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Le Haut-Commissaire aux droits de l’homme revient sur les activités de son Bureau et les récents développements en matière de droits de l’homme

Arrière

08 Mars 2017

Point n° 2: Rapport annuel et compte rendu oral à l’occasion de la 34ème session du Conseil des droits de l’homme

Le 8 mars 2017

Monsieur le Président du Conseil des droits de l’homme,
Excellences,
Chers collègues et amis,

«Nous, peuples des Nations Unies, résolus à proclamer à nouveau notre foi... dans l’égalité de droits des hommes et des femmes» – extrait du Préambule de la Charte des Nations Unies. Aujourd’hui, nous célébrons le courage et la force des mouvements de femmes qui, partout dans le monde, recherchent l’égalité. Les droits à l’éducation, au travail, le droit de vote – mais surtout, le droit de prendre ses propres décisions. Leur œuvre est capitale et le mouvement est extraordinaire, comme l’ont démontré les défilés du 21 janvier. Je salue leurs efforts, étant donné l’ampleur des défis auxquels les femmes sont confrontées partout dans le monde, que j’ai d’ailleurs évoqués dans un discours prononcé à l’occasion de la Journée internationale de la femme. Je suis persuadé que toutes les délégations y apporteront toute l’attention voulue.

           
M. le Président,

Je souhaiterais commencer mon discours en mettant l’accent sur un certain nombre de pays où, malgré des situations diverses en matière de droits de l’homme, je ne peux que me féliciter de certaines tendances.

En Gambie, je salue les actions de principe des membres de la CEDEAO qui ont appuyé la solution d’une conclusion pacifique à l’élection présidentielle de décembre dernier, à l’heure où tant de dirigeants dans le monde semblent déterminés à rester au pouvoir à tout prix. Après des années de répression de la société civile, des partis d’opposition et des médias, Adama Barrow, le nouveau Président, s’est publiquement engagé à défendre les droits de l’homme dans le cadre d’un large éventail de réformes, notamment sa décision de maintenir la Gambie comme partie à la Cour pénale internationale et son engagement à instaurer une Commission de vérité et de réconciliation.

En Ouzbékistan, après des années de violation continue des droits de l’homme, une série de lois a été élaborée et adoptée, sous la nouvelle présidence de Mirziyoyev, conformément aux recommandations des mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies. Plus récemment, en octobre, un décret sur la réforme judiciaire et juridique a exposé les conditions nécessaires pour un procès équitable, une procédure régulière et l’indépendance judiciaire. L’application de ses lois sera indispensable pour garantir des évolutions positives au profit de l’ensemble des citoyens de ce pays. Parmi les prisonniers qui ont été libérés figure Muhammad Bekjanov, l’un des journalistes comptant parmi les plus anciens détenus, relâché il y a deux semaines après 18 ans de prison dont de nombreuses années en isolement.

Je salue les efforts renouvelés de la Tunisie visant à placer les droits de l’homme au cœur de sa transition et sa coopération exemplaire avec le Bureau des droits de l’homme du pays. Il convient en particulier de noter la volonté du gouvernement de proposer et de préconiser des lois progressistes en matière de discrimination raciale et de violence à l’égard des femmes, ce qui, pour de nombreuses victimes, constituera un progrès marquant en termes d’accès à la justice. Dans un contexte sécuritaire très difficile, la volonté de la Tunisie d’intégrer les droits de l’homme dans les opérations anti-terroristes donne la preuve que la coopération concrète entre les États membres et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme – notamment en matière de lutte contre les menaces pesant sur la sécurité – est non seulement possible mais profitable pour tous.

Il y a deux semaines en Grèce, le Président Pavlopoulos a visité un centre de réfugiés et déclaré aux enfants venus d’Irak, de Syrie et d’Afghanistan, «Vous êtes les bienvenus. Vous faites partie de nous et vous resterez ici aussi longtemps que nécessaire, tant que le cauchemar de la guerre n’aura pas pris fin.» Sur un continent très riche qui semble déterminé à renvoyer de très nombreux migrants, y compris dans des conditions qui peuvent s’avérer dangereuses, cette déclaration – qui exprime ce que doit être la compassion universelle la plus élémentaire – est d’autant plus remarquable qu’elle est prononcée dans un pays qui vit une situation économique difficile.

