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Statements Commission on Human Rights

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23 April 2001

Commission des droits de l'homme
57ème session
Genève, le 23 avril 2001



Situation des droits de l’homme en Haiti



Intervention orale de Mr. Adama Dieng,
Expert indépendant




Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs

Croyez-moi, je regrette de ne pas être parmi vous pour témoigner des efforts inlassables de votre Commission au service des droits de l’homme en Haïti. Pendant six ans, j’ai eu le privilège d’accomplir cette noble tâche d’Expert indépendant chargé d’étudier la situation des droits de l’homme en Haïti. Comme vous le savez, le Secrétaire Général m’a nommé à un poste de Sous-Secrétaire Général au niveau du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Mes nouvelles fonctions à la tête du Greffe du Tribunal d’Arusha ne me laissent guère du temps pour quelque autre activité. Je tiens à remercier tous ceux qui de près ou de loin m’ont accompagné dans l’accomplissement de ma mission. Je pense notamment à ces hommes et ces femmes de l’ombre qui, au sein du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, n’ont ménagé aucun effort pour le succès de mon mandat. Un grand merci également aux amis d’Haïti que sont le Venezuela, la France, les Etats-Unis d’Amérique, l’Argentine, le Canada et le Chili qui m’ont toujours témoigné de leur compréhension. Enfin, merci aux autorités haïtiennes qui ont coopéré étroitement avec l’Expert indépendant et qui ont compris le sens du mandat que votre Commission m’a confié.

J’ai été parfois sévère dans mes «jugements » mais elles ont toujours respecté mon indépendance et essayé, dans toute la mesure du possible, de mettre en œuvre les recommandations entérinées par votre Commission. Comme vous l’aurez constaté à la lecture de mon dernier Rapport, la mise en œuvre de certaines des recommandations que j’ai formulées nécessite les efforts conjugués des autorités haïtiennes et de la communauté internationale. C’est ici l’occasion de rappeler que la coopération avec Haïti doit être planifiée dans le cadre d’une stratégie sur le long terme et non pas, comme cela a été la règle jusqu’ici, sur le court terme.

Il est urgent que la communauté internationale poursuive les programmes d’assistance et de coopération technique dans les domaines de l’administration de la justice, les droits humains, les prisons, la police, la lutte contre le trafic illicite des stupéfiants et le blanchiment de l’argent. L’Expert indépendant est d’avis que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme doit engager un vaste programme de coopération et d’assistance technique, notamment pour le renforcement des capacités, des institutions de l’Etat, de l’Office du protecteur du citoyen (OPC), de l’Ecole de la magistrature, de l’administration de la justice ainsi que de la société civile.

Au moment de la remise de notre rapport, le 4 janvier 2001, nous craignions le pire du fait de la détérioration du climat politique – une situation de tension liée à la gestion de la contestation des élections du 21 mai 2000, plus précisément du mode de calcul pour l’élection au siège de sénateur. Aussi avions-nous lancé un appel pressant à l’ensemble des acteurs pour qu’ils s’accordent à s’entendre sur l’essentiel. Notre conviction est que chacune des parties devra accepter des concessions pour permettre à ce pays, le plus pauvre de l’hémisphère Nord, de se remettre au labeur pour éradiquer les multiples maux dont il souffre et qui ont pour noms inégalités sociales, exclusion, corruption, misère, pauvreté, intolérance, analphabétisme, trafic de drogues, insalubrité, égoïsme des nantis, déficit de culture démocratique, mortalité infantile, sida, etc.

Il est évident que la polarisation politique qui règne depuis bientôt un an constitue une des menaces les plus sérieuses au renforcement de la démocratie et de l’état de droit. Force est de reconnaître que ces derniers temps le Président Aristide a multiplié les appels au dialogue. Dès lors, il faut espérer que la volonté de bâtir les fondations d’une nouvelle Haïti respectueuse de la primauté du droit l’emporte sur toute autre considération. L’Expert indépendant n’a pas manqué d’attirer l’attention du Président Aristide sur le plus grand mal dont souffre Haïti, à savoir l’absence de rigueur dans l’application de la loi qui se traduit par un grand nombre de criminels et de délinquants qui échappent aux mailles de la justice et jouissent d’une impunité choquante. La réaction qu’il a enregistrée auprès du Premier Magistrat de la Nation augure de l’émergence d’une nouvelle forme de gouvernement, marquée par des actes significatifs tendant au renforcement de la démocratie, au respect des droits humains, à l’amélioration de la gestion des affaires publiques et à l’élimination de la corruption.

