L’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention impose aux États parties de «prendre toutes mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour modifier, abroger ou abolir les lois, règlements, coutumes et pratiques qui sont source de discrimination envers les personnes handicapées».
De plus, les États s’engagent à adopter des mesures appropriées d’ordre législatif et administratif, et (art. 4, par. 1 c)) à prendre en compte la protection et la promotion des droits de l’homme des personnes handicapées dans toutes les politiques.
D’où l’importance, pour la mise en œuvre de la Convention, d’un examen approfondi des lois et politiques nationales en vue:
L’examen des lois et politiques (existantes) est une obligation qui s’impose à tous les États. Même lorsque la Convention est directement applicable, il faut s’assurer que tout le droit national, y compris la réglementation régionale et le droit coutumier, est mis en conformité avec elle.
L’article 4 et d’autres dispositions de la Convention citent quelques-uns des éléments à avoir à l’esprit lors de l’examen et de la réforme des lois; il convient:
D’examiner non seulement la législation qui touche spécifiquement ou exclusivement aux droits des personnes handicapées, mais aussi toutes les lois pertinentes. C’est important, car nombre de domaines du droit et de la politique peuvent influer sur la jouissance des droits des personnes handicapées, y compris lorsque ni ces personnes ni le handicap ne sont cités. Il convient de se pencher sur les textes suivants:
De désigner les acteurs responsables, notamment aux divers niveaux de l’administration et sans oublier les acteurs privés, en définissant clairement leurs responsabilités. Deux aspects méritent d’être soulignés à cet égard; il y a lieu en effet de s’assurer:
À noter que ce sont les normes les plus élevées de protection qui doivent primer: si les dispositions de la Convention sont moins rigoureuses sur tels ou tels points que la législation en vigueur, c’est bien entendu celle-ci qui doit s’appliquer. Au cours des consultations avec les organisations de personnes handicapées qui ont eu lieu en Australie, il a été signalé que la Convention pourrait être interprétée comme exigeant des acteurs non étatiques un respect moins strict que celui auquel sont astreints les acteurs publics. Compte tenu du très grand rôle que le secteur privé joue en Australie dans la fourniture de biens et de services publics – en assurant, par exemple, la mise au point et l’offre de services, d’aides et d’appareils spécifiques à chaque type de handicap -et dans la formation des attitudes sociales, les organisations de personnes handicapées ont demandé au Gouvernement de déclarer que l’Australie ne se bornerait pas à «promouvoir» «favoriser» ou «encourager» les acteurs non étatiques à respecter les droits énoncés dans la Convention, et qu’elle pourrait dans certaines situations exiger que le secteur privé assume des responsabilités sur les mêmes bases que les acteurs publics.
Pour que les droits aient un sens, il faut qu’il existe des recours utiles en cas de violation, et les lois doivent habiliter les juridictions à recevoir des plaintes pour atteintes aux droits. Cette prescription est implicite dans la Convention et figure systématiquement dans les autres grands instruments des droits de l’homme. Il importe que les personnes handicapées victimes d’une discrimination dans quelque domaine que ce soit puissent saisir la justice. Par voie de conséquence, des recours devraient exister pour tous les droits de l’homme – civils et politiques aussi bien qu’économiques, sociaux et culturels. La possibilité de recours en cas de violation devrait être sanctionnée par la loi, et la législation devrait définir les voies de ces recours.
Qui dit recours pense généralement en premier lieu aux recours judiciaires. De ce point de vue, le monisme présente peut-être des avantages. L’État moniste qui ratifie la Convention est automatiquement lié par ses principes et ses objectifs. Les ressortissants de cet État, y compris les personnes handicapées, à qui tels ou tels droits sont déniés, par exemple parce que la législation nationale est faible sur ce point, peuvent invoquer la Convention devant toute juridiction nationale, et demander au magistrat d’appliquer cet instrument et de frapper la loi nationale de nullité. Le juge n’a pas à attendre que la Convention soit transcrite dans le droit national: puisqu’elle a été ratifiée, ses dispositions sont, en principe, directement applicables. À l’évidence, le monisme n’a d’avantages que dans la mesure où les magistrats sont compétents et familiarisés avec les normes internationales et les droits de l’homme.
