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Communiqués de presse Conseil des droits de l’homme

Le Conseil des droits de l'homme examine des rapports sur la situation en Érythrée

24 Juin 2015

MATIN

24 juin 2015

Le Conseil des droits de l'homme a été saisi ce matin du rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme en Érythrée, Mme Sheila B. Keetharuth, après avoir conclu un débat interactif, entamé hier après-midi, avec la Commission d'enquête sur les violations présumées des droits de l'homme en Érythrée, dont Mme Keetharuth est l'un des trois membres, les deux autres étant M. Mike Smith (Président) et M. Victor Dankwa.

Le rapport de Mme Keetharuth porte l'attention sur les expulsions forcées et les démolitions en tant que violation du droit à un logement décent. Les expulsions forcées et les destructions de logements au bulldozer représentent une pratique ancienne qui a significativement augmenté depuis le début de l'année. La Rapporteuse spéciale dispose d'informations sur plus de 3000 personnes qui se seraient ainsi retrouvées sans logement, mais il n'existe aucune statistique officielle sur ces expulsions et démolitions de logement. Mme Keetharuth s'est également déclarée inquiète s'agissant du sort de mineurs non accompagnés qui quittent le pays et dont le nombre ne cesse d'augmenter. Mais, elle est encouragée par quelques avancées, dont un plus grand engagement de l'Érythrée avec la communauté internationale, ainsi qu'une réduction de la durée effective du service militaire obligatoire, la ratification de la Convention contre la torture et la libération d'un journaliste au début de cette année.

Le débat qui a suivi a permis aux délégations de l'Union européenne, du Royaume-Uni, de la Nouvelle Zélande et de l'Irlande de prendre note de ces évolutions, tout en se déclarant préoccupées par les violations massives des droits de l'homme qui se poursuivent dans le pays et du refus de coopération des autorités d'Asmara. Dans ce contexte, les délégations leur ont demandé de coopérer pleinement avec la communauté internationale, de mettre un terme aux expulsions forcées et aux démolitions de maisons, de lutter contre le trafic d'êtres humains ou encore de libérer tous les prisonniers politiques. Des déclarations ont également été faites par cinq organisations non gouvernementales*.

Les délégations** qui sont intervenues dans la suite du débat interactif entamé hier avec la Commission d'enquête sur les violations présumées des droits de l'homme en Érythrée, se sont notamment déclaré déçues du refus de coopération des autorités de l'Érythrée avec la commission, refus d'autant plus regrettable que la Commission fait état d'informations alléguant que des crimes comparables à des crime contre l'humanité sont commis par le Gouvernement. Le Gouvernement harcelle en outre les défenseurs des droits de l'homme, emprisonne et torture les journalistes et opprime son propre peuple, ont ajouté des délégations de la société civile. Dans ce contexte, elles ont appelé le Gouvernement à coopérer, à mettre en œuvre les recommandations de la commission et à garantir qu'il n'y aura pas d'impunité pour les auteurs de ces crimes. D'autres délégations se sont aussi félicitées des mesures prises par le Gouvernement érythréen, notamment la ratification de la Convention contre la torture et la fin de du service militaire indéfini. Ces mesures doivent maintenant être mises en œuvre, ont demandé ces délégations. Plusieurs délégations ont demandé la prolongation du mandat de la Commission, mais d'autres ont critiqué son mandat, le qualifiant de «politisé» et estimant qu'il servait des intérêts partisans contraires aux principes et objectifs de la Charte des Nations Unies.

Le Conseil tiendra, à la mi-journée, son débat général sur les situations relatives aux droits de l'homme qui requièrent son attention. Il procédera À partir de 16 heures à l'examen des documents finals résultant de l'Examen périodique universel s'agissant du Kirghizistan et de la Guinée.

