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Déclaration de l'experte indépendante des Nations Unies Experte chargée de promouvoir l’exercice par les personnes âgées de tous les droits de l’homme, Mme Rosa KORNFELD-MATTE, à l'occasion de sa visite en Nouvelle Zélande

Arrière

12 Mars 2020

Anglais

Les observations préliminaires suivantes ne rendent pas compte de la totalité des thématiques qui m’ont été présentées ni de toutes les initiatives mises en œuvre par le Gouvernement de Nouvelle-Zélande.

Wellington, 12 Mars 2020

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de commencer par une série de données et de statistiques démographiques :

Depuis 1981, le nombre de personnes âgées de 65 et plus a presque doublé et cette tendance devrait se poursuivre.

En 2015 déjà, 20,3 pour cent des Néo-Zélandais étaient âgés de 60 ans et plus. Selon les estimations, d’ici à 2030, la part de la population âgée de 60 ans et plus devrait s’élever à 27 pour cent, puis à 29,4 pour cent d’ici à 2050, ce qui correspond à près d’un tiers de la population, soit 1,5 million de personnes environ.

Toujours d’après les estimations, d’ici à 2034, près d’un quart de la population totale, soit environ 1,2 million de personnes, sera âgé de 65 ans et plus, dont 370 000 personnes de plus de 80 ans. Et un peu plus d’un cinquième de la population, soit près de 180 000 personnes, sera âgé de 85 ans et plus.

Compte tenu également du faible taux de fécondité et du ralentissement de la croissance démographique, phénomènes qui s’inscrivent dans une évolution de la pyramide des âges constatée à l’échelle mondiale, ces chiffres démontrent la nécessité de prendre de toute urgence les mesures appropriées pour relever les défis associés à cette nouvelle donne fondamentale.

Permettez-moi également d’ajouter que l’évolution des mentalités passe par la prise de conscience, la reconnaissance et l’engagement à protéger la totalité des droits de toutes les personnes âgées et à donner la priorité à leur cause maintenant.

Mesdames et Messieurs,

Il convient de féliciter le Gouvernement d’avoir adopté une nouvelle stratégie nationale intitulée « Better Later Life – He Oranga Kaumātua 2019 to 2034 », inspirée des principes du document fondateur de la Nouvelle-Zélande, « Te Tiriti o Waitangi ». D’après les informations qui m’ont été communiquées, cette stratégie est fondée sur les résultats d’une consultation participative nationale et s’articule autour de politiques existantes consacrées aux personnes âgées, telles que la Stratégie pour un vieillissement en bonne santé de 2016, la Stratégie nationale en matière de handicap de 2016, la Stratégie nationale relative aux soignants de 2008 et son Plan stratégique pour la période 2019-2023. Cette politique s’inscrit dans la logique des droits de l’homme et peut être mise en œuvre selon la procédure de revendication usuelle dans ce contexte.

Toutefois, si aucun budget n’est adossé à cette stratégie, il faudra conclure à l’absence de volonté de la mettre en œuvre. J’exhorte le Gouvernement à doter cette stratégie d’un budget et à formuler des objectifs précis à atteindre dans les délais prévus par le document.

Il me semble que ma visite et le dialogue que j’ai pu nouer avec le Gouvernement tombent à point nommé, car j’ai ainsi l’occasion de souligner que la mise en œuvre effective de cette stratégie est fondamentale et qu’elle nécessite un budget et des ressources spécifiques pour la planification des activités. Je souhaite également évoquer le cadre international existant des droits de l’homme, et en particulier les principes des Nations Unies relatifs aux droits des personnes âgées, ainsi que les principaux instruments relatifs aux droits de l’homme, qui doivent guider les efforts du Gouvernement à cet égard. Comme je l’ai déjà dit, une approche fondée sur les droits de l’homme ne se limite pas à l’affectation de ressources.

Je me réjouis de l’existence de mécanismes institutionnels spécialisés tels que le poste de Ministre des personnes âgées et le Bureau des personnes âgées. Ceci est fondamental pour garantir l’intégration systématique d’une approche axée sur les personnes âgées dans toutes les activités. Il me faut toutefois recommander l’affectation d’un budget et de ressources suffisantes à la Ministre des personnes âgées et à son bureau. J’ai été surprise d’apprendre qu’elle ne disposait d’aucun budget et d’aucune ressource pour mettre en œuvre son action.

En outre, j’estime qu’il serait bon d’envisager la nomination d’un Commissaire national indépendant chargé de promouvoir l’exercice par les personnes âgées de tous les droits de l’homme, au sein de la Commission néo-zélandaise des droits de l’homme. Plutôt que de constituer une nouvelle institution à part entière, ce poste pourrait être créé au sein de la Commission néo-zélandaise des droits de l’homme et servir de manière indépendante les intérêts des personnes âgées.