M. le Président,

Au cours de l’année écoulée, nous avons assisté à de terribles massacres commis par des groupes d’extrémistes et de terroristes et je saisis cette occasion pour condamner énergiquement, une fois de plus, toute cette violence, dans tous les cas.

Aujourd’hui, dans mon discours, je n’examinerai pas en détail la situation des droits de l’homme en Afghanistan, en Colombie, à Chypre, au Guatemala, en Guinée, au Honduras, en Libye, au Sri Lanka, en Ukraine ou au Yémen, car le Conseil entendra des exposés particuliers de la part du Haut-Commissariat aux droits de l’homme lors de cette session et dans le cadre du Groupe de haut niveau consacré à la Syrie, la semaine prochaine.

Comme vous le savez, le Haut-Commissariat a connu des difficultés pour accéder à un certain nombre de régions. En septembre, j’ai abordé cette question avec le Conseil, en soulignant entre autres, les cas de l’Éthiopie, de la Syrie, la région sud-est de la Turquie, le Venezuela et de part et d’autre de la Ligne de contrôle, dans le Jammu-et-Cachemire sous administration indienne et dans le Cachemire sous administration pakistanaise. Dans de nombreuses régions où nous avons été informés de graves violations, là où l’accès nous est toujours refusé, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a initié une surveillance à distance et lancé des missions d’enquête auprès des pays frontaliers – ces rapports seront rendus publics et je vous en informerai en juin.

M. le Président,

Le mois dernier, j’ai publié un rapport très inquiétant sur l’ampleur et la gravité alarmantes des opérations menées par les forces de sécurité du Myanmar contre les hommes, les femmes et les enfants de l’ethnie Rohingya dans l’État d’Arakan. Ces opérations ont commencé en octobre après l’annonce d’une attaque menée par des assaillants armés contre trois postes de gardes-frontières. Le Myanmar ayant refusé l’accès au Haut-Commissariat aux droits de l’homme, notre rapport fait suite à une mission conduite par le Haut-Commissariat au Bangladesh – où 73 000 réfugiés Rohingyas ont fui. Ce rapport a établi des preuves matérielles et confirmé les récits de témoins oculaires rendant compte de massacres à grande échelle, notamment de bébés, d’enfants et de personnes âgées incapables de fuir; de villages entiers incendiés; de fusillades; d’arrestations massives; de viols et de violence sexuelle systématiques; et de destruction volontaire de denrées et de sources alimentaires. Il s’avère que ce qui a été baptisé «opération anti-insurrectionnelle» par les forces de sécurité est, en réalité, destiné à expulser complètement la population Rohingya du Myanmar, comme l’a précisé le Rapporteur spécial.

La gravité des violations signalées, dans un contexte d’impitoyables persécutions déjà ancien, me semble pouvoir constituer un crime contre l’humanité qui mérite l’attention de la Cour pénale internationale. Par conséquent, j’encourage vivement le Conseil, à mettre sur pied, au minimum, une commission d’enquête sur les violences commises à l’encontre des Rohingyas, en particulier pendant les opérations de sécurité engagées depuis le 9 octobre 2016. Je renouvelle notre demande en cours d’ouvrir un bureau du HCDH dans le pays.

Aux Philippines, plus de 7 000 personnes auraient été tuées depuis que le Président a lancé, en juillet dernier, la campagne anti-drogue. Je suis profondément préoccupé à ce sujet. Les déclarations du Président ont, semble-t-il, encouragé les exécutions sommaires de personnes soupçonnées d’avoir pris part au narcotrafic – notamment, selon son propre aveu, sa participation personnelle au meurtre de criminels présumés alors qu’il était Maire de Davao. Cette tendance dangereuse peut conduire à une aggravation de la violence et je demande qu’il soit procédé à une enquête rapide, indépendante et crédible sur tous ces meurtres.

