B. Les rapports alternatifs
1. La contribution de la société civile/de l’institution nationale de défense des droits de l’homme au cycle d’établissement
des rapports
L’établissement du rapport au Comité n’est pas une activité ponctuelle ou sans lendemain. C’est un processus, aux différents
stades duquel les organisations de la société civile et les institutions nationales de défense des droits de l’homme peuvent
apporter leur contribution. La participation des organisations représentatives des personnes handicapées mérite une attention
toute particulière, compte tenu des dispositions des articles 35.4 et 4.3 de la Convention. Les différentes étapes où les
organisations de la société civile et les institutions nationales de défense des droits de l’homme peuvent exercer une influence
sont les suivantes:
-
La rédaction du rapport de l’État partie – L’État est responsable de l’élaboration du rapport initial et des rapports périodiques. Dans certains pays, il informe
de l’établissement du rapport la société civile et les institutions nationales des droits de l’homme, lesquelles peuvent organiser
une consultation des principales organisations ou faire circuler le projet de rapport pour examen. Certains pays reproduisent
les vues exprimées par la société civile en annexe au rapport. Même s’il n’existe aucune pratique de ce genre, les organisations
de la société civile et les institutions nationales de défense des droits de l’homme peuvent tenter de se faire entendre lors
de l’élaboration du rapport et de la détermination de son contenu, en prenant l’attache des points de contact de la Convention
au sein de l’administration, ou du mécanisme de coordination, s’il en existe un;
-
Préparer la liste des points à traiter – Sur la base du rapport de l’État partie, le Comité établira une liste de points à traiter afin que cet État se prépare
au dialogue constructif. L’État partie devrait également répondre à la liste des points à traiter avant la session, car cela
contribue à centrer le débat. Les organisations de la société civile peuvent fournir des informations au moment où l’État
partie présente son rapport: cela influe sur la liste des points à traiter qui est communiquée à cet État pour qu’il prépare
le dialogue constructif. Elles peuvent aussi apporter des réponses à la liste des points à traiter, permettant ainsi au Comité
de disposer du volume d’informations le plus vaste possible;
-
La session du Comité – Pendant la session du Comité, les organisations de la société civile et les institutions nationales de défense des droits
de l’homme peuvent prendre une part active aux travaux. En règle générale, le Comité entend celles qui ont des liens avec
le pays auteur du rapport à l’étude, afin de prendre connaissance de leurs aspirations et de leurs sujets de préoccupation.
Des personnes peuvent également saisir l’occasion de leur passage à Genève pour s’entretenir avec des membres du Comité de
différentes questions d’application qui se posent à l’échelon national. Les organisations de la société civile et les institutions
nationales de défense des droits de l’homme peuvent aussi assister au dialogue avec l’État partie. Cela peut les aiderà mieux
comprendre comment le Comité a conçu ses différentes observations finales, ce qui peut à son tour faciliter l’exercice ultérieur
du suivi au niveau national;
-
Le suivi des observations finales – Même si la responsabilité ultime de l’application des observations finales incombe aux pouvoirs publics, les organisations
de la société civile et les institutions nationales de défense des droits de l’homme ont une mission essentielle à remplir.
C’est ce que nous allons voir dans les paragraphes qui suivent.
2. Un rapport alternatif, pour quoi faire?
Les rapports alternatifs sont, pour la société civile et les institutions nationales de défense des droits de l’homme, un
moyen – dont l’importance ne doit pas être sous-estimée – de faire entendre leur voix lors de l’établissement des rapports.
Il n’y a pas à proprement parler de définition du rapport alternatif, et il n’y a pas non plus de structure à suivre rigoureusement.
En règle générale, le rapport alternatif apporte au Comité des renseignements complémentaires par rapport à ceux fournis par
l’État partie, afin qu’il dispose d’une quantité d’informations aussi ample que possible.
Le rapport alternatif ne prend pas nécessairement le contre-pied du rapport de l’État partie; il apporte simplement des éléments
complémentaires ou un éclairage différent sur certaines questions traitées dans le rapport national. Si, toutefois, celui-ci
ne fournit pas les renseignements les plus précis ou les plus récents, il peut les porter à la connaissance du Comité.
En apportant un complément d’information, les rapports alternatifs ont pour objectif ultime de contribuer à assurer aux observations
finales et aux recommandations la plus grande pertinence possible afin de faciliter la mise en œuvre future.