Il convient également de mettre l’accent sur les besoins des exclus et des plus vulnérables : femmes âgées vivant dans les zones rurales, personnes âgées en situation de handicap, souffrant de démence et d’autres maladies. L’adoption d’une démarche différenciée ciblant les populations vulnérables permettrait également de reconnaître le caractère hétérogène de la population âgée. À cet égard, je pense également que la collecte de données ventilées pourrait être améliorée.

L’existence de données et de travaux d’analyse constitue également une condition préalable à la conception de politiques performantes. J’ai appris avec satisfaction que la collecte et l’exploitation des données ventilées obéissent à une démarche structurée en Nouvelle-Zélande, grâce aux « données interRAI ». Dans ce contexte, je pense qu’il serait souhaitable de tendre à une couverture statistique globale et d’inclure des indicateurs relatifs aux droits de l’homme permettant de mettre en évidence les carences spécifiques dans l’exercice de leurs droits par les personnes âgées.

Il faudrait non seulement que les données utilisées pour les évaluations soient ventilées par âge, mais aussi que les cohortes d’âges reflètent la nature hétérogène de la population âgée (en particulier les Maoris et les Océaniens) de façon à distinguer les personnes âgées des personnes très âgées, qui ont des capacités et des besoins différents. Les cohortes d’âges devraient également être suffisamment précises pour rendre compte de la relativité des notions d’âge en fonction du contexte et des parcours de vie. Je tiens aussi à insister sur le fait que l’âge est une construction sociale et que les simples valeurs historiques ou numériques ne disent pas tout, puisque l’on doit tenir compte de nombreux facteurs économiques, sociaux et culturels.

Je sais que le Parlement est actuellement saisi d’un projet de réforme majeur des services publics. Si cette réforme comporte des aspects positifs, elle n’impose malheureusement pas au service public de prendre en compte les engagements nationaux et internationaux de la Nouvelle-Zélande en matière de droits de l’homme. Je recommande la modification de ce projet de loi afin qu’il donne pour obligation au service public de tenir compte des engagements nationaux et internationaux de la Nouvelle-Zélande dans le domaine des droits de l’homme, y compris ceux des personnes âgées.

En outre, s’il est vrai qu’il existe un cadre relatif à la prise en charge de la démence, je recommande la mise en place d’une stratégie relative à la maladie d’Alzheimer, ainsi qu’à d’autres troubles mentaux tels que la dépression, la maladie de Parkinson, etc. Il est également important d’évaluer et d’analyser ces affections et de recueillir les données ventilées correspondantes. Ceci permettra d’améliorer la planification stratégique et la préparation du système de santé, en particulier pour relever les défis de la prise en charge à long terme de ces affections et d’autres maladies chroniques associées. Il convient en outre de mieux prendre en compte les besoins des Maoris et des autres communautés et ethnicités dans la prise en charge de la démence.

En dépit de la prise de conscience croissante de la nécessité de s’éloigner d’un modèle médical de prise en charge des personnes âgées souffrant de démence qui ne donne pas la priorité au bien-être et à l’indépendance de l’individu, il reste encore beaucoup à faire pour garantir une prise en charge intégrant davantage les interventions biopsychosociales et culturelles.

Enfin, s’agissant du système de sécurité sociale néo-zélandais, je dois vous dire que les régimes de retraite universels non contributifs me semblent toujours les mieux adaptés pour les populations les plus vulnérables. Je félicite donc le Gouvernement pour son système de pension universelle et je n’appelle pas à sa modification.

Je constate toutefois qu’un très grand nombre de personnes âgées, environ 60 pour cent, n’ont pas ou très peu de revenu complémentaire en dehors de leur retraite. Elles sont de ce fait très vulnérables en cas de changement de politique ou de modification de la situation économique. Le niveau de la pension universelle doit être suffisant pour sortir les personnes âgées de la pauvreté, en particulier celles qui ne sont pas en mesure de cotiser au régime volontaire d’épargne retraite KiwiSaver destiné aux actifs. J’encourage le Gouvernement à consolider les progrès accomplis à ce jour et à travailler de façon plus systémique sur les questions d’adéquation, d’égalité, de transférabilité et de pérennité.

Le système de pension universelle repose en outre sur l’hypothèse selon laquelle les personnes âgées sont propriétaires de leur logement et n’ont pas de prêt immobilier à rembourser. Compte tenu de l’évolution de la situation dans ce domaine, le nombre de personnes âgées vivant dans la précarité va augmenter et nombre d’entre elles seront locataires à l’avenir.

