéralisme n’aide pas à défendre le pays. Le multilatéralisme, après toutes ces années, est une fois de plus détourné par une mentalité néocolonialiste, a déclaré M. Korcho. L’Éthiopie est prise pour cible et pointée du doigt par le Conseil des droits de l’homme pour avoir défendu un gouvernement démocratiquement élu, la paix et l’avenir de son peuple, a-t-il regretté.
Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et la Commission éthiopienne des droits de l’homme ont enquêté conjointement sur les violations présumées des droits de l’homme dans le contexte du conflit dans le nord de l’Ethiopie, a-t-il rappelé, avant de souligner que l’Éthiopie a fait part de son engagement à mettre en œuvre les recommandations de cette enquête conjointe. Le pays a ainsi mis en place un mécanisme national de haut niveau, à savoir un groupe de travail interministériel, qui a commencé ses travaux et aurait été prêt à coopérer avec le Haut-Commissariat dans certains domaines nécessitant une expertise supplémentaire, a rappelé le Représentant permanent. Il a ajouté que le Gouvernement éthiopien a une fois de plus invité le Haut-Commissariat à mener avec la Commission éthiopienne des droits de l’homme une enquête conjointe commençant là où la première enquête conjointe a pris fin.
L’initiative de cette session extraordinaire, par ailleurs, n’est pas parvenue à condamner le pillage, la destruction de biens, le viol et les abus sexuels, l’utilisation d’enfants soldats par les forces rebelles du Front de libération du peuple du Tigré, a poursuivi M. Korcho. « Ce groupe terroriste a réquisitionné plus d’un millier de camions livrant des fournitures humanitaires à la population de la région du Tigré et les a utilisés à des fins militaires » ; il a détruit des entrepôts alimentaires, des écoles, des établissements de santé, des sites industriels, a-t-il ajouté, déplorant que « les initiateurs de cette session extraordinaire s’en moquent » et soient déterminés à imposer leur volonté au Gouvernement.
La manière très sournoise dont cette session extraordinaire a été initiée montre ses objectifs politiques inavoués, a insisté le Représentant permanent, avant d’affirmer que cette initiative n’est pas utile. Pourquoi voudrait-on créer un organe concurrent doté d’un mandat similaire à celui de l’équipe d’enquête conjointe, a-t-il demandé ? Pourquoi vouloir enquêter de nouveau sur une situation déjà instruite et signalée ? Le Conseil des droits de l’homme remet-il en question le rapport qu’il a déjà adopté ? La réponse est claire : le Conseil est utilisé comme un instrument de pression politique, a déclaré M. Korcho. C’est un effort contre-productif qui encourage les rebelles terroristes et qui exacerbe la situation sur le terrain.
À la lumière de ce qui précède, le Gouvernement éthiopien exprime son rejet total du projet de résolution A/HRC/S-33/L.1. Le Gouvernement ne coopérera à aucun mécanisme qui pourrait lui être imposé, a conclu le Représentant permanent.
Aperçu du débat
La gravité et l'ampleur des violations et des atrocités commises contre les civils par toutes les parties, notamment les violences sexuelles et sexistes et les violences ethniques, sont inacceptables, ont souligné nombre d’intervenants. Ils ont mis en garde contre une « situation humanitaire désastreuse » dans de nombreuses régions du pays, notamment dans le nord de l'Éthiopie, où des millions de personnes ont besoin d'une aide vitale et sont menacées de famine. La sécurité des civils doit être garantie sans conditions, ont insisté nombre d’entre eux.
Le respect des obligations découlant des droits de l'homme, du droit international et du droit international humanitaire, ainsi que l’obligation de remédier aux violations des droits de l’homme constatées, incombent tout d’abord à l'État, a-t-il été rappelé. À cet égard, l'engagement du Gouvernement éthiopien en faveur de l'obligation de rendre des comptes a été salué, eu égard en particulier à la création d'un groupe de travail interministériel qui a notamment été chargé de superviser les efforts déployés pour traduire en justice les auteurs de violations des droits de l’homme.