La récente arrestation de la sénatrice Leila de Lima, militante de longue date des droits de l’homme, qui a mené des enquêtes sur les exécutions sommaires, fait craindre que ceux qui demandent justice seront poursuivis – voire persécutés. Le projet d’une loi visant à abaisser l’âge minimum de la responsabilité pénale à neuf ans est aussi la preuve du mépris flagrant pour les obligations de l’État en vertu du droit international.

Au Cambodge, la période pré-électorale a donné lieu à un grand nombre d’accusations et de menaces à l’encontre de membres des partis d’opposition et de celles et ceux qui exercent leur liberté d’expression. Les amendements à la Loi sur les partis politiques, récemment votés par le Parlement sans consultation publique, autorisent la suspension indéfinie de facto des partis sans procédure régulière et sont loin de répondre aux normes relatives aux droits de l’homme en matière de liberté d’association. La détention provisoire arbitraire de défenseurs des droits de l’homme appartenant à l’Association pour les droits de l’homme et le développement au Cambodge, ADHOC, dépasse maintenant les 10 mois, sans procès en vue. La récente répression menée contre les consommateurs et les trafiquants de drogue et les rafles continuelles de personnes qui vivent ou travaillent dans la rue, se sont traduites par des milliers d’arrestations et d’incarcérations dans des conditions déplorables, pour beaucoup sans procès en bonne et due forme. Je veux souligner que la crédibilité d’une élection doit reposer sur la garantie que les tribunaux sont indépendants et impartiaux et que les libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association seront protégées.

Le gouvernement de la Chine a fait part de son intention de jouer un rôle de chef de file au sein du Conseil. Jusqu’à présent, la Chine a obtenu d’excellents résultats en sortant des centaines de millions de personnes de la misère au cours des 30 dernières années et en investissant dans un système universel de soins de santé, dans une éducation de qualité et la protection des personnes âgées. L’engagement pris par la Chine en faveur de l’État de droit est également de bon augure, surtout quand il est conforme aux normes internationales relatives aux droits de l’homme. Il doit inclure le respect du rôle joué par les défenseurs des droits de l’homme. Je déplore les intimidations et la détention des avocats et des militants qui œuvrent pour le bien de leur communauté et de leur nation. Je suis également très préoccupé par les cas de restriction des droits culturels et religieux, notamment dans le Xinjiang et au Tibet, et je continuerai de tendre la main à la Chine afin de créer les conditions d’un dialogue constructif sur d’importantes questions liées aux droits de l’homme.

Je suis toujours profondément inquiet des rapports qui nous parviennent concernant les violations extrêmement graves que subissent les habitants de la République populaire démocratique de Corée. Cette situation doit changer dans les plus brefs délais. Il me tarde d’étudier le rapport du Groupe d’experts indépendants. Je me félicite également de l’adhésion de la RPDC à la Convention relative aux droits des personnes handicapées et j’espère qu’elle augure d’un engagement plus soutenu avec les mécanismes.

S’agissant de l' Iran, je déplore les restrictions qu’impose le gouvernement en matière de liberté de religion et de conviction, tout comme la pratique désastreuse du mariage des enfants qui reste légale et très répandue dans tout le pays. Je note, à la suite de discussions avec le gouvernement, la suspension récente de l’exécution imminente de deux mineurs, mais au moins 80 condamnés sont encore dans l’antichambre de la mort. La majorité des condamnations à mort concerne des délits liés à la drogue qui sont en-deçà du seuil des «crimes les plus graves». Au cours des deux derniers mois, 116 exécutions se seraient déroulées et, en 2016, plus de 530 condamnés auraient été exécutés.

