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Statements Office of the High Commissioner for Human Rights

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02 October 2000

KINSHASA
2 OCTOBRE 2000


DISCOURS DE MARY ROBINSON
HAUT COMMISSAIRE AUX DROITS DE L'HOMME


A L'OCCASION DE LA CONFERENCE DEBAT AVEC LA SOCIETE CIVILE SUR LE THEME :
"LA CULTURE DES DROITS DE L'HOMME, CONDITION D'UNE PAIX ET D'UN DÉVELOPPEMENT DURABLES"



Monsieur le Représentant Spécial du Secrétaire général,

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais vous remercier de l'occasion qui m'est offerte de rencontrer les représentants de la société civile pour réfléchir ensemble sur le thème "A La culture des droits de l'homme: condition d'une paix et d'un développement durables".

Ce dialogue que je voudrais franc et ouvert, revêt pour moi, en ma qualité de Haut Commissaire aux droits de l'homme, une importance capitale. En effet, comme je l'ai souligné lors de ma rencontre avec les ONG congolaises durant la dernière session de la Commission des droits de l'homme, votre rôle est promordial dans le développement d'une culture des droits de l'homme.

C'est l'occasion de vous exprimer toute mon admiration pour votre dévouement à la cause des droits de l'homme et pour le courage dont vous faites preuve chaque jour, en dépit des risques encourus. Sachez que votre travail est reconnu et apprécié. "A Vous êtes en effet la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche" pour reprendre l'expression d'Aimé Césaire.

Ce travail, je le suis avec la plus grande attention et je peux vous assurer que je me tiens informée de l'évolution de la situation des droits de l'homme dans votre pays. Ceci grâce à vos propres rapports, à ceux de mon Bureau en RDC ainsi qu'aux différents mécanismes chargés de suivre la situation des droits de l'homme.

Je suis pleinement consciente du contexte particulièrement difficile que traverse votre pays depuis maintenant plus de deux ans. J'ai pu constater l'impact désastreux de ce conflit armé sur les populations civiles qui en payent le plus lourd tribu. Ceci vient s'ajouter à la saignée de l'esclavage, héritage de la colonisation, ainsi qu'à plusieurs décennies d'un pouvoir caractérisé par l'autoritarisme, l'arbitraire et la mauvaise gestion.

Cet héritage pèse lourd, malgré les richesses dont votre pays dispose en abondance. Richesses naturelles certes, mais aussi et surtout richesse humaines, celle de ses femmes et de ses hommes, qui dans leur diversité ethnique, linguistique et culturelle ont fait et font de ce pays, le pays de Patrice Lumumba, une terre de résistance et de vitalité, une terre d'accueil, de rencontre, de brassage et de solidarité. Une terre qui a vu éclore d'anciennes civilisations et qui a apporté et qui continue à apporter à l'Afrique et au monde, un art d'une exceptionnelle richesse dans sa diversité.

L'histoire passée et présente nous montre combien le Peuple congolais aspire à vivre en paix et en sécurité à l'intérieur de ses frontières comme avec ses voisins.

En tenant compte de ces aspirations l'Organisation de l'Unité Africaine, en coopération avec les Nations Unies , n'a menagé aucun effort pour tenter de trouver un réglement à ce conflit. Ces efforts ont abouti à la signature des Accords de paix de Lusaka qui malheureusement n'ont pas trouvé l'application escomptée.

Le déploiement de la MONUC constitue un effort supplémentaire de la part de la communauté internationale en faveur du rétablissement de la paix, et à l'instauration d'un véritable dialogue inter-congolais, seul moyen d'aboutir à une réelle démocratie. Je tiens à saluer les efforts incessants déployés par le Représentant spécial du Secrétaire général, l'Ambassadeur Kamel Morjane et tout le personnel de la MONUC



Mesdames, Messieurs,

Je suis pleinement consciente de la grave situation économique qui affecte la vie quotidienne des Congolaises et des Congolais. Le Congo, en dépit de ses richesses, se classe au 152ème sur 174 parmi les pays recensés dans le dernier Rapport mondial sur le développement humain. Et il est clair que l'insuffisance de moyens ne saurait être invoquée dans le cas du Congo. Ceci pose de manière criante, non seulement le problème de l'utilisation des ressources mais aussi et surtout celui de leur répartition inéquitable.

Ici, comme ailleurs, il incombe aux responsables d'assurer à tous, sans discrimination aucune, un niveau de vie décent. Le droit à la santé, à l'éducation, ou encore à une alimentation suffisante, doivent être mis en oeuvre. Une situation de conflit armé ne saurait en aucun cas servir de justification à la négation de ces droits, pas plus qu’elle ne saurait justifier les crimes contre les populations civiles. Les autorités se doivent d'assurer la mise en oeuvre du droit au développement. Par développement, j'entends à la fois la satisfaction des besoins vitaux des individus, mais aussi celles de toutes les aspirations humaines avec pour finalité le plein épanouissement de toutes les facultés créatrices de la personne. Ce concept de développement sera au coeur de la Journée internationale pour l'élimination de la pauvreté, organisée le 17 octobre prochain par l’ ensemble des agences des Nations Unies en RDC.

Mais ce développement serait illusoire s'il n'intégrait pas les droits civils et politiques, car il trouve ses racines dans un certain nombre de valeurs fondamentales telles que : la liberté, la démocratie, la solidarité. Ces deux catégories de droits doivent co-exister et se renforcer mutuellement.

Ainsi, comme l’a indiqué Amartya Sen « la liberté d’expression constitue aussi une arme contre la famine ».