Fin du dialogue interactif avec la Commission d'enquête sur la situation des droits de l'homme en Érythrée

La Norvège s'est dite favorable à la prolongation du mandat de la Commission d'enquête sur la situation des droits de l'homme en Érythrée et s'est félicitée de l'annonce de la fin du service national indéfini, tout en se déclarant préoccupée par l'ampleur de l'exode qui fait fuir entre 2000 et 4000 personnes par mois. Le Royaume Uni s'est félicité des premières avancées du Gouvernement érythréen, notamment pour ce qui a trait à la ratification de la Convention contre la torture ou encore à l'annonce de la fin du service national illimité. Il s'agit maintenant de mettre en œuvre ces mesures et surtout de lutter contre l'impunité et la traite des personnes, a souligné le Royaume-Uni. L'impunité et l'absence de l'état de droit, ainsi que la traite des êtres humains qui prévalent en Érythrée constituent autant de sujet de préoccupations pour l'Espagne. Il est temps maintenant que l'Érythrée mette un terme à la torture, notamment en améliorant les conditions de détention, a demandé l'Estonie.

La Croatie a indiqué souscrire à toutes les recommandations de la Commission, en particulier celle visant à établir un lien plus étroit entre cette Commission et la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme en Érythrée. La République de Corée a pour sa part appelé le Gouvernement de l'Érythrée à mettre en œuvre les recommandations de la Commission d'enquête et notamment à appliquer immédiatement la Constitution de 1997. La communauté internationale doit assurer la reddition de comptes s'agissant des graves violations des droits de l'homme qui ont cours en Érythrée, a ajouté la République de Corée. L'Irlande s'est pour sa part dite déçue que l'Érythrée ait refusé de coopérer avec la Commission d'enquête et ce, d'autant plus que les informations recueillies font ressortir des faits assimilables à des crimes contre l'humanité. Face à de telles allégations, des investigations complémentaires sont nécessaires, a souligné la France en s'interrogeant sur la manière d'assurer la reddition de comptes dans le contexte de l'Érythrée. La Somalie a elle aussi déploré le manque de coopération des autorités érythréennes avec la Commission d'enquête et a dénoncé les cas de torture et autres graves violations des droits de l'homme qui ont cours en Érythrée. C'est pourquoi la Somalie a indiqué qu'elle soutiendrait le renouvellement du mandat de la Commission d'enquête. À l'instar de la Somalie, l'Autriche a appelé les autorités érythréennes à coopérer.

Tout en saluant les avancées notables enregistrées en Érythrée, le Luxembourg s'est demandé, tout comme la Suisse, comment la communauté internationale pouvait inciter l'Érythrée à mieux respecter les droits de l'homme.

L'Éthiopie, pays en conflit avec l'Érythrée, a assuré que son gouvernement a toujours voulu dialoguer avec ce pays. Les autorités éthiopiennes ont même annoncé leur volonté de se rendre à Asmara pour instaurer un climat de dialogue. Or, l'Érythrée ne témoigne d'aucune volonté à cette fin, a déclaré l'Éthiopie, soulignant que la question de la frontière ne pourra être réglée que par un dialogue politique.

Le Venezuela a rappelé que c'est par principe qu'il ne soutient pas les mandats portant spécifiquement sur un pays donné, estimant que de tels mandats détournent les mécanismes du Conseil à des fins contraires à la Charte des Nations Unies. Aussi, le Venezuela a-t-il appelé le Conseil à mettre un terme à ce mandat. Exprimant un avis similaire, le Soudan a invité le Conseil à s'abstenir de toute politisation et à faire preuve d'objectivité. C'est une assistance technique qui doit être fournie à l'Érythrée, a insisté le Soudan, rejetant tout recours aux mandats par pays pour atteindre des objectifs politiques. L'Érythrée subit depuis dix ans des sanctions économiques, a rappelé le Soudan, avant de demander à la Commission d'enquête de dire dans quelle mesure, selon elle, ces sanctions entravent la jouissance des droits de l'homme. Au lieu de politiser les débats, le Conseil devrait au contraire s'engager avec les pays concernés afin d'y garantir la réalisation des droits de l'homme, a quant à elle déclaré la République islamique d'Iran. Il y a d'autres moyens que la coercition ou les mandats par pays, a affirmé Cuba, plaidant pour que d'autres moyens soient explorés, y compris au niveau régional, pour emmener l'Érythrée à coopérer avec la communauté internationale.

