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DISCOURS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL
DEVANT LE FORUM ÉCONOMIQUE
MONDIAL : “DES MARCHÉS POUR
UN MONDE MEILLEUR”

Arrière

31 Janvier 1998



SG/SM/98/16
30 janvier 1998


Davos (Suisse), 31 janvier 1998

On trouvera ci-après le texte du discours de M.KofiAnnan, Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, devant le Forum économique mondial à Davos (Suisse), le 31 janvier 1998 :

Je suis heureux de revenir à Davos et de me trouver de nouveau parmi vous tous. Je tiens à en remercier mon cher ami, Klaus Schwab.

On a dit que la tâche du Secrétaire général de l'ONU s'apparentait, à bien des égards, à celle du directeur général d'une société. C'est vrai, dans une certaine mesure. On peut considérer les Etats Membres comme les membres du conseil d'administration d'une telle société et la population mondiale comme ses actionnaires. Les programmes de développement et les opérations de maintien de la paix constitueraient l'essentiel du stock en magasin, bien que nous ayons aussi beaucoup d'autres produits moins bien connus à offrir.

Mais la comparaison s'arrête là. Comment réagiriez–vous si les membres du conseil d'administration de votre société – 185 au total – géraient vos affaires dans le moindre détail, vous donnaient des mandats contradictoires et refusaient de mettre à votre disposition les ressources dont vous avez besoin pour exécuter votre mission? Que feriez–vous en tant que directeur d'un club dont les principaux membres ne paieraient pas leurs cotisations? Que penseriez–vous d'un mode de gestion de l'entreprise qui ne permet pas de recourir à l'emprunt pour faire face à cette crise financière? Dès lors, si vous me voyez dans le rôle d'un directeur général, n'oubliez pas que je dois être, tout autant, jongleur et mendiant.

Malgré tous ces problèmes intrinsèques, l'ONU a sensiblement changé depuis notre dernière rencontre ici à Davos. L'Organisation a été entièrement restructurée et j'ai qualifié cette réforme de “révolution tranquille". Nous sommes de mieux en mieux armés pour relever les défis d'une nouvelle ère mondiale. Et nous sommes maintenant mieux placés pour collaborer avec le monde des entreprises et les milieux industriels.

Si la réforme était le thème majeur de la première année de mon mandat, le rôle du secteur privé dans le développement économique en était un corollaire important. Une réorientation fondamentale s'est opérée.

Autrefois, l'ONU ne traitait qu'avec les gouvernements. A présent, nous savons qu'il n'est pas possible d'instaurer la paix et la prospérité sans établir des partenariats avec les gouvernements, les organisations internationales, le secteur des entreprises et la société civile. Dans le monde d'aujourd'hui, nous sommes tributaires les uns des autres. Les affaires de l'ONU concernent les milieux d'affaires du monde entier.

Le système des Nations Unies apporte à cette relation trois avantages distincts : des valeurs universelles; une perspective mondiale; et des programmes concrets. Je voudrais, tout d'abord, évoquer la gestion des affaires courantes. Ce travail – qui est celui du Secrétariat, de ses fonds et de ses programmes, ainsi que des institutions spécialisées partout dans le monde – contribue discrètement, mais de manière importante, au bon fonctionnement de l'économie mondiale.

L'interdépendance économique des nations donne une importance toute particulière aux structures et aux institutions. Je ne doute pas que nous préférons tous la règle de droit à la loi de la jungle. Je ne doute pas non plus que nos choix se porteront sur les bénéfices durables, dans le cadre d'un système stable et fiable, plutôt que sur un milieu mondial non structuré et non réglementé. Il nous faut des "règles de route" et des normes propres à régir les relations entre les individus et les collectivités. Il en va ainsi tant du village mondial que du village dont chacun d'entre nous peut être originaire.

La fixation de normes techniques, par exemple, dans des domaines tels que l'aviation, la navigation et les télécommunications, constitue le fondement même des échanges internationaux, l'"infrastructure douce" du système.

Notre engagement à l'égard des droits de l'homme encourage la démocratie et la saine conduite des
affaires publiques, deux armes essentielles dans la lutte pour la liberté de l'homme et contre la corruption.