À l’heure actuelle, plus de 80 pour cent des États membres ont mis fin aux exécutions, formellement ou par le biais de moratoires informels. L’Iran compte parmi les quatre pays responsables de près de 90 pour cent des exécutions perpétrées dans le monde; les autres sont la Chine – où le nombre des exécutions s’élèverait à plusieurs milliers chaque année; l' Arabie Saoudite; et le Pakistan – qui, en décembre 2014, a annulé le moratoire précédemment établi et a réinstauré la peine capitale. Le Bahreïn, la Gambie, l' Indonésie, la Jordanie et le Koweït ont également récemment fait marche arrière et renoncé à leurs promesses formelles et informelles de moratoire sur la peine de mort. Je regrette profondément ces tendances rétrogrades ainsi que l’intention déclarée des Maldives, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, de la Turquie et – comme nous l’avons vu hier – des Philippines de rétablir la peine de mort. D’autre part, le Togo, la République dominicaine et Sao Tomé-et-Principe ont tous ratifié et adhéré au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

M. le Président,

En Turquie, les attentats à la bombe et autres attaques terroristes révoltantes contre des civils continuent de faire des victimes, et je les condamne, mais je reconnais tout à fait que les autorités évoluent dans un environnement difficile, à bien des égards. Cependant, je m’inquiète du fait que les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence s’en prennent aux critiques émises et non au terrorisme. Le fait que des dizaines de milliers de personnes aient été licenciées, arrêtées, emprisonnées ou poursuivies à la suite de la tentative de coup d’État – notamment de nombreux représentants démocratiquement élus, des magistrats, des journalistes – suscite de vives inquiétudes quant au respect de la régularité des procédures. Il sera particulièrement crucial pour la crédibilité du référendum d’avril relatif à l’amendement de la Constitution de garantir un espace pour un débat ouvert, exempt de toute intimidation.

La situation des droits de l’homme dans le sud-est de la Turquie reste extrêmement préoccupante. Sans accès à la région, la procédure de surveillance à distance mise en place par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a permis d’établir, selon des indications crédibles, un bilan s’élevant à des centaines de morts, suggérant des mesures de sécurité disproportionnées en réponse aux violentes attaques. Un rapport détaillant cette situation assorti d’autres indices de graves violations sera diffusé prochainement.

Tout en reconnaissant les efforts héroïques déployés par de nombreux acteurs pour sauver des vies en mer Méditerranée, je suis très inquiet des appels grandissants au sein de l’Union européenne en faveur de centres ou de camps de traitement extraterritoriaux installés en Afrique du Nord et ailleurs et de l’engagement d’acteurs extérieurs pour les questions migratoires, sans égard ou presque pour les droits de l’homme. Par exemple, les migrants appréhendés en mer par les garde-côtes libyens ou par des organismes similaires risquent d’être exposés à de nouvelles violences. Je rappelle combien il importe de respecter le principe selon lequel les personnes ne peuvent être renvoyées vers des pays où elles risquent d’être torturées, persécutées ou menacées de mort. En Europe, de nombreux citoyens ordinaires ont accueilli et aidé des migrants, mais les dirigeants politiques font toujours plus preuve d’une indifférence glaçante pour leur sort. Je suis particulièrement perturbé par les récits publics sordides qui semblent clairement destinés à jouer sur les peurs, à susciter la panique, en dépeignant ces gens vulnérables comme des hordes d’envahisseurs criminels.

La semaine dernière, le Premier ministre de la Hongrieaurait déclaré que «l’homogénéité ethnique» est la clef du succès économique. Aucune société n’est homogène, encore moins en Europe centrale, et cette notion toxique d’une prétendue pureté ethnique renvoie à une période où de nombreuses personnes ont vécu d’atroces souffrances, y compris des Hongrois. Hier, le parlement hongrois a adopté un projet de loi exigeant que tous les migrants soient transférés vers une zone à l’extérieur des frontières nationales. Tous les demandeurs d’asile seraient détenus dans cette même zone pendant toute la durée de la procédure nationale d’asile, ce qui est loin de répondre aux normes internationales. Comme c’est également le cas en Pologne, le gouvernement hongrois n’a cessé d’affaiblir la société civile et les magistrats et d’accroître son influence sur les médias. Dans ces deux pays, les amendements législatifs ont limité l’indépendance des cours constitutionnelles.