Les représentants d'organisations non gouvernementales ont été unanimes à demander la prorogation des mandats de la Commission d'enquête et du Rapporteur spécial. Amnesty International a fait observer que le constat accablant que dresse la Commission d'enquête confirmait ce que plusieurs organisations dénoncent depuis plusieurs années. L'ONG a estimé que le mandat du Rapporteur spécial devait être renforcé, notamment en créant une base de données sur l'Érythrée. Les témoignages recueillis par la Commission d'enquête constituent une source inestimable d'indices dans le cadre d'une éventuelle saisine de la Cour pénale internationale, a souligné Amnesty International. Human Rights Watch a pour sa part relevé que les conclusions de la Commission d'enquête établissaient ce que l'on sait depuis fort longtemps au sujet de l'oppression exercée par le Gouvernement érythréen sur son peuple. Aussi, l'ONG a-t-elle estimé que le Conseil devait renouveler le mandat du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme en Érythrée. Aucun pays ne devrait fermer ses portes aux demandeurs d'asile originaires d'Érythrée, a en outre souligné Human Rights Watch. Conscience and Peace Tax International (CPTI) s'est elle aussi dite favorable à la prorogation du mandat du Rapporteur spécial et a apporté son soutien à la mise en œuvre de toutes les recommandations figurant dans le rapport de la Commission d'enquête. Se prononçant également en faveur de la prorogation du mandat du Rapporteur spécial, le Mouvement international de la réconciliation a rappelé que le Conseil avait créé la Commission d'enquête par consensus et a donc appelé celui-ci à demeurer unanime. La population érythréenne réclame que justice soit faite et la communauté internationale doit faire le maximum pour cela, a insisté l'ONG.

CIVICUS a souligné qu'en dépit du courage dont font preuve les personnes qui témoignent des violations des droits de l'homme dans le pays, elle demeure préoccupée par les risques de représailles à leur encontre et contre les membres de leurs familles. La gravité des violations des droits de l'homme en Érythrée exige l'attention indéfectible de la communauté internationale, a affirmé CIVICUS.

East and Horn of African Human Rights Project s'est associé à l'appel lancé par la Commission d'enquête afin que le Gouvernement d'Asmara mette enfin en œuvre la Constitution de 1997. Tout en se félicitant de la participation de l'Érythrée à l'Examen périodique universel et de sa récente ratification de la Convention contre la torture, Jubilee Campaign a jugé profondément regrettable le refus persistant d'Asmara d'avoir des contacts avec la Commission d'enquête et les titulaires de mandat. L'ONG a par ailleurs appelé chacun à accueillir sans restriction les réfugiés érythréens. L'Article 19 - Centre international contre la censure a dénoncé l'emprisonnement sans jugement de nombreux journalistes en Érythrée - 69 depuis 2001, dont huit seraient morts en détention. La communauté internationale doit exiger d'avoir accès aux détenus afin de faire la lumière sur ce qu'il est advenu des personnes emprisonnées et disparues.

Conclusion du pays concerné

L'Érythrée a indiqué prendre note de la position des États qui se sont dits opposés aux mandats portant sur un pays en particulier et les en a remerciés. Bien qu'il n'existe aucun litige frontalier, l'Éthiopie continue d'occuper une partie d'un territoire souverain, a par ailleurs ajouté l'Érythrée. L'Érythrée a expliqué qu'elle rejette la Commission d'enquête en raison de son parti pris et de son manque de professionnalisme. Aussi, le pays a-t-il invité les États membres à rejeter les projets de propositions (le concernant) présentés par Djibouti. L'Érythrée a estimé nécessaire de reconnaître les progrès qu'elle a accomplis en matière de droits de l'homme. Il faut lever les sanctions contre-productives et l'ONU devrait exiger de l'Éthiopie qu'elle se retire des territoires occupés, a insisté la délégation érythréenne.

