B. Des différentes approches du handicap

Il existe dans le monde différentes approches du handicap, qui sont diversement prégnantes selon les régions.

L’approche caritative

Selon cette approche, les personnes handicapées sont les bénéficiaires passifs d’actes de bienfaisance ou d’allocations et non des personnes autonomes, fondées à participer à la vie politique et culturelle et à leur propre épanouissement. Ce qui caractérise ce paradigme, c’est que les personnes handicapées sont tenues pour incapables de pourvoir à leurs besoins à cause de leur handicap. C’est donc la société qui s’en charge. Les conditions environnementales ne sont pas prises en compte: le handicap est une affaire personnelle. Les personnes handicapées appellent la pitié et dépendent de la bonne volonté de la société. Elles sont en outre tributaires d’institutions – organismes de bienfaisance, foyers, fondations, églises -auxquelles la société délègue les politiques relatives au handicap et la responsabilité des personnes handicapées. Elles sont marginalisées; elles ne sont pas maîtresses de leur existence, et ne participent pas, ou guère, à la vie collective. Elles sont considérées comme un fardeau pour la société. Comme la charité est affaire de bonne volonté, la qualité de la prise en charge n’est pas nécessairement homogène, ni même forcément élevée.

Au lieu de favoriser l’égalité et l’inclusion, cette approche creuse l’écart entre les personnes handicapées et la société.

L’approche médicale

Cette approche est centrée sur la déficience, qui est analysée comme source d’inégalité. Les besoins et les droits de la personne se résument au traitement médical administré (ou imposé) au patient; ils se confondent avec lui. La médecine ou la réadaptation peuvent «traiter» la personne et la réinsérer dans la société. Dans le cas, surtout, des personnes qui présentent un handicap mental, le traitement médical peut permettre à un «mauvais» patient (les personnes ayant une déficience mentale sont souvent tenues pour dangereuses) de devenir un «bon» patient. Pour être considérées comme capables de subvenir à leurs besoins, les personnes handicapées doivent être «guéries» de leur handicap ou, à tout le moins, celui-ci doit être réduit au strict minimum. Les conditions environnementales ne sont pas prises en considération et le handicap est un problème personnel. Les personnes handicapées sont malades et doivent être traitées pour devenir normales.

Si le handicap est perçu comme étant essentiellement une question médicale, des spécialistes tels que médecins, psychiatres et infirmiers ont un pouvoir considérable sur les personnes handicapées; le personnel de l’institution prend des décisions à la place des patients, et la satisfaction de leurs aspirations est envisagée dans un cadre médical. Si une réadaptation totale n’est pas possible, la personne handicapée ne peut pas réintégrer la société et reste dans une institution. Les résultats obtenus et les échecs enregistrés dans ses murs seront interprétés comme étant liés au handicap, et justifiés en conséquence. Dans le pire des cas, cette approche peut légitimer l’exploitation, la violence et la maltraitance.

Cette approche est souvent combinée à la précédente. On aura alors des associations caritatives qui collectent des fonds et qui gèrent des institutions de réadaptation. En vertu de l’approche médicale, les responsables sont le secteur de la santé et l’État. Lorsqu’elle est associée à l’approche caritative, les maisons de bienfaisance, les foyers, les fondations et les institutions religieuses jouent également un rôle important. Les personnes handicapées sont déresponsabilisées; elles ne peuvent pas gérer leur existence et ne participent pas, ou guère, à la vie de la société. Ce sont généralement le secteur et les professionnels de la santé et les associations caritatives qui représentent leurs intérêts, car ils sont réputés savoir ce qui est conforme à l’intérêt supérieur des patients.

L’approche sociale

Dans cette approche, le raisonnement est très différent: le handicap est compris comme la conséquence de l’interaction entre l’individu et un environnement qui ne s’adapte pas aux différences de la personne et qui, de ce fait, entrave la participation de celle-ci à la vie de la société. L’inégalité est due non pas au handicap mais à l’incapacité de la société d’éliminer les barrières que rencontrent les personnes handicapées. Ce paradigme confère la place centrale à la personne et non au handicap, et reconnaît les valeurs et les droits des personnes handicapées en tant que membres de la société.

Passer de l’approche médicale à l’approche sociale, ce n’est nullement nier l’importance de la prise en charge, du conseil et de l’assistance fournis, pendant longtemps parfois, par des médecins spécialisés et des institutions médicales. Les personnes handicapées ont bien souvent besoin d’un traitement et de soins médicaux, d’examens, d’un suivi incessant et de médicaments. Dans le cadre de l’approche sociale, elles continuent de se rendre à l’hôpital et, si nécessaire, dans des centres administrant des traitements spécialisés. Ce qui diffère, c’est la manière dont le traitement est conçu: il répond aux attentes du patient, et non à celles de l’institution. L’approche sociale attribue aux infirmiers, aux médecins, aux psychiatres et aux administrateurs des identités et des rôles nouveaux. Leur relation avec la personne handicapée repose sur le dialogue. Le médecin est placé non pas sur un piédestal, mais aux côtés de la personne handicapée. L’égalité commence à l’hôpital, et non à l’extérieur de ses murs. La liberté, la dignité, la confiance, l’évaluation et l’auto-évaluation sont autant de caractéristiques de l’approche sociale.

