Zsolt Bujdosô et cinq ressortissants hongrois c. Hongrie (communication n° 4/2011)

1. Les faits

Les noms des auteurs avaient été automatiquement radiés des listes électorales parce qu’ils étaient placés sous tutelle partielle ou totale en raison de leurs handicaps intellectuels. Par voie de conséquence, ils n’avaient pu participer ni aux élections législatives ni aux élections municipales organisées en 2010, et ils étaient toujours privés du droit de vote au moment où ils ont présenté leur communication. Ils affirmaient n’avoir accès à aucun recours véritablement utile, les tribunaux n’étant pas habilités à examiner et à rétablir le droit de vote d’une personne. Ils auraient seulement pu déposer une requête afin de recouvrer leur capacité juridique, mais cela n’était ni possible ni souhaitable car ils reconnaissaient avoir besoin d’aide pour gérer leurs affaires dans certains domaines de leur existence. Ils ne pouvaient pas non plus déposer une plainte au titre de la procédure électorale parce que les tribunaux nationaux n’avaient pas le pouvoir de les faire réinscrire sur les listes électorales, leur radiation de ces listes étant fondée sur la Constitution.

2. La requête

Les auteurs affirmaient que la Hongrie avait porté atteinte à leurs droits au titre des dispositions de l’article 29 (participation à la vie politique et à la vie publique), lu seul et conjointement avec l’article 12 (reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité) de la Convention. Ils faisaient valoir qu’ils étaient en mesure de comprendre les enjeux politiques et de participer aux élections s’ils y étaient autorisés. Ils soutenaient que l’interdiction automatique qui les frappait était injustifiée. Ils demandaient à l’État partie de procéder aux modifications nécessaires du cadre juridique interne, et de leur accorder une indemnisation pour préjudice moral, de façon équitable.

3. Les observations de l’Etat partie

L’État partie ne contestait pas la recevabilité de la communication. Dans ses observations sur le fond, il indiquait que, depuis que la plainte avait été déposée, des modifications importantes avaient été apportées à la législation. En particulier, la disposition constitutionnelle qui privait automatiquement du droit de vote toutes les personnes placées sous tutelle avait été abrogée. Le nouveau texte permettait de dissocier la question du suffrage de celle de la tutelle et enjoignait aux juges de se prononcer sur le droit de vote des intéressés en tenant compte de la situation personnelle de ces derniers, leur décision étant sujette à réexamen. En vertu des nouvelles dispositions, une personne pouvait recouvrer le droit de vote sans que son placement sous tutelle fût remis en cause. L’État partie indiquait pour conclure qu’en adoptant ces modifications, il avait mis sa législation en conformité avec l’article 29 de la Convention. En conséquence, il engageait le Comité à rejeter la demande de modification de la législation et d’indemnisation pour préjudice moral déposée par les auteurs.

4. L’intervention d’un tiers

Le Projet sur le handicap de la Harvard Law School a soumis une intervention, en qualité de tiers, en faveur des auteurs de la communication. Il a fait valoir qu’au-delà des réclamations des auteurs, soumettre des personnes handicapées à une évaluation individualisée de leur aptitude à voter constituait en soi une violation de l’article 29 de la Convention, et que le droit de vote ne devrait jamais faire l’objet d’une évaluation de la proportionnalité ni d’une justification.

5. La décision

Le Comité a considéré la communication comme recevable étant donné que l’État partie n’élevait aucune objection liée à l’épuisement des recours internes, qu’il n’avait mis en évidence aucune voie de recours particulière qui aurait été ouverte aux auteurs, et que ceux-ci avaient suffisamment étayé les griefs tirés des articles 29 et 12 de la Convention.

Le Comité a constaté que l’État partie s’était contenté de décrire la nouvelle législation sans montrer comment ce régime affectait les auteurs en particulier, ni dans quelle mesure il respectait les droits qu’ils tenaient de l’article 29 de la Convention. Il a constaté également que l’État partie n’avait pas apporté de réponse au grief des auteurs selon lequel ils n’avaient pas pu voter et étaient toujours privés du droit de vote malgré les modifications législatives adoptées. Le Comité a également précisé que l’article 29 ne prévoyait aucune restriction raisonnable et n’autorisait d’exception pour aucune catégorie de personnes handicapées, et qu’en conséquence, même une restriction fondée sur une évaluation individualisée constituait une discrimination fondée sur le handicap. Il a conclu que l’évaluation de l’aptitude des individus était discriminatoire par nature (puisqu’elle ciblait uniquement les personnes handicapées), et considéré qu’une telle mesure n’était ni légitime ni proportionnée. Il a rappelé à cet égard que, conformément à l’article 29 de la Convention, l’État partie était tenu d’adapter ses procédures électorales en faisant en sorte que les personnes présentant un handicap intellectuel soient aptes à voter, sur la base de l’égalité avec les autres. Enfin, le Comité a rappelé qu’en vertu de l’article 12, les États parties avaient une obligation positive de prendre les mesures nécessaires pour permettre aux personnes handicapées d’exercer dans les faits leur capacité juridique.

6. Les conclusions

Le Comité a conclu que la radiation des noms des auteurs des listes électorales et le fait que l’État partie n’avait pas adapté ses procédures électorales enfreignaient l’article 29, lu seul et conjointement avec l’article 12. Il a conclu également que la nouvelle législation, dans la mesure où elle autorisait les tribunaux à priver les personnes ayant un handicap intellectuel de leur droit de voter et de se faire élire, était contraire aux dispositions de l’article 29. Le Comité a donc recommandé que l’État partie accorde aux auteurs une indemnisation appropriée pour le préjudice moral qu’ils avaient subi du fait de la privation de leur droit de vote, et prenne des mesures pour empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir, y compris en apportant les modifications requises à sa législation.

Avant l’entrée en vigueur de la Convention et de son Protocole facultatif, des communications relatives aux droits des personnes handicapées ont été examinées par des systèmes régionaux de protection des droits de l’homme ainsi que par d’autres organes conventionnels des Nations Unies, comme le Comité des droits de l’homme. Deux exemples, empruntés, l’un à la jurisprudence du Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe, et l’autre, à celle du Comité des droits de l’homme, sont proposés dans les paragraphes qui suivent.