Conclusion des membres de la Commission d'enquête

M. MIKE SMITH, Président de la Commission d'enquête sur la situation des droits de l'homme en Érythrée, a estimé que la chose la plus importante pour l'Érythrée serait qu'elle applique sans délai sa propre Constitution. Il faut mettre un terme à l'impunité et limiter le service militaire à dix-huit mois, ce qui implique la démobilisation de toutes les personnes ayant d'ores et déjà largement dépassé cette durée, en particulier celles qui ont été enrôlées à 17 ans et qui ont atteint la trentaine aujourd'hui. Est également indispensable la mise en place d'un système judiciaire indépendant, avec l'aide éventuelle de la communauté internationale – pour autant bien entendu que le Gouvernement soit disposé à accepter une telle aide. Nous savons que l'exode des Érythréens prend sa source dans la déception chronique de la population envers le système mis en place depuis l'indépendance, a déclaré M. Smith, précisant que les témoignages recueillis par la Commission d'enquête avaient porté non pas sur l'opinion des personnes mais sur leur vécu. Tous ces récits, aussi différents soient-ils sur le plan personnel, corroborent la description du système en place qu'a faite la Commission – un système inacceptable dans le monde d'aujourd'hui.

Des crimes contre l'humanité ont manifestement été commis par le Gouvernement érythréen, a poursuivi M. Smith, ajoutant que cette question doit toutefois faire l'objet d'une enquête afin d'étayer ce constat par des preuves. C'est pour cette raison qu'il serait souhaitable que le Conseil de sécurité renvoie le cas de l'Érythrée devant la Cour pénale internationale. Le Président de la Commission d'enquête a par ailleurs évoqué les enlèvements pour rançon de migrants érythréens lors de leur odyssée vers l'Europe. Il a souligné qu'en raison de l'absence d'avenir dans leur pays, notamment du fait de l'enrôlement indéfini dans l'armée au titre du service militaire, il n'était pas étonnant que tant de jeunes préfèrent fuir l'Érythrée. Si son mandat est prorogé, la Commission d'enquête prévoit de se pencher sur la question essentielle de l'établissement des responsabilités.

MME SHEILA KEETHARUTH, membre de la Commission d'enquête et Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme en Érythrée, a souligné que les jeunes filles étaient couramment victimes d'abus et d'exploitation sexuelle lors de leur enrôlement dans l'armée érythréenne. Le service militaire est soumis à une discipline de fer, les subalternes pouvant être soumis à des sanctions extrêmement sévères, a-t-elle indiqué. Les femmes, en particulier, peuvent difficilement se soustraire à ce que l'on exige d'elles, a-t-elle insisté. Elle s'est en revanche félicitée que le Gouvernement d'Asmara ait récemment promulgué une loi contre les mutilations génitales féminines.

Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme en Érythrée

Le Conseil était saisi du rapport sur la situation des droits de l'homme en Érythrée (A/HRC/29/41, disponible en anglais [.doc]).

Présentation du rapport

MME SHEILA B. KEETHARUTH, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme en Érythrée, a présenté ce qui constitue son troisième rapport en tant que Rapporteuse spéciale, en expliquant que celui-ci était consacré aux expulsions forcées et aux démolitions en tant que violation du droit à un logement décent. De telles démolitions ont un impact fort sur les individus, les familles et les communautés et suscitent le déni de nombreux autres droits, a-t-elle souligné. Le rapport présente également une actualisation de la situation des droits de l'homme en général, a-t-elle ajouté. Mme Keetharuth, qui est également membre de la Commission d'enquête établie par la résolution 26/24 et chargée d'enquêter sur toutes les violations présumées des droits de l'homme en Érythrée, a expliqué qu'elle avait veillé à assurer l'indépendance réciproque des deux mandats. Elle a rappelé qu'elle attendait encore une occasion de se rendre personnellement en Érythrée sur invitation du Gouvernement érythréen.