3. La structure du rapport
Rien n’oblige à donner au rapport alternatif une structure plutôt qu’une autre; ses rédacteurs devraient cependant chercher
à adopter une méthode qui aide le Comité à comprendre comment le rapport a été établi et qui fasse ressortir aussi clairement
que possible les questions que la société civile et les institutions de défense des droits de l’homme veulent porter à l’attention
du Comité, ainsi que les solutions envisageables.
Voici une structure possible, qui s’inspire en grande partie des directives du Comité pour l’établissement des rapports:
- 1. Résumé synoptique récapitulant l’essentiel des préoccupations, des progrès et des recommandations;
- 2. Table des matières;
- 3. Méthode d’élaboration du rapport, y compris le mode de collecte des données et la liste des organisations ayant contribué
à l’établissement et à la mise au point finale du texte;
- 4. Analyse de la situation – politique, économique, sociale, culturelle – de nature à aider le Comité à mettre le rapport
en perspective;
-
5. Questions clés:
- a) Articles 1er à 4: objet, définitions, principes généraux et obligations générales;
- b) Articles 5 à 30: droits spécifiques;
- c) Articles 6 et 7: garçons, filles et femmes handicapés;
- d) Articles 31 à 33: obligations spécifiques relatives aux données et aux statistiques, à la coopération internationale et
à l’application ainsi qu’aux dispositifs de suivi au niveau national;
- 6. Recommandations, aussi précises et ciblées que possible. Elles n’ont pas besoin d’être nombreuses.
4. La méthodologie: former une coalition en vue de l’établissement d’un rapport alternatif
Même si ce n’est pas une obligation, il peut être utile de former une coalition de parties prenantes nationales pour l’élaboration
du rapport alternatif. Cela facilite la tâche du Comité en lui offrant, dans un seul document, une vue d’ensemble des différentes
préoccupations de la société civile à travers tout le pays. De plus, former une coalition pour la rédaction du rapport:
- Facilite la constitution d’alliances de parties prenantes de la société civile qui peuvent travailler à d’autres questions.
Les organisations de la coalition peuvent, par exemple, non seulement élaborer le rapport alternatif, mais aussi coopérer
en vue de l’application des recommandations du Comité;
- Permet aux parties prenantes de comprendre les questions qui se posent dans des domaines autres que le leur. Ainsi, une organisation
qui s’occupe de la prestation de services aux personnes ayant un handicap physique sera informée des préoccupations d’une
organisation qui défend les droits des détenus souffrant d’incapacités psychosociales. Ce travail concerté permet de connaître
l’activité d’autres groupes de personnes handicapées et de définir des domaines d’activité communs, tels que le plaidoyer;
- Permet aux groupes de tirer pleinement parti de l’ensemble de leurs connaissances et de leur expertise. Ainsi, une organisation
spécialisée dans la protection des droits des personnes handicapées à l’échelon national pourrait créer un partenariat avec
une organisation de défense des droits de l’homme en général, qui aurait une grande expérience de l’établissement de rapports
à l’intention des organes conventionnels. En unissant leurs efforts, les deux organisations peuvent contribuer à l’efficacité
du processus et donner au rapport alternatif toute son utilité;
Voici quelques exemples de questions à se poser lors de la formation d’une coalition:
- Tous les types de handicap sont-ils représentés?
- La coalition donne-t-elle une image aussi fidèle que possible de la diversité de la société – hommes et femmes, enfants, personnes
âgées, minorités raciales et ethniques, personnes autochtones, etc.?
- La coalition connaît-elle suffisamment bien le système des rapports aux organes conventionnels?
- La coalition est-elle en mesure de se concerter avec le groupe le plus large possible?
5. Le contenu: les droits spécifiques
Il est souhaitable que le rapport alternatif suive les directives du Comité pour l’établissement des rapports. Si tel est
le cas, il est conforme à la pratique du Comité – et harmonisé avec le rapport de l’État partie dès lors que celui-ci a respecté
les directives pour la rédaction de son rapport. Ainsi que cela a déjà été signalé, le Comité a groupé comme suit les droits
et obligations découlant de la Convention:
- Définitions, principes généraux et obligations générales;
- Droits spécifiques;
- Droits de femmes, des garçons et des filles handicapés;
- Obligations spécifiques, à savoir données et statistiques, coopération internationale et dispositifs d’application et de suivi
au niveau national.
Les directives pour l’établissement des rapports contiennent également une liste des questions à traiter à propos des diverses
dispositions regroupées sous ces rubriques.