Même dans les États où la Convention n’est pas directement applicable, la ratification ou l’adhésion encouragent la magistrature à interpréter la législation nationale conformément à ses dispositions. En la transposant dans le droit national, les États dualistes permettent à leurs tribunaux de l’appliquer dans les décisions qu’ils rendent.
Mais d’autres voies de recours doivent aussi être envisagées. Tout d’abord, elles peuvent parfois être mieux adaptées. Ainsi, il vaudra peut-être mieux faire traiter les difficultés liées à la prestation de services par des tribunaux spécialisés dans le droit de la consommation ou par des organes de recours administratifs – commissions nationales des droits de l’homme, médiateurs, commissions de l’égalité, commissaires aux droits des personnes handicapées, etc. Ce sont des instances moins intimidantes, auxquelles il est parfois beaucoup plus facile d’accéder, y compris sans avocat, et dont les interventions peuvent se révéler moins coûteuses. De même, la médiation et l’arbitrage peuvent être préférables dans certains cas, car ils sont moins conflictuels et proposent des solutions (réparations) acceptables pour toutes les parties. L’inspection du travail et l’inspection scolaire peuvent être des moyens d’engager la responsabilité des employeurs et des personnels de l’éducation, et d’offrir ainsi des solutions (réparations) plus rapides, moins coûteuses et, en définitive, plus efficaces que les recours judiciaires.
Ensuite, d’autres recours pourraient être plus rapides et plus sûrs. Dans certains pays, l’appareil judiciaire fonctionne mal ou ne dispose pas de ressources suffisantes pour offrir véritablement des recours utiles. En pareil cas, les citoyens peuvent n’avoir guère confiance dans les tribunaux et renoncer à porter plainte pour atteinte à leurs droits. Des recours plus accessibles pourraient venir remplacer des procédures à l’issue incertaine.
Enfin, des formes traditionnelles de justice pourraient être préférables, en particulier dans des régions rurales défavorisées. Nombreux sont les pays où les tribunaux sont rares en dehors de la capitale et des principaux centres urbains. La situation est alors particulièrement critique pour les personnes handicapées qui vivent dans des régions reculées. Si la pauvreté ou l’extrême pauvreté y règnent, il peut devenir impossible de se déplacer librement et de se rendre dans une zone urbaine pour obtenir les services d’un conseil ou une autre forme d’aide. Néanmoins, les systèmes traditionnels ne sont pas toujours la panacée pour les personnes handicapées en raison des préjugés et de la stigmatisation dont elles sont l’objet. Les décisions risquent alors de répondre à des conceptions traditionnelles qui isolent les personnes handicapées ou qui leur accordent un traitement inégal. Aussi faudrait-il associer les autorités traditionnelles, y compris les anciens et les membres influents de la collectivité, aux programmes de sensibilisation et y inclure des éléments relatifs à la non-discrimination et à la participation aux recours locaux.
Voici une liste non exhaustive des acteurs qui devraient participer à l’examen et à la réforme des lois:
Chaque État aura sa propre méthode de réforme des lois et des politiques. Il y a cependant certains principes à respecter pour que les personnes handicapées et les autres acteurs concernés soient associés au processus et pour que celui-ci soit efficace.
Point important, l’article 4, paragraphe 3, souligne que les États devraient consulter et faire activement participer les personnes handicapées, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, à l’élaboration des lois et des politiques d’application de la Convention et aux autres décisions qui les concernent. Leur participation doit donc sous-tendre toute la réforme des lois et des politiques.
Les étapes de l’examen et de la réforme des lois sont notamment les suivantes:
Les lois transposent les engagements internationaux dans le droit national et entraînent souvent de véritables améliorations de la situation des droits de l’homme sur le terrain.
