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Statements Commission on Human Rights

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21 March 2000

Commission des droits de l'homme
56ème session
21 mars 2000





Monsieur le Président,

je vous félicite au nom du gouvernement polonais de votre élection à la présidence de la 56ème session de la Commission des droits de l'homme. Je tiens également à vous assurer du soutien que la délégation de la Pologne apportera à l'exécution de votre tâche.

Qu'il me soit aussi permis d'exprimer la reconnaissance à Son Excellence, Madame l'Ambassadeur Anne Anderson, éminente représentante d'Irlande, pour son excellente présidence des travaux de la Commission durant sa 55ème session.

Monsieur le Président
Mesdames, Messieurs

"Nous, peuples des Nations unies, résolus à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine". Ce passage du préambule de la Charte des Nations unies ne doit pas tomber dans l'oubli. Même si dans le texte de la Charte la violation des droits de l'homme n'est pas expressément mentionnée en tant que prémisse d'une menace contre la paix ou d'une rupture de la paix, ce passage du Préambule a joué un grand rôle dans l'évolution de la pratique des Nation unies.

La Déclaration universelle des droits de l'homme, dont nous venons de célébrer le 50ème anniversaire, fut révolutionnaire et "subversive" par le fait que son titre comprenait l'adjectif "universelle". Elle renforçait la tendance à considérer les droits de l'homme comme les droits dont tout homme dispose naturellement et non comme les droits qui lui sont octroyés.

La plupart des conflits actuels ne résultent pas des facteurs externes, mais des violations des droits de l'homme par les autorités nationales ou des luttes internes. Si les libertés fondamentales de l'homme constituent les assises mêmes de la justice et de la paix dans le monde, leur maintien repose essentiellement sur un régime politique véritablement démocratique.

Le développement d'un système international centré sur les droits de l'homme reste aujourd'hui un fait même si le passage à cette phase semble semé d'embûches. En effet, cette évolution est parfois perçue comme source des controverses qui aboutissent à des conflits ou à l'intervention dans le domaine réservé.

Nous nous trouvons ainsi en présence des deux dilemmes: entre la nécessitée de maintenir la paix internationale et celle de respecter les droits de l'homme d'une part, et entre la souveraineté et les normes du droit international concernant les droits de l'homme de l'autre.

Le droit international ne créé pas l'Etat, mais il le protège. En l'absence du droit international, l'existence des Etats et leurs relations seraient déterminées seulement par le rapport des forces. Les relations internationales ne se fondent pas sur la souveraineté de l'Etat, mais sur l'égalité des souverainetés étatiques proclamée par le droit international. La soumission au droit international constitue donc un élément essentiel de la protection de la souveraineté de tous les Etats.

Dans ce contexte, il semble erroné d'assimiler la souveraineté de l'Etat à une liberté absolue et de percevoir le développement du droit des gens dans la perspective d'une limitation de la souveraineté. On confond d'ailleurs assez souvent dans ce contexte la souveraineté de l'Etat et la souveraineté nationale. La soumission au droit international ne porte pas atteinte à la souveraineté de l'Etat tandis que la souveraineté ne peut pas justifier les violations des normes du droit des gens liant un Etat. La contradiction entre la soumission de l'Etat au droit international et sa souveraineté se révèle donc trompeuse.

La fonction du droit international contemporain ne consiste pas seulement à protéger l'égalité des souverainetés étatiques et à trancher les conflits de compétence entre les Etats, mais aussi à protéger les valeurs communes de l'humanité, y compris les droits fondamentaux de l'homme, contre les atteintes de la part de l'Etat. La Commission des droits de l'homme reste à cet égard un instrument d'une grande importance.

Monsieur le Président
Mesdames, Messieurs

Les Etats - en se référant à la notion de domaine réservé ou celle d'affaires internes - ont souvent tendance à invoquer leur souveraineté pour justifier les violations du droit international. Or, la notion d'affaires internes ne se définit pas en fonction de la nature même d'une question, mais selon que celle-ci soit réglementée par le droit international. Le fait que, pour un Etat et à un moment donné, une matière relève de la réglementation internationale fait sortir cette matière de son domaine réservé. Tel est aujourd'hui le cas des droits fondamentaux de l'homme.

Selon les mots de Jean Paul II, les crimes contre l'humanité ne peuvent pas être considérés comme une affaire interne et celui qui viole les droits de l'homme insulte la conscience de l'humanité toute entière. La conscience de l'humanité au XXème siècle n'a pu être sauvée que par ceux qui ont parlé et agi au nom de la paix et des droits de l'homme. Seul le refus de silence face aux violations des droits de l'homme permet d'éviter une paix de cimetière.

Les traités relatifs à la promotion et à la protection des droits de l'homme sont conclus non seulement pour lier les Etats, mais surtout en vue d'influencer l'exercice des compétences nationales et de renforcer ainsi la position du citoyen face à l'Etat. Il est en outre un principe bien établi du droit des gens qu'un Etat ne peut pas invoquer son droit interne pour se soustraire aux obligations que lui impose le droit international.

