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Ukraine : exposé de la situation durant la session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme

Arrière

12 Mai 2022
Prononcé par: Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

Ukraine

Monsieur le Président,
Excellences,
Chers collègues et amis,
Bonjour de Vienne.

Je vous remercie de l’occasion qui m’est donnée de m’adresser au Conseil des droits de l’homme pour faire le point sur la situation des droits de l’homme en Ukraine. Cet exposé fait suite au dernier compte rendu que j’ai fourni au Conseil le 30 mars et à l’exposé que j’ai présenté au Conseil de sécurité des Nations Unies le 5 mai.

Le HCDH continue de vérifier les allégations de violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, dont plusieurs peuvent constituer des crimes de guerre. Depuis le quatrième jour de l’attaque de l’armée russe en Ukraine, le HCDH publie des informations mises à jour quotidiennement concernant les victimes civiles. Nous avons sans cesse souligné que les chiffres réels étaient probablement beaucoup plus élevés, car nos chiffres ne concernent que les cas que nous avons pu vérifier. Dans les zones où les combats sont intenses, notamment à Marioupol, mon personnel a eu des difficultés à se rendre dans ces zones et à obtenir et corroborer les informations reçues.

Les principales causes des victimes civiles recensées par le HCDH en Ukraine n’ont pas beaucoup changé depuis ma dernière intervention devant le Conseil. La grande majorité de ces victimes continuent d’être causées par l’utilisation d’armes explosives à large rayon d’action dans des zones peuplées, comme des tirs d’artillerie lourde, y compris des lance-roquettes multiples, des missiles et des frappes aériennes. Selon nos informations, si ces incidents peuvent être attribués aux deux parties au conflit, la plupart de ces victimes semblent imputables aux forces armées russes et à des groupes armés qui leur sont affiliés.

Excellences,

La semaine dernière, la mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine s’est rendu dans 14 villes et villages des régions de Kiev et de Tchernihiv qui, jusqu’à la fin du mois de mars, étaient contrôlés par les forces armées russes. Mon équipe a entendu des témoignages de première main faisant état de membres de la famille, de voisins et d’amis tués, blessés, détenus et disparus. Il s’agissait de la deuxième visite du HCDH dans ces régions et je suis triste en pensant au nombre de visites qui seront nécessaires pour recenser ne serait-ce qu’une fraction des violations flagrantes des droits de l’homme qui s’y sont produites.

À ce jour, plus de 1 000 corps de civils ont été retrouvés dans la seule région de Kiev. Certaines de ces personnes ont été tuées durant les hostilités, d’autres semblent avoir été sommairement exécutées. D’autres encore sont mortes à cause du stress exercé sur leur santé par les hostilités et le manque d’aide médicale. Ils ont passé des semaines dans des sous-sols, menacés par des soldats russes d’être brutalisés ou tués s’ils tentaient de partir, ce qui les rendait particulièrement vulnérables durant les hostilités. Dans le village de Yahidne, dans la région de Tchernihiv, 360 habitants, dont 74 enfants et 5 personnes handicapées, ont été contraints par des soldats russes de rester 28 jours dans le sous-sol d’une école dont ils se servaient comme base. Le sous-sol était extrêmement surpeuplé. Les gens devaient rester assis pendant des jours sans pouvoir s’allonger. Il n’y avait pas de toilettes, d’eau ou d’aération. Dix personnes âgées sont mortes.

L’ampleur des homicides illicites, y compris les indices d’exécutions sommaires dans les zones situées au nord de Kiev, est choquante. Le HCDH dispose d’informations sur 300 meurtres de ce type, mais les chiffres continueront d’augmenter à mesure que de nouvelles preuves seront disponibles. Ces meurtres de civils semblaient souvent intentionnels, perpétrés par des tireurs d’élite et des soldats. Des civils ont été tués en traversant la route ou en quittant leurs abris pour aller chercher de la nourriture et de l’eau. D’autres ont été tués alors qu’ils s’enfuyaient dans leurs véhicules. Des hommes locaux non armés ont été tués, car les soldats russes les soupçonnaient de soutenir les forces ukrainiennes ou de constituer une menace, et certains ont été torturés avant d’être tués. Dans le village de Katiuzhanka, dans la région de Kiev, un jeune couple, leur fille de 14 ans et un grand-père ont été abattus par des soldats russes alors qu’ils tentaient de se rendre chez eux en voiture. Les parents ont été tués, tandis que l’enfant a reçu deux blessures par balle.