Les efforts que nous déployons pour éliminer la pauvreté apportent l'espoir à ceux qui sont dans la détresse et ouvrent de nouveaux marchés et de nouvelles possibilités de croissance.

Nos opérations de maintien de la paix et de secours d'urgence en faveur des nations en proie à la guerre apportent la stabilité nécessaire à la relance sur la voie du développement à long terme.

Nos efforts incessants visant à codifier le droit international et à édifier des sociétés fondées sur la règle de droit contribuent également à l'uniformisation de la réglementation et à une évolution pacifique. Le droit international comporte également un fort élément de prévention : le droit de la mer, par exemple, a été institué avant que les ressources marines de la planète ne soient exploitées sans aucune mesure.

Nous encourageons également le développement du secteur privé et les investissements étrangers directs.

Nous aidons les pays à entrer dans le système international d'échanges commerciaux et à promulguer des lois favorables aux relations commerciales. Nous encourageons également l'aide financière à petite échelle aux femmes, aux petits commerçants et aux chefs d'entreprise.

L'activité économique ne peut que profiter du succès de ces travaux. La création de richesses, qui est votre domaine de compétence, et la promotion de la sécurité des hommes dans le sens le plus large, qui est la principale préoccupation de l'ONU, sont des objectifs synergiques. La prospérité des marchés et la sécurité des populations vont de pair; sans l'une, l'autre ne peut exister. Dans un monde de faim, de pauvreté et d'injustice, les marchés, la paix et la liberté ne pourront jamais prendre racine.

L'Organisation des Nations Unies apporte une seconde contribution du fait qu'elle place les défis et les problèmes d'un monde interdépendant dans une perspective planétaire. La mondialisation a tissé des liens entre nous et a contribué à ouvrir la voie à une période d'expansion économique durable.

Mais l'intégration économique est–elle suffisante pour réduire la pauvreté ainsi que l'écart croissant entre riches et pauvres? Comment intégrer au mieux les nations en développement dans l'économie mondiale, et en faire des partenaires à part entière? Quel intérêt les marchés peuvent–ils présenter pour ceux qui ne sont pas en mesure d'y prendre pied?

Les marchés peuvent–ils écarter les menaces qui pèsent sur l'environnement? Peuvent–ils contrer les effets négatifs de la mondialisation, notamment l'internationalisation de problèmes comme l'augmentation du trafic de drogues, d'armes et d'êtres humains? Peut–on faire face au genre d'instabilité que l'on a observé en Asie et ailleurs, et atténuer dans toute la mesure possible ses répercussions sur les gens ordinaires? Les pauvres et les personnes vulnérables endurent déjà des souffrances disproportionnées.

Pareilles perturbations ne risquent–elles pas de provoquer des troubles sociaux, voire de menacer la paix et la stabilité?

Certains de ces problèmes sont déjà anciens. D'autres sont tout à fait nouveaux. Tous doivent être réglés à l'échelle mondiale. L'interdépendance est à double sens. Ce qui se passe dans les pays en développement se répercute sur les pays développés, et vice versa. Il y a des gagnants et des perdants, des victimes et des bénéficiaires. Il y a des gens qui arrivent à se sortir de la pauvreté, et d'autres qui croupissent dans la misère.

Bref, avec les progrès de la mondialisation, il est clair qu'un marché planétaire ne saurait fonctionner efficacement que s'il parvient à corriger ses propres défauts et à résoudre ses propres contradictions.

Comme je l'ai déclaré l'an dernier :

"Aujourd'hui, le capitalisme de marché n'a aucun grand rival idéologique. La principale menace vient de l'intérieur. S'il ne contribue pas à la prospérité et à la justice, il aura échoué."

J'en arrive à la question des valeurs. C'est dans ce domaine que le rôle de l'ONU est le plus notoire et le plus important.

Toute société, de l'Asie aux Amériques, est le produit de valeurs et d'idéaux communs. La société mondiale, pour prospérer, doit-elle aussi avoir des règles et des objectifs communs. Heureusement, il y a déjà un terrain d'entente, concrétisé par la Charte des Nations Unies.

La liberté, la justice et le règlement pacifique des différends, le progrès social et l'amélioration du niveau de vie, l'égalité, la tolérance et la dignité sont autant de valeurs universelles énoncées dans la Charte. Elles représentent ce qui compte vraiment pour l'humanité.

