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Statements

FACE A LA MENACE TERRORISTE, KOFI ANNAN DEFEND UNE VISION DE LA SECURITE COLLECTIVE FONDEE SUR LE RESPECT DES DROITS DE L’HOMME ET LA COOPERATION MULTILATERALE

21 November 2002



21 novembre 2002



On trouvera ci-après le discours que le Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan a prononcé, le 21 novembre, à l’Université de Tilburg, après y avoir reçu un diplôme honorique :

C’est pour moi un grand honneur de recevoir un diplôme honorifique de cette prestigieuse université et je tiens à vous féliciter à l’occasion de votre 75e anniversaire en tant qu’établissement supérieur de tout premier plan.

Vous vous inscrivez dans une vaste et riche tradition nationale, qui, je n’en doute pas, continuera de s’enrichir et de s’approfondir dans les années à venir. Depuis l’époque de Grotius, le peuple néerlandais a apporté des contributions fort précieuses au droit international et à l’ordre international. L’on peut rattacher cet argument profondément néerlandais en faveur d’un monde fondé sur les principes de la primauté du droit et du maintien de l’ordre à la fondation de l’Organisation des Nations Unies.

Peu de périodes dans l’histoire ont suscité un plus grand sentiment de bouleversement dans les relations internationales que l’époque actuelle, s’agissant des interactions entre les États et entre les peuples. La mondialisation, la reconnaissance accrue du caractère universel des droits de l’homme et la hantise du terrorisme international sont autant de facettes de ce bouleversement, de même que la fin de la guerre froide et l’émergence de nouveaux groupements d’États, dont l’Union européenne.

Nous devons, pour cette nouvelle période des relations internationales, avoir une nouvelle vision de la sécurité mondiale qui puisse contribuer à un nouvel équilibre. Elle doit à la fois respecter les droits de l’homme, faire face à la menace asymétrique du terrorisme et s’appuyer comme jamais elle ne l’a fait sur les ressources et la légitimité de la coopération multilatérale.

Les problèmes sont nombreux et complexes. Un débat important a lieu aujourd’hui autour de revendications antagoniques de souveraineté et d’intervention, et l’équilibre entre les droits des États et les droits des individus – surtout lorsqu’ils paraissent être en concurrence, voire s’opposer de façon spectaculaire. J’ai eu l’occasion d’aborder cette question ici, aux Pays-Bas, en 1999 lors du centenaire de la Conférence de la paix de La Haye. J’ai souligné alors que la communauté internationale devait s’unir pour défendre les droits de l’homme universels, affirmant que la souveraineté ne doit jamais constituer un bouclier derrière lequel les États peuvent s’abriter pour commettre des violations flagrantes et généralisées des droits de l’homme.

Cette question est au centre même de la crédibilité et de l’autorité de la communauté internationale. Elle touche à notre capacité collective de prévenir des pertes massives de civils innocents. Après Srebrenica, le Rwanda, le génocide, nous devons tous affirmer que la souveraineté s’accompagne de responsabilités et de pouvoirs; et que parmi ces responsabilités, aucune n’est plus importante que celle relative à la protection des citoyens contre la violence en temps de guerre.

J’ai proposé que nous envisagions la souveraineté en tant que notion double, une pour les États et une pour les particuliers, et que, chaque fois que les deux sont en conflit, nous nous efforcions, en tant que communauté internationale, de décider s’il convient d’accorder la primauté à l’une des deux, et, si oui, dans quelle mesure. Les droits de l’homme et le caractère évolutif du droit humanitaire seront limités de façon inacceptable si le principe de la souveraineté de l’État fait que celui-ci peut toujours limiter la protection de ses citoyens.

Mais il convient d’être clair et de préciser que la souveraineté lorsqu’elle s’exerce indûment, n’est pas la seule entrave à la protection de la vie humaine. L’absence de volonté politique, les intérêts nationaux étroits et la simple indifférence ont trop souvent comme effet conjugué que l’on ne fait rien ou que l’on fait trop peu et trop tard. Nous avons encore un long chemin à parcourir.

Nous rencontrons tous de nouveau ce problème depuis le 11 septembre, l’accent étant mis à présent, il faut le comprendre, sur la prévention d’actes terroristes encore plus terribles, ce qui a renforcé les craintes concernant le prix que nous devons payer s’agissant des droits et libertés que nous chérissons. Nous sommes devant un dilemme dont il est pratiquement impossible de sortir et qui est lié à deux impératifs de la vie moderne, la protection des libertés civiques traditionnelles de nos citoyens et la protection des citoyens face aux attaques terroristes qui ont des conséquences catastrophiques.

Les attaques qui ont frappé les États-Unis le 11 septembre 2001 ont fait passer le débat – et les initiatives – au niveau mondial de l’intervention militaire au nom d’autrui à l’intervention au titre de l’autodéfense; nous sommes passés d’un débat tel que celui concernant le Kosovo visant à savoir jusqu’où et dans quelles conditions la communauté internationale devrait agir à l’encontre d’un État qui commet des actes de violence flagrants et systématiques contre ses propres citoyens à la question de savoir dans quelle mesure et dans quelles conditions les différents États, seuls et de concert, agiraient pour mettre un terme au terrorisme et éliminer les cellules de terroristes dans des dizaines de pays.

