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Déclaration liminaire de Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, lors d’une conférence de presse à l’approche de la Journée des droits de l’homme

Arrière

06 Décembre 2023

Conférence de presse du Haut-Commissaire Volker Türk à Genève le 6 décembre 2023 © Anthony Headley

Bonjour, je suis ravi de vous voir nombreux dans cette salle aujourd’hui.

En un peu plus d’un an dans le cadre de mes fonctions de Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, j’ai rencontré, au cours de mes déplacements, des personnes de nombreux pays, sur tous les continents, y compris des personnes en proie à des crises de très grande ampleur. Je me suis également entretenu avec des acteurs de la société civile de nombreuses autres régions du monde dans lesquelles je n’ai pas encore pu me rendre.

Dans chaque pays, j’ai entendu et constaté le désir universel de voir les droits de l’homme respectés et protégés.

J’ai entendu ces propos de la bouche de jeunes femmes à Khartoum qui descendaient dans la rue pour participer à des rassemblements de protestation afin d’exiger d’être entendues au sein du gouvernement.

J’ai entendu ces propos d’un défenseur des droits de l’environnement dans les marais du sud de l’Iraq.

De représentants de peuples autochtones en Équateur, au Canada, en Norvège et en Suède.

De personnes d’ascendance africaine aux États-Unis et en Colombie.

De la société civile de pays en guerre, profondément préoccupée par les effets de la violence sur les droits humains, mais aussi par le type de société qui émergera par la suite.

Dans nombre de mes interactions avec ces personnes, on me pose la question, compte tenu des conflits et des coups d’État omniprésents, des changements climatiques et d’autres crises : est-ce un échec des droits de l’homme ?

Non. Ce n’est pas un échec des droits de l’homme.

C’est le mépris cynique des droits humains et l’incapacité à respecter et à tenir compte des avertissements concernant les droits humains qui nous ont conduits à la situation actuelle.

Les conflits et les crises qui nous assaillent aujourd’hui devraient être un signal d’alerte pour la communauté internationale.

Un signal d’alerte qui doit nous dire que lorsque les droits de l’homme sont violés ou mis de côté, des conflits éclatent.

Un signal d’alerte qui doit nous faire prendre conscience que lorsqu’on ne respecte pas les droits de l’homme, il en découle l’instabilité, des souffrances, davantage d’inégalités et des crises économiques.

Un signal d’alerte pour montrer que lorsque les défenseurs des droits de l’homme et le HCDH tirent la sonnette d’alarme, il faut écouter et agir pour prévenir les violations.

Les droits de l’homme doivent être au cœur de la gouvernance, et pas seulement figurer dans de beaux discours de hauts responsables. Ils doivent être intégrés dans les politiques et la législation, et guider la façon dont ces lois et politiques sont mises en œuvre. Ils doivent être le fil conducteur de tous les aspects de la gouvernance, de l’économie et de la société.

La Déclaration universelle des droits de l’homme a été élaborée à partir des enseignements tirés de deux guerres mondiales, de l’Holocauste, de la destruction par l’arme atomique, d’une profonde dévastation économique et de générations d’exploitation coloniale, d’oppression, d’injustice et d’effusion de sang. Elle a été conçue comme une feuille de route vers un monde plus stable et plus juste.

Les droits de l’homme sont inhérents à chaque être humain.

Les dirigeants qui ignorent cette vérité mettent en danger les personnes qu’ils ont pour tâche de servir.

Malheureusement, c’est ce qu’ont fait les dirigeants de nombreuses régions du monde. Nous assistons de ce fait à une augmentation et à une intensification des conflits violents dans le monde entier.

Deux mois après les attaques atroces lancées le 7 octobre contre Israël par le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens, au cours desquelles des civils ont été directement visés et des otages ont été pris, les civils de Gaza continuent d’être bombardés sans relâche par Israël et de subir des punitions collectives, des décès, l’état de siège, des destructions et la privation des besoins humains les plus essentiels comme la nourriture, l’eau, les fournitures médicales vitales et d’autres produits de première nécessité à très grande échelle. Les Palestiniens de Gaza vivent dans l’horreur la plus totale et la plus profonde.

Les opérations militaires, y compris les bombardements, par les forces israéliennes se poursuivent dans le nord, le centre et le sud de la bande de Gaza, affectant les personnes qui ont déjà été déplacées à plusieurs reprises, forcées de s’enfuir en quête de sécurité. Mais il n’y a aucun lieu sûr. À l’heure où nous parlons, quelque 1,9 million de Palestiniens sur 2,2 millions ont été déplacés et sont poussés à gagner des lieux de plus en plus restreints et extrêmement surpeuplés dans le sud de Gaza, dans des conditions sanitaires déplorables.

L’aide humanitaire est à nouveau coupée, alors que les craintes d’une généralisation des maladies et de la famine se répandent.

La situation catastrophique dans la bande de Gaza était tout à fait prévisible et évitable. Mes collègues humanitaires ont qualifié la situation d’apocalyptique.