La doctrine et la jurisprudence du droit international ont reconnu la notion des normes du droit des gens applicables erga omnes. Cela veut dire que les normes en question (en font partie les droits fondamentaux de l'homme) traduisent l'intérêt commun de l'humanité et que les Etats sont appelés à répondre face à la violation de ces normes. Cette situation, récente et nouvelle, constitue l'un des grands défis pour la communauté internationale. Il en résulte que l'examen de la situation des droits de l'homme ainsi que les appels à les respecter ne constituent pas une intervention dans les affaires internes.

Si la Pologne communiste fut l'objet de tels appels par le passé, le peuple polonais et la Pologne démocratique en sont aujourd'hui reconnaissant à la communauté internationale, car ces actions ont eu une influence positive pour la démocratie dans notre pays.

Quant à la notion d'intervention, Talleyrand n'hésitait pas à plaisanter que "la non-intervention est un mot diplomatique et énigmatique qui signifie à peu près la même chose que l'intervention". Malgré les difficultés de définition, le principe de non-intervention ne doit pas s'appliquer de manière abusive comme une norme caoutchouc. Sa fonction consiste à protéger les domaines non protégés par les normes particulières du droit des gens contre les pressions spécifiquement qualifiées des autres Etats. Si toute tentative d'influencer la situation dans un pays équivalait à l'intervention, la politique internationale et le droit des gens se ramèneraient paradoxalement à des instruments d'illégalité.

La pratique internationale ne peut répondre à ces interprétations incohérentes qu'en établissant des mécanismes efficaces de promotion, de contrôle et de protection des droits de l'homme, fournissant ainsi la preuve d'une volonté politique et de sens de responsabilité. C'est notamment à la Commission des droits de l'homme d'apporter une telle réponse. De combien de divisions dispose la Commission des droits de l'homme? Or, sa force consiste surtout dans le courage et dans la solidarité avec les victimes. La Commission ne peut pas manquer à ce devoir et ses mécanismes doivent être renforcés.
La souveraineté, la prétendue intervention ou les conceptions déformées de la liberté restent des mots vains et hypocrites si la liberté ne signifie pas aussi la liberté de pensée d'un autre et si la liberté se limite à la seule possibilité de quitter son pays clandestinement, y compris sur un radeau de fortune. Pour citer La Bruyère: "Il n'y a point de patrie dans le despotique".

Monsieur le Président
Mesdames, Messieurs

La prémisse essentielle reste qu'à long terme les vrais intérêts de la communauté internationale sont mieux servis par les démocraties que par les dictatures. Si les mécanismes du système des Nations unies ne sont pas toujours parfaits, il serait difficile d'en tirer la conclusion que la tolérance à l'égard des violations des droits de l'homme devienne une normalité. Cette attitude équivaudrait à admettre que le droit international est privé de tout fondement social ou moral. La réaction internationale peut prendre des formes diversifiées et il convient de souligner à cet égard le rôle préventif des analyses et des rapports de la Commission des droits de l'homme.

La politique consiste dans l'élaboration des objectifs et des programmes fondés sur les choix sociaux. Elle se réfère aussi bien au cadre juridique et à la légitimité du pouvoir étatique qu'aux valeurs et objectifs et à la solution des conflits. L'action politique ne se réduit pas à un schéma noir et blanc, mais plutôt à un choix permanent entre ce qui est possible et ce qui est souhaitable, entre ce qui semble meilleur et ce qui semble moins bon. L'application du droit des gens, la promotion et la défense des droits de l'homme et notamment les activités de la Commission des droits de l'homme n'échappent pas à ce dilemme.

Dans ce contexte, Max Weber distinguait entre l'éthique de conviction et l'éthique de responsabilité (Gesinnungsethik et Verantwortungsethik). La première tend à déterminer un acte et ses conséquences par les exigences de la conscience et par les critères moraux du bien et du mal. La seconde mesure l'action et l'application des critères moraux par rapport aux possibilités d'atteindre les objectifs souhaitables tout en prenant en compte la responsabilité de l'auteur pour des conséquences prévisibles.

Cette distinction ne s'assimile pas au cynisme élevé au rang de principe, mais plutôt à la reconnaissance du fait que la politique et le droit d'une part et la morale de l'autre ne se recouvrent pas entièrement. Il n'en reste pas moins que ces différents volets se rapprochent dans le cas de l'attitude à l'égard des régimes totalitaires - triste spécificité du XXème siècle. Mourir pour Sarajevo? pour Kosovo? pour ....? - les exemples actuels ne manquent pas. Le débat concernant l'intervention humanitaire semble à cet égard bien fondé.

Faut-il confondre la paix (peace) avec l'apaisement (appeasement)? Faut-il accorder la priorité à la sécurité des dictatures au dépens de la sécurité des victimes qu'elles persécutent? La paralysie du Conseil de sécurité des Nations unies peut-elle justifier les d'atrocités commises? S'il n'y a pas de réponse toute faite à ces questions, il n'est pas admissible que les dictateurs invoquent la protection du droit international pour justifier de grossières violations de celui-ci.