Ainsi, les directives relatives à l’article 5, égalité et non-discrimination, se lisent comme suit:
Cet article reconnaît que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à l’égale protection
et à l’égal bénéfice de la loi.
Dans leur rapport les États parties devraient indiquer:
-
Si les personnes handicapées peuvent utiliser la loi pour protéger ou défendre leurs intérêts sur la base de l’égalité avec
les autres personnes;
-
Les mesures utiles prises pour garantir aux personnes handicapées une protection juridique égale et efficace contre toutes
les formes de discrimination, y compris en apportant des aménagements raisonnables;
-
Les politiques et programmes, y compris des mesures d’action positive, tendant à assurer l’égalité de facto aux personnes
handicapées, en tenant compte de leur diversité.
En réponse à ces questions, l’Espagne a fourni les renseignements suivants dans son rapport initial (CRPD/C/ESP/1, par. 15
et 16, c’est nous qui soulignons):
En résumé:
- La législation espagnole assure le plein respect de l’article 5;
- Certaines lois, telle la loi générale relative à la santé, demandent cependant à être révisées à la lumière de la Convention;
- La législation, les dispositifs de contrôle et les sanctions imposées en cas de violation de la loi forment un régime qui
garantit efficacement l’égalité et la non-discrimination.
Le rapport alternatif offre au Comité une réponse plus développée à ses questions, ainsi que des informations complémentaires.
Il signale que:
6. Les recommandations
Il est important que les rapports alternatifs proposent au Comité des initiatives à prendre – des questions qu’il pourrait
poser aux représentants de l’État partie, par exemple. Ils peuvent également proposer des recommandations à faire figurer
dans les observations finales. L’important est de ne pas perdre de vue que les recommandations devraient être aussi claires
et ciblées que possible, de manière que l’État partie puisse les appliquer et rendre compte de leur mise en œuvre dans le
rapport périodique suivant. Des recommandations vagues ou générales peuvent être déroutantes et rester lettre morte ou recevoir
une application purement formelle.
Les recommandations devraient notamment:
- Être claires;
- Ne préconiser chacune qu’une mesure;
- Préciser qui doit les mettre en œuvre;
- Dans la mesure du possible, se prêter à la quantification;
- Lorsqu’il y a lieu, préciser le délai d’application;
- Se rapporter à un enjeu particulier de la mise en œuvre;
- N’être ni vagues ni générales;
Toujours à propos de l’article 5, le rapport alternatif espagnol formule deux séries de recommandations.
Ayant affirmé que certaines personnes handicapées sont exclues de la protection contre la discrimination, il propose que l’attention
se porte non pas sur les taux d’incapacité mais sur la vulnérabilité:
Au sujet de l’affirmation que les mécanismes de supervision et de sanction ne sont pas complètement efficaces, le rapport
alternatif recommande:
Ces recommandations sont utiles, mais elles ne remplissent pas toutes les critères suggérés plus haut. Prenons par exemple
celle qui préconise
De faire figurer des indicateurs de l’effii-cacité des systèmes de protection telle qu’elle ressort des suites disciplinaires
et judiciaires apportées aux cas de violation.
D’une manière générale, cette recommandation est utile:
- Elle est claire;
- Elle appelle une quantification;
- Elle se rapporte à un enjeu de la mise en œuvre;
- Elle n’est ni vague ni générale.
Elle se trouverait améliorée:
- Si elle précisait quelle institution publique devrait être chargée d’élaborer les indicateurs;
- Si elle fixait une échéance pour la mise au point des indicateurs.