Le terrorisme est une des menaces contre lesquelles les États doivent protéger leurs citoyens. C’est pour les États non seulement un droit, mais aussi un devoir. Mais les États doivent aussi veiller par tous les moyens à ce que les mesures antiterroristes ne se transforment pas en mesures servant à masquer ou justifier des violations des droits de l’homme. Le terrorisme a la fâcheuse tendance de provoquer des réactions répressives dans l’ensemble de la société.

Même si ceux qui louent à juste titre l’unité et la volonté résolue de la communauté internationale dans cette lutte cruciale sont nombreux, des questions importantes et urgentes se posent concernant ce que l’on pourrait appeler les « dommages indirects » de la guerre contre le terrorisme – qui portent atteinte à la présomption d’innocence, aux précieux droits de l’homme, à l’état de droit et au tissu même de la gouvernance démocratique.
Au plan national, le danger est qu’en cherchant à assurer la sécurité, nous finissions par sacrifier des libertés cruciales et, partant, par affaiblir notre sécurité collective au lieu de la renforcer – ce qui ronge de l’intérieur le vaisseau qu’est le pouvoir démocratique. Que la question concerne le traitement des minorités ici en occident ou les droits des migrants et des demandeurs
d’asile, ou le droit à une procédure régulière garantie par la loi – il faut que tous les citoyens avisés soient vigilants et veillent à ce que des groupes entiers dans nos sociétés ne voient pas leur réputation ternie d’un seul coup et ne soient pas punis pour le comportement répréhensible d’un petit nombre.

La Déclaration universelle des droits de l’homme constitue un cadre éloquent pour examiner ces mesures vitales.

Au plan international, nous commençons à voir l’utilisation accrue du mot terrible qu’est « terrorisme » pour diaboliser les opposants politiques, brider la liberté d’expression et la liberté de la presse et porter atteinte à la légitimité de revendications politiques légitimes. Trop souvent, les États qui vivent dans une situation de tension avec leurs voisins recourent de façon opportuniste à la lutte contre le terrorisme pour menacer de nouvelles actions militaires ou justifier celles-ci dans le cadre d’un différend qui perdure.

De même, les États qui luttent contre différentes formes de troubles ou d’insurrection sont tentés d’abandonner les processus lents, difficiles et parfois nécessaires des négociations politiques et de recourir à l’option de l’action militaire dont la facilité n’est qu’apparente.

Tout comme le terrorisme ne doit jamais être excusé, les plaintes justifiées ne doivent jamais être ignorées. Certes, une cause voit sa réputation ternie lorsque quelques hommes pervers commettent des meurtres en son nom. Mais ce n’est pas pour ça qu’il cesse d’être urgent de s’occuper de cette cause, d’écouter les plaintes et de redresser les torts. Sinon, nous risquons de perdre le soutien d’une grande partie de l’humanité.

Nous devons agir avec détermination pour chercher à régler les différends politiques et les conflits de longue durée qui sous-tendent, nourrissent et suscitent l’appui en faveur du terrorisme. Agir de la sorte ne revient pas à récompenser le terrorisme ou les auteurs d’actes terroristes, mais bien à diminuer leur capacité de trouver refuge ou de recruter pour toute cause dans tout pays. Ce n’est qu’ainsi que nous saurons véritablement que la guerre contre le terrorisme a été gagnée et que le monde est devenu un lieu plus sûr, meilleur et plus juste.

Je ne cherche nullement à convaincre – j’insiste là-dessus – que le terrorisme international ne constitue pas une grave menace. C’est est une, assurément. Le terrorisme est une menace mondiale qui a des effets dans le monde entier; ses méthodes sont le meurtre et la dévastation, mais ses conséquences touchent tous les aspects de l’ordre du jour de l’ONU – depuis le développement jusqu’à la paix, en passant par les droits de l’homme et la primauté du droit. Aucune composante de la mission des Nations Unies n’est à l’abri des effets du terrorisme et aucune partie du monde n’est à l’abri de ce fléau.

L’Organisation des Nations Unies doit clairement assumer ses obligations et faire face à cette menace mondiale. L’Organisation a un rôle indispensable à jouer en fournissant le cadre juridique et organisationnel dans lequel doit s’inscrire la campagne internationale contre le terrorisme, mais notre position inébranlable doit être de considérer que tout sacrifice de la liberté ou de la primauté du droit dans les États, ou toute apparition de nouveaux différends entre les États au nom de la lutte contre le terrorisme a pour effet d’offrir aux terroristes une victoire qu’aucun de leurs actes ne pourrait seul leur apporter.

Je vous remercie une fois encore pour l’honneur que vous me faites et je vous félicite pour votre action vitale qui vise à rendre le monde plus juste, plus harmonieux et plus sûr.




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