À ce jour, nous avons recensé la destruction ou la détérioration de centaines de centres scolaires et médicaux ainsi que de dizaines de milliers de maisons civiles, suite aux hostilités. À travers le pays, au moins 50 lieux de culte chrétiens, juifs et musulmans de différentes confessions ont été endommagés durant les hostilités. Plus de la moitié ont été gravement touchés et ne peuvent plus être utilisés.

Excellences,

La ville de Marioupol et ses habitants ont subi des horreurs inimaginables depuis le début de l’attaque armée de la Fédération de Russie. Je suis choquée par l’ampleur des destructions et les nombreuses violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui auraient été commises dans la ville, y compris des attaques contre des civils et des biens de caractère civil. Une ville jadis florissante est en ruines. Nous estimons que le nombre de victimes civiles à Marioupol se chiffre à plusieurs milliers de personnes, mais seul le temps nous permettra d’évaluer pleinement l’ampleur réelle des atrocités, des victimes et des dégâts. Les hostilités actives se concentrent désormais sur la zone industrielle d’Azovstal, les zones résidentielles de la ville étant maintenant largement occupées par les forces armées russes et les groupes armés qui leur sont affiliés. Cela soulève des problèmes liés aux droits de l’homme d’une nature différente de ceux qui se posent dans les zones d’hostilités actives.

Je suis soulagée que plus de 500 civils, y compris des enfants et des personnes âgées, aient désormais été évacués avec succès de la zone industrielle d’Azovstal et d’autres zones grâce aux efforts conjoints du CICR et des Nations Unies. Les combattants qui sont hors de combat, que ce soit en raison d’une maladie ou d’une blessure, doivent être autorisés à être évacués pour recevoir les soins médicaux nécessaires.

Excellences,

Le Haut-Commissariat examine les allégations de violence sexuelle et a pu vérifier une dizaine de cas à travers le pays. Je suis inquiète face aux allégations de violence sexuelle qui ont émergé de plusieurs zones de la région de Kiev auparavant sous le contrôle des forces armées russes. Nous avons recueilli des informations faisant état de viols et de meurtres de victimes ou de leurs proches. Les survivants refusent souvent d’être interrogés par peur et par crainte de stigmatisation. Les victimes citées sont le plus souvent des femmes et des filles, mais des rapports faisant état d’hommes et de garçons affectés commencent à apparaître.

  • Le personnel de la mission également parlé à des personnes à la recherche de leurs proches et de leurs amis. Elle a recensé certains cas où les forces armées russes ont détenu des civils, principalement des jeunes hommes, et les ont transférés au Bélarus puis en Russie, où ils ont été placés dans des centres de détention provisoire. Au total, depuis le 24 février dernier, nous avons recensé 204 cas de disparition forcée (169 hommes, 34 femmes et un garçon), dont l’écrasante majorité est imputable aux forces armées russes et à des groupes armés affiliés. Parmi eux figurent des fonctionnaires, des journalistes, des militants de la société civile, des militaires retraités des forces armées ainsi que d’autres civils. Selon les informations dont nous disposons, 38 d’entre eux ont été libérés et sont rentrés chez eux, et cinq (quatre hommes et une femme) ont été retrouvés morts.  Le véritable nombre de disparitions forcées risque aussi d’être bien plus élevé.
  • Nous avons également recueilli des informations concernant dix disparitions forcées présumées de personnes considérées comme prorusses dans des territoires contrôlés par le Gouvernement, vraisemblablement commises par les forces de l’ordre ukrainiennes. Sept de ces victimes auraient depuis été libérées. Le HCDH surveille également des cas de détenus liés au conflit dans les zones contrôlées par le Gouvernement, qui suscitent des inquiétudes en matière de procès équitable.

Excellences,

Le seul moyen d’empêcher d’autres violations est de mettre fin aux hostilités. Cela doit rester l’objectif premier. Toutefois, tant que ces hostilités se poursuivent et aussi longtemps qu’elles dureront, il est indispensable que toutes les parties donnent des instructions claires à leurs combattants pour qu’ils protègent les civils et les personnes hors de combat, et pour qu’ils fassent la distinction entre les biens civils et les objectifs militaires.

Ceux qui dirigent les forces armées doivent faire comprendre clairement à leurs combattants que toute personne dont on découvre qu’elle a été impliquée dans de telles violations sera poursuivie et tenue pour responsable.

J’exhorte les parties au conflit à respecter pleinement les obligations qui leur incombent en vertu du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, notamment à enquêter sur toutes les allégations de violations, et avant tout à s’engager à protéger chaque femme, homme et enfant de la population civile et les personnes hors de combat.

Notre humanité commune n’en exige pas moins.

Merci.

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