Dans d’autres États membres de l’UE, y compris au Royaume-Uni et en France, les institutions judiciaires qui ont traditionnellement bénéficié d’un profond respect ont été l’objet de sévères critiques, voire dans certains cas d’insultes. Une telle orientation future qui pourrait compromettre leur fonctionnement indépendant ne laisse pas d’inquiéter.

En ce qui concerne la Fédération de Russie, je crains que la loi fédérale relative à la lutte contre les activités extrémistes n’ait servi, de manière arbitraire, à restreindre la liberté d’expression, en particulier de la dissidence politique, ainsi que la liberté de culte, en raison de la définition vague et sujette à interprétation des activités extrémistes. Des peines plus sévères pour les délits et les crimes liés à l’extrémisme ont également été adoptées. Ce qui peut avoir pour effet de paralyser le fonctionnement de la société civile, de manière générale. Je continue d’appeler à l’abrogation de la loi sur les «agents étrangers» qui est préjudiciable pour les activités de la société civile et, j’en suis convaincu, pour la société dans son ensemble. Je condamne également la loi adoptée le mois dernier décriminalisant les violences domestiques entraînant un «préjudice léger». La violence domestique n’est pas différente des autres formes de violence en ce qu’elle nécessite des réponses appropriées de la part du système de justice pénal.

M. le Président,

Je déplore les violences et les destructions commises dans le Soudan du Sud où la famine se propage. Comme me le rappelait la semaine dernière le premier vice-président, le pays est né d’une aspiration aux droits de l’homme – mais avec des tribus toujours plus nombreuses victimes d’atrocités et prenant part au conflit dans une partie de plus en plus vaste du pays, cette idée a été trahie. Les forces en présence – y compris l’armée nationale – se sont livrées, à plusieurs reprises, à des crimes de guerre présumés, notamment des meurtres, des viols et des violences sexuelles, des rançonnements, des disparitions, des pillages et l’incendie de maisons. Il est indispensable d’établir convenablement les responsabilités de ces crimes. Je suis attentif à la répression brutale de la liberté d’expression, aux arrestations arbitraires, aux détentions sans procès, auxquels la MINUSS ne peut avoir accès. Des menaces ont été proférées contre les représentants de la société civile qui se sont entretenus avec la mission du Conseil de sécurité dans nos locaux à Djouba, en septembre dernier.

Le Haut-Commissariat a récemment signalé de nombreuses violations des droits de l’homme dans les provinces du Kasaï et du Lomami en République démocratique du Congo. Je salue les mesures décidées sans délai par le gouvernement en vue d’initier des enquêtes et d’établir les responsabilités concernant certains des meurtres présumés attribués à des soldats et, à cet égard, je propose le concours du Haut-Commissariat. À la lumière des rapports récurrents mentionnant de graves violations et la découverte récente de trois nouveaux charniers, je demande instamment au Conseil d’instaurer une Commission d’enquête pour examiner ces allégations. Le Haut-Commissariat sera très attentif aux développements judiciaires relatifs aux agissements des forces de sécurité qui ont conduit à la mort de plus de 100 personnes en septembre et en décembre. Aucun progrès notable n’a été enregistré dans le cadre de l’accord politique du 31 décembre qui faisait suite aux efforts louables de médiation de la Conférence nationale épiscopale.

Au Burundi, je crains que l’espace démocratique n’ait été maintenant réduit à néant. De graves violations des droits de l’homme et des crimes commis par les forces de sécurité et la milice Imbonerakure sont signalés régulièrement, notamment des allégations de plus en plus nombreuses de disparitions forcées, d’actes de torture et d’attestations arbitraires massives. La décision récente de libérer près de 2 500 détenus est un signe encourageant, mais des centaines de personnes restent emprisonnées en raison de leur opposition réelle ou supposée au gouvernement. Suite à la publication du rapport de l’Enquête indépendante des Nations Unies sur le Burundi en septembre 2016, le gouvernement du Burundi a suspendu sa coopération avec le Bureau du Haut-Commissariat au Burundi, dans l’attente de l’examen de notre protocole d’accord.