Une délégation a cependant dit craindre que les enquêtes de cette institution ne soient ni conformes aux normes internationales, ni à la hauteur de l'ampleur des violations identifiées par l'équipe d'enquête conjointe. C’est pourquoi, ont estimé plusieurs orateurs, la création par le Conseil d’une commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie [prévue par le projet de résolution soumis ce jour au Conseil] s’avère nécessaire pour compléter les efforts de l’Éthiopie et pour garantir la mise en place d'un processus de responsabilisation. Ce mécanisme, ont insisté des organisations non gouvernementales (ONG), devrait faire la lumière sur les violations commises par toutes les parties au conflit et formuler des recommandations pour prévenir de nouvelles violations et combattre l’impunité.
D’autres intervenants ont estimé que la nature du conflit en Éthiopie était « ni plus, ni moins que la déstabilisation d'un État souverain et la déconstruction de la démocratie », se sont dits opposés à « tout processus susceptible d'être interprété comme donnant l'onction à la fragmentation des États » et ont demandé aux auteurs du projet de résolution de reconsidérer leur démarche. La recherche de « solutions africaines à des problèmes africains » a été recommandée ; le Conseil a été prié de s’abstenir d’entraver les processus en cours sur place et les initiatives menées au niveau régional en vue de régler le conflit.
Plusieurs délégations ont rejeté ce qu’elles ont qualifié de politisation de la question éthiopienne au sein du Conseil des droits de l'homme. Soulever cette question au Conseil est contre-productif et cela ne contribue pas à résoudre la crise militaire et politique dans le pays, a-t-il été estimé. La mission d’enquête du Conseil (prévue dans le projet de résolution soumis aujourd’hui), si elle était nommée, serait condamnée à l’échec et risquerait, de plus, de saper les efforts des institutions nationales, a-t-il été affirmé.
Des pays ont dit soutenir les efforts de médiation menés par le Haut Représentant du Président de la Commission de l'Union africaine pour la Corne de l’Afrique, M. Olesegun Obasanjo. Il a été recommandé que ces efforts soient suivis d’un dialogue national inclusif, dirigé par l'Éthiopie et s’inscrivant dans le cadre de la Constitution éthiopienne.
Toutes les parties ont enfin été appelées à mettre fin aux hostilités, à entamer des négociations sans conditions préalables, à s'abstenir de toute rhétorique incendiaire et à cesser les attaques contre les civils.
*Liste des intervenants : Danemark (au nom d’un groupe de pays), Slovénie (au nom de l’Union européenne) ; Belgique (au nom d’un groupe de pays), Cameroun (au nom de l’Union africaine), Allemagne, Fédération de Russie, Indonésie, Inde, Argentine, Mexique, Royaume-Uni, République tchèque, République de Corée, Venezuela, Brésil, Chine, Ukraine, Uruguay, Somalie, Philippines, Namibie, Japon, France, Autriche, Cuba, Pakistan, Érythrée, Bolivie, Paraguay, Costa Rica, Nigéria, Nouvelle-Zélande, Timor-Leste, Australie, Suède, Suisse, Liechtenstein, Irlande, Iran, Sri Lanka, Albanie, États-Unis, Croatie, Afrique du Sud et Saint-Siège.
Plusieurs organisations non gouvernementales ont également participé au débat : East and Horn of Africa Human Rights Defenders Project, Human Rights Watch, Elizka Relief Foundation, Amnesty International, Partners For Transparency, Maat for Peace, Development and Human Rights Association, World Evangelical Alliance, Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme, International Bar Association, Christian Solidarity Worldwide, International Human Rights Council, CIVICUS: Alliance mondiale pour la participation des citoyens et International Organization for the Elimination of All Forms of Racial Discrimination.
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