7. Collecte et analyse des données
Plusieurs sources de données peuvent être utiles pour l’élaboration du rapport alternatif:
- Lois et politiques. Comme le rapport de l’État partie, le rapport alternatif devrait fournir au Comité des renseignements
sur le contexte juridique et politique considéré dans ses rapports avec l’application de la Convention. Il faut pour cela
faire le point de la législation et analyser les lacunes. On pourra utilement s’inspirer de la publication sur l’étude de
la législation que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDC) fera paraître prochainement, et qui
se propose d’aider à analyser le degré de conformité de la législation nationale à la Convention;
-
Étude des sources secondaires. Les organisations de la société civile n’ont ni le temps ni les ressources nécessaires pour
collecter des données nouvelles. Pour surmonter cette difficulté, elles peuvent notamment exploiter des sources secondaires
fiables telles que:
Les rapports de l’institut national de statistique – résultats des recensements ou rapports spéciaux, par exemple;
Les données émanant des ministères de l’éducation, de la santé, de la justice, des affaires sociales ou des transports;
Les rapports des organismes des Nations Unies et de la Banque mondiale, qui peuvent contenir des renseignements sur les personnes
handicapées ou même leur être spécialement consacrés;
Le cas échéant, les rapports de recherche des institutions nationales de défense des droits de l’homme;
Les résultats des travaux de recherche et des enquêtes réalisés par le monde universitaire à propos des droits des personnes
handicapées;
- Informations relatives aux plaintes (contentieux judiciaires, plaintes au médiateur, etc.). Elles peuvent indiquer si les
particuliers ont recours aux mécanismes existants et si ces derniers sont utiles. L’analyse des plaintes peut également faire
apparaître ceux des aspects de la mise en œuvre qui sont source de difficultés récurrentes;
- Travaux de recherche des organisations de la société civile elles-mêmes. Ces organisations peuvent parfois entreprendre elles-mêmes
des recherches en vue de l’élaboration du rapport alternatif. Des méthodes telles que les enquêtes sur les ménages peuvent
fournir des données quantitatives, tandis que des entretiens avec les principaux experts et avec des groupes représentatifs
de la diversité des handicaps peuvent apporter d’importantes informations qualitatives de nature à enrichir le rapport – par
exemple en montrant comment se pose concrètement, pour une personne handicapée, la question du respect de ses droits de l’homme
dans le contexte national.
8. Présentation du rapport au Comité
Les auteurs devraient présenter leur rapport alternatif au Comité à temps pour que celui-ci puisse l’examiner dans son intégralité.
Ils peuvent le faire:
- Au moment de la présentation du rapport de l’État partie. Compte tenu cependant des délais requis pour l’examen des rapports
des États parties par le Comité, cette méthode pourrait contraindre les auteurs à actualiser le rapport alternatif avant le
dialogue constructif;
- Avant la session du Comité qui précède l’examen du rapport de l’État partie. Si, par exemple, le rapport de l’État partie
doit être étudié à la dixième session, le rapport alternatif devrait parvenir au secrétariat du Comité avant la neuvième session
pour pouvoir influer sur la liste des points à traiter;
- Avant la session elle-même. Dans ce cas, le rapport alternatif parvient encore à temps pour influer sur le dialogue constructif
avec l’État partie, tout en étant parfaitement d’actualité.
Le rapport doit être envoyé au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, secrétariat du Comité des droits
des personnes handicapées, à l’adresse électronique suivante: crpd@ohchr.org.
Les organisations de la société civile peuvent aussi envisager d’assister:
- Soit à la session du Comité qui précède le dialogue constructif avec l’État partie. L’International Disability Alliance organise à l’intention des membres du Comité, à l’heure du déjeuner, un débat ouvert au public sur les questions qui ont
trait à l’État partie dont le rapport sera examiné à la session suivante;
- Soit à la session où a lieu le dialogue constructif. Le Comité réserve alors du temps pour s’entretenir avec les organisations
de la société civile et les institutions nationales de défense des droits de l’homme avant le dialogue constructif afin de
connaître leurs vues. Ces réunions se tiennent ordinairement à huis clos.
9. Suivi de la session du Comité
Isolément ou en partenariat avec les autorités, les organisations de la société civile peuvent donner suite aux observations
finales et aux recommandations du Comité de nombreuses manières. Elles peuvent, par exemple:
- Publier un communiqué de presse pour diffuser les observations finales et les recommandations;
- Pérenniser la coalition constituée pour la rédaction du rapport alternatif et organiser des réunions afin de définir la stratégie
à suivre pour faire avancer l’application des observations finales;
- Rencontrer des fonctionnaires des ministères compétents pour s’assurer de la mise au point d’un plan de travail en vue de
l’application des observations finales;
- Rencontrer des parlementaires pour appeler leur attention sur celles des recommandations qui requièrent une réforme législative
et une révision des politiques;
- Rencontrer l’équipe de pays des Nations Unies pour encourager les organismes des Nations Unies à plaider en faveur de l’application
des observations finales et à prendre les recommandations du Comité en compte dans la programmation;
- Organiser une conférence nationale pour faire mieux connaître les observations finales;
- Organiser des ateliers sur certaines questions;
- Recenser les recommandations que la société civile pourrait contribuer à mettre en œuvre;
- Suivre l’application des recommandations dans le temps pour éviter que les efforts se relâchent;
- Rendre compte de la mise en œuvre au Comité ainsi qu’à d’autres organes internationaux, dans le cadre par exemple de l’examen
périodique universel.