Les expulsions forcées et les destructions de logements au bulldozer, qui représentent une pratique ancienne de la part des autorités érythréennes, ont significativement augmenté depuis le début de l'année, a poursuivi la Rapporteuse spéciale. Attirant l'attention sur les informations faisant état de 800 destructions de logements à Asmara et dans les environs de la capitale, ainsi que dans d'autres villes, Mme Keetharuth a affirmé que plus de 3000 personnes se sont ainsi retrouvées sans logement; ces chiffres consolidés sont inférieurs à ceux provenant de différentes sources, sachant qu'il n'existe aucune statistique officielle sur ces expulsions et démolitions de logement ni sur les éventuelles victimes des confrontations qui se déroulent parfois lorsque les militaires viennent procéder aux expulsions et destructions, a-t-elle précisé. La Rapporteuse spéciale a toutefois fait mention d'informations faisant état de la mort d'au moins deux personnes le 5 mars dernier à Adi Keyh et d'une dizaine de jeunes arrêtés alors qu'ils tentaient de s'opposer à de telles démolitions.

La politique de distribution foncière à des fins de logement et la politique de construction de logements sont réellement problématiques en Érythrée, a insisté la Rapporteuse spéciale. Le Gouvernement met très longtemps pour donner une autorisation de construction, ce qui amène les gens à se lancer parfois dans la construction d'un logement sans permis, jusqu'à ce que le Gouvernement, à un moment donné, leur ordonne d'arrêter et fasse détruire ce qui est déjà construit, a expliqué Mme Keetharuth.

La Rapporteuse spéciale s'est ensuite penchée sur le sort des mineurs érythréens qui franchissent les frontières non accompagnés et dont le nombre ne cesse d'augmenter. Elle a rappelé que, depuis 1013, elle n'a cessé d'attirer l'attention de la communauté internationale sur la situation difficile de ces mineurs non accompagnés, dont la situation particulièrement vulnérable requiert la protection du Conseil.

La Rapporteuse spéciale s'est dite encouragée par quelques indices, certes très peu nombreux, laissant apparaître un plus grand engagement de l'Érythrée avec la communauté internationale; mais il faudrait observer des progrès plus concrets pour estimer que la situation des droits de l'homme dans le pays s'améliore, a-t-elle ajouté. En particulier, il n'existe rien de concret concernant un retour de la durée effective du service militaire à 18 mois, hormis une législation en ce sens qui n'a - jusqu'à ce jour – pas été respectée. De la même façon, s'il faut bien entendu se réjouir que l'Érythrée ait accédé en septembre 2014 à la Convention contre la torture, le pays n'a pas pour autant accepté la possibilité pour le Comité contre la torture d'effectuer des visites dans le pays au titre de l'article 20 de la Convention. Aussi, Mme Keetharuth s'est-elle interrogée sur le sens de cette demi-mesure (accession à la Convention sans acceptation de l'article 20). La Rapporteuse spéciale a fait état de centaines de personnes qui seraient selon elle toujours incarcérées au secret en Érythrée, sans motif et sans que ne leur soit offerte la possibilité de contester leur détention. Tout en se réjouissant de la libération d'un journaliste au début de cette année 2015, la Rapporteuse spéciale a demandé combien d'autres journalistes avaient été arrêtés ou étaient encore détenus. Le Code pénal est entré en vigueur dans le contexte d'un vide constitutionnel puisque la Constitution de 1997 n'est toujours pas appliquée, a-t-elle en outre fait observer. En conclusion, Mme Keetharuth a demandé des actions concrètes de la part de l'Érythrée, plutôt que de vagues promesses.

Pays concerné

L'Érythrée a jugé que le rapport était contre-productif. Le fait qu'il y ait deux mandats sur l'Érythrée montre bien la politisation de la question des droits de l'homme, la Rapporteuse spéciale reconnaissant elle-même ce doublon. Dépeindre de manière sensationnaliste la situation en Érythrée est déplorable. L'Érythrée a affirmé qu'au contraire, la participation de la société et de la population est une réalité, en dépit de ce que dépeignent la Commission et la Rapporteuse spéciale. Les droits de l'homme existent bien en Érythrée et il n'y a pas de volonté d'exclure sur la base de l'ethnie ou de la religion; le pays est géré sur la base de la protection du territoire. L'Érythrée lutte en outre contre la traite des êtres humains; la forte migration des Érythréens dans les pays occidentaux résulte de la volonté de chercher de meilleures conditions de vie. Au lieu de chercher l'affrontement, la communauté internationale et le Haut-Commissariat devraient chercher la coopération avec les autorités de l'Érythrée, a-t-il conclu.