Les logements locatifs privés sont inabordables pour les personnes âgées ne percevant que la pension universelle. J’engage le Gouvernement à commencer à réinvestir dans des logements à coût abordable pour répondre aux besoins croissants des personnes âgées et leur garantir une offre de logements abordables et adaptés.

Il n’est pas acceptable que les Maoris et les Océaniens vivant en Nouvelle-Zélande affichent globalement une espérance de vie inférieure au reste de la population, ainsi que des taux de handicap supérieurs. J’engage le Gouvernement à redoubler d’efforts pour remédier aux préjugés structurels qui semblent exister dans le système de santé, et veiller à ce que les besoins des Maoris et des Océaniens soient dûment pris en compte dans les politiques sanitaires.

Avec l’accélération du vieillissement de la population, la proportion des personnes âgées nécessitant une prise en charge à long terme va continuer à augmenter. J’ai été informée que le coût global des soins de ce type devrait être multiplié par deux d’ici à 2050. Je constate en outre que ce secteur risque d’être confronté à une forte pénurie de personnel si le Gouvernement ne met pas en place des mesures de grande envergure. La nécessité d’agir est d’autant plus urgente que le nombre de Maoris âgés nécessitant des soins pourrait augmenter de plus de 200 pour cent d’ici à 2026.

Le Gouvernement reconnaît le caractère très préoccupant des taux de violence familiale et sexuelle. Les personnes âgées en Nouvelle-Zélande sont également exposées à la maltraitance financière. La violence, les abus et la maltraitance touchent de manière disproportionnée certains segments de la population, en particulier les Maoris et les femmes. Je félicite le Gouvernement d’avoir choisi de relever ces défis et d’avoir mis en place des mesures pour lutter contre la violence, les abus, la maltraitance et l’absence de soins dont sont victimes les personnes âgées, en adoptant par exemple le projet de loi relatif à la violence familiale.

La proportion des faits de maltraitance signalés est faible, ce qui est préoccupant, et j’engage le Gouvernement à redoubler d’efforts pour sensibiliser tous les segments de la population à cette question. Ceci peut se traduire par l’organisation de formations à destination des juges, des avocats et des procureurs, ce qui est fondamental pour que les faits de violence familiale fassent l’objet d’enquêtes en bonne et due forme, afin de bien faire comprendre à l’ensemble de la population que la maltraitance et la violence à l’égard des personnes âgées sont des crimes graves qui seront traités comme tels.

La persistance de la maltraitance des personnes âgées montre que l’action normative ne suffit pas et que des mesures et des mécanismes supplémentaires s’imposent pour détecter, signaler et prévenir toutes les formes de maltraitance dans le milieu institutionnel ou familial. Des protocoles et des processus sont généralement nécessaires pour aider les personnes individuelles, les familles, les soignants en milieu institutionnel et les associations locales à mieux appréhender la thématique de la maltraitance des personnes âgées, à reconnaître les personnes à risque et à intervenir le cas échéant. Il convient en outre de mieux sensibiliser et former les personnes qui prodiguent des soins à domicile ou en milieu institutionnel, afin qu’elles puissent prévenir et détecter les cas de violence, de maltraitance et de privation de soins dont sont victimes les personnes âgées.

J’ai également constaté l’omniprésence d’un discours discriminatoire qui tend à présenter les personnes âgées comme un fardeau, et qui contribue à renforcer les attitudes négatives à leur égard. Je recommande vivement d’éviter de poser le débat sur l’inégalité sociale dans des termes qui opposent les générations.

Je voudrais saluer la prise de conscience croissante des droits de l’homme des personnes âgées et les efforts considérables déployés dans ce domaine par les organismes des Nations Unies et les organisations internationales de coopération. J’encourage vivement le Gouvernement néo-zélandais à donner la priorité à l’inclusion des personnes âgées et à intégrer systématiquement cette dimension dans l’ensemble de ses programmes et stratégies. J’ai en outre engagé le Gouvernement à appuyer activement les efforts déployés par les Nations Unies pour élaborer, au niveau mondial, un instrument spécifique relatif aux droits des personnes âgées, dans la logique de la mise en œuvre des Objectifs de développement durable, instrument qui devrait aborder la réalisation des droits des personnes âgées dans une logique transversale et systémique, afin de faire en sorte qu’il n’y ait pas de laissés-pour-compte.

Comme je l’ai indiqué au début de mon intervention, ces observations préliminaires n’ont aucun caractère exhaustif. Je vais procéder à une analyse plus approfondie des informations que j’ai recueillies tout au long de ma visite et je rendrai mes conclusions dans un rapport qui sera soumis au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en septembre 2020.

FIN


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