Dans ce paradigme, le handicap est non pas une «erreur» de la société mais un élément de sa diversité. Il est une construction sociale – le résultat de l’interaction, au sein de la société, de facteurs personnels et de facteurs environnementaux. Il n’est pas un problème individuel mais le résultat d’une mauvaise organisation de la société. C’est pourquoi celle-ci devrait restructurer les politiques, les pratiques, les mentalités, l’accessibilité environnementale, les dispositions légales et les organisations politiques de manière à lever les obstacles économiques et sociaux à la pleine participation des personnes handicapées. À la différence des approches caritative et médicale, cette approche pose le principe que toutes les politiques et toutes les lois doivent être élaborées avec la participation des personnes handicapées. Les responsabilités incombent à l’État – c’est-à-dire à tous les ministères et à toutes les administrations – et à la société. Les personnes handicapées peuvent avoir prise sur leur existence, se déterminer elles-mêmes et participer pleinement aux décisions, à égalité avec autrui. Ce ne sont pas elles qui supportent le fardeau du handicap, mais la société.

L’approche fondée sur les droits de l’homme

L’approche fondée sur les droits de l’homme développe plus avant l’approche sociale en reconnaissant que les personnes handicapées sont les sujets de droits, et que l’État et les autres personnes ont le devoir de les respecter. Elle tient les obstacles sociétaux pour discriminatoires et offre aux personnes handicapées des possibilités de se plaindre lorsqu’elles s’y heurtent. Prenons par exemple le droit de vote. Une personne aveugle a le droit de voter, comme n’importe lequel de ses concitoyens. Mais s’il n’y a pas de documents présentés sous une forme accessible (en braille par exemple) et si elle ne peut pas se faire accompagner dans l’isoloir par une personne de confiance qui l’aide à indiquer le candidat ou la candidate de son choix, elle ne peut pas voter. L’approche fondée sur les droits de l’homme reconnaît le caractère discriminatoire du manque de documents adéquats et de l’impossibilité d’obtenir de l’aide au moment du vote, et exige de l’État qu’il élimine ces obstacles discriminatoires. S’il ne le fait pas, la personne devrait être en mesure de porter plainte.

Cette approche n’a pas pour moteur la compassion, mais la dignité et la liberté. Elle explore les moyens de respecter la diversité humaine, de la soutenir et de la célébrer en instaurant les conditions nécessaires à une authentique participation d’un large éventail de personnes, y compris les personnes handicapées. Au lieu de représenter ces dernières comme les objets passifs d’actes de charité, elle se propose de les aider à s’aider elles-mêmes de manière à pouvoir participer au fonctionnement de la société, à l’éducation, à la vie professionnelle, culturelle et politique, et défendre leurs droits en ayant recours à la justice.

L’approche fondée sur les droits de l’homme est un accord en vertu duquel les personnes handicapées, les États et le système international des droits de l’homme s’engagent à mettre en pratique certains aspects essentiels de l’approche sociale. Elle s’impose à tous les États qui ont ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées, et qui doivent éliminer et prévenir les actes discriminatoires. Elle établit que toutes les politiques et toutes les lois devraient être conçues avec la participation des personnes handicapées, le handicap étant systématiquement pris en compte dans tous les aspects de l’action politique. Elle n’appelle pas la conception de politiques «spéciales» en faveur des personnes handicapées, quelles que soient les adaptations nécessaires pour respecter le principe de la pleine participation.

En vertu de cette approche, dans laquelle la société délègue les politiques relatives au handicap, le principal responsable est l’État – toutes administrations et tous ministères confondus. Certaines dispositions concernent le secteur privé, et un rôle spécifique est dévolu à la société civile, en particulier aux personnes handicapées et aux organisations qui les représentent. Les personnes handicapées ont des droits et disposent d’instruments qui leur permettent d’en réclamer le respect. Elles ont les outils nécessaires pour prendre leur destin en mains et participer pleinement, dans des conditions d’égalité avec autrui. La loi impose de les associer étroitement à l’élaboration des politiques.

Quelle est l’approche dominante aujourd’hui?

L’approche caritative est la plus ancienne des quatre, suivie de l’approche médicale. L’approche sociale et l’approche fondée sur les droits de l’homme sont plus récentes. Cependant, toutes ces approches coexistent encore aujourd’hui. Malgré l’adoption de la Convention, les deux premières sont encore très largement répandues, y compris au sein de la communauté des défenseurs des droits de l’homme.