Elles sont également une des bases de l'économie mondiale. En effet, les marchés sont aussi l'expression de valeurs : ils ne fonctionnent pas dans le vide mais résultent d'un ensemble de règles et de lois, et réagissent aux signaux émis par les gouvernements et les autres institutions.

Au demeurant, sans règle régissant les droits de propriété et les contrats, sans confiance fondée sur la primauté du droit, sans un sens général des valeurs et une juste mesure d'équité et de transparence, il n'y aurait pas de marchés efficaces, ni au niveau national ni au niveau mondial. Le système des Nations Unies offre un cadre mondial de ce type : un ensemble convenu de normes et d'objectifs universellement acceptés, à l'intérieur duquel les marchés sont à même de fonctionner.

Parce que nous oeuvrons en faveur d'un vaste projet de sécurité pour l'humanité, à cause de l'aide que nous apportons, et que nous sommes parfois les seuls à apporter, et parce que nous défendons un système de valeurs dont le temps a prouvé la légitimité, je n'hésite pas à déclarer que le monde des affaires a besoin que l'Organisation des Nations Unies soit forte. Nous contribuons à créer l'environnement à l'intérieur duquel vous pouvez fonctionner et réussir.

Notre époque est celle de l'internationalisme et non pas de l'isolationnisme. Tout le monde ne l'a toutefois pas compris. A vous tous, dirigeants nationaux et créateurs dans vos domaines respectifs, je demande donc de rapporter ce message chez vous et de le transmettre à votre gouvernement, à vos collègues, à vos clients. Vos voix peuvent avoir une influence décisive sur ceux que le repliement pourrait encore tenter.

Les atouts et les fonctions de l'ONU et du secteur privé sont distincts et il nous reste à surmonter un héritage chargé de suspicion. A condition de faire preuve d'audace, nous pouvons dépasser ces différences et transformer des accords de coopération jusqu'à présent un peu timides en une force encore plus puissante.

Nous pouvons déjà nous féliciter de nombreux cas de coopération fructueuse. Les clubs Rotary, vigoureusement soutenus par le monde des affaires, ont ainsi versé plus de 400 millions de dollars à l'Organisation mondiale de la santé pour éradiquer la polio.

Nous mettons au point des projets de collaboration avec la Chambre de commerce internationale. M n cher ami Ted Turner consacre d'importantes ressources à toute une série de programmes essentiels des Nations Unies.

Ici à Davos un nouveau groupe consultatif s'est réuni, qui rassemble autour de la même table chefs des grandes entreprises et responsables des institutions internationales avec pour objectif : travailler ensemble, faire oeuvre commune.

J'ai peine à imaginer qu'il puisse y avoir aujourd'hui dans le monde de société dont les activités ne toucheraient pas, de près ou de loin, à l'une ou l'autre aux domaines si divers dont s'occupent les Nations Unies, et cela s'applique tout particulièrement à celles qui sont représentées ici. J'ai le plus grand respect pour vos capacités, votre souci du bien-être de la société et votre pouvoir. Je sais tout ce que vous avez à offrir.

La mondialisation peut sembler irréversible et inévitable. Pour beaucoup elle a été source d'immenses richesses et annonciatrice d'une ère nouvelle pleine de promesses. Pour d'autres, elle paraît synonyme d'exclusion, d'exploitation, d'intrusion, voire de destruction.

Nous ne devons pas oublier que la mondialisation n'a rien de fortuit : elle est l'aboutissement de choix délibérés faits, souvent, par les conseils d'administration lors de conférences comme celle à laquelle nous participons aujourd'hui et par le biais de la coopération internationale dans le cadre des Nations Unies.

Chefs de gouvernement et dirigeants d'entreprise ont encore à faire des choix. Choisissons donc de faire converger la puissance des marchés et les idéaux universels. Choisissons de concilier les forces créatives de l'esprit d'entreprise et les besoins des défavorisés et l'intérêt des générations futures. Faisons en sorte que les pauvres eux aussi connaissent la prospérité. Choisissons d'avancer avec sagesse vers ce but ultime qui nous est commun : un marché mondial ouvert à tous et qui profite à tous.
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