Souvent, cependant, les politiques permettent d’accélérer la mise en œuvre. Si les lois énoncent des droits et des obligations, les politiques peuvent fixer les étapes à franchir pour atteindre les objectifs aux échéances prévues et respecter ainsi les engagements pris. Les politiques sont particulièrement utiles pour la réalisation progressive des droits économiques, sociaux et culturels. Mais elles le sont aussi pour l’exercice des droits civils et politiques (l’amélioration de l’administration de la justice, par exemple). Parmi les nombreuses politiques en rapport avec l’application de la Convention, on peut citer:
Les politiques ne sont pas des interventions ponctuelles; elles comportent plusieurs phases, à savoir:
Ce qui précède correspond à bien des égards à ce qu’il est convenu d’appeler l’approche fondée sur les droits de l’homme. Cette approche comporte trois dimensions majeures:
Les mesures budgétaires sont des aspects essentiels de la plupart des lois et politiques. Si certaines de celles-ci – comme celles qui prohibent des comportements tels que la discrimination ou la torture – n’ont pas besoin d’être financées, la plupart de celles qui ont trait aux droits de l’homme exigent des fonds; cela est particulièrement vrai de celles qui se rapportent aux droits économiques, sociaux et culturels. Il importe surtout d’avoir à l’esprit que certaines dispositions:
Les décideurs doivent se demander si les lois et les politiques ont des incidences financières et, dans l’affirmative, prévoir des budgets suffisants. Comme cela a été indiqué plus haut, le parlement et le pouvoir exécutif devraient, avant d’adopter des lois et des politiques, indiquer explicitement le montant des ressources qui seront consacrées à leur application. Certaines mesures ont beaucoup plus de chances de réussir lorsqu’elles sont assorties de ressources financières (et humaines).
La disposition clé de la Convention concernant le financement est contenue au paragraphe 2 de l’article 4 (obligations générales): Dans le cas des droits économiques, sociaux et culturels, chaque État Partie s’engage à agir, au maximum des ressources dont il dispose et, s’il y a lieu, dans le cadre de la coopération internationale, en vue d’assurer progressivement le plein exercice de ces droits, sans préjudice des obligations énoncées dans la présente Convention qui sont d’application immédiate en vertu du droit international.
Cette obligation est souvent mal comprise. Elle ne signifie pas que la réalisation des aspects des droits économiques, sociaux et culturels qui nécessitent des ressources ou un financement peut être indéfiniment différée. Au demeurant, la Comité des droits économiques, sociaux et culturels a affirmé que ces droits font naître des obligations fondamentales dont il faut s’acquitter immédiatement quel qu’en soit le coût. C’est le cas, par exemple, de l’obligation de fournir des médicaments essentiels abordables au titre du droit à la santé.
Toutefois, lorsque des ressources sont nécessaires et qu’une réalisation progressive se justifie:
Compte tenu des difficultés que les États les plus pauvres éprouvent à appliquer la Convention (en raison des ressources nécessaires), le paragraphe 2 de l’article 4 et l’article 32 soulignent l’aide que peut apporter la coopération internationale. L’alinéa d) de l’article 32.1 prescrit aux États de prendre des mesures appropriées et efficaces de coopération internationale, et notamment d’apporter, s’il y a lieu, une assistance technique et une aide économique.
La «budgétisation des droits de l’homme» et de préoccupations connexes, comme celle de l’égalité des sexes, retiennent de plus en plus l’attention. L’expérience acquise dans ces domaines fournira d’utiles indications pour la budgétisation de la Convention. Voici quelques questions à se poser pour mesurer la cohérence entre les budgets et les lois et politiques à appliquer:
Une des difficultés qu’il yaà faire concorder la budgétisation avec les processus législatif et politique tient à l’asymétrie des parties prenantes. Ainsi, l’asymétrie entre le ministère des finances, le ministère de la planification, les ministères sectoriels, le parlement et la société civile peut influer sur l’adéquation des budgets aux politiques et sur la prise en considération des principes des droits de l’homme dans l’élaboration des uns et des autres (par exemple, sur le degré de participation de la société civile).