B. La définition de la discrimination dans la Convention

La Convention définit à l’article 2 la discrimination dans les termes suivants:

On entend par «discrimination fondée sur le handicap» toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le handicap qui a pour objet ou pour effet de compromettre ou réduire à néant la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil ou autres. La discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d’aménagement raisonnable.

Pour mieux comprendre cette définition, il est bon d’en reprendre les différents éléments un à un.

Distinction, exclusion ou restriction

La discrimination s’entend de toute distinction, ainsi que de l’exclusion ou d’une restriction pratiquées à cause du handicap. Il s’ensuit que les actes constitutifs de la discrimination sont très divers.

Fondée sur le handicap

La Convention emploie l’expression «discrimination fondée sur le handicap». Cette formule va plus loin que celle de «discrimination à l’égard des personnes handicapées», car elle met l’accent non seulement sur la protection de ces personnes, mais aussi sur la nécessité de combattre (et, en définitive, d’éliminer) la discrimination elle-même, qu’elle vise les personnes handicapées ou n’importe qui d’autre. Par conséquent, la discrimination fondée sur le handicap cible non seulement les personnes handicapées mais aussi les personnes qui, pour une raison ou pour une autre, sont associées aux personnes handicapées (discrimination par association).

Cela est conforme à l’approche sociale/ fondée sur les droits de l’homme du handicap adoptée par la Convention. Au lieu de chercher à «protéger les personnes handicapées», ce qui pourrait dans certaines situations répondre à une approche cari-tative, la Convention vise à combattre la discrimination, c’est-à-dire les attitudes et l’environnement défavorables qui rendent les personnes handicapées vulnérables ou qui les marginalisent. Le but est d’aller jusqu’au cœur du problème. Si une personne subit une discrimination en raison de ce qui est perçu comme une déficience, c’est le signe que des préjugés existent, et le droit des droits de l’homme cherche à s’attaquer à ces idées préconçues. Ce faisant, il nous donne à imaginer un monde sans discrimination.

Objet ou effet

L’article 2 précise que ces distinctions, exclusions ou restrictions sont des violations si elles ont:

de compromettre ou réduire à néant la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice de tous les droits des personnes handicapées.

L’intention n’est pas une condition indispensable à l’existence d’une discrimination. Ce qui compte, c’est ce que vit la personne victime de celle-ci. L’irréflexion et la négligence peuvent avoir un effet tout aussi discriminatoire, voire davantage, qu’une discrimination délibérée.

La mention de l’objet et de l’effet souligne que la Convention interdit la discrimination tant directe qu’indirecte. Si certains actes – des restrictions apportées au droit de vote des personnes ayant des incapacités intellectuelles, par exemple – instaurent directement une discrimination, celle-ci tient souvent au fait que deux personnes placées dans des situations différentes sont traitées de la même manière. Construire un escalier à l’entrée d’un hôpital, c’est traiter de la même façon les personnes handicapées et les autres, mais le résultat est discriminatoire puisque, contrairement à celles qui peuvent marcher, les personnes qui se déplacent dans un fauteuil roulant ne peuvent pas pénétrer dans l’hôpital. Il n’y a apparemment aucune discrimination (l’hôpital est ouvert à tous), mais l’effet est discriminatoire. La Convention s’oppose aussi à la discrimination indirecte.

La reconnaissance, la jouissance ou l’exercice

La protection contre la discrimination s’étend non seulement à la reconnaissance – par la loi par exemple – des droits des personnes handicapées, mais aussi à la jouissance de ces droits (à la possibilité de bénéficier sans entrave de libertés comme celle de ne pas être soumis à la torture ni à des sévices) et à leur exercice (à la capacité de prendre des mesures pour faire valoir un droit comme celui de pénétrer dans une école et d’y suivre un enseignement ou celui de refuser tel ou tel traitement médical). Cela rappelle l’interdiction, au sujet d’autres droits de l’homme, de la discrimination de jure (discrimination contenue dans la législation et dans les politiques) aussi bien que de facto (discrimination dans la pratique).

La jouissance des droits de l’homme «sur la base de l’égalité avec les autres»

La Convention ne tend pas à instaurer de nouveaux droits au bénéfice des personnes handicapées; elle vise à combattre la discrimination, c’est-à-dire les obstacles et les conceptions qui empêchent ces personnes de jouir de leurs droits. Le but ultime est que chacun, handicapé ou non, puisse jouir des mêmes droits de l’homme.

Tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil ou autres

La Convention combat la discrimination relative à tous les droits de l’homme, qu’ils soient civils, culturels, économiques, politiques ou sociaux, et dans tous les domaines. Il est arrivé, et il arrive encore, que des personnes et même des États aient tendance à faire passer certains droits avant d’autres. Pendant la guerre froide, par exemple, les pays à économie de marché mettaient souvent l’accent sur les droits civils et politiques, tandis que les pays à économie planifiée insistaient sur les droits économiques, sociaux et culturels. S’agissant du handicap, l’attention s’est toujours portée davantage sur la protection des droits économiques, sociaux et culturels que sur celle des droits civils et politiques. La Convention affirme clairement que la protection contre la discrimination comprend tous les droits dans tous les domaines.

Le refus d’aménagement raisonnable

La définition assimile le refus d’aménagement raisonnable à une forme de discrimination. Afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination, les États parties doivent tout faire pour que l’aménagement raisonnable soit assuré.

L’«aménagement raisonnable», ce sont, par exemple, les adaptations apportées au lieu de travail, à un établissement d’enseignement, à un centre de soins ou à un service de transports pour lever les obstacles qui empêchent une personne handicapée de participer à une activité ou de bénéficier de services sur la base de l’égalité avec les autres. Dans le milieu professionnel, cela peut exiger de modifier les locaux, d’acquérir ou de modifier du matériel, de fournir les services d’un lecteur ou d’un interprète, d’assurer une formation ou une supervision adéquates, d’adapter les méthodes d’essai ou de supervision, d’aménager les horaires ou de confier à une autre personne une partie des fonctions attachées à un poste.

Si la Convention prescrit que des aménagements soient apportés en fonction des besoins particuliers d’une personne handicapée, elle qualifie ces aménagements de raisonnables. Si l’aménagement fait supporter une charge disproportionnée ou indue à la personne ou à l’organisme qui est supposé le réaliser, le renoncement ne constitue pas une discrimination.

Dans un certain nombre de pays, la loi énonce les éléments à prendre en compte pour déterminer si l’aménagement sollicité constitue un fardeau disproportionné. Ce sont notamment:

L’aménagement raisonnable est une modification apportée au bénéfice et à la demande d’une personne. Ainsi, le salarié qui a été victime d’un accident de la circulation et qui a besoin de certaines modifications pour pouvoir continuer à travailler peut demander un aménagement raisonnable à son employeur. L’aménagement raisonnable est différent de l’accessibilité générale de l’article 9, dont les dispositions s’adressent, non pas nécessairement à des personnes (même si, à l’évidence, c’est à des personnes qu’elles bénéficient) mais à la collectivité dans son ensemble. Si les États doivent généraliser l’accessibilité progressivement, une personne peut demander un aménagement raisonnable immédiatement et porter plainte s’il n’est pas réalisé.

C’est aux États que la Convention impose la charge d’assurer l’aménagement raisonnable. Comme, cependant, c’est bien souvent dans le secteur privé que celui-ci s’impose, les États devraient contraindre ce secteur par la loi à procéder à des aménagements raisonnables.