Compte rendu oral sur la situation des droits de l’homme au Nicaragua
16 juin 2022
Prononcé par: Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Michelle Bachelet
Monsieur le Président,
Excellences,
J’ai le plaisir de vous fournir ce compte rendu oral, qui couvre la période allant du 7 mars à ce jour, conformément à la résolution 49/3.
Ces trois derniers mois, la situation des droits de l’homme au Nicaragua a continué de se dégrader. Le HCDH continue de faire état de détentions arbitraires dans des conditions épouvantables, de recenser des centaines d’organisations de la société civile privées de leur statut juridique et de constater qu’un nombre sans précédent de Nicaraguayens continue de quitter le pays pour fuir la crise.
Selon plusieurs sources émanant de la société civile, 173 personnes sont privées de liberté en lien avec la crise politique et des droits de l’homme qui a éclaté en 2018. Les personnes détenues dans le cadre des élections de 2021 vivent dans des conditions contraires à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, et beaucoup ont été poursuivies et condamnées sans garanties d’une procédure régulière.
Ces détenus (11 femmes et 39 hommes) ont été condamnés à des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 13 ans et se sont vu interdire d’exercer une fonction publique. Parmi eux, 44 ont été condamnés pour « diffusion de fausses nouvelles » ou « atteinte à l’intégrité nationale » et autres infractions. Les six personnes restantes ont été condamnées pour blanchiment d’argent et infractions connexes. Toutefois, ces condamnations seraient fondées sur des allégations qui n’auraient pas été étayées au cours de la procédure judiciaire.
La plupart de ces détenus restent privés de liberté dans un centre de détention de la police. Cette année, ils n’ont été autorisés à recevoir que quatre visites de membres adultes de leur famille, les enfants continuant de se voir refuser le droit d’avoir tout type de contact avec leurs parents en détention. Plusieurs familles ont signalé que leurs proches étaient détenus dans des conditions inhumaines, cette situation étant particulièrement inquiétante pour les détenus ayant besoin de soins médicaux urgents, permanents ou spécialisés, que les autorités refuseraient de fournir.
À l’heure actuelle, 11 personnes sont assignées à résidence. Conformément aux réglementations nationales existantes, ce dispositif devrait être accordé à tous les détenus âgés ou gravement malades.
Je saisis cette occasion pour exhorter à nouveau les autorités compétentes à assurer la libération rapide de toutes les personnes détenues arbitrairement, et à garantir leur intégrité physique et mentale. Par ailleurs, je demande instamment aux autorités de procéder à une vérification indépendante des conditions de détention. Je les appelle à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’intégrité physique et mentale des personnes privées de liberté, et veiller à ce que les conditions de détention soient conformes aux normes internationales.
Excellences,
Je reste extrêmement préoccupée par la forte réduction de l’espace civique dans le pays. À ce jour, l’Assemblée nationale, à la demande du Gouvernement, a annulé le statut juridique de 388 organisations depuis le début de l’année, portant le total à au moins 454 depuis novembre 2018. Cela a affecté non seulement des organisations de défense des droits de l’homme, mais aussi d’autres organisations nationales et internationales travaillant dans le domaine de l’éducation et du développement, ainsi que des associations médicales et professionnelles.
Le statut juridique d’au moins 12 universités a également été annulé de manière arbitraire et ces dernières sont désormais sous le contrôle de l’État. Une réforme de la loi sur l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur a été récemment adoptée, exigeant que les programmes d’enseignement de toutes les universités soient approuvés par un organisme central. Cela représente une nouvelle menace pour la liberté académique et l’autonomie des universités, qui font partie intégrante du droit à l’éducation et à la liberté de la recherche scientifique et des activités créatrices.
Les autorités ont affirmé que les organisations et institutions concernées n’ont pas respecté leurs obligations administratives et les réglementations relatives au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. Nous savons cependant que leurs représentants ont été empêchés de défendre leur position dans le cadre d’une procédure régulière devant une autorité indépendante.
Je suis également très préoccupée par les conséquences de la nouvelle loi générale sur la réglementation et le contrôle des organisations à but non lucratif, qui est entrée en vigueur le 6 mai. Cette loi complique l’enregistrement des organisations et accorde toute latitude au Gouvernement pour exiger des informations sur leurs fonds, leurs activités et leurs bénéficiaires. Toute activité entreprise par l’organisation doit faire l’objet d’une autorisation du Gouvernement et il est interdit aux organisations de mener des activités politiques. Cette loi impose également un quota maximum de 25 % de « membres étrangers » dans toute organisation.
Les limites et les interdictions de cette loi entravent gravement le libre exercice du droit à la liberté d’association, ainsi que d’autres droits fondamentaux d’une société démocratique.
Excellences,
Les crises sociopolitiques, économiques et des droits de l’homme auxquelles nous assistons au Nicaragua poussent des milliers de personnes à fuir. Le nombre de Nicaraguayens qui quittent le pays augmente dans des proportions sans précédent, plus encore que dans les années 1980.
Ces huit derniers mois, le nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile nicaraguayens au Costa Rica a doublé, atteignant un total de 150 000 nouveaux demandeurs depuis 2018. Cela représente 3 % de la population du Costa Rica. Le nombre de Nicaraguayens interceptés aux frontières des États-Unis connaît également une augmentation sans précédent, passant de 3 164 en septembre 2020 à 92 037 en avril 2022. En mars 2022, ce nombre a atteint 16 088, le nombre le plus élevé enregistré à ce jour pour un seul mois, et huit fois plus élevé que celui enregistré en mars 2021.
Le HCDH a relevé plusieurs cas de harcèlement et d’intimidation de la part des autorités nicaraguayennes, ce qui fait peser une grave menace sur le droit à la liberté de circulation. Certaines demandes de renouvellement de passeport dans un consulat à l’étranger ont été refusées, obligeant les personnes concernées à effectuer la procédure au Nicaragua, où leur sécurité peut être menacée. Des Nicaraguayens ayant l’intention de quitter le pays se sont également vu retirer leur passeport sans justification. En outre, l’entrée dans le pays d’un citoyen nicaraguayen aurait été refusée.
Par ailleurs, depuis le mois de mai, la police harcèle de nouveau des prêtres catholiques, les suivant avec insistance et les intimidant. Deux d’entre eux ont été encerclés dans leur église par des policiers et les paroissiens se sont vu interdire l’entrée. Le Gouvernement a également ordonné le retrait de la chaîne catholique de la liste des chaînes de télévision par câble.
Excellences,
En avril, deux commissions de l’Assemblée nationale ont achevé une analyse de la législation pénale utilisée pour persécuter les personnes que le Gouvernement perçoit comme des opposants et ont proposé de durcir les peines et d’introduire d’autres mesures répressives telles que la confiscation de leurs biens. Cela soulève de sérieuses inquiétudes quant à la volonté du Gouvernement de renforcer encore la répression des voix dissidentes.
Je demande instamment au Gouvernement du Nicaragua de respecter ses obligations en matière de droits de l’homme, et non de s’en éloigner. J’appelle les autorités à cesser immédiatement les politiques qui ne servent aujourd’hui qu’à isoler le pays et son peuple des communautés régionales et internationale.
Autoriser le personnel du HCDH dans le pays constituerait une avancée positive. Nous sommes prêts à soutenir les efforts visant à protéger les droits humains des Nicaraguayens.
J’appelle également le Conseil des droits de l’homme et les États Membres à intensifier rapidement les efforts menés pour libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement dans le contexte de la crise, et à autoriser le HCDH à leur rendre visite.
Merci.