Je suis profondément troublé par la grave détérioration de la situation des droits de l’homme dans les régions du nord et du centre du Mali, en particulier à Mopti et Ségou. L’oppression brutale exercée par des groupes extrémistes se poursuit, y compris au moyen d’assassinats ciblés et d’exécutions sommaires, de violences sexuelles, d’attaques visant les écoles, forçant des milliers de personnes à fuir la région. Il est essentiel que les opérations de lutte contre le terrorisme menées par toutes les forces nationales et internationales se déroulent conformément au droit international des droits de l’homme et au droit international humanitaire. Chaque fois que de telles opérations violent les droits de l’homme, elles fragilisent le soutien de la population – ce qui contribue à renforcer les groupes extrémistes. L’augmentation du nombre des attaques contre des convois humanitaires et des représentants d’organisations nationales et internationales est tout aussi préoccupante, car elles risquent de priver ces régions des services essentiels. Il est impérieux d’établir les responsabilités concernant ces violations des droits de l’homme, ainsi que d’autres, commises dans la région.

M. le Président,

Dans le Territoire palestinien occupé, après un demi-siècle d’occupation israélienne accompagné de l’avilissement d’un autre peuple, la détresse s’est généralisée. La discrimination systématique prive les Palestiniens de leurs droits fondamentaux. À plusieurs reprises, j’ai appelé à mettre fin à la détention prolongée sans procès d’un grande nombre de détenus. Malgré la résolution 2334 du Conseil de sécurité, le gouvernement israélien a, depuis le début de l’année, autorisé l’installation de plus de 5 500 nouvelles unités de peuplement en Territoire palestinien occupé. Le mois dernier, la Knesset a adopté une loi «légalisant», en vertu du droit israélien, des avant-postes construits sur des terres appartenant à des Palestiniens. Ce qui s’apparente à la confiscation de biens privés et enfreint le droit international. Le blocus de la bande de Gaza par Israël, synonyme de punition collective, continue de priver la population de l’accès aux produits et services essentiels. Et, de même que je réitère mes avertissements concernant les tirs sporadiques de roquettes non guidées par des groupes armés palestiniens sur des zones civiles en Israël à partir de territoires habités – ce qui constitue une violation du droit humanitaire international – je crains tout autant que les ripostes israéliennes ne respectent pas les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution. Ces politiques ne sont pas à même de jeter les bases de la paix et de la sécurité que tous les Israéliens et tous les Palestiniens sont en droit d’attendre.

Dans l’État de Palestine, le Haut-Commissariat s’inquiète également que l’Autorité palestinienne et les autorités locales à Gaza aient intensifié le recours aux détentions administratives et arbitraires, avec des allégations de plus en plus nombreuses de torture et de mauvais traitement, à la fois en Cisjordanie comme à Gaza, contre des opposants politiques, des journalistes et des militants. A Gaza, les tribunaux continuent de prononcer des peines de mort et les exécutions se déroulent en violation de la politique palestinienne. Un exposé plus complet vous sera proposé ultérieurement au cours de cette session.

Le conflit en Iraq continue de faire de nombreux morts et victimes parmi les civils. Le Haut-Commissariat et la MANUI reçoivent des rapports quotidiens faisant état des atrocités commises par l’État islamique (EI) à l’encontre de civils, notamment contre des personnes qui tentent de fuir les zones sous contrôle de l’EI. Dans les régions reprises par les forces gouvernementales au détriment de l’EI, au moins 20 charniers ont été découverts depuis octobre 2016 et, à la lumière des crimes graves commis en Irak, notamment des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, je demande instamment que tous ces éléments de preuve de possibles violations soient réunis et consignés. Concernant les opérations menées à Mossoul, le gouvernement irakien s’efforce d’adhérer aux principes du droit humanitaire international. J’invite le gouvernement à poursuivre sa surveillance du comportement des forces de sécurité irakiennes. Il est tout aussi essentiel que le gouvernement amende le code pénal afin de s’assurer que les tribunaux nationaux aient compétence pour les crimes internationaux. J’encourage, en outre, l’ouverture d’un dialogue approfondi au sein des communautés comme entre elles en vue de rétablir la confiance mutuelle et de contribuer à la réconciliation nationale. Le Haut-Commissariat est désireux d’aider le gouvernement à créer des institutions judiciaires nationales qui peuvent répondre aux délicats problèmes auxquels il est confronté, en particulier la nécessité de rétablir le maintien de l’ordre et l’État de droit dans les régions reprises à l’EI.