Débat

L'Union européenne a dit prendre note des maigres avancées relevées par la Rapporteuse spéciale, mais continue d'être préoccupée par les graves violations des droits de l'homme dans le pays, notamment la détention sans procès, la torture ou la situation des migrants érythréens qui courent de graves risques dans leur migrations vers l'Europe. Le Royaume-Uni reste déçu du refus de coopération de l'Érythrée avec la Rapporteuse spéciale et appelle le pays à respecter ses obligations internationales relatives aux droits de l'homme. La Nouvelle-Zélande a souligné que ce refus de coopération ne fait qu'empirer la situation, marquée notamment par une dure répression contre les défenseurs des droits de l'homme. Comment encourager cette coopération, se demande la Nouvelle-Zélande. C'est la situation des droits de l'homme qui est la cause de la forte migration des Érythréens, dont des enfants et des mineurs non accompagnés, a rappelé l'Irlande.

S'agissant des organisations non-gouvernementales, le Mouvement international de la réconciliation a déclaré que le Gouvernement érythréen devait immédiatement mettre un terme à ses expulsions forcées et à la démolition de maisons. L'organisation a par ailleurs demandé quel avis la Rapporteuse spéciale pouvait donner aux États membres qui voient affluer un grand nombre d'Érythréens sur leur territoire. Ne pense-t-elle pas qu'il vaudrait mieux s'attaquer aux causes du problème plutôt que d'en pénaliser les symptômes? Conscience and Peace Tax International a fait part de sa préoccupation face au sort des mineurs fuyant le pays, du fait en particulier qu'ils soient facilement la proie de trafiquants d'êtres humains sans scrupules. Elle s'est alarmée elle aussi de la destruction de maisons par l'armée, ce qui ne peut que favoriser l'exode. S'inquiétant elle aussi du caractère massif du phénomène de l'exode des Érythréens, l'East and Horn of Africa Human Rights Defenders Project a dénoncé la pratique de la détention illimitée, parfois même dans des conteneurs enterrés. Amnesty International a souligné que les proches des personnes arrêtées ne recevaient souvent aucune information de la part des autorités, ne sachant même pas si elles étaient toujours vivantes. Elle estime que d'importantes mesures immédiates pourraient être prises par les autorités, soit en libérant les prisonniers politiques, soit au minimum en informant les familles de leur sort et de leur lieu de détention.

United Nations Watch, qui a affirmé pour sa part que le peuple érythréen exigeait l'attention immédiate du Conseil, a constaté que la situation en Érythrée s'était considérablement détériorée depuis le rapport de 2014. L'ONG a demandé à la Rapporteuse spéciale de quelle manière le Conseil pouvait assurer un suivi de son rapport, compte tenu du manque de coopération du pays. Association of World Citizens a constaté que les Érythréens avaient commencé à affluer dans des pays tels que le Royaume-Uni depuis trois ou quatre décennies. Cette population a de grandes difficultés d'adaptation en raison de leur vulnérabilité, de leur fragilité et de leur désespoir. On voit aujourd'hui que les risques qu'ils prennent en quittant leur pays sont peu de chose par rapport à ce qu'ils vivent dans le pays, a-t-elle constaté, avant d'appeler à prendre en compte les besoins spécifiques de ces réfugiés.