Il y a un risque accru dans ces circonstances de voir des crimes atroces être commis. Des mesures doivent être prises d’urgence, à la fois par les parties concernées et par tous les États, en particulier ceux qui ont une influence, pour prévenir de tels crimes.

La communauté internationale doit insister d’une voix pour exiger un cessez-le-feu immédiat pour des raisons humanitaires et au nom des droits de l’homme.

La crise des droits humains en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est, est également extrêmement alarmante, avec notamment une augmentation de l’usage inutile ou disproportionné, voire militarisé, de la force par les forces israéliennes, entraînant une hausse des homicides illicites, une violence beaucoup plus agressive et fréquente des colons qui conduit au déplacement forcé de communautés palestiniennes, une augmentation record des arrestations et détentions arbitraires, une hausse alarmante des décès en détention et des allégations de mauvais traitements infligés à des Palestiniens en détention, y compris des violences sexuelles. Les autorités israéliennes doivent prendre des mesures immédiates pour mettre fin à l’impunité généralisée face à ces violations.

Avec la montée de ces conséquences catastrophiques pour les civils de Gaza, je tiens à exprimer une nouvelle fois ma vive inquiétude face aux déclarations déshumanisantes et d’incitation à la violence faites par d’anciens et d’actuels hauts responsables israéliens, ainsi que par des représentants du Hamas. L’histoire nous a montré où peut nous mener ce type de langage. Non seulement ces propos sont inacceptables, mais un tribunal compétent peut considérer ces déclarations, dans les circonstances où elles ont été faites, comme une incitation à des atrocités.

Alors que de nouvelles informations circulent sur les graves allégations de violences sexuelles perpétrées par des membres de groupes armés palestiniens, dont le Hamas, lors de leurs attaques contre Israël les 7 et 8 octobre, il est évident que ces attaques doivent faire l’objet d’une enquête approfondie afin que justice soit rendue aux victimes.

Il est essentiel que des enquêtes rigoureuses soient menées et que les auteurs de toutes les violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire aient à répondre de leurs actes. La responsabilité pénale individuelle doit être établie.

Dans l’immédiat, j’appelle à une cessation urgente des hostilités et à la libération de tous les otages. Toutes les parties savent ce qui est réellement nécessaire pour parvenir à la paix et à la sécurité pour les Palestiniens comme pour les Israéliens ; la violence et la vengeance ne peuvent qu’engendrer davantage de haine et de radicalisation. Le seul moyen de mettre fin à toutes ces souffrances est de mettre fin à l’occupation et de réaliser la solution des deux États.

Au Myanmar, la crise des droits de l’homme provoquée par l’armée continue de frapper très durement les civils. À ce jour, des sources crédibles ont pu confirmer que les forces militaires ont provoqué la mort de plus de 4 232 civils depuis le coup d’État. Les civils ont subi d’innombrables violations : des frappes aériennes, des tirs d’artillerie, des disparitions forcées, des arrestations et des poursuites arbitraires, des violences sexuelles, des déplacements, le refus de l’aide humanitaire et des incendies de logements, de champs et de villages. La situation de la communauté musulmane des Rohingya est de plus en plus grave, sans perspective d’un retour sûr et durable. De nombreuses personnes entreprennent des voyages dangereux par voie maritime dans la région.

L’armée du Myanmar a perdu beaucoup de terrain depuis la fin du mois d’octobre à la suite d’attaques coordonnées lancées par des organisations armées ethniques et des groupes armés antimilitaires. Le nombre de victimes civiles et de personnes déplacées à l’intérieur du pays augmente rapidement. Il est plus que jamais nécessaire de faire en sorte aujourd’hui que toutes les parties veillent à protéger adéquatement la population civile. La communauté internationale doit redoubler d’efforts pour mettre fin à la violence et rétablir pacifiquement un gouvernement inclusif et représentatif.

Au Soudan, le conflit entre les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide fait rage, avec des risques de voir se produire une guerre civile prolongée et une fragmentation du pays. Plus de 7 000 civils, dont des femmes et des enfants, ont été tués depuis avril 2023 et 6,3 millions ont été déplacés. La moitié de la population a besoin d’assistance. Nous disposons de documents attestant que le viol est utilisé comme arme de guerre, en particulier par les Forces d’appui rapide et les forces qui leur sont affiliées. Les tensions ethniques et raciales ne cessent de monter. L’état de droit s’effondre dans son ensemble au Soudan. Aucune des parties au conflit n’a cherché à s’attaquer sérieusement au comportement de ses propres forces.

Les deux parties doivent veiller à ce que tous les membres du personnel responsables de violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme répondent de leurs actes.

En Ukraine, le décès de plus de 10 000 civils a été confirmé depuis l’invasion russe du territoire ukrainien le 24 février 2022. Le nombre réel de morts est probablement beaucoup plus élevé. Les Ukrainiens vivant dans les territoires occupés par la Fédération de Russie subissent des restrictions effroyables de leur liberté et de leurs droits fondamentaux. Cette guerre longue et destructrice doit cesser.

Les changements anticonstitutionnels de gouvernement, notamment les coups d’État militaires, au Burkina Faso, au Tchad, en Guinée, au Mali et au Niger ont considérablement affaibli la protection des droits de l’homme et l’état de droit dans ces pays. Il est essentiel que les autorités de transition s’engagent à respecter les délais fixés pour le retour à un régime démocratique et prennent des mesures efficaces pour protéger les droits de l’homme au cours de ce processus.

Je suis également avec une inquiétude croissante les crises politiques dans des pays comme le Guatemala, le Pérou et le Nicaragua, et leurs conséquences sur les droits de l’homme. Au Guatemala, je suis particulièrement alarmé par les tentatives incessantes et systématiques, notamment de la part du Bureau du Procureur général, de contester les résultats des élections générales qui se sont tenues en juin et en août. J’exhorte toutes les autorités guatémaltèques à s’abstenir de toute nouvelle tentative de contestation des résultats des élections et à veiller à ce que tous les droits humains, y compris les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression, soient pleinement respectés. La volonté de la majorité du peuple guatémaltèque doit l’emporter et la démocratie doit être préservée, avec l’appui de la communauté internationale.

Au cours de l’année à venir, des élections sont prévues dans plus de 70 pays, ce qui représente la moitié de la population mondiale. Pendant la période préélectorale, il est particulièrement important de veiller à ce que les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique, d’association et de participation politique soient pleinement respectés.

Malheureusement, les périodes préélectorales sont souvent propices à l’extrémisme, aux discours visant à semer la peur, à la rhétorique haineuse et aux politiques de division, de distraction et de tromperie. J’exhorte les responsables politiques et autres à s’abstenir de semer la peur de « l’autre », de créer des divisions et de manipuler les différences pour gagner des voix.

Ces élections seront parmi les premières à l’époque où l’intelligence artificielle générative est largement répandue. Il existe des risques évidents qu’une propagande et une désinformation plus puissantes que jamais soient produites à grande échelle par un nombre croissant d’acteurs. Il sera plus important que jamais de veiller à ce que les États et les entreprises technologiques puissent réagir aux contenus préjudiciables en ligne d’une manière qui respecte nos droits à l’information, notre droit à un débat ouvert et libre. Il faut également se baser sur les droits de l’homme en tant que guide pour lutter contre les discours préjudiciables qui poussent à la discrimination et à la violence.

Nous avons assisté ces deux derniers mois à une forte augmentation des discours de haine, en ligne et hors ligne, en particulier des discours antisémites et de sectarisme antimusulman. Partout dans le monde, des habitations et des édifices religieux ont été endommagés dans le but d’effrayer et d’attiser la haine. Des dirigeants politiques ont également utilisé une rhétorique incendiaire, toxique et haineuse. Cela doit être fermement condamné. Le droit international des droits de l’homme est absolument clair sur ce point.

Il est également inacceptable de s’en prendre aux défenseurs des droits de l’homme, notamment aux acteurs de la société civile, aux experts indépendants des Nations Unies, aux responsables des Nations Unies et autres qui dénoncent les violations des droits humains. J’exhorte les États à s’engager quant au fond des allégations plutôt que de tenter de discréditer injustement les messagers.

Lors de la COP28, le HCDH s’associe à d’autres organismes pour réclamer davantage d’actions afin de faire face à la crise climatique et de garantir le droit à un environnement propre, sain et durable.

J’ai bien peur que les propos de personnes tentant de mettre en évidence les effets néfastes des changements climatiques et la nécessité d’agir sans tarder ne soient noyés par des voix plus puissantes qui ont, au mieux, des objectifs évasifs, notamment en faveur de la poursuite de l’utilisation des combustibles fossiles.

Le respect du droit à la vie et à un environnement sain nécessite l’élimination progressive et équitable de tous les combustibles fossiles. Le droit des droits de l’homme exige que les responsables des dommages causés par les changements climatiques, y compris les États et les entreprises, exercent leur responsabilité d’apporter un remède à ces problèmes. Il est temps de faire en sorte que des sanctions pénales soient appliquées face à la destruction de l’environnement, en tant que mesure dissuasive essentielle.

L’avenir de notre planète et des générations futures est en jeu et il est essentiel que les représentants de la société civile se fassent entendre haut et fort pour définir des solutions tangibles.

En ce moment sombre de l’histoire, je me réjouis d’accueillir la semaine prochaine la manifestation de haut niveau marquant le 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, afin de faire le point sur la situation actuelle, de comprendre comment nous parvenus à cette situation et d’identifier ce que nous pouvons faire pour bâtir un avenir meilleur pour tous les êtres humains, quels qu’ils soient et où qu’ils se trouvent.

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