Il arrive que certains pays non démocratiques se sentent plus en sécurité dans leurs relations internationales que leurs citoyens à l'égard de l'appareil étatique interne. Une conviction s'établit par la suite que le droit international et l'ONU protègent les criminels et les auteurs des atrocités. Certains s'étonnent de la sélectivité dans la mise en accusation du général Pinochet devant une cour britannique.

L'indulgence de la communauté internationale à l'égard des auteurs des violations des droits fondamentaux de l'homme cache en réalité, qu'on le veuille ou non, une insulte mal camouflée à l'égard des victimes. C'est une situation difficilement acceptable. Demander la punition des crimes du passé semble difficilement fondé si l'on reste indulgent et passif face aux atrocités commises à présent.

Monsieur le Président
Mesdames, Messieurs

L'année écoulée a malheureusement été marquée par des événements qui nous incitent à se pencher sur la protection des droits de l'homme, y compris sur ses mécanismes plus efficaces. La pression internationale orientée vers le respect des droits de l'homme ne se réduit pas uniquement à l'imposition de la volonté par les partenaires plus forts. Il faut la percevoir en même temps comme protection des plus faibles, c'est-à-dire des victimes.

Dans ce contexte, une réforme du système des Nations unies semble nécessaire, mais elle est peu probable. Il importe donc que la doctrine politique et juridique apporte un éclairage supplémentaire qui permette de dégager si et dans quelle mesure les nouveaux développements en matière d'emploi de la force armée constituent-ils des événements isolés ou bien ouvrent-ils le chemin vers un nouveau droit coutumier. Le concept d'intervention humanitaire constitue une tentative de sortie de cette impasse.

L'objectif des Nations unies ne consiste pas à garantir à tout prix la paix entre les Etats, mais aussi à assurer - sur la base des valeurs communes - la paix aux femmes, hommes et enfants du globe entier. La paix entre nations ne se réduit pas à l'heure actuelle à la seule absence des guerres entre Etats.
La solution forcée de la crise de Kosovo a au moins permis de remplacer la paix de cimetière par celle de salle d'attente. Cependant, le succès à long terme de cette opération dépend notamment de l'établissement d'une administration efficace et d'une société multiethnique - les deux tâches consituant un défi à la communauté internationale ainsi qu'aux populations serbe et albanaise. L'opération de l'OTAN et de l'ONU au Kosovo témoigne en même temps que la communauté internationale se trouve mal à l'aise face à ce genre de situations tandis que les incertitudes juridiques et politiques ne facilitent pas sa réaction.

L'affaire du Timor oriental ne fait que confirmer les incertitudes en question bien que la réaction rapide de la communauté internationale ait mis fin aux atrocités. C'est notamment le mérite du Secrétaire général des Nations unies et des Etats qui ont envoyé leurs troupes pour maîtriser la situation.

Par contre, l'opération militaire russe en Tchétchénie laisse la communauté internationale perplexe face aux violations des droits de l'homme qui appellent une condamnation sans équivoque. Indépendamment du plan juridique, qui nécessiterait une analyse à part, la situation en Tchétchénie est dangereuse pour l'avenir de la démocratie en Russie. En plus, dans l'état actuel des choses, on voit mal se dessiner une solution politique du conflit dont les conséquences sont imprévisibles.

Monsieur le Président
Mesdames, Messieurs

Depuis onze ans la Pologne se gouverne de nouveau de manière démocratique. Si la sortie du communisme signifie la rentrée dans l'Histoire, il s'agit pour nous d'une réussite. Notre démocratie est stable et nous souhaitons le même résultat aux autres pays.

La Pologne s'engage internationalement en faveur des droits de l'homme. Cependant, si nous formulons des critiques à l'égard de la situation des droits de l'homme dans certaines parties du globe, il ne s'agit pas pour nous ni d'un malin plaisir, ni d'une démonstration de vantardise. Notre pays est gouverné et en grande partie habité par les gens qui ont l'expérience d'un régime autocratique. C'est bien ces gens qui, au début des années 1980, ont créé un grand mouvement social sous le nom de "Solidarité" et c'est la solidarité humaine qui nous pousse actuellement à la promotion et à la défense des droits de l'homme.

C'est notamment la raison pour laquelle nous appuyons au cours de cette session de la Commission le renforcement de ses mécanismes ainsi que l'initiative visant à créer le poste de Représentant du Secrétaire général pour la question des défenseurs des droits de l'homme. La résolution concernant les Défenseurs des droits de l'homme ne peut pas rester un morceau de papier, car elle vise ceux d'entre nous qui risquent beaucoup pour les droits des autres.

Fière de ses traditions et de son passé récent, la Pologne organise en juin de cette année une conférence internationale "Towards a Community of Democracies". Elle doit servir de forum pour l'échange d'expériences aux démocraties anciennes et nouvelles. Si tous les pays n'y participent pas, nous espérons que ce soit un jour le cas. Il se peut cependant que ce jour-là ce genre de conférences ne seront plus nécessaires.