Mais il ne faut pas nous voiler la face, le succès sera au rendez-vous à la condition que chacun accepte de jouer son rôle dans le respect des principes de la culture démocratique. D’une part, la tolérance politique et le dialogue constructif, s’appuyant sur le socle de la primauté du droit permettront à Haïti, à travers ses enfants réunis, de se réconcilier avec elle-même. D’autre part, la communauté internationale devra faire preuve de solidarité avec ce pays qui peut s’en sortir avec un peu de compréhension et de générosité dans le camp des bailleurs bilatéraux et multilatéraux. Toutefois, l’Expert indépendant tient à rappeler, une fois encore, que pour l’essentiel, la solution est entre les mains des Haïtiens et des Haïtiennes, qui doivent avant tout compter sur leurs propres forces.

Réunis autour du Président Aristide avec la ferme volonté d’œuvrer pour l’amélioration des conditions de vie, la sauvegarde de la dignité humaine des populations haïtiennes, les acteurs politiques et les membres de la société civile contribueront à mettre un terme à la tendance à la politisation de la Police nationale, à l’impunité des policiers responsables de violations de droits humains, à la lutte contre la corruption, à l’éradication de la contrebande des armes. Mais ils devront également faire preuve d’un engagement réel pour la promotion et la protection des droits économiques et sociaux réduisant ainsi le fossé énorme qui sépare les masses haïtiennes de la minorité que constitue «l’élite ». Ce serait une manière de perpétuer la mémoire de Jean Dominique, journaliste lâchement assassiné.

Il importe que le Gouvernement d’Haïti mette tout en œuvre pour que soient arrêtés et jugés sans délai les responsables de cet assassinat contre la démocratie dont Jean-Dominique était un symbole vivant. La surpopulation dans les prisons est une sérieuse préoccupation (90% des prisonniers sont en détention préventive) d’où la nécessité de renforcer la chaîne pénale et de veiller à ce que les responsables de corruption dans l’administration de la justice soient traduits en justice. Ces recommandations et toutes les autres contenues dans le rapport de l’Expert indépendant méritent le soutien de la communauté internationale et un effort du Haut-Commissariat aux droits de l’homme pour le renforcement des capacités. C’est dire qu’un plan d’urgence s’impose dont la mise en œuvre nécessite que le système des Nations Unies en Haïti travaille en synergie en vue d’une prise en compte effective et efficace de l’élément droit humain dans toutes ses activités.

Je me réjouis de savoir que les Amis d’Haïti ont déjà manifesté un fort intérêt à soutenir, avec les moyens nécessaires, la coopération technique avec Haïti. Ceci permettra, sans nul doute, la mise en œuvre de certaines des recommandations de l’Expert indépendant. Nous ne saurions terminer sans rendre un hommage appuyé aux organisations haïtiennes de droits humains et aux ONGs de femmes qui accomplissent un travail remarquable sur le terrain et qui hélas ne reçoivent pas tout le soutien qu’elles méritent du côté des bailleurs de fonds. Il est vrai que Haïti semble être de plus en plus marginalisée comparativement à d’autres pays qui attirent plus de «sympathie ». Fort heureusement, votre Commission est là pour rappeler que la Patrie de Toussaint Louverture mérite de l’Humanité. Puissions-nous tous ensemble, avec le Peuple haïtien, emprunter la Route de la Paix, pour commémorer le bicentenaire de l’accession d’Haïti à la souveraineté et rendre un hommage posthume à Toussaint Louverture, héros de l’indépendance, homme de paix et combattant de la liberté.


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