Conclusion du pays concerné

L'Érythrée a rejeté en bloc toutes les affirmations contenues dans le rapport, qui sont totalement étrangères à la réalité du pays. Elle demande que les procédures spéciales fassent preuve d'objectivité. L'intégration d'une perspective relative aux droits de l'homme dans toutes les initiatives gouvernementales a été renforcée, a assuré son représentant, précisant que cette prise en compte des droits fondamentaux allait dans le sens des recommandations de l'Examen périodique universel. L'Érythrée entend redoubler d'efforts pour réorganiser les structures administratives du gouvernement. Elle entend améliorer sa coopération avec les instances internationales, avec le Haut-Commissariat aux droits de l'homme en particulier.

Conclusions de la Rapporteuse spéciale

M. KEETHARUTH a souhaité revenir sur le lien entre le droit au logement en Érythrée et les droits de l'homme. Elle a rappelé que le droit à un niveau de vie acceptable, lequel implique un droit à un logement convenable, était reconnu par le Pacte des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels, auquel l'Érythrée est partie. L'Érythrée doit donc s'abstenir de pratiquer des expulsions forcées, sauf pour des motifs justifiés et en respectant l'information préalable et le droit le recours des personnes concernées, ainsi que leur droit à indemnisation. Or, toutes les informations qui sont à la disposition de la Rapporteuse spéciale indiquent une violation de ces principes, ainsi qu'un manque de logements convenables dans le pays, ce qui nuit à d'autres droits – droit à la santé, droits des femmes – ainsi qu'à la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement, dans laquelle l'Érythrée a paraît-il fait des progrès importants. Ainsi les expulsions forcées et démolitions de logement ont des effets négatifs en cascade, a fait remarquer la Rapporteuse spéciale, qui a également mis l'accent sur la sexospécificité des expulsions, affirmant que de nombreuses femmes expulsées étaient chefs de famille.

Pour l'avenir, la Rapporteuse spéciale a estimé qu'il serait important d'assurer un suivi du rapport de la Commission d'enquête. Elle a estimé que l'incarcération et la détention au secret, ainsi que le service militaire, étaient des questions nécessitant une attention précise, de même que les effets de ces situations sur le pays. Si son mandat est reconduit, la Rapporteuse spéciale entend continuer à travailler en vue de contribuer à faire de l'Érythrée un pays où l'on peut parler librement avec les titulaires de mandat de procédures spéciales du Conseil. Elle a aussi rappelé l'importance de la question des mineurs non accompagnés et des migrations en général, en précisant que ses recherches l'avaient amené à conclure que les Érythréens fuyaient leurs pays en raison d'atteintes aux droits de l'homme. Elle a en outre annoncé son intention d'aborder avec le Gouvernement érythréen la question des droits économiques, sociaux et culturels.

Bafouer les droits de l'homme au profit de gains politiques immédiats a des conséquences néfastes graves pour la population érythréenne, a insisté Mme Keetharuth, qui a jugé essentiel que l'Érythrée démontre sa volonté de s'ouvrir à un dialogue constructif avec la communauté internationale et a regretté que les recommandations de ses rapports précédents sur ce point n'aient pas été mises en œuvre.

Mme Keetharuth a réitéré qu'elle avait veillé à bien séparer son mandat de Rapporteuse spéciale de celui de membre de la Commission d'enquête

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* Déclarations faites dans le cadre du débat interactif sur le rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme en Érythrée: Union européenne, Royaume-Uni, Nouvelle Zélande, Irlande, Mouvement international de la réconciliation, Conscience and Peace Tax International, East and Horn of America Human Rights Defenders Project, Commission arabe des droits de l'homme, United Nations Watch, Association of World Citizens, Amnesty International.

** Déclarations faites dans le cadre du débat interactif avec la Commission d'enquête sur les violations présumées des droits de l'homme en Érythrée: Norvège, République de Corée, Espagne, Royaume Uni, Estonie, Luxembourg, Suisse, Irlande, France, Somalie, Autiche, Éthiopie, Venezuela , Soudan, République islamique d'Iran, Cuba, East and Horn of America Human Rights Defenders Project, Conscience and Peace Tax International, Jubilee Campaign, Mouvement international de la réconciliation, Article 19 - Centre international contre la censure, CIVICUS-Alliance mondiale pour la participation des citoyens, et Amnesty International.

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