En Égypte, la société civile, les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes et les professionnels des médias sont systématiquement réduits au silence au moyen d’arrestations, de poursuites, de l’interdiction de voyager, d’ordonnances de fermeture et de sanction financières très sévères. Je regrette, en particulier, la récente fermeture forcée d’un centre réputé pour l’assistance qu’il apportait aux victimes et aux personnes ayant survécu à la torture et à la violence. L’escalade de la violence des groupes armés affiliés à l’EI à l’encontre de cibles civiles et militaires dans le Sinaï, les affrontements avec les forces de sécurité, se sont soldés par des centaines de victimes civiles et ont donné lieu à d’inquiétants déplacements hors de la région. Le Haut-Commissariat a reçu des rapports faisant état de cas présumés de disparition forcée, de torture et de mauvais traitement des détenus. J’exhorte les autorités à admettre que, comme dans tous les pays confrontés à des problèmes de sécurité et d’extrémisme violent, priver les populations de leurs droits ne rendra pas l’État plus sûr, mais, au contraire, plus instable.

Au Bahreïn, le gouvernement a renforcé les restrictions imposées à la société civile et aux groupes politiques depuis juin 2016, en particulier au moyen d’intimidations, d’arrestations et d’interrogatoires, de l’interdiction de voyager et d’ordonnances de fermeture. Je le répète: cette répression ne parviendra pas à étouffer les revendications de la population; au contraire, elle ne fait que les exacerber. Je suis particulièrement soucieux de l’augmentation du nombre de violations des droits de l’homme dans le royaume. Je demande au gouvernement de Bahreïn de prendre des mesures concrètes visant à restaurer la confiance, en permettant, notamment, au Haut-Commissariat et aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales d’effectuer rapidement des visites.

M. le Président,

Je suis très sensible à l’extrême polarisation du climat au Venezuela, où les restrictions aux libertés de circulation, d’association, d’expression et de manifestation pacifique se poursuivent. L’absence d’indépendance de l’État de droit et des institutions nationales des droits de l’homme me perturbe tout autant. Le Haut-Commissariat reçoit régulièrement des rapports faisant état de cas de détention arbitraire et d’intimidation des dirigeants de l’opposition, je renouvelle donc mes appels en faveur de la libération de tous les détenus politiques, dont nous avons des raisons de croire que bon nombre étaient emprisonnés arbitrairement. Alors que la crise économique et sociale au Venezuela s’aggrave, nous avons été informés de la nette augmentation du nombre de Vénézuéliens qui fuient vers les pays voisins et j’invite les autorités à leur apporter l’assistance qui convient. La pénurie de médicaments et de vivres dans tout le pays, l’envolée des prix, nuisent aux droits économiques et sociaux. Je salue les initiatives de médiation du Vatican et encourage à respecter plus encore les droits de l’homme comme base commune afin de renouer le dialogue politique.