Malheureusement, je constate qu'à l'heure actuelle, des hommes et des femmes sont poursuivis et détenus pour avoir exprimé leurs opinions. La liberté d'association et de réunion restent gravement compromises en raison d'une législation restrictive. La torture et les mauvais traitements sont une pratique courante dans les centres de détention, notamment militaires. Les règles minimales pour le traitement des détenus restent une réalité lointaine. Le système judiciaire ne garantit pas aux Congolais une justice impartiale et équitable conforme aux normes internationales. La Cour d'ordre militaire continue d'exister malgré les multiples recommandations en faveur de son abolition.

Dans les territoires sous contrôle des divers mouvements de rébellion, la situation des droits de l'homme est tout aussi préoccupante. Il a été fait état de massacres à Kasika, Makobola, Kamituga ou encore Mwenga. Ces allégations sont si graves que le Conseil de sécurité des Nations Unies par sa résolution 1304 ( mille trois cent quatre) , a demandé qu'une enquête internationale soit menée afin de déterminer les responsabilités.

Les auteurs des violations des droits de l'homme, quels qu'ils soient ne doivent pas demeurer impunis et lesvictimes ne doivent pas demeurer sans recours ni compensation. Comme je l'ai souvent répété, il ne peut y avoir, au Congo, pas plus qu'ailleurs, de réconciliation sans justice. Ma visite me permettra, je l'espère, de recueillir les informations nécessaires pour prêter assistance à cette enquête.

Mesdames, Messieurs,

Il existe encore dans la société congolaise de trop nombreuses formes de discrimination, notamment à l'égard des femmes. Au nombre de celles-ci il faut mentionner l’éducation et l’accès à la formation, la pauvreté, l’insécurité alimentaire, la participation aux instances de décisions, la protection juridique, l’accès à la terre et aux ressources naturelles. Ceci constitue autant de freins au développement. Il est essentiel que tout soit mis en oeuvre pour améliorer la condition de la femme afin de lui permettre de participer pleinement au développement de ce pays.

Dans deux jours, je serai à Addis Abeba pour ouvrir le séminaire régional africain d'experts qui traitera de la prévention des conflits ethniques et raciaux, dans le cadre de la préparation de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. Comme vous le savez, cette Conférence qui se tiendra en Afrique du Sud, à la fin du mois d’août 2001, représente une opportunité unique pour toutes les composantes de la société, dans tous les pays, d'initier des actions afin de lutter contre la discrimination et assurer le respect de la dignité de chaque individu. A cet égard, deux questions sont centrales:
- quel est le but à atteindre ?
-et que reste-t-il à faire pour y parvenir ?

Le Gouvernement, la société civile et les ONG de chaque pays doivent réexaminer la question de la dignité, de l'égalité et prêter une attention particulière aux victimes de la discrimination au moyen d’une vision plus inclusive de nos sociétés.
La Conférence mondiale ne pourra atteindre ses objectifs que si elle bénéficie de l'énergie, de l'imagination et de l'engagement des populations de chaque pays afin de trouver une réponse, tant sur le plan national qu'international, contre la discrimination et l'intolérance. Je vous convie à saisir cette occasion pour réfléchir sur ces questions.

Mesdames, Messieurs,

En dépit des nombreuses insuffisances dans le domaine du respect des droits de l'homme que je viens de souligner, je dois aussi faire état d'un certain nombre d'initiatives, prises par le Gouvernement en faveur des droits de l'homme. Je pense notamment:
- à l'établissement d'un Ministère des droits humains, et des actions positives menées sous la conduite du Ministre, Monsieur Lénoard She Okintundu ;
- à l'adoption du Plan national d'action pour la promotion et la protection des droits de l'homme ;
- à l'adoption des Décret- loi portant démobilisation et réinsertion des enfants soldats et amnistie générale;
- à la suspension, depuis le mois de février, de l'application de la peine de mort ;
- et plus récemment à la signature du Statut de Rome portant création d'une Cour pénale internationale.

Si des efforts ont été accomplis en direction d'une culture des droits de l'homme, beaucoup reste encore à faire. Le plein respect des droits humains ne pourra être atteint que par l'éducation aux droits de l'homme.

Cette éducation devra se faire au niveau de l'éducation formelle par l'intégration des droits de l'homme dans les programmes scolaires et universitaires. Elle devra se faire, aussi, au niveau informel, et notamment dans les langues nationales, par une large diffusion des principes des droits de l'homme. Ceci inclut la formation à la démocratie, par l'apprentissage de la gestion de la chose commune, l'exercice de la responsabilité, le respect de l'autre dans sa différence et ses opinions, et enfin la tolérance. A cet égard, le rôle de la femme, en tant que mère et première éducatrice, est essentiel. Cette éducation demeure cependant la responsabilité de tous, et la société civile, dans son ensemble, est concernée.

Dans cette entreprise, le Congo peut compter sur le soutien du Haut Commissariat aux droits de l'homme.

Mesdames, Messieurs

Je suis consciente des problèmes et des obstacles auxquels tous les pays, notamment ceux en développement, sont confrontés pour la mise en oeuvre des droits de l'homme, tant civils que politiques, économiques, sociaux et culturels. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, et c'est la raison pour laquelle je souhaite être à votre écoute, comme je le serai demain à Goma, avec les représentants de la société civile. Réfléchissons, ensemble, afin de déterminer des stratégies concrètes qui permettront l'emergence d'une véritable culture des droits de l'homme, qui seule conduira à une véritable réconciliation, à la paix et ainsi à un développement durable. Ce dialogue je le poursuivrai avec toutes les composantes de la société congolaise, tant gouvernementales que non gouvernementales , ici en République Démocratique du Congo, mais également à mon retour à Genève. Et je peux vous assurer que je saurais être votre porte-voix, votre Haut Commissaire.

Je vous remercie.