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LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA
DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE
LE RAPPORT DU PÉROU

Arrière

09 Mars 1999



APRÈS-MIDI

HR/CERD/99/15
9 mars 1999



Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a entamé, cet après-midi, l'examen du rapport du Pérou sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Présentant ce rapport, la Ministre de la justice du Pérou, Mme María Carlota Valenzuela de Puelles, a déclaré que l'on peut aujourd'hui affirmer que l'inflation galopante a été surmontée et la violence terroriste vaincue, ce qui a permis au pays de s'engager dans un processus de recomposition structurelle. Le Pérou est conscient que la discrimination est le fruit d'une conception et de croyances culturelles erronées dans lesquelles l'éducation joue un rôle essentiel. Le Ministre a souligné que la Constitution de 1993 prévoit la possibilité de déléguer des fonctions juridictionnelles aux autorités traditionnelles des communautés autochtones.

La délégation péruvienne est également composée, entre autres, du Représentant permanent du Pérou auprès des NationsUnies à Genève, M. Jorge Voto-Bernales, ainsi que de M. Alberto Armas Bengleri, Vice-Ministre de la justice et Président du Conseil national des droits de l'homme.

M. Régis de Gouttes, expert chargé de l'examen du rapport du Pérou, s'est notamment enquis des incidences qu'ont pu avoir, sur les couches les plus défavorisées de la population, en particulier les communautés paysannes et autochtones, des phénomènes tels que la lutte contre le terrorisme et l'influence croissante des forces armées. Il a fait état d'informations selon lesquelles la Constitution de 1993 diminuerait l'un des droits les plus importants des autochtones puisqu'elle ne reconnaîtrait plus le caractère inaliénable de la propriété communale comme cela était encore le cas dans la Constitution de 1979.

Les membres suivants du Comité sont également intervenus : M. Luis Valencia Rodriguez, M. Ivan Garvalov, M. Michael Parker Banton, Mme Deci Zou, Mme Gay McDougall, Mme Shanti Sadiq Ali, M. Peter Nobel, M. Theodoor van Boven, M. Mario Jorge Yutzis.

Le Comité achèvera demain matin, à 10 heures, l'examen du rapport péruvien.


Présentation du rapport du Pérou

Présentant le rapport de son pays, Mme María Carlota Valenzuela de Puelles, Ministre de la justice du Pérou, a assuré le Comité de la volonté politique du Gouvernement péruvien de travailler en faveur de la promotion et de la protection des droits de l'homme et de son rejet total de toute forme de discrimination raciale. Elle a souligné que le Pérou a connu une grave situation de violence terroriste qui, depuis le début des années90, a été peu à peu surmontée. Le Pérou a dû appliquer toute une série de réformes afin de faire face à la crise sociale, politique et économique la plus sévère à laquelle il ait été confronté de toute son histoire, a rappelé la Ministre de la justice. Elle a ajouté qu'on peut aujourd'hui affirmer que suite à ces réformes, l'inflation galopante a été surmontée et la violence terroriste vaincue, ce qui a permis au Pérou de s'engager dans un processus de recomposition structurelle. Une des priorités du Gouvernement dans le cadre de ce processus est d'assurer la défense et la promotion des droits de l'homme par le biais de mesures visant à éradiquer et sanctionner les pratiques discriminatoires qui subsistent encore dans le pays afin d'éviter qu'elles ne se reproduisent.

Mme Valenzuela a rappelé que l'institution des juges «sans visage» a été supprimée en 1997. Elle a également souligné que les délits de génocide, de disparition forcée et de torture ont été incorporés dans la législation pénale. Les actions en faveur du retour volontaire des personnes déplacées suite à la violence terroriste se sont également multipliées. Pour la seule année 1998, environ 15000 personnes déplacées sont ainsi retournées dans leurs foyers. Le Gouvernement s'est fixé pour objectif, pour l'an 2000, de ramener la pauvreté extrême à travers le pays à un taux n'excédant pas 11% de la population totale, a en outre déclaré Mme Valenzuela.

La Ministre de la justice a fait part au Comité de la récente entrée en vigueur d'une loi sur les personnes handicapées dont l'objectif est d'établir un régime juridique de protection et de soins en matière de santé, de travail, d'éducation, de réhabilitation, de sécurité sociale et de prévention en vue de la pleine intégration sociale, économique et culturelle de ces personnes. «Nous sommes conscients que la discrimination existe au Pérou, a affirmé la Ministre, mais nous savons aussi que cette discrimination est le fruit d'une conception et de croyances culturelles erronées dans lesquelles l'éducation joue un rôle essentiel». Aussi, l'État péruvien considère-t-il l'introduction dans les programmes scolaires de cours insistant sur la non-discrimination comme une ligne d'action fondamentale de l'élimination de toutes les formes de discrimination. La Ministre de la justice a également fait part au Comité de la promulgation d'une loi dans le domaine du travail qui dispose que les offres d'emploi et l'accès
à la formation ne doivent pas contenir de dispositions ou de conditions qui constitueraient une discrimination ou altéreraient l'égalité des chances.

Mme Valenzuela a déclaré qu'il est indéniable que la composante autochtone constitue l'un des éléments centraux de la diversité culturelle et ethnique du Pérou. Elle a souligné que la Constitution péruvienne prévoit la possibilité de déléguer des fonctions juridictionnelles aux autorités traditionnelles des communautés autochtones dans le cadre de leur territoire naturel. La Ministre de la justice a rendu hommage au travail réalisé par le Défenseur du peuple dans le domaine de la protection des autochtones. Elle a notamment signalé qu'il existe au sein du bureau du Défenseur du peuple un Programme des communautés autochtones visant à maintenir des contacts directs avec les organisations autochtones. La Ministre de la justice a indiqué que la COFOPRI (commission chargée de la propriété informelle) a octroyé jusqu'à la fin de l'année 1998, environ 250000 titres de propriétés sur la terre qui ont été dûment inscrits. Le Pérou entend en outre promouvoir les programmes et projets de développement socio-écono
miques visant à revaloriser l'identité ethnique et culturelle des communautés paysannes et autochtones.

Rappelant que le système juridique péruvien interdit toute discrimination, la Ministre a néanmoins reconnu que l'on a récemment constaté dans le pays une attitude discriminatoire qui consiste à refuser à certaines personnes le droit d'entrer dans des établissements publics sur la base de critères interdits par la Constitution. C'est pourquoi le Gouvernement péruvien a pris des mesures qui se sont soldées par l'adoption d'une loi qui précise les droits des consommateurs et interdit la «sélection de la clientèle».

La Ministre de la justice a par ailleurs assuré que la classification des détenus péruviens en différentes catégories ou leur emprisonnement dans des établissements pénitentiaires soumis à des régimes différents est basée sur des critères «réels et raisonnables» liés au type de délits, au danger de l'emprisonnement ou à la progressivité et au caractère personnalisé du traitement pénitentiaire : mais il ne s'agit en aucune manière d'un traitement différencié en raison d'une discrimination. La Ministre a également indiqué que le Pérou examine actuellement un projet de loi visant à réprimer comme délit l'incitation à la haine raciale ou à la discrimination ainsi que tout acte entravant la reconnaissance ou la jouissance d'un droit pour un motif fondé sur la race.

Les douzième et treizième rapports périodiques du Pérou, réunis en un seul document (CERD/C/298/Add.5), rappellent que les langues officielles du pays sont l'espagnol et, dans les zones où elles prédominent, le quechua, l'aymara et les autres langues autochtones. D'après les informations disponibles, 80,3% de la population est de langue maternelle espagnole alors que 16,5% parlent le quechua, 3% une autre langue autochtone et 0,2% une langue étrangère. Le Pérou était peuplé en 1993 de 22639443 habitants et, selon les projections qui avaient été établies à cette date, devrait en compter actuellement 23947000 répartis à 52% sur la côte, 36% dans la zone des montagnes et 12% dans la région des forêts. En 1993, poursuit le rapport, il a été procédé à un recensement des communautés autochtones de l'Amazonie péruvienne, qui comptent au total 299218 habitants.

La Constitution péruvienne de 1993 reconnaît expressément le caractère multiethnique et pluriculturel de la nation péruvienne ainsi que l'existence légale des communautés paysannes et autochtones et garantit le respect de leur identité culturelle. Ces dernières décennies, les autochtones ont dû innover, se trouver des dirigeants capables de faire face aux nouvelles menaces qui pèsent sur leur intégrité territoriale et culturelle et mettre en place de nouvelles modalités propres à accélérer le processus de réorganisation. Les autochtones ont élaboré de nouvelles stratégies pour mettre en oeuvre des programmes d'enseignement bilingue, créer leur propre service de santé et améliorer leurs revenus par le biais de réseaux communautaires de commercialisation. «La participation croissante des autochtones de l'Amazonie aux élections, y compris la victoire de maires autochtones dans divers districts et provinces, dans des municipalités où la population autochtone était considérée comme minoritaire ou marginalisée,
constitue un grand pas en avant» dans le domaine de l'affirmation de leurs droits en tant que citoyens. L'attribution de titres de propriété sur les terres, menée à bien avec la participation assidue des organisations autochtones et les communautés qui ont pris part à la démarche, constitue l'un des résultats les plus importants obtenus par l'État. Le rapport souligne en outre qu'a été mis en place un Programme de formation d'enseignants bilingues dans l'Amazonie péruvienne.

Le processus de pacification que connaît actuellement le pays gagne du terrain comme en témoigne la diminution du nombre de plaintes pour violation des droits de l'homme, ajoute le rapport. Ainsi, peu à peu, l'ordre revient dans le pays d'où les assouplissements apportés à l'état d'exception proclamé ou prorogé dans certaines circonscriptions du pays dans lesquelles le processus de pacification doit être mené à son terme. Si le recours aux tribunaux militaires s'est imposé dans les procès mettant en cause des terroristes, c'est que, face aux méthodes d'intimidation terroriste, les tribunaux de droit commun sont mal équipés pour s'acquitter efficacement de leurs fonctions et punir, comme il se doit, les auteurs d'actes terroristes au Pérou. En outre, en vertu d'un accord conclu avec le Centre amazonien d'anthropologie et d'application pratique et l'OIT, et grâce au financement de l'Agence des États-Unis pour le développement international, un programme spécial a été mis en place pour la protection des communautés autochtones qui a notamment pour objet d'instruire et de juger les plaintes pour violations des droits de l'homme touchant les populations et les communautés autochtones.


Examen du rapport du Pérou

L'expert chargé de l'examen du rapport du Pérou, M. Régis de Gouttes, a salué la qualité de la délégation venue présenter le rapport du Pérou devant le Comité. Il a rappelé que la spécificité et le génie de la nation péruvienne procèdent de son caractère pluriethnique et multiculturel. M.deGouttes a indiqué que son intervention, cet après-midi, se fonde sur des documents émanant du Pérou, des autres organes des NationsUnies ainsi que des organisations non gouvernementales (ONG), notamment Amnesty International, Human Rights Watch, la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) et surtout la Coordination nationale des droits de l'homme péruvienne et l'Association péruvienne pour les droits de l'homme.

Il semble qu'il n'y ait pas assez de contacts entre les autorités gouvernementales et les ONG, a noté M. de Gouttes. Il a également jugé insuffisantes les données concernant la composition de la population qui figurent dans le rapport. Il s'est dit insatisfait par l'explication fournie par le Pérou selon laquelle toute référence à la race ayant été supprimée des recensements, il n'est pas possible de rendre compte de la structure ethnique de la population.

M. de Gouttes s'est enquis des incidences qu'ont pu avoir, sur les couches les plus défavorisées de la population, en particulier les communautés paysannes et autochtones, des phénomènes tels que la lutte contre le terrorisme et l'influence grandissante des forces armées. M. de Gouttes s'est également enquis des effets de la politique économique ultralibérale sur l'accentuation des inégalités. Il a rappelé les conclusions du Comité des droits économiques, sociaux et culturels à l'issue de l'examen de la situation au Pérou selon lesquelles les obstacles majeurs à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels procédaient du refus de régler les graves problèmes de pauvreté dans le pays. M. de Gouttes a souligné qu'au sens de la Convention, la discrimination raciale ou ethnique est celle qui est institutionnalisée par un État mais aussi celle qui se manifeste par des pratiques qui ont pour effet de perpétuer la marginalisation et la paupérisation de certains groupes ethniques.

Il semble qu'aucun article du Code pénal péruvien ne suffise à répondre aux exigences de la Convention en ce qui concerne à l'incrimination de la diffusion d'idées racistes, de l'incitation à la discrimination raciale, de la violence raciste, du financement d'activités racistes et de la participation à de telles activités. M. de Gouttes a par ailleurs indiqué que la Coordination nationale des droits de l'homme péruvienne et l'Association péruvienne pour les droits de l'homme estiment que le droit à un traitement égal devant les tribunaux n'est que formel pour la population autochtone monolingue dans la mesure où elle ne peut disposer d'interprète pour exposer ses prétentions ou défendre ses droits. M. de Gouttes a rapporté une information de la FIDH selon laquelle les prisonniers dans la prison de Yanamayo, près du Lac Titicaca, sont incarcérés dans des conditions souvent inhumaines. Il s'est également inquiété d'informations faisant état d'enrôlements forcés au service militaire obligatoire de jeunes pro
venant des milieux les plus défavorisés qui seraient parfois maltraités.

Il semble également que le maintien et la promotion dans le travail soient fortement influencés par des critères racistes, l'emploi de blancs étant souvent considéré par certains employeurs comme un gage de sérieux et d'efficacité, s'est inquiété M. de Gouttes. Il s'est également inquiété d'informations faisant état d'une différence d'espérance de vie de 20 ans entre les membres des communautés autochtones et le reste de la population ainsi que de pratiques de stérilisation forcée à l'encontre de femmes des communautés autochtones andines. S'agissant de la propriété de la terre, M.de Gouttes a fait part d'informations selon lesquelles la Constitution de 1993 diminuerait l'un des droits les plus importants des autochtones puisqu'elle reconnaîtrait seulement l'imprescriptibilité de la propriété communale et non plus son caractère inaliénable et son indisponibilité comme cela était encore le cas dans la Constitution de 1979.

Plusieurs autres membres du Comité ont regretté que le rapport péruvien ne fournisse pas d'informations détaillées en ce qui concerne la composition ethnique de la population. Certains ont souhaité connaître les activités entreprises par le Pérou en matière de diffusion de la Convention. D'autresse sont demandés si le Défenseur du peuple pouvait engager des actions suite à une plainte pour discrimination raciale. Un expert s'est interrogé sur l'existence d'une législation particulière permettant de mettre en oeuvre les dispositions de la Convention N169 de l'OIT, relative aux populations autochtones.

Un membre du Comité a souligné le manque d'informations, dans le rapport, en ce qui concerne la situation réelle en matière d'éducation, notamment du point de vue de l'analphabétisme. Plusieurs experts ont relevé que le rapport ne contient aucune information en ce qui concerne la situation des Noirs au Pérou. Un membre du Comité a affirmé que les Afro-péruviens sont marginalisés dans la société péruvienne et sont victimes de discrimination, notamment en matière d'accès à l'emploi. Il a été fait état d'informations selon lesquelles certains corps d'armée excluent les Noirs des postes d'officiers.

Un expert s'est enquis des raisons de l'adoption d'une loi générale d'amnistie au bénéfice des militaires et membres des forces de l'ordre et ce, quelles que soient les violations des droits de l'homme commises depuis le début des années 80.


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Rectificatif :


Dans notre communiqué de presse HR/CERD/99/12, daté du 8 mars 1999, le cinquième paragraphe de la première page devrait se lire comme suit :


M.Peter Nobel, expert du Comité chargé de l'examen de la situation en Yougoslavie, a affirmé que s'il est évident que de graves violations des droits de l'homme ont été commises par les Albanais du Kosovo, il est troublant que le rapport ne contienne aucune information sur les violations commises par les forces de l'ordre. On peut donc en conclure que ce rapport est très «unilatéral», a affirmé M.Nobel. Les membres suivants du Comité sont également intervenus : M.Ion Diaconu, M.Theodoor van Boven, M.Yuri Rechetov, M.Ivan Garvalov, M.Régis de Gouttes, MmeGay McDougall, M.Michael Sherifis, M.Mahmoud Aboul-Nasr.


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