Aux États-Unis d’Amérique, la gestion d’un certain nombre de questions relatives aux droits de l’homme par la nouvelle administration est préoccupante. La récente flambée des discriminations, de l’antisémitisme et de la violence à l’encontre des minorités ethniques et religieuses exige une volonté politique plus cohérente et plus déterminée. Le dénigrement de groupes de population entiers tels que les Mexicains et les Musulmans, les affirmations erronées selon lesquelles les migrants commettent davantage de crimes que les citoyens américains, sont dangereux et alimentent l’hystérie xénophobe. Je suis consterné par les tentatives d’intimidation et de décrédibilisation du Président vis-à-vis des journalistes et des magistrats. Je suis également attentif aux nouvelles politiques d’immigration qui interdisent l’accès aux populations de six pays majoritairement musulmans pour une durée de 90 jours, ainsi qu’aux mesures qui augmentent considérablement le nombre de migrants susceptibles d’être expulsés immédiatement – sans considération pour les années passées aux États-Unis ni pour les racines familiales. Ces mesures risquent d’intensifier le recours à la détention, notamment des enfants. Ces démarches accélérées de reconduite aux frontières peuvent être assimilées à des expulsions collectives et au refoulement, violant ainsi le droit international, si elles se déroulent au mépris des garanties d’une procédure régulière, comprenant entre autres une évaluation individuelle. Je suis particulièrement troublé par les répercussions éventuelles de ces évolutions sur les enfants qui risquent d’être emprisonnés ou de voir leur famille déchirée.

Dans de nombreuses régions d’Amérique centrale et latine, les populations impliquées dans la défense des droits fonciers et de l’environnement face aux industries extractives et aux projets de développement sont exposées à de graves risques, y compris des agressions violentes voire des assassinats. Parmi eux, de nombreux dirigeants de communautés autochtones dont les droits civiques, politiques, économiques, sociaux et culturels continuent d’être le plus souvent bafoués dans l’ensemble de la région, malgré l’adoption, l’an passé, de la Déclaration américaine des droits des peuples autochtones. Aucun projet de développement ne devrait être financé sans une large consultation et une délibération publiques avec les communautés directement concernées, dans un climat exempt de toute tentative d’intimidation.

La violence criminelle endémique dans la région, aggravée par les carences du système judiciaire et par les défaillances des opérations de sécurité, se traduit par des conséquences graves et meurtrières dans l’administration pénitentiaire. Au Brésil, la violence des gangs s’est soldée par la mort de plus de 100 détenus en deux semaines, en janvier dernier. À Haïti, ce sont plus de 40 détenus qui sont morts au cours des deux derniers mois, par suite de soins de santé insuffisants et d’une nutrition médiocre. La lutte contre la surpopulation aiguë et les structures de gouvernance parallèles au sein des prisons compte parmi les recommandations essentielles en matière de droits de l’homme auxquelles il est urgent de répondre.

M. le Président,

2017 peut être une année charnière à de nombreux égards. Les odieux attentats perpétrés par des groupes terroristes pousseront-ils les gouvernements à intensifier leurs mesures hyper-sécuritaires, augmentant ainsi la probabilité d’abus, au détriment des droits de l’homme? Et les populistes continueront-ils à récolter les fruits des craintes exacerbées et du désenchantement? Feront-ils basculer le système international, avec l’aide d’autres dirigeants autoritaires? Ou y aura-t-il suffisamment de personnes pour prendre clairement et sérieusement conscience des enjeux – comprenant que c’est l’ensemble du système fondé sur les droits qui est menacé – et contrer les forces centrifuges qui risquent de disloquer les institutions internationales et régionales? Sauront-elles renforcer les forces centripètes dont l’Agenda 2030 a tant besoin, pour éliminer l’extrême pauvreté et bénéficier à l’ensemble des sociétés?

Les travaux du Conseil, sur cette scène, ou à l’ONU, n’ont de sens que s’ils éclairent précisément l’avenir et en améliorent les conditions. Et là, 2017 nous donnera un début de réponse à la question si simple et pourtant si riche de potentialités et de conséquences: continuerons-nous de collaborer pour améliorer notre sort à tous? Ou bien, commençons-nous à nous écarter de l’approche multilatérale, pour diverses raisons plus étroites? M. Le Président, si nous ne faisons pas front ensemble, nous tomberons ensemble.

Un grand merci à vous.

Compte rendu du HC Zeid sur la situation des